La pandémie va plomber les finances des provinces

La pandémie de la COVID-19 va engendrer cette année des déficits six fois plus importants pour les gouvernements provinciaux pour atteindre près de 63 milliards de dollars.

Chaque province verra une détérioration importante de sa situation financière. Nous ne prévoyons généralement pas de problème majeur avec le financement de déficits plus élevés à court terme. Ce sera tout au plus le soutien en liquidités par la Banque du Canada qui garantira que la filière du financement restera ouverte et que les coûts de financement demeureront gérables.

[Il importe de noter que la RBC est une des institutions de l'oligarchie financière qui profitera beaucoup des emprunts des gouvernements. La RBC ne prête pas seulement de l'argent aux gouvernements par le biais du système impérialiste d'États, elle profite aussi de l'organisation de la vente des titres de créance des gouvernements — note de LML]

Les programmes du gouvernement fédéral pour soutenir directement les individus et les entreprises dans le besoin totalisent plus de 230 milliards de dollars (10 % du PIB).

La gestion de l'urgence sanitaire par les provinces et le déploiement de leurs propres programmes de soutien financier coûteront également des milliards de dollars. La Colombie-Britannique (5 milliards de dollars), l'Alberta (7,7 milliards de dollars), l'Ontario (17 milliards de dollars) et le Québec (18 milliards de dollars), par exemple, ont présenté des plans d'action d'envergure historique. Il est clair que les dépenses créent d'énormes pressions sur les gouvernements, ce qui pèsera lourdement sur leur situation budgétaire.

[La RBC estime que les dépenses fédérales et provinciales totales pour les programmes de soutien financier s'élèvent à 315 milliards de dollars et continuent d'augmenter. Pour mettre les choses en perspective, les dépenses totales du budget fédéral de 2018-2019 étaient de 347 milliards de dollars. — note de LML]

Les revenus des gouvernements ont encaissé
un dur coup suite à la récession

Pourtant, le bilan des dépenses pourrait pâlir par rapport au choc qui mine les recettes gouvernementales. La pandémie de la COVID-19 a déclenché la récession la plus soudaine et la plus profonde que nous ayons jamais vue. Selon la dernière mise à jour des perspectives provinciales d'Économique RBC, toutes les provinces sauf deux (la Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador) connaîtront leur plus forte contraction économique en une année. (Voir les extraits ci-dessous)

Cela nuira énormément aux revenus des ménages et des entreprises et affectera gravement les principales sources de revenus des gouvernements. Nous nous attendons cette année à ce que l'impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises et les taxes de vente baissent sensiblement dans chaque province. La baisse des revenus pourrait être de l'ordre de 3 milliards de dollars en Colombie-Britannique (-6 % des revenus anticipés), 6,3 milliards de dollars en Ontario (-4,8 %) et 8 milliards de dollars au Québec (-8,6 %), selon la sensibilité historique à la croissance économique.

L'effondrement des prix du pétrole : un dur coup pour les provinces productrices de pétrole, Terre-Neuve-et-Labrador, l'Alberta et la Saskatchewan, qui font face à des baisses encore plus dramatiques en raison de leur dépendance envers les redevances pétrolières. Nous estimons que la chute des prix du pétrole réduira ces redevances d'au moins 40 %. Cela ne tient même pas compte des baisses de production susceptibles de se produire face à une surabondance des réserves mondiales. En incluant les effets secondaires sur d'autres secteurs de l'économie, le ralentissement du secteur de l'énergie pourrait soustraire cette année plus de 8 milliards de dollars (ou près de 20 %) en revenus à l'Alberta.

La COVID-19 a complètement changé les perspectives financières de toutes les provinces. Il y aura des déficits partout en 2020-2021, et d'énormes déficits dans le cas de deux provinces productrices de pétrole. Nous constatons que le manque à gagner atteint près de 2 milliards de dollars (7,0 % du PIB) à Terre-Neuve-et-Labrador et 18 milliards de dollars (6,4 %) en Alberta, soit plus du double des 6,8 milliards de dollars prévus par ce gouvernement dans son budget de février. La dépendance moins importante de la Saskatchewan envers les redevances pétrolières réduira son déficit à environ 1,5 milliard de dollars (2,1 % du PIB). La projection relativement récente d'un déficit de 20,5 milliards de dollars en Ontario (en date du 25 mars) nous semble un peu optimiste malgré qu'il y ait près de 5 milliards de dollars en imprévus inclus dans les estimations. Nous croyons qu'il pourrait dépasser 21 milliards de dollars (2,5 % du PIB) [...] Nous prévoyons des déficits de l'ordre de 5 milliards de dollars en Colombie-Britannique (1,8 % du PIB), 13 milliards de dollars au Québec (3,0 %), 600 millions de dollars au Nouveau-Brunswick (1,8 %) et 800 millions de dollars en Nouvelle-Écosse (1,9 %). [...] Notre prévision d'un déficit de 1,5 milliard de dollars au Manitoba (2,1 % du PIB) épuisera complètement les fonds d'urgence de la province.

Les dettes provinciales vont augmenter plus vite

Le financement du grand bond dans les déficits cette année nécessitera une augmentation substantielle des émissions de titres de créance. Ce processus est déjà en cours, alors que de nombreuses provinces sont allées à plusieurs reprises sur les marchés du financement depuis la mi-mars. Nous prévoyons que l'augmentation de la dette nette provinciale va plus que tripler dans l'ensemble cette année.

