Forum ouvrier

Numéro 116 - 6 décembre 2021

Un vaste appui pour les travailleuses en grève des centres
de la petite enfance au Québec

Un appel à prendre position contre
une loi de retour au travail


Conférence de presse le 5 décembre 2021 par une coalition de syndicats, de groupes de parents et d'autres personnes qui demandent un règlement juste pour les travailleuses des garderies

Nouveau régime de santé et sécurité du travail au Québec
Nous allons rester mobilisés et continuer à nous battre - Entrevue avec
Félix Lapan



Un vaste appui pour les travailleuses en grève des centres de la petite enfance
au Québec

Un appel à prendre position contre une loi
de retour au travail

L'organisation de parents « Ma place au travail » qui demande que l'accès aux garderies devienne un droit garanti par la loi appelle les parents à appuyer fermement la lutte des travailleuses et des travailleurs des Centres de la petite enfance (CPE) à la défense de leurs droits. Forum ouvrier reproduit la lettre que l'organisation recommande aux parents d'envoyer à des ministres du gouvernement du Québec.

La lettre est écrite en réponse à la déclaration de la Présidente du Conseil du trésor qu'une loi de retour au travail fait partie des « outils » que le gouvernement a à sa disposition pour mettre fin à la grève dans les CPE.

***

À l'intention de : Mathieu Lacombe - député de Papineau à l'Assemblée nationale du Québec, ministre de la Famille ; Sonia LeBel - députée de Champlain, présidente du Conseil du trésor ; François Legault, premier ministre du Québec.

Objet : Réaction à la grève illimitée du réseau des CPE

Cette lettre a pour but d'exprimer l'appui sans réserve des parents tels que représentés par Ma place au travail envers les éducatrices et le personnel de soutien des CPE.

Si le gouvernement désire éviter aux familles les conséquences d'une grève générale illimitée, nous l'encourageons vivement à régler cette situation par une entente négociée plutôt qu'en ayant recours à l'application d'une loi spéciale.

Le casse-tête que pourrait engendrer ce débrayage ne justifie pas l'imposition d'une mesure qui brime le droit de revendiquer l'amélioration des conditions de travail et la valorisation du réseau public de services de garde à la petite enfance. Nous craignons qu'en contraignant les travailleuses et travailleurs des CPE à retourner au travail, vous exacerbiez le conflit : qu'arrivera-t-il s'ils et elles se découragent au point de quitter le réseau qu'elles s'évertuent à protéger ? Leurs conditions de travail doivent être impérativement améliorées.

La pénurie de places abordables et de qualité en services de garde éducatifs à l'enfance nuit à la conciliation travail/famille depuis de nombreuses années. Les bris de services se multiplient en raison de l'exode du personnel des CPE. La qualité des services se détériore avec chaque départ. À cela s'ajoute l'angoisse qu'éprouvent des milliers de parents en attente d'une place, ou du désespoir qui habite ceux et celles contraints à sacrifier leurs carrières, leurs études ou leur santé mentale en réponse à cette crise.

Ce sont surtout nos enfants qui en paient le prix. Ceux à besoins particuliers qui ne reçoivent pas les services spécialisés dont ils ont besoin. Ceux qui doivent composer avec des changements abrupts et continuels qui fragilisent leur intégration dans un milieu de garde, dûs aux départs d'éducatrices. Ceux qui n'ont qu'un temps limité pour interagir avec ces dernières, épuisées par la surcharge de travail engendrée par le manque de temps pédagogique pour compléter les dossiers des enfants. Les travailleuses et travailleurs sont la clé de voûte des CPE et nous réclamons que le gouvernement reconnaisse le rôle essentiel qu'ils et elles jouent dans la vie de nos tout-petits.

Nous nous opposons à ce que le gouvernement justifie ses tactiques de négociation à partir des difficultés que nous éprouvons actuellement à concilier nos responsabilités familiales et professionnelles. Nous le prions plutôt d'adhérer aux changements proposés par celles et ceux chargés d'assurer le bien-être, la sécurité et le développement harmonieux de nos enfants. Ce faisant, nous vous demandons de leur accorder les ressources nécessaires pour y parvenir. Vous parlerez en notre nom si vous acquiescez à leurs demandes.

Au Québec, nous avons hérité d'un réseau de services éducatifs publics de qualité, fondés sur un modèle de gouvernance par les parents et pour la communauté. Aboutissement des luttes de regroupements féministes et populaires, nos CPE ont permis d'assurer le développement global de nos enfants en plus d'accroître notre richesse économique collective. Grâce à eux, le Québec s'est hissé au sommet du palmarès mondial du taux d'employabilité chez les femmes âgées de 20 à 54 ans.

