Migration interne et travail par rotation dans les sables bitumineux
- Peggy Morton -
Logements d'un campement de travail à un site
d'extraction des sables bitumineux
au nord de Fort McMurray. (Narwhal)
De toutes les provinces ou régions, c'est en
Alberta que les fluctuations de la migration
interne d'une province à l'autre sont les plus
importantes. Les gens s'installent en Alberta
pendant les périodes de prospérité et quittent la
province lorsque les prix du pétrole s'effondrent.
Selon Statistique Canada, « Depuis 1971-1972,
l'Alberta et la Colombie-Britannique ont été les
deux principales provinces bénéficiaires du solde
migratoire interprovincial au Canada.
De 1971-1972 à 2015-2016, le solde migratoire
interprovincial de l'Alberta a été
de 626 375, tandis que la
Colombie-Britannique a accueilli 602 233
migrants[1]. »
La migration interne en Alberta est fortement
liée au besoin de travailleurs dans les sables
bitumineux et autres projets pétroliers et
gaziers. Les travailleurs sont venus de tout le
Canada et du monde entier, car l'extraction du
bitume a augmenté de 376 %
entre 2000 et 2018, créant un boom de la
construction. Nombre d'entre eux sont venus des
régions où la récolte d'arbres en forêt pour
l'exportation sans transformation locale était en
crise. De 2004 à 2008 seulement, le
nombre de travailleurs provenant d'autres régions
du Canada est passé de 67 500
à 133 000. En comparaison,
environ 59 500 Albertains ont tiré une
partie de leur revenu de l'extérieur de la
province en 2008 – le plus souvent en
Colombie-Britannique, en Ontario et en
Saskatchewan.
À l'heure actuelle, il y a plus de gens qui
quittent l'Alberta que de gens qui y arrivent
d'autres régions du Canada. Même si la production
continue d'augmenter, il y a moins d'emplois dans
les sables bitumineux, tant dans la construction
que dans l'extraction. Mais les travailleurs
continuent de faire la navette pour aller
travailler dans les sables bitumineux, car le «
travail par rotation » est devenu une
caractéristique permanente, non seulement pour la
construction et l'entretien périodique, mais aussi
pour le travail à l'année dans l'extraction et le
traitement. Le travail de forage des puits de
pétrole dans le cadre de l'extraction
conventionnelle du pétrole a également toujours
été rotatif, mais il implique rarement que les
travailleurs viennent de l'extérieur de la
province ou parcourent de longues distances. Un «
travailleur en rotation » est défini comme un
travailleur qui ne retourne pas à son domicile
permanent à la fin de la journée de travail.
De 2000 à 2014, la main-d'oeuvre mobile
dans la municipalité régionale de Wood Buffalo a
presque décuplé, pour atteindre plus
de 50 000 travailleurs permutants logés
dans plus de 100 camps établis à une distance
de 20 à 100 kilomètres ou plus de
l'agglomération la plus proche, certains étant
regroupés autour d'une piste d'atterrissage. Bien
que le nombre ait diminué depuis le ralentissement
de l'activité pétrolière qui a commencé à la fin
de 2014, une main-d'oeuvre de plusieurs
milliers d'employés qui arrivent par avion et
repartent par avion (« fly-in fly-out »)
reste essentielle au fonctionnement et à
l'entretien durables des installations de sables
bitumineux établies[2].
Bien que de nombreux travailleurs des sables
bitumineux aient pour résidence permanente Fort
McMurray, beaucoup d'autres ont leur résidence
permanente bien loin de la région des sables
bitumineux. Les travailleurs viennent d'aussi loin
que 5 000 kilomètres. Ceux qui
travaillent à proximité de Fort McMurray ont un
logement temporaire à Fort McMurray, mais la
majorité vivent dans des camps de travail.
Ensemble, ces travailleurs sont appelés «
population fantôme » de la municipalité
régionale de Wood Buffalo.
La municipalité régionale de Wood Buffalo inclut
la « population fantôme » dans son
recensement municipal, définie comme une
population constituée de personnes qui vivent dans
la municipalité pendant au moins 30 jours par
an, mais qui ont un domicile permanent ailleurs.
