Le Marxiste-Léniniste

Numéro 7 - 24 février 2018

Gain de cause dans la contestation du processus
de mise en candidature

Le cautionnement de 1000 $ est invalidé

Gain de cause dans la contestation du processus de mise en candidature
Le cautionnement de 1000 $ est invalidé
Gouverner sans le consentement des gouvernés - Entrevue avec Anna Di Carlo, dirigeante nationale, Parti marxiste-léniniste du Canada

Le programme de réforme électorale du gouvernement Trudeau
Les libéraux font de la cybersécurité le nouvel objectif des réformes
Élargissement des pouvoirs de police pour criminaliser la conscience et la parole - Pauline Easton
Les théories du complot de l'élite dominante - Enver Villamizar 


Dispute entre la Colombie-Britannique et l'Alberta au sujet de l'oléoduc Trans Mountain
Diviser le corps politique pour servir les intérêts privés qui rivalisent entre eux

150e anniversaire de la naissance de W.E.B. Du Bois
Le legs de W.E.B. Du Bois – Paul Robeson 


Supplément
Désinformation sur les cyberattaques et l'« arsenalisation » des médias sociaux



Gain de cause dans la contestation du processus de mise en candidature

Le cautionnement de 1000 $ est invalidé

Les Canadiens n'auront plus à payer un cautionnement de mise en candidature de 1 000 $ lorsqu'ils se présenteront comme candidats aux élections fédérales. Cette exigence a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour du banc de la Reine de l'Alberta en octobre 2017 dans le cadre d'une contestation fondée sur la Charte déposée par Kieran Szuchewycz après qu'il ait tenté sans succès de s'inscrire comme candidat indépendant dans la circonscription de Calgary-Heritage aux élections fédérales de 2015. L'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés stipule : « Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. » La juge en chef A.B. Inglis a décidé que l'exigence d'un cautionnement contrevient à l'article 3 et a déclaré que les dispositions connexes de la Loi électorale du Canada « étaient sans effet ».

Le procureur général du Canada (le gouvernement) a soutenu devant la Cour que les exigences de longue date en matière de cautionnement et de signatures de mise en candidature servent à décourager les candidats « frivoles ». Dans son jugement, la juge Inglis a soutenu que le cautionnement de 1 000 $ avait « le potentiel d'empêcher un candidat sérieux et impressionnant de se présenter à une élection », en accord avec Szuchewycz, qui s'est représenté lui-même devant les tribunaux. La juge Inglis a conclu que « de nombreux candidats non frivoles pourraient être empêchés de participer en raison de moyens financiers limités, et qu'un candidat frivole pourrait facilement être en mesure de respecter l'exigence de cautionnement ». Elle a déclaré : « Je conclus que [le cautionnement] constitue une restriction mesurable importante au droit de jouer un rôle significatif dans le processus électoral et, en tant que tel, viole l'article 3 de la Charte. »

Pour étayer son argument, la juge Inglis a dit que la collecte de 100 signatures de mise en candidature (50 dans des circonscriptions moins peuplées) est suffisante pour prouver le sérieux d'un candidat. Szuchewycz avait également contesté l'exigence de la collecte de signatures et l'exigence que la personne ayant servi de témoin lors de la collecte soit présente lors de la mise en candidature officielle. Szuchewycz a fourni le 1 000 $ lorsqu'il a tenté de s'inscrire ; il a échoué parce qu'il n'a pas été en mesure de présenter le témoin des signatures, qui demeure à Edmonton, à Calgary pour la mise en candidature. Le directeur du scrutin de Calgary-Heritage a omis de l'aviser qu'il aurait pu déposer les documents par télécopieur et que ses formulaires auraient pu être notariés pour que le témoin n'ait pas à se présenter. La juge Inglis a confirmé l'exigence de signatures de mise en candidature et les dispositions connexes.

Dans une lettre envoyée aux partis politiques non représentés à la Chambre des communes, Szuchewycz a exprimé son point de vue sur la décision de la Cour :

« ... Ce test de richesse, introduit pour la première fois dans la Loi des élections fédérales du Dominion en 1874, appartient désormais au passé. Les candidats n'auront plus à prouver qu'ils disposent de 1 000 $ pour exercer leur droit de se présenter aux élections.

« Bien que des restrictions administratives sérieuses demeurent pour les petits partis et les candidats indépendants, sans parler de la censure systématique des médias, j'espère que cette décision donnera à vos partis la possibilité de soutenir un plus grand nombre de candidats partout au Canada et de fournir la diversité de choix et de visions dont notre pays a désespérément besoin.

« À une époque où la démocratie semble reculer et où nous estimons que nous n'avons pas notre mot à dire sur la direction de ce pays, les petits partis et les gens ordinaires doivent défendre leurs convictions et offrir une nouvelle alternative aux carriéristes bien réseautés, aux politiciens malhonnêtes et à l'élite riche qui domine l'establishment politique. Je pense que vous conviendrez que c'est seulement grâce à la participation politique accrue des Canadiens ordinaires que notre système politique peut être rétabli. »

À la suite de la décision de la Cour de justice de l'Alberta, Élections Canada a annoncé qu'il se conformerait immédiatement et n'appliquerait plus les articles invalidés de la loi électorale, à moins que le gouvernement n'ait interjeté appel avec succès. Les candidats aux élections partielles fédérales du 11 décembre 2017 n'étaient pas tenus de payer le dépôt. Le 27 novembre 2017, la ministre des Institutions démocratiques Karina Gould a annoncé que son gouvernement ne ferait pas appel.

Recommandations d'Élections Canada sur l'inscription des candidats

Dans le rapport du directeur général des élections (DGE) à la Chambre des communes à la suite des élections fédérales de 2015, le DGE a proposé d'éliminer l'exigence de 100 signatures dans le processus de mise en candidature.

Dans son rapport intitulé Un régime électoral pour le 21e siècle, le DGE déclare : « L'exigence, pour le candidat, d'avoir à recueillir 100 signatures représente au mieux un avantage minime. Les signatures n'indiquent pas un soutien au candidat. La seule exigence pour pouvoir signer l'acte de candidature est d'habiter dans la circonscription du candidat. En fait, les candidats peuvent obtenir les signatures en se rendant dans un lieu public comme un centre commercial ou communautaire, et les signatures obtenues ne se traduiront pas nécessairement par un vote. La vérification des noms et adresses des 100 électeurs afin de confirmer qu'ils habitent dans la circonscription est une tâche qui exige beaucoup de temps aux directeurs du scrutin et retarde la confirmation de la candidature. [...] L'exigence selon laquelle l'acte doit être soumis par un témoin suggère que le candidat accepte la candidature avec réticence. De plus, l'obligation d'obtenir des signatures d'électeurs nuit aux personnes qui souhaitent exercer leur droit constitutionnel de se porter candidat. »

Dans son examen des recommandations du directeur général des élections, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a refusé d'abandonner l'exigence de la collecte de signatures de mise en candidature. Après avoir examiné la recommandation, il a déclaré à la Chambre des communes : « Le Comité ... demeure convaincu que l'exigence de signature sert à dissuader le nombre de candidats frivoles. »

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Gouverner sans le consentement des gouvernés

LML a demandé à Anna Di Carlo, dirigeante nationale du Parti marxiste-léniniste du Canada (PMLC), son opinion sur l'élimination du cautionnement de mise en candidature de 1000 $ .

***

Anna Di Carlo : C'est une bonne chose. Le PMLC apprécie les efforts de Kieran Szuchewycz pour le faire invalider. Ce que l'expérience de Kieran révèle et qui est le plus inquiétant à mon avis, c'est que le directeur du scrutin de sa circonscription ne l'a pas informé des mesures qu'il aurait pu prendre pour valider sa mise en candidature. Il est bien possible que le directeur du scrutin ne les connaissait même pas, mais le fait qu'il n'existe pas de recours pour Kieran est particulièrement troublant. C'est un exemple du genre de problèmes auxquels les Canadiens sont confrontés lorsqu'ils essaient de devenir candidats. Le processus ne ressemble absolument pas à une affirmation du droit d'élire et d'être élu. Au contraire, il est conçu pour s'assurer que le corps politique est maintenu hors du pouvoir.

Les candidats du PMLC font face à toutes sortes d'obstacles. En règle générale, le PMLC a des candidats qui connaissent mieux la loi que les directeurs du scrutin, ce qui leur permet d'avoir gain de cause. Le PMLC est très bien informé et il traite des problèmes qui surgissent d'une manière qui n'oblige pas les candidats à embaucher leurs propres avocats pour interpréter la loi électorale pour eux. Une fois, un de nos candidats a dû aller devant un juge pour obtenir un jugement sur une question très mineure et le juge n'avait jamais lu la loi électorale. Il a fallu que le candidat la lui explique et l'informe de ce qu'il devait faire.

LML : Quelles sont les problèmes reliés à la mise en candidature ?

ADC  : Il y en a beaucoup. Ils vont au coeur de l'objectif des lois électorales qui est caché. En fait, participer de façon consciente comme candidat à une élection est une expérience enrichissante qui permet d'en apprendre beaucoup sur le fonctionnement réel du système électoral appelé démocratie représentative. Loin de faire en sorte que les citoyens puissent élire et être élus, il prive l'électorat de ses droits et prive le corps politique de pouvoir. Le PMLC encourage les Canadiens à se présenter comme candidats dans le cadre d'un mouvement pour s'investir du pouvoir.

LML : Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

ADC : La décision de la Cour de l'Alberta d'invalider le cautionnement de 1000 $ de mise en candidature du candidat, les recommandations d'Élections Canada d'abroger l'exigence, pour le candidat, d'avoir à recueillir 100 signatures et la recommandation des partis cartellisés de maintenir l'exigence des signatures, tout cela reflète l'approche à la pièce de la réforme électorale qui ne traite pas de son défaut fondamental : elle ne donne pas lieu à un système qui place le pouvoir de décision entre les mains des citoyens en tant que membres du corps politique.

Dans un corps politique qui reconnaît les citoyens comme la source du pouvoir, l'appartenance à ce corps politique confère l'égalité. Au Canada, cependant, le corps politique n'est pas reconnu en pratique. Le système fait une distinction intrinsèque entre les dominants et les dominés, les gouvernants et les gouvernés, le souverain et les sujets. En apparence les représentants représentent le peuple mais en réalité ils représentent le souverain. Il n'y a pas d'égalité parce que vous faites partie de l'un ou bien de l'autre. Trudeau ne cesse de répéter qu'il fait partie de la classe privilégiée qui n'a aucune idée de ce que c'est que de faire partie de ceux qui n'ont pas accès aux privilèges.

Dans ce contexte-là, parler de citoyens en tant que membres égaux du corps politique, c'est tromper les crédules parce que le « souverain » établit les règles, définit les droits inscrits dans la Constitution et les limites des droits imposées au nom d'un but supérieur quelconque. Aujourd'hui, ce but supérieur est le plus souvent « la sécurité nationale ». La sécurité nationale devient synonyme de ce qu'on appelle les valeurs canadiennes, et des limites sont imposées pour restreindre les activités et le discours de ceux qui ne se conforment pas aux valeurs déterminées pour eux. L'objectif des élections est d'amener ces « citoyens » à consentir à ce que « le souverain » agisse en leur nom. Ils cochent leur bulletin de vote pour remettre leur représentation à quelqu'un dont on leur a fait croire qu'il les représente alors qu'en fait cette personne est un représentant du « souverain » qui représente l'État, lui-même un instrument de la force.

Comme dans le reste du système dominé par les partis, appelé démocratie représentative, le processus de sélection des candidats est en fait une négation des droits démocratiques fondamentaux des citoyens de sélectionner les candidats qui se présentent aux élections et de définir l'ordre du jour de la discussion pendant une élection et le programme qu'il veulent que le gouvernement qu'ils élisent mette en oeuvre. Le processus électoral ne permet même pas aux citoyens de porter un verdict sérieux sur les réalisations du gouvernement sortant.

La façon dont le gouvernement Trudeau agit illustre très bien ce point. Le premier ministre donne ce qu'on appelle des lettres de mandat à tous les ministres qui établissent des ordres du jour et des objectifs et qu'on dit provenir d'un mandat donné par l'électorat. Ils ont très peu à voir avec ce que les Canadiens veulent et de toute façon ceux-ci n'ont aucun pouvoir de contrôle. Puis le premier ministre prétend qu'il y a des consultations et des assemblées publiques, bien qu'elles soient au départ perçues comme étant bidon. Puis le gouvernement charge le Conseil privé de créer un site Web pour « suivre à la trace » sa performance et rendre un verdict ! C'est lamentable. Cependant, les médias monopolisés et ceux qui se disent des experts et des spécialistes en discutent comme si c'était démocratique. L'empereur est capable de se pavaner nu en disant qu'il porte un costume magnifique non seulement parce qu'il a une suite de courtisans serviles qui décrivent le costume fantôme et le disent magnifique, mais surtout parce que ce sont les gens qui sont nus, qui n'ont aucun pouvoir pour défier l'autorité. Ils n'ont aucun moyen d'exprimer collectivement ce qu'ils pensent, en tant que corps politique. L'option qu'on leur offre est de faire appel à ceux qui gouvernent d'être plus justes ou plus magnanimes, moins arrogants, etc. Dans tout cela, il est clair que ceux qui gouvernent n'ont aucun intérêt à garantir le droit à un vote éclairé. La participation du peuple aux élections sert à donner au pouvoir de ceux qui ont usurpé le pouvoir par la force l'apparence de consentement des gouvernés. Le processus a été mis en place pour défendre des intérêts privés puissants et aujourd'hui, ces intérêts agissent à l'échelle mondiale et non à l'échelle nationale. Parler de souveraineté aujourd'hui est devenu anathème.

La suppression du cautionnement de mise en candidature de 1 000 $ est un développement positif parce qu'elle enlève un obstacle aux citoyens qui veulent se présenter comme candidats sans égard à leur capacité financière. Elle n'empêche pas ceux qui ont le pouvoir économique et politique d'exercer leurs privilèges pour restreindre et limiter l'exercice du droit d'élire et d'être élu de l'ensemble des citoyens. C'est une chose communément admise que seuls les candidats choisis par les partis politiques de l'ordre établi ont une chance raisonnable de se faire élire à cause de toutes sortes de facteurs qui échappent au contrôle de l'électorat.

LML : Pouvez-vous expliquer en quoi consistent les exigences de mise en candidature ?

ADC : Les exigences de mise en candidature des candidats sont censées donner une sorte de légitimité à la façon dont les candidats ont été sélectionnés, mais cela ne fonctionne certainement pas aujourd'hui. De plus, les exigences de mise en candidature sont censées mettre en place « des règles du jeu équitables » parce qu'elles s'appliquent également à tous. On dit qu'elles font en sorte que les « candidats frivoles » soient découragés. Qui décide ce qu'est un candidat frivole et des critères utilisés pour porter un tel jugement est encore une autre question qui nous ramène au coeur même du problème d'un système qui est corrompu.

Ces critères proviennent de l'époque où seuls les hommes blancs propriétaires avaient le droit de vote. L'exigence de la collecte de signatures pour le candidat et le cautionnement de mise en candidature étaient logiques pour ces hommes propriétaires dont la démocratie était conçue pour écarter le hoi polloi, un terme qui vient du grec et qui signifie « la multitude ». Obtenir 200 signatures parmi le nombre limité d'hommes qui avaient le droit de voter à une époque où une circonscription pouvait compter aussi peu que 3 000 personnes était considéré comme « représentatif » de cette circonscription. En ce moment, il faut 100 signatures pour déposer une mise en candidature dans une circonscription de 85 000 à 145 000 personnes. Les « partis » à cette époque étaient les représnetants des oligarques, les représentants des classes possédantes qui étaient élus formaient le Parlement. Également dans le passé, les cautionnements de mise en candidature étaient liés au fait que les hommes étaient les seuls à pouvoir se porter candidats et que cet argent étaient effectivement utilisés pour payer les élections elles-mêmes; le coût de l'autogouvernance.

Au fil du temps, le mouvement ouvrier pour l'habilitation a conduit d'abord au suffrage universel masculin, puis aux partis de suffrage universel. Les  « partis de masse » ont été créés pour représenter les intérêts non oligarchiques et ils assumaient le rôle de pression « extra-parlementaire ». Le rôle des partis de masse de faire céder à leurs pressions les partis partis qui siégaient au parlement. Tant qu'il y avait un rapport entre ceux qui se présentent aux élections et leurs électeurs, ces derniers pouvaient exercer une certaine influence par la pression, mais aujourd'hui le lobbying et l'influence décisifs sont ceux des grands intérêts privés.

Ce n'est que beaucoup plus tard, vers la fin des années 1960, que le concept de candidats « frivoles » est apparu dans le vocabulaire politique officiel pour marginaliser ceux qui contestent le règne des classes possédantes. Le problème auquel sont confrontés ceux qui s'efforcent de démocratiser le processus est que l'élimination de ces exigences, comme l'élimination/l'augmentation/la diminution du montant du cautionnement ou du nombre de signatures nécessaires, ne change pas l'objectif du processus qui est de prétendre que les gouvernants ont le consentement des gouvernés. Aujourd'hui, même l'apparence de gouverner avec le consentement des gouvernés n'existe plus. De plus en plus, le slogan « Pas en mon nom ! » se fait entendre dans les manifestations. On peut également voir qu'à cause de cela, il y a de plus en plus d'arguments dans les milieux gouvernants sur la nécessité de protéger la sécurité nationale au moyen d'un régime militaire.

Avec la domination du système de partis sur le système de démocratie représentative, les partis politiques se sont mis à nommer les candidats. Aujourd'hui, la sélection des candidats et leur mise en candidature figurent parmi les rôles les plus importants des partis politiques. On ne finit plus de nous le répéter, même si le système est en train de tomber en morceaux. Les listes de membres fausses ou fictives des partis politiques sont devenues endémiques dans les courses à l'investiture où les élites du parti alignent ce qu'on appelle les candidats étoiles. Dans les campagnes à la chefferie des partis, des batailles majeures éclatent au sujet des adhésions légitimes et non légitimes.

Plus la crise du membership des partis s'aggrave, alors que moins de 1 % de la population canadienne est membre d'un parti politique, plus les partis politiques recourent à des combines pour camoufler l'échec de leur système appelé démocratie libérale. Au lieu de faire en sorte que le corps politique participe aux prises de décisions, la démocratie est réduite à un « choix » - choisir un candidat pour une élection est devenu la même chose que choisir un produit de consommation sur le marché. C'est ainsi que le Parti libéral essaie de justifier qu'il a remplacé la qualité de « membre du Parti libéral » par le statut de « libéral inscrit » qui inclut tous ceux qui ont visité son site Web et qui ont signé pour recevoir un bulletin ou enregistré un « j'aime » sur un article promotionnel.

Il faut mettre en place les mécanismes nécessaires qui permettent aux gens de sélectionner les candidats parmi leurs pairs en élaborant leurs propres programmes sociaux, culturels et économiques pour faire avancer la société. En nommant ceux qui incarnent les intérêts que leur collectif a identifiés, on donne naissance à une qualité nouvelle.

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Le programme de réforme électorale du gouvernement Trudeau

Les libéraux font de la cybersécurité le nouvel objectif des réformes

Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement Trudeau a institué des mesures qui sapent encore plus ce qu'on le processus démocratique. Le fait que des gouvernements successifs ont mis en oeuvre l'offensive néolibérale antisociale en affirmant avoir le mandat de le faire, une affirmation en laquelle le peuple ne croit pas, a énormément contribué à saper la confiance dans le processus démocratique. Cela n'a cessé de remettre en question le système de démocratie représentative qui est perçu comme représentant les intérêts des riches et non ceux du peuple.

Après le gouvernement de la main forte de Stephen Harper, Justin Trudeau a fait de la réforme électorale un élément central de son mandat. Il a voulu faire croire au corps politique que son gouvernement allait établir un système dans lequel l'allocation des sièges à la Chambre des communes refléterait mieux les suffrages exprimés. Ses propositions de réforme faisaient fi du problème fondamental, à savoir que les gouvernements exercent le pouvoir politique au nom d'intérêts privés, mais elles donnaient quand même l'impression que son gouvernement allait répondre à une des grandes préoccupations actuelles du corps politique, qui demande que son gouvernement soit redevable au peuple. Mais le gouvernement Trudeau s'est vite fait connaître comme un gouvernement de la posture. Tout ce qu'il fait est pour impressionner ou pour tromper.

Malgré tous ses efforts, le gouvernement n'a pas été capable de faire accepter au corps politique la méthode de scrutin préférentiel que Trudeau favorisait. Le comité parlementaire chargé du dossier a recommandé la tenue d'un référendum sur un « système de représentation proportionnelle » pour modifier l'actuel système majoritaire uninominal à un tour. Le gouvernement a rejeté la recommandation du comité parlementaire qui était censé ètre ce que le peuple voulait selon les représentants du peuple.

Le gouvernement a ensuite tenu des consultations-bidon avec des assemblées publiques scénarisées à l'échelle du pays. Lorsqu'il est devenu évident que les choses n'allaient pas dans le sens voulu, il a embauché une firme pour tenir d'autres consultations-bidon sur un site web dans l'espoir d'obtenir un résultat différent. Cela n'a pas marché non plus. On ne peut pas établir une opinion publique avec du marketing et des campagnes de relations publiques. Ces méthodes ne font qu'approfondir les crises de crédibilité et de légitimité dans lesquelles la démocratie est plongée. Le comportement très antidémocratique du gouvernement dans ce dossier de la réforme électorale s'est soldé par changement de ministre et le gouvernement a déclaré qu'il abandonnait sa réforme du mode de scrutin.

Il a alors annoncé une autre priorité de son programme de réforme électorale : s'attaquer aux problèmes de la « cybersécurité » et aux menaces que l'influence étrangère pose selon lui aux institutions démocratiques du Canada. L'expression « influence étrangère » est souvent utilisée comme synonyme d'« ingérence étrangère », par laquelle on fait référence à l'ingérence de la Russie et non des États-Unis. L'ingérence des États-Unis n'est pas considérée comme un problème.

Tout ceci a davantage approfondi la crise de crédibilité qui ronge le processus démocratique. Entre autres choses, le peuple ne reconnaît pas avoir donné les mandats que les gouvernements affirment avoir. Après avoir été incapable de mettre en oeuvre le mandat de réforme démocratique qu'il disait avoir obtenu du peuple, le gouvernement Trudeau ne prétend plus avoir un mandat du peuple pour entreprendre cette nouvelle priorité qu'est la cybersécurité. Il admet que la demande vient des agences du renseignement des États-Unis et de l'OTAN et des alliés qui forment la communauté du renseignement des « Cinq Yeux ».[1]

Selon le gouvernement, les changements actuels sont nécessaires pour protéger ce qu'il appelle la sécurité nationale pendant les élections. Son air assuré lui vient du fait que, par définition, les informations sur les menaces à la sécurité nationale sont gardées « secrètes » et ne peuvent donc pas être soumises à l'examen public. Il sent qu'il n'a pas besoin de s'expliquer davantage.

Le résultat est que le programme révisé de réforme démocratique du gouvernement Trudeau place maintenant le pouvoir décisionnel en ce qui concerne la légitimité de l'opinion et de la parole sous la compétence des agences d'espionnage du Canada, qui travaillent main dans la main avec leurs contreparties au sein des Cinq Yeux. Cela se fait dans le cadre de l'OTAN, l'alliance militaire et politique agressive dirigée par les États-Unis, qui placent les activités de cybersécurité des pays membres sous leur propre commandement cybernétique, comme ils le font pour matériel militaire.[2] Les agences de marketing des médias sociaux comme Facebook et Google ont déjà été recrutées afin de censurer toute parole qui est vue comme dommageable à la sécurité nationale. Reste à voir quels seront les autres changements et leurs ramifications pour le corps politique.

Le spectre de l'« influence étrangère » et de l'« ingérence étrangère » dans les élections va-t-il être agité pour justifier un plus grand exercice des pouvoirs de police dans la conduite et la coordination des élections? Cela irait parfaitement dans le sens de l'intégration croissante de l'économie canadienne à l'économie de guerre des États-Unis et du déploiement des ressources humaines et matérielles dans les zones de guerre des États-Unis sur la base d'intérêts géopolitiques qui sont déterminés par le pouvoir exécutif et non par les peuples.

Pour le corps politique, le danger de tout ce discours sur l'ingérence étrangère dans les élections et les institutions démocratiques est qu'il sert à créer un cadre permettant la criminalisation de tout citoyen ou résident canadien et des organisations qui affirment leur conscience d'une façon que les agences du renseignement considèrent comme une menace à l'intérêt national. Ils peuvent être sujets à la diffamation et catégorisés comme des agents d'une puissance étrangère qui mettent en danger la sécurité du Canada. C'est une re-création du climat de la Guerre froide avec ses accusations que des agents d'une puissance étrangère partageaient ou vendaient les secrets nucléaires et mettaient ainsi la sécurité nationale en danger.

Pendant la Guerre froide, cet argument a été utilisé pour promouvoir la contre-révolution et bloquer le mouvement des peuples pour s'investir du pouovir, en marche partout dans le monde aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. On a eu recours au spectre de l'ennemi pour définir le patriotisme sur une base chauvine et pour rallier le corps politique derrière les objectifs anglo-américains de la Guerre froide. Le corps politique a donc été divisé selon qu'une personne ou une organisation était considérée comme servant l'ennemi ou le pays.