L'augmentation de la dette provinciale va bientôt tripler
augmentation annuelle de la dette nette, en milliards de dollars, de l'ensemble des provinces

Nous n'entrevoyons pas qu'un endettement plus élevé entrave de manière significative la capacité des gouvernements provinciaux à répondre de façon à leurs besoins croissants en emprunts. Par mesure de précaution, la Banque du Canada a récemment annoncé qu'elle achètera jusqu'à 50 milliards de dollars d'obligations provinciales sur les marchés secondaires avec des échéances restantes de 10 ans ou moins. Cela s'ajoutera au programme d'achat de titres provinciaux sur les marchés monétaires qu'elle a lancé plus tôt. Ces mesures devraient garantir les liquidités dans la filière du financement provincial. Toutes les provinces peuvent actuellement emprunter à des taux d'intérêt historiquement bas, ce qui contribuera à contenir l'augmentation des coûts du service de la dette.

La récession causée par la COVID-19 s'aggrave d'un océan à l'autre - Extraits de perspectives provinciales de la RBC

La perte stupéfiante d'un million d'emplois à l'échelle nationale en mars a largement dépassé tout ce que nous avions connu jusqu'à présent. Il est encore plus inquiétant de constater que ce résultat sera probablement dérisoire en comparaison des pertes qui seront annoncées pour le mois d'avril. Le choc n'épargne aucune région du pays. Nous avons (encore une fois !) réduit nos prévisions de croissance provinciale de manière généralisée à la lumière des derniers événements et de la dynamique observée actuellement. Nous croyons maintenant que toutes les provinces s'enliseront dans une profonde récession cette année.

Les répercussions économiques de la COVID-19 seront généralisées à l'échelle du pays, et ce, peu importe le nombre de cas, par province. Cela s'explique par les consignes de distanciation sociale qui sont mises en oeuvre partout et qui perturbent directement de grands pans de l'économie de chaque province. Les secteurs les plus touchés, comme le commerce de détail, les services de transport (ce qui comprend les compagnies aériennes), l'éducation, les arts et loisirs et les services de restauration, représentent d'ordinaire le tiers des emplois environ et de 20 % à 25 % du PIB provincial. L'arrêt de grandes portions de ces secteurs pour une période de deux mois soustrairait aisément et immédiatement de trois à quatre points de pourcentage à la croissance dans la plupart des provinces.

Les fermetures d'entreprises, les mises à pied massives et la forte réduction des heures de travail de ceux qui occupent toujours un emploi produisent des effets supplémentaires dans d'autres secteurs, ce qui accentue les pertes d'emploi et aggrave la contraction économique. En définitive, 2020 marquera le plus important recul du PIB en un an pour toutes les provinces, à l'exception de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Colombie-Britannique. La hausse importante des pertes d'emplois, enregistrée en mars et en avril, catapultera le taux de chômage à plus de 10 % dans chaque province à court terme, puis ce taux diminuera progressivement durant le deuxième semestre de l'année en cours. Le taux de chômage de l'Alberta, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve-et-Labrador ne reviendra pas sous les 10 % avant 2021, au plus tôt.

Les perspectives économiques des provinces productrices de pétrole sont particulièrement sombres. L'effondrement des prix du pétrole a déjà secoué brutalement les entreprises de ce secteur. Hélas, nous ne prévoyons qu'une remontée très graduelle des prix du pétrole au cours de la prochaine année. La baisse marquée des flux de trésorerie oblige les producteurs à réduire les investissements, les emplois et la production. Nous nous attendons à une perte de 440 000 emplois en Alberta et de 80 000 emplois en Saskatchewan durant la crise. Comparativement à la récession de 2015-2016, il s'agit de pertes presque sept fois plus élevées pour l'Alberta et cinq fois plus importantes pour la Saskatchewan. À notre avis, le taux de chômage montera à 20 % durant le trimestre en cours en Alberta et à 15 % en Saskatchewan, des niveaux inégalés par ces deux provinces.

Les mesures extraordinaires mises en oeuvre par tous les paliers de gouvernement (qui, selon nos calculs, totalisent presque 315 milliards de dollars jusqu'à présent pour le gouvernement fédéral et les plus grandes provinces seulement) et la Banque du Canada au cours des dernières semaines faciliteront cette reprise.

Ce sont principalement les initiatives fédérales qui ont attiré l'attention, mais les gouvernements provinciaux ont également mis en oeuvre des mesures importantes pour aider les personnes et les entreprises durant la crise. Ces mesures comprennent des paiements ponctuels directs aux personnes en isolement volontaire ou dont les emplois ont été touchés par la pandémie, ainsi que le report du paiement des factures et des prêts étudiants. Pour les entreprises, certains gouvernements provinciaux proposent un soutien financier pour accroître les liquidités (2,5 milliards de dollars au Québec), des garanties de prêt ainsi qu'un report de divers impôts, soit des impôts fonciers prélevés aux fins scolaires aux déclarations de taxes de vente. D'autres mesures provinciales comprennent une aide directe aux secteurs durement touchés, comme le tourisme et l'hébergement (par exemple, la Colombie-Britannique consacre 1,5 milliard de dollars aux efforts de reprise économique). La banque centrale et tous les paliers de gouvernement ont indiqué qu'ils étaient prêts à en faire davantage au besoin.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 34 - 20 mai 2020

Lien de l'article:
La pandémie va plomber les finances des provinces - Extraits d'Économique RBC


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca