Forum ouvrier

Numéro 62 - 28 juin 2021

La revendication des Canadiens d'un statut pour toutes et tous!

Nous sommes une seule classe ouvrière, une seule humanité, menant une seule lutte pour les droits de toutes et tous


Toronto, 20 juin 2021

Migration interne et travail par rotation sur les sites d'extraction des sables bitumineux - Peggy Morton


La revendication des Canadiens d'un statut pour toutes et tous!

Nous sommes une seule classe ouvrière, une seule humanité, menant une seule lutte pour les droits
de toutes et tous

Forum ouvrier félicite tous les travailleurs et toutes les organisations de défense des droits comme le Réseau des droits des migrants et Migrante Canada qui ont organisé des actions à travers le Canada à l'occasion du 20 juin, Journée mondiale des réfugiés, afin d'exprimer une fois de plus la revendication des Canadiens d'un statut pour tous ! – pour les réfugiés, les étudiants, les travailleurs migrants et les sans-papiers. Il est clair que c'est parce que les travailleurs s'expriment et s'organisent pour l'affirmation des droits de tous que la vérité de ce qui se passe au Canada est connue et qu'ensemble nous pouvons faire avancer la lutte pour les droits de tous.

Forum ouvrier apprécie profondément la position adoptée par Migrante Canada, à savoir que l'appel à un statut d'immigration complet et permanent est un appel à mettre fin à un système mortel et racisé d'exclusion des droits, des protections et de la dignité; que la lutte pour la défense des droits des travailleurs migrants n'est pas simplement une lutte pour exiger des droits en vertu des lois canadiennes fondées sur le colonialisme, mais une remise en question de la nature violente et injuste de tout ce système; que nous devons nous unir et exiger que les lois et les politiques canadiennes ne forcent pas davantage de personnes à quitter leur foyer, où que ce soit.

Selon le Rapport sur l'état de la migration dans le monde 2020 de l'ONU, il y avait environ 25,9 millions de réfugiés dans le monde en 2018. Les Palestiniens enregistrés auprès des organisations de secours de l'ONU représentaient 5,5 millions de ce total. Si 25,9 millions est un chiffre important, il représente moins de 10 % des 272 millions de migrants internationaux dans le monde en 2019 selon les estimations. Sur une population mondiale de 7,7 milliards, cela signifie qu'une personne sur 30 sur la terre est un migrant international. L'insécurité économique est la première raison qui pousse les gens à quitter leur foyer, à la recherche d'un emploi et de stabilité. La guerre, la violence et l'oppression arrivent en deuxième position après l'insécurité économique. Ce phénomène qui contraint des centaines de millions de personnes à devenir des migrants internationaux est clairement la manifestation d'un ordre social mondial qui apporte la catastrophe sur les peuples du monde. Il s'agit de la création, à partir de l'insécurité économique, de la guerre, de la violence et de l'oppression, d'un bassin de travailleurs à surexploiter, et cette surexploitation est cruellement appelée « mobilité de la main-d'oeuvre », qui est considérée comme un droit garanti par la Charte au Canada et un droit humain fondamental.

Il s'agit d'êtres humains qui respirent et qui ont des réclamations légitimes à faire à la société pour qu'elle affirme et garantisse leurs droits où qu'ils soient, et pas seulement là où ils sont nés. Cette situation est aussi le visage d'un nouveau monde en devenir, celui des travailleurs de tous les pays qui, indépendamment de leur lieu d'origine, existent en tant qu'une seule classe ouvrière quel que soit le pays où ils vivent. Les migrants, quel que soit le statut qui leur est imposé, font partie intégrante de la force principale de l'humanisation de l'environnement social et naturel. Ce sont des « travailleurs essentiels », comme on l'a vu au Canada lors de la pandémie. C'est en revendiquant ce qui leur appartient en tant qu'humains et en faisant avancer la lutte pour les droits de tous que naîtront des sociétés qui défendront les droits de tous.

Au Canada, la migration intérieure est également un problème important. De plus en plus, les travailleurs sont obligés de quitter leur foyer pour trouver du travail ailleurs au pays parce que leurs secteurs industriels et de services, leurs économies locales et régionales ont été détruits par des intérêts privés mondiaux étroits. Nous devons également intensifier notre travail sur cette question importante.

Nous sommes une seule classe ouvrière, une seule humanité, menant une seule lutte pour les droits de toutes et tous et pour un système centré sur l'humain partout qui respecte les droits et la dignité de tous les êtres humains !


Sudbury, 20 juin 2021

(Photos : FO, Sudbury Workers Education Centre, Migrant Workers Action for Change)

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Migration interne et travail par rotation
dans les sables bitumineux


Logements d'un campement de travail à un site d'extraction des sables bitumineux
au nord de Fort McMurray. (Narwhal)

De toutes les provinces ou régions, c'est en Alberta que les fluctuations de la migration interne d'une province à l'autre sont les plus importantes. Les gens s'installent en Alberta pendant les périodes de prospérité et quittent la province lorsque les prix du pétrole s'effondrent. Selon Statistique Canada, « Depuis 1971-1972, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont été les deux principales provinces bénéficiaires du solde migratoire interprovincial au Canada. De 1971-1972 à 2015-2016, le solde migratoire interprovincial de l'Alberta a été de 626 375, tandis que la Colombie-Britannique a accueilli 602 233 migrants[1]. »

La migration interne en Alberta est fortement liée au besoin de travailleurs dans les sables bitumineux et autres projets pétroliers et gaziers. Les travailleurs sont venus de tout le Canada et du monde entier, car l'extraction du bitume a augmenté de 376 % entre 2000 et 2018, créant un boom de la construction. Nombre d'entre eux sont venus des régions où la récolte d'arbres en forêt pour l'exportation sans transformation locale était en crise. De 2004 à 2008 seulement, le nombre de travailleurs provenant d'autres régions du Canada est passé de 67 500 à 133 000. En comparaison, environ 59 500 Albertains ont tiré une partie de leur revenu de l'extérieur de la province en 2008 – le plus souvent en Colombie-Britannique, en Ontario et en Saskatchewan.

À l'heure actuelle, il y a plus de gens qui quittent l'Alberta que de gens qui y arrivent d'autres régions du Canada. Même si la production continue d'augmenter, il y a moins d'emplois dans les sables bitumineux, tant dans la construction que dans l'extraction. Mais les travailleurs continuent de faire la navette pour aller travailler dans les sables bitumineux, car le « travail par rotation » est devenu une caractéristique permanente, non seulement pour la construction et l'entretien périodique, mais aussi pour le travail à l'année dans l'extraction et le traitement. Le travail de forage des puits de pétrole dans le cadre de l'extraction conventionnelle du pétrole a également toujours été rotatif, mais il implique rarement que les travailleurs viennent de l'extérieur de la province ou parcourent de longues distances. Un « travailleur en rotation » est défini comme un travailleur qui ne retourne pas à son domicile permanent à la fin de la journée de travail.

De 2000 à 2014, la main-d'oeuvre mobile dans la municipalité régionale de Wood Buffalo a presque décuplé, pour atteindre plus de 50 000 travailleurs permutants logés dans plus de 100 camps établis à une distance de 20 à 100 kilomètres ou plus de l'agglomération la plus proche, certains étant regroupés autour d'une piste d'atterrissage. Bien que le nombre ait diminué depuis le ralentissement de l'activité pétrolière qui a commencé à la fin de 2014, une main-d'oeuvre de plusieurs milliers d'employés qui arrivent par avion et repartent par avion (« fly-in fly-out ») reste essentielle au fonctionnement et à l'entretien durables des installations de sables bitumineux établies[2].

Bien que de nombreux travailleurs des sables bitumineux aient pour résidence permanente Fort McMurray, beaucoup d'autres ont leur résidence permanente bien loin de la région des sables bitumineux. Les travailleurs viennent d'aussi loin que 5 000 kilomètres. Ceux qui travaillent à proximité de Fort McMurray ont un logement temporaire à Fort McMurray, mais la majorité vivent dans des camps de travail. Ensemble, ces travailleurs sont appelés « population fantôme » de la municipalité régionale de Wood Buffalo.