Ces spectres servent à détourner l'attention du besoin d'investir le peuple du pouvoir alors qu'il est maintenu spectateur des décisions que prennent les élites dirigeantes dans les confins d'un processus électoral appelé démocratie représentative. Ce système aujourd'hui ne peut même plus créer l'apparence du consentement des gouvernés pour ceux qui gouvernent en leur nom. Les mesures de sécurité antidémocratiques qui sont imposées incitent à des débats sur le besoin de défendre la définition des droits contenue dans la Constitution, comme si la Constitution et la Charte des droits et libertés garantissaient les droits d'une manière qui bénéficie au peuple. La clause de la Charte sur les « limites raisonnables » signifie que les droits sont traités comme des privilèges accordés ou retirés à la discrétion de ceux qui sont au pouvoir. En lui juxtaposant le danger d'ingérence d'une puissance étrangère ou d'un extrémisme d'un genre ou un autre, on incite le peuple à se porter à la défense de la Constitution et à oublier que le gouvernement des lois, en fait, a été supplanté par un gouvernement des pouvoirs de police. Le peuple est maintenu dans ce dilemme et ce n'est pas tout de suite évident comment il peut poursuivre la réalisation de son désir d'habilitation à ses propres conditions.

Les limitations inacceptables de la parole pendant les élections, qui contredisent la compréhension du discours politiques parmi le corps politique, ne vont qu'aggraver la crise dans laquelle est plongé le système de représentation. Le PCC(M-L) soutient le principe que le droit de parole n'est pas seulement un droit civil qui peut être suspendu, c'est un droit humain. Il doit être affirmé pour que l'environnement social et naturel soit humanisé. Affirmer le droit de parole en tant que droit humain investit le peuple de pouvoir et fait en sorte qu'il ne puisse pas être écarté aux caprices d'un pouvoir arbitraire.

Dans ce numéro, LML donne de l'information sur le programme révisé de réforme électorale du gouvernement Trudeau qui jette un peu de lumière sur la désinformation au sujet de la cybersécurité. D'autres numéros poursuivront cette discussion.

Note

 1. « Dangereuse expansion des pouvoirs et de l'autorité de l'OTAN » Numéro du 2 décembre 2017 du Marxiste-Léniniste

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Élargissement des pouvoirs de police pour criminaliser la conscience et la parole

Il y a un an, Justin Trudeau a remplacé la ministre des Institutions démocratiques, Myriam Monsef, par Karina Gould et a remis à la ministre nouvellement nommée une lettre de mandat révisée qui disait entre autres choses : « La modification du système électoral ne fera pas partie de votre mandat. »[1]

La lettre informait Gould que sa nouvelle priorité était de défendre le processus démocratique du Canada contre les cybermenaces. « En collaboration avec le ministre de la Défense nationale et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, [vous allez] diriger les efforts du Canada en vue de défendre le processus électoral du Canada contre les cybermenaces. Ceci devrait inclure de demander au Centre de la sécurité des télécommunications (CST) de réaliser une analyse du risque que posent les pirates informatiques pour les activités politiques et électorales du Canada, et de la rendre publique. De plus, demander au CST de fournir aux partis politiques du Canada et à Élections Canada des conseils sur les meilleures pratiques en matière de cybersécurité. »

Le gouvernement ferme les yeux sur cette contradiction flagrante : la promesse électorale des libéraux de mettre fin au mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour a été annulée parce qu'il n'y avait pas de consensus ou de préférence parmi les Canadiens et cette promesse est supplantée par une autre directive qui n'a même pas été mentionnée durant la campagne électorale. Plus important encore, les libéraux semblent ne pas voir la contradiction évidente qu'il y a à prétendre défendre la démocratie, qui est la primauté du droit, tout en confiant au Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et à d'autres agences d'espionnage un rôle clé dans la recherche et la prise de mesures contre ce qu'ils perçoivent comme des « menaces » aux processus électoraux du Canada par des acteurs étrangers, ce qui veut dire gouverner par les pouvoirs de police.

Dans une entrevue récente au National Observer, intitulée « Des mauvais acteurs peuvent utiliser les outils démocratiques du Canada contre nous » (12 février), Gould parle du travail qu'elle a fait sur la « cybersécurité électorale » depuis sa nomination au ministère l'an dernier.[2]

Le National Observer lui a demandé d'expliquer comment le ministère des Institutions démocratiques « s'intègre à tous les éléments de la défense nationale et de la sécurité publique qui travaillent sur [la cybersécurité] ». Gould a répondu que la ministre du Patrimoine et le ministre de l'Innovation, Sciences et Développement économique sont également mobilisés. Ces ministères, a-t-elle dit, « réfléchissent à ce que nous devons faire plus largement en ce qui concerne la cybersécurité, nos élections et la démocratie ». Son rôle, dit-elle, consiste principalement à « coordonner les efforts, comprendre les ressources dont nous disposons déjà et nous assurer que nous agissons à l'unisson en termes de soutien et de ressources ».

Ces réponses vagues ne faisaient pas mention du projet de loi C-59, Loi en matière de sécurité nationale, présentement en étude en comité à la Chambre des communes. Le projet de loi C-59 élargit la sphère opérationnelle du CST, lui donne le pouvoir de mener des opérations à la fois défensives et offensives contre les menaces perçues au processus démocratique du Canada. La ministre Gould n'a pas non plus mentionné la collaboration du gouvernement avec Facebook, Google et d'autres géants de la publicité numérique pour surveiller la publicité politique et le discours sur Internet afin de détecter les « mauvais acteurs ».