Selon le recensement de 2018, il y avait
75 000 résidents permanents à Fort McMurray
et une « population fantôme »
de 36 678 personnes,
dont 32 855 vivaient dans des camps de
travail. La population de Fort McMurray a diminué
de 10 % par rapport à 2015, après
l'incendie de forêt de 2016 qui a détruit des
milliers de maisons. La « population
fantôme » a également diminué
d'environ 15 % depuis 2015, à la
suite de l'effondrement des prix du pétrole. Ceux
qui ne vivent pas dans des camps de travail
peuvent habiter dans des hôtels ou des motels, des
véhicules récréatifs ou des roulottes, louer une
chambre ou un appartement à Fort McMurray, ou même
faire du « couch surf » (chez des amis et
connaissances). Le recensement est un instantané
dans le temps et il ne permet pas de savoir
combien de travailleurs vont et viennent
réellement au cours de l'année[3].
Une étude menée par PetroLMI en 2015 auprès
de 12 entreprises de sables bitumineux
comptant 26 874 employés a établi que
dix de ces douze entreprises avaient des régimes
de travail par rotation et que la majorité d'entre
elles s'attendaient à ce que la main-d'oeuvre par
rotation augmente. L'extraction in situ (où le
bitume se trouve dans les profondeurs de la terre)
est le secteur des sables bitumineux qui connaît
la croissance la plus rapide et qui dépend
fortement des travailleurs permutants.
La plupart des projets in situ ainsi que les
mines plus récentes se trouvent à plus d'une heure
de route de la périphérie de Fort McMurray, et
certaines sont très éloignées. On estime qu'il y a
au moins 100 camps de travail, qui abritent
de 20 à 1 500 travailleurs chacun.
Les travailleurs qui cuisinent et travaillent dans
les cuisines, nettoient et entretiennent les camps
travaillent également par rotation, avec souvent
de très longues périodes de travail dans les
camps. Le maire et le conseil municipal réclament
depuis de nombreuses années des ressources
suffisantes pour fournir des services à cette «
population fantôme », une demande ignorée par
le gouvernement provincial.
On estime qu'environ 15 000
travailleurs travaillent sur des chantiers qui
utilisent le navettage (« fly-in fly-out »).
La plupart des grands chantiers ont leurs
propres aérodromes privés appartenant à un ou
plusieurs monopoles, ou les travailleurs prennent
l'avion pour se rendre à l'aéroport régional de
Fort McMurray et en revenir. Une étude menée par
un consortium d'entreprises opérant dans les
sables bitumineux a révélé qu'environ deux tiers
de ces travailleurs vivent en Alberta,
dont 5 % dans la région de Wood Buffalo,
et le reste principalement à Edmonton (25 %)
et à Calgary (22 %), suivis de la
Colombie-Britannique (13 %), des provinces de
l'Atlantique (9 %) et de la Saskatchewan
(5 %), et d'un petit nombre de personnes du
Québec, du Manitoba et des Territoires du
Nord-Ouest.
Jusqu'à 10 000 travailleurs, dont
beaucoup viennent de l'extérieur de la province,
participent aux travaux d'entretien annuel prévus,
appelés arrêts ou révisions. Les révisions
nécessitent l'intervention de nombreux corps de
métier, notamment des tuyauteurs, des
chaudronniers, des charpentiers (échafaudeurs),
des conducteurs d'équipement lourd, des
calorifugeurs et des manoeuvres. Le travail sur un
site dure habituellement environ 45 jours et
les travailleurs peuvent effectuer plus d'une
rotation. En 2021, les quarts de travail ont
duré jusqu'à 24 jours, sans aucun jour de
repos. Cette année, la rotation à l'usine CNRL a
connu la plus grande épidémie de COVID-19 sur le
lieu de travail en Amérique du Nord, avec plus
de 1400 travailleurs infectés et,
tragiquement, deux décès.
Notes
1. Statistique Canada,
Rapport sur l'état de la population du
Canada – Migration interne :
Aperçu, 2015/2016
2. Statistique Canada,
Enquête nationale auprès des ménages de 2011,
no de catalogue 99-012-X2011033
3. Nichols, Applied
Management 2018; municipalité régionale de
Wood Buffalo, 2018
Cet article est paru dans
Numéro 62 - 28 juin 2021
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