Nous espérons de tout coeur que le gouvernement répondra aux demandes des employé(e)s en CPE, qui sont également celles des parents qui ont la chance de les fréquenter, mais aussi de ceux qui espèrent un jour que leur enfant s'y épanouisse.

Cordialement,

D'un parent fatigué, mais solidaire

(Photos: «Ma place au travail», SQEES)

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Nouveau régime de santé et sécurité du travail au Québec

Nous allons rester mobilisés et
continuer à nous battre


Un contingent de l'UTTAM participe à un rassemblement devant l'Assemblée nationale à Québec contre le projet de loi 59, le 30 septembre 2021.

Le projet de loi 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, a été adopté le 30 septembre 2021, et a reçu la sanction le 6 octobre, en dépit de l'opposition et de la mobilisation de masse de l'ensemble des travailleurs du Québec et de leurs organisations. C'est une attaque en règle contre le droit des travailleurs à des conditions de travail salubres et sécuritaires. Ses dispositions vont entrer en vigueur de façon échelonnée pendant les deux prochaines années à mesure que sont mis en oeuvre les nouveaux pouvoirs réglementaires accordés à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Forum ouvrier s'est entretenu récemment avec Félix Lapan, organisateur communautaire avec l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM), sur les aspects de la loi qui concernent la réparation des lésions professionnelles et l'indemnisation des travailleurs.

***

Forum ouvrier : Quels sont les principaux aspects de la loi maintenant adoptée en ce qui concerne le traitement des travailleurs accidentés et souffrant de maladies professionnelles ?

Félix Lapan  : Un aspect est la réadaptation avant la consolidation [La guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur n'est prévisible]. Il s'agit du pouvoir qui va être donné à la CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail) d'imposer ce qu'on appelle des mesures de réadaptation en période de soins médicaux, avant la consolidation médicale. Normalement, dans le régime actuel, qui va s'appliquer jusqu'en octobre 2022, les gens font de la physiothérapie ou de l'ergothérapie dirigée par leur médecin traitant. A partir du 6 octobre 2022, la CNESST va pouvoir imposer des mesures de réadaptation pouvant inclure le retour au travail. Elle pourrait imposer des travaux légers, ou un retour au travail à temps partiel parce que la CNESST pense que c'est bon pour la santé du travailleur, bon pour sa réadaptation. L'article qui permet cela est très ambigu sur la nécessité de consulter le médecin traitant. Notre grande crainte est que la CNESST le fasse sans consulter le médecin traitant. Et si le travailleur ne fait pas ce que la CNESST lui ordonne de faire, il est coupé. Ce changement est un changement avant la consolidation.

Il y a aussi des changements en ce qui concerne ce qui se produit après la consolidation. Le but de tout cela est d'accélérer le moment où ils vont pouvoir dire que tu dois retourner au travail et on te coupe. C'est le but de ces mesures.

Après consolidation, ce sont des mesures pour forcer le travailleur à retourner au travail chez son ancien employeur même s'il ne peut plus faire son ancien travail. Dans le régime actuel, si quelqu'un a des limitations fonctionnelles qui l'empêchent de faire son travail, si l'employeur n'offre pas un emploi convenable, la CNESST doit réadapter la personne. Cela peut impliquer une formation, une aide à la recherche d'emploi ou doit impliquer de déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. A partir du 6 octobre 2022, la CNESST va chercher des solutions chez l'employeur à tout prix, même si le travailleur ne veut pas retourner chez son ancien employeur.

Dans les milieux non syndiqués, dans les cas où l'employeur a contesté la lésion, souvent le travailleur est content d'être réadapté ailleurs. Cela va devenir très rare qu'ils vont réadapter les travailleurs ailleurs. Ils vont plutôt dire qu'ils pensent qu'il existe un emploi possible plus léger chez l'employeur. Dans les faits, si l'employeur ne reprend pas la personne ou s'en débarrasse, la CNESST va s'en laver les mains. C'est une grande préoccupation que nous avons. Dans un milieu syndiqué, le syndicat va encadrer le retour au travail. Si l'employeur ne rend pas disponible un emploi convenable, le syndicat a des recours, il peut faire un grief, etc.

Dans le cas des non syndiqués, ils seront essentiellement laissés à eux-mêmes. La CNESST va dire qu'elle considère que tu peux faire un emploi plus léger chez ton employeur, elle rend une décision. Si l'employeur le met dehors une semaine plus tard ou tu n'es pas capable d'occuper cet emploi prétendument convenable, les gens vont être pris à faire des recours compliqués contre leur employeur pendant lequel ils ne seront pas payés parce que la CNESST va avoir mis fin au dossier.