« L'influence étrangère dans les élections n'est pas un phénomène nouveau », dit la ministre dans l'entrevue. Apparemment incapable de citer quelque exemple du passé, elle ajout simplement : « Mais la façon dont cela se fait est quelque chose de nouveau. C'est un nouvel outil pour faire le même genre de vieilles choses d'une manière qui s'adresse directement aux Canadiens, en particulier les électeurs, comme jamais dans le passé. »

« (Ma compréhension de la question) continue d'évoluer à mesure que de nouvelles choses se révèlent dans d'autres pays et que j'interagis avec nos homologues à l'étranger pour voir quelles sont leurs meilleures pratiques, apprendre de leur expérience et faire en sorte que nous puissions les mettre en place à mesure que nous élaborons notre plan ici au Canada », dit-elle.

Voulant donner l'impression qu'il ne s'agit que d'une courbe d'apprentissage personnelle, la minjistre ne précise pas qui sont ces « homologues » ni quelles « pratiques exemplaires » sont en train d'émerger. Le gouvernement australien, par exemple, a adopté une législation qui exige que les citoyens ayant des relations avec des « étrangers » signalent ces liens et s'inscrivent auprès de la commission électorale s'ils s'engagent dans une campagne politique.

Gould s'est fait demander si, « avec la connaissance de la cybersécurité que vous avez », elle a « appris quelque chose qui vous a choquée ? » La réponse qu'elle a donnée est difficile à comprendre : « Je pense que ce que je retiens le plus, c'est que les outils, les valeurs et les principes qui ont rendu notre démocratie si forte sont les mêmes que ceux que les adversaires tentent d'utiliser pour les saper et créer une crise de confiance dans les institutions sur lesquelles nous devons compter pour avoir des élections réussies et une démocratie forte ... Le fait que des adversaires tentent d'utiliser ces mêmes canaux pour ébranler cette confiance mérite notre plus grande vigilance et c’est en ce sens que nous devons préparer les Canadiens en vue des prochaines élections. »

Blâmer les « étrangers » pour le manque de confiance des citoyens envers le processus électoral, c'est pousser la chose un peu loin. Est-ce que Gould et le gouvernement Trudeau nous disent que Brian Mulroney, Jean Chrétien, Paul Martin, Stephen Harper et Justin Trudeau, qui ont tous beaucoup contribué à faire des choses que l'électorat n'a pas approuvées, sont des étrangers ? En fait, lors des élections de 2015, les libéraux de Trudeau ont fait tout un plat du manque de confiance sans précédent qui existe à l'égard des gouvernements, qu'ils ont attribué au gouvernement Harper. « Ce gouvernement conservateur a perdu la confiance des Canadiennes et des Canadiens », pouvait-on lire dans leur plateforme. « Après une décennie du régime Harper, jamais les Canadiennes et Canadiens n'ont eu si peu foi en leur gouvernement. La raison est simple : les Canadiennes et Canadiens ne font pas confiance à leur gouvernement, car le gouvernement ne leur fait pas confiance. » [...]

« Nous avons un ambitieux programme en faveur du changement ; un programme qui nous permettra de moderniser le mode de fonctionnement du gouvernement canadien, de telle sorte qu'il soit plus représentatif des valeurs et des attentes des Canadiennes et Canadiens..

« La base de notre plan : un gouvernement transparent est un bon gouvernement. Pour que les Canadiennes et Canadiens fassent confiance à leur gouvernement, il faut que le gouvernement leur fasse également confiance. »

Déclarer que Harper est la cause du manque de confiance et que le gouvernement doit faire confiance aux gens, pour en arriver à demander aux espions et à la police de surveiller les discours politiques des citoyens, parce que n'importe qui pourrait être la dupe ou l'émissaire des « Russes », est vraiment renversant. Pas surprenant que Gould ait du mal à parler avec conviction.

Le point du vue du Centre de la sécurité des télécommunications sur la protection des élections

Gould a dit que le document du CST publié en juin 2017 intitulé Cybermenaces contre le processus démocratique du Canada est « la première évaluation publiquement disponible et publiée dans le monde, qui traite de la menace de cybersécurité pour les institutions démocratiques et les élections ». Elle l'a décrit comme « quelque chose d'important » et « un très bon premier pas ».

Même cela n'est pas exact quant aux faits. Le rapport du CST s'inspire du rapport publié en janvier 2017 par le directeur du renseignement national des États-Unis, intitulé « Évaluation des activités et des intentions russes lors des récentes élections aux États-Unis ». Rédigé conjointement par la CIA, le FBI et la NSA, il mentionne que la Russie avait ordonné une « campagne d'influence » lors de l'élection présidentielle américaine de 2016. « Les objectifs de la Russie », selon le rapport, « étaient de miner la confiance du public dans le processus démocratique américain, dénigrer la secrétaire d'État Clinton et nuire à son élection et à sa présidence potentielle. » En outre, la CIA, le FBI et la NSA ont déclaré : « Nous évaluons que Moscou va appliquer les leçons tirées de sa campagne ordonnée par Poutine, qui visait les élections présidentielles américaines, à ses futurs efforts d'influencer les choses dans le monde, notamment contre les alliés américains et leurs processus électoraux. »

L'évaluation du CST, rendue publique le 16 juin, allait dans la même veine, parlant d'une attaque « hautement probable » contre les élections fédérales de 2019. Le CST a averti que les élections, les partis politiques, les politiciens et les médias sont tous à risque. Depuis lors, ce verdict a été largement promu par des médias consentants et le projet de loi C-59 est maintenant en discussion à un comité de la Chambre des communes.