La municipalité régionale de Wood Buffalo inclut la « population fantôme » dans son recensement municipal, définie comme une population constituée de personnes qui vivent dans la municipalité pendant au moins 30 jours par an, mais qui ont un domicile permanent ailleurs. Selon le recensement de 2018, il y avait 75 000 résidents permanents à Fort McMurray et une « population fantôme » de 36 678 personnes, dont 32 855 vivaient dans des camps de travail. La population de Fort McMurray a diminué de 10 % par rapport à 2015, après l'incendie de forêt de 2016 qui a détruit des milliers de maisons. La « population fantôme » a également diminué d'environ 15 % depuis 2015, à la suite de l'effondrement des prix du pétrole. Ceux qui ne vivent pas dans des camps de travail peuvent habiter dans des hôtels ou des motels, des véhicules récréatifs ou des roulottes, louer une chambre ou un appartement à Fort McMurray, ou même faire du « couch surf » (chez des amis et connaissances). Le recensement est un instantané dans le temps et il ne permet pas de savoir combien de travailleurs vont et viennent réellement au cours de l'année[3].

Une étude menée par PetroLMI en 2015 auprès de 12 entreprises de sables bitumineux comptant 26 874 employés a établi que dix de ces douze entreprises avaient des régimes de travail par rotation et que la majorité d'entre elles s'attendaient à ce que la main-d'oeuvre par rotation augmente. L'extraction in situ (où le bitume se trouve dans les profondeurs de la terre) est le secteur des sables bitumineux qui connaît la croissance la plus rapide et qui dépend fortement des travailleurs permutants.

La plupart des projets in situ ainsi que les mines plus récentes se trouvent à plus d'une heure de route de la périphérie de Fort McMurray, et certaines sont très éloignées. On estime qu'il y a au moins 100 camps de travail, qui abritent de 20 à 1 500 travailleurs chacun. Les travailleurs qui cuisinent et travaillent dans les cuisines, nettoient et entretiennent les camps travaillent également par rotation, avec souvent de très longues périodes de travail dans les camps. Le maire et le conseil municipal réclament depuis de nombreuses années des ressources suffisantes pour fournir des services à cette « population fantôme », une demande ignorée par le gouvernement provincial.

On estime qu'environ 15 000 travailleurs travaillent sur des chantiers qui utilisent le navettage (« fly-in fly-out »). La plupart des grands chantiers  ont leurs propres aérodromes privés appartenant à un ou plusieurs monopoles, ou les travailleurs prennent l'avion pour se rendre à l'aéroport régional de Fort McMurray et en revenir. Une étude menée par un consortium d'entreprises opérant dans les sables bitumineux a révélé qu'environ deux tiers de ces travailleurs vivent en Alberta, dont 5 % dans la région de Wood Buffalo, et le reste principalement à Edmonton (25 %) et à Calgary (22 %), suivis de la Colombie-Britannique (13 %), des provinces de l'Atlantique (9 %) et de la Saskatchewan (5 %), et d'un petit nombre de personnes du Québec, du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest.

Jusqu'à 10 000 travailleurs, dont beaucoup viennent de l'extérieur de la province, participent aux travaux d'entretien annuel prévus, appelés arrêts ou révisions. Les révisions nécessitent l'intervention de nombreux corps de métier, notamment des tuyauteurs, des chaudronniers, des charpentiers (échafaudeurs), des conducteurs d'équipement lourd, des calorifugeurs et des manoeuvres. Le travail sur un site dure habituellement environ 45 jours et les travailleurs peuvent effectuer plus d'une rotation. En 2021, les quarts de travail ont duré jusqu'à 24 jours, sans aucun jour de repos. Cette année, la rotation à l'usine CNRL a connu la plus grande épidémie de COVID-19 sur le lieu de travail en Amérique du Nord, avec plus de 1400 travailleurs infectés et, tragiquement, deux décès.

Notes

1. Statistique Canada, Rapport sur l'état de la population du Canada – Migration interne : Aperçu, 2015/2016

2. Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages de 2011, no de catalogue 99-012-X2011033

3. Nichols, Applied Management 2018; municipalité régionale de Wood Buffalo, 2018

(Photos : FO, Narwhal)

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