Il y a comme un changement de la philosophie de la loi sur la réadaptation professionnelle. Dans le régime actuel, quand on est incapable de reprendre notre emploi, on va souvent bénéficier de la réadaptation professionnelle. Dans le nouveau régime qui entre en vigueur le 6 octobre 2022 en ce qui concerne ces aspects, la réadaptation ailleurs sur le marché du travail va devenir l'exception. La norme va devenir des emplois supposément convenables que la CNESST va décréter chez l'employeur. Le travailleur n'a pas le choix. S'il ne veut pas retourner chez son employeur, il perd ses droits. Il n'aura droit à rien.

Toujours dans les mesures qui entrent en vigueur le 6 octobre, il y a l'abolition de la présomption d'incapacité de travail pour les personnes victimes de maladies professionnelles âgées de 55 ans et plus. Pour les victimes de maladies professionnelles de 55 ans et plus, qui ne peuvent plus faire leur ancien travail, il y a présentement une mesure de protection pour eux. Dans la loi qui a été adoptée, la protection disparaît à partir du 6 octobre 2022. En ce moment, par exemple, un travailleur de 56 ans qui a de l'amiantose et qui ne peut plus retourner au travail, reçoit une indemnisation jusqu'à la retraite. Cela disparaît.

Un autre changement important, c'est tout ce qui touche l'assistance médicale. Il entre en vigueur lors de l'entrée en vigueur des règlements de la CNESST. Avec la réforme, la CNEEST a gagné plein de pouvoirs réglementaires. Elle va pouvoir adopter un règlement sur l'assistance médicale, qui va maintenant s'appeler les « services de santé et les équipements adaptés  ». Cela va lui permettre, pour la première fois depuis 1985, de créer des limites au droit aux médicaments et aux orthèses et prothèses. Présentement, les travailleurs et travailleuses ont droit à tout ce que le médecin traitant leur prescrit en lien avec leur lésion, avec 100 % de remboursement de la part de la CNESST. La CNESST pourra dorénavant réglementer les remboursements d'équipements adaptés et de médicaments, elle pourra exclure des catégories de médicaments, on ne sait pas exactement de quoi va avoir l'air leur règlement, mais qu'on leur donne ce pouvoir réglementaire nous inquiète beaucoup.

Ce sont certains des exemples importants de reculs dans la loi. Je crois que l'entrée en vigueur est échelonnée de cette façon parce que le gouvernement veut donner le temps à la CNESST de tout préparer car il s'agit d'un changement de philosophie majeur dans des aspects clés du régime. Il y a certains changements qui sont entrés en vigueur dès le moment où la loi a reçu la sanction, d'autres entreront en vigueur douze mois après la sanction, d'autres vont entrer en vigueur en 2023.

FO : Dans quelle direction vont ces changements apportés par la loi ?

FL : Le but est d'accélérer le moment où les gens n'auront plus droit à l'indemnité, accélérer le retour au travail et réduire l'accès à l'assistance médicale et réduire les coûts de l'assistance médicale.

Je tiens à dire que bien qu'il y ait de gros reculs, nous sommes contents de la lutte que nous avons menée. Nous avons été capables d'éviter un grand nombre de reculs que le projet de loi comprenait lorsqu'il a été déposé. Par exemple, dans le projet de loi initial, cela devenait pratiquement impossible de faire reconnaître la surdité professionnelle. Il y avait des surdités qui étaient exclues et on ajoutait plein de conditions pour faire reconnaître une surdité professionnelle causée par le bruit au travail. Et la surdité représente environ deux tiers des réclamations acceptées pour maladie professionnelle au Québec. Il y a une explosion des coûts de la surdité à cause de l'exposition à des milieux de travail bruyants pendant des décennies au-delà de toutes les normes qui étaient reconnues par d'autres régimes ailleurs en Amérique du Nord. La norme d'exposition au bruit au Québec était extrêmement permissive, et elle vient tout juste de changer, en juin dernier. Le ministre a reculé sur la surdité professionnelle et sur d'autres questions, comme les conditions pour faire reconnaître l'intoxication au plomb par exemple, qui étaient pratiquement impossibles dans le projet de loi initial.

Notre mobilisation a forcé le gouvernement à reculer par rapport à bon nombre de reculs que le projet de loi comportait. En même temps, la CNEEST a gagné des pouvoirs réglementaires sur les maladies professionnelles et pourrait ramener ces choses-là. On va rester mobilisés et on va continuer à se battre. La CNESST va tenter d'utiliser ces pouvoirs réglementaires et on va se mobiliser contre tout règlement qui va restreindre nos droits.

(Photos: UTTAM)

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