Même des écoliers pourraient trouver une définition plus exacte du Canada que le CST qui le définit comme « un pays du G7, un membre de l'OTAN et un membre influent de la communauté internationale ». Cette définition nous amène aux raisons pour lesquelles le CST affirme que le processus électoral du pays pourrait être ciblé. Les « choix du gouvernement fédéral du Canada en matière de déploiements militaires, d'accords commerciaux et d'investissements, de déclarations diplomatiques, d'aide étrangère ou d'immigration sont influents et percutants », indique le rapport. Les décisions du gouvernement touchent « les alliés du Canada et les intérêts fondamentaux d'autres pays, de groupes étrangers et de particuliers », poursuit-il.

Une question qui se pose est qui décide les « choix du gouvernement fédéral » et si, en adoptant des positions antiguerre sur tous ces fronts, on ne peut pas mieux écarter ces dangers ?

Le rapport note également que les gouvernements à tous les niveaux déterminent les dépenses et font des lois qui « touchent des dizaines de millions de Canadiens et qui, dans certains cas [politiques sur l'extraction de ressources naturelles] peuvent avoir des répercussions sur des intérêts étrangers ». On y déclare que l'un des objectifs de l'intervention cybernétique étrangère est de « déterminer l'orientation des politiques, perturber les alliances internationales qui sont une menace pour ses intérêts et affaiblir les leaders qui représentent une menace ».

Par un tour de passe-passe, le CST parvient à relier les politiques gouvernementales actuelles, l'adhésion à l'OTAN et l'intervention cybernétique étrangère au discours politique pendant une élection qui critique les politiques gouvernementales ou l'adhésion à l'OTAN, ce qui mine la confiance du public selon le CST. Le but des élections est censé être d'exprimer la volonté du peuple. Si des politiques comme l'intégration du Canada dans la machine de guerre américaine et l'appartenance à l'OTAN doivent maintenant être considérées comme des questions de sécurité nationale, quel discours politique, débat ou dispute le CST permettra-t-il ?

Selon le système de démocratie représentative, les citoyens peuvent apporter des changements par des manifestations, des pétitions et des élections. Le gouvernement s'est visiblement créé un dilemme pour lui-même. Il n'est pas rationnel de croire pouvoir contrôler la volonté du peuple en imposant des pouvoirs de police et des limitations à la parole au nom de grands idéaux.

On dit que le CST est un organisme civil, même s'il s'agit d'une agence de renseignement qui relève du domaine des pouvoirs (de police) de prérogative et qui opère nécessairement en dehors de l'État de droit. Sa conception de la protection des élections et des institutions démocratiques est fondée sur un devoir qu'il s'imagine être le sien de défendre les alliances militaires et économiques actuelles du Canada. Cela mène à la conclusion que le CST s'est donné le mandat de détecter les campagnes qui, selon lui, vont à l'encontre de l'adhésion du Canada à l'OTAN, par exemple, et de déclarer qu'elles sont d'inspiration étrangère et donc illégales.

Dans son entrevue au National Observer, la ministre Gould a également parlé de la protection des partis politiques par le CST et de sa responsabilité d'éduquer le public. « L'autre chose dont les Canadiens peuvent être assurés est que nous avons également permis au CST de travailler directement avec les partis politiques pour leur fournir des conseils et des guides sur la meilleure façon de se protéger eux-mêmes. Nous poursuivons nos discussions et réfléchissons à ce que nous devons faire, que ce soit en ce qui concerne les plateformes de médias sociaux, les campagnes d'éducation, des interventions auprès des médias que je peux faire et le rôle des médias, parce que les médias jouent un rôle important sur la manière dont les gens consomment de l'information. Et la manière dont ils rendent compte des campagnes de désinformation est également très importante. »

Voilà une belle façon de détourner la discussion que les Canadiens tiennent sur les problèmes auxquels ils sont confrontés en raison du processus électoral et politique actuel et de son besoin de renouveau ! Cette discussion est-elle une « menace » posée par « de mauvais acteurs » ? Le mouvement antiguerre des Canadiens devrait-il « être sur ses gardes » pour « détecter » une intervention malveillante lors des élections fédérales de 2019 à chaque fois qu'un programme est mis de l'avant qui s'oppose à l'OTAN ou au bellicisme américain et canadien en Ukraine, en raison de l'encerclement de la Russie et toutes les autres questions qui affectent la connivence géopolitique des États-Unis et de son alliance de guerre dirigée par l'OTAN ?

La ministre dit qu'elle mettrait à jour la Loi électorale du Canada afin que tout, y compris la cybersécurité, soit en place pour les élections fédérales de 2019. « Il est important que nous ayons [cette cybersécurité] en place. Nous savons que c'est un défi difficile à relever car nous savons que les menaces échappent à notre contrôle. Tout ce que nous pouvons faire, c'est nous préparer le mieux possible et je pense que j'ai le mandat de travailler avec des collègues pour rendre les institutions publiques ouvertes et transparentes et pour instaurer la confiance parmi les Canadiens », conclut-elle.

Il est évident que des changements sont en cours pour modifier la façon dont les élections fédérales sont réglementées et surveillées par la police. Il se peut très bien que les règlements sur la sécurité nationale et la défense ne soient même pas intégrés à la Loi électorale du Canada, mais qu'ils passent par d'autres lois, comme le projet de loi C-59. Élections Canada est de plus en plus souvent contourné en tant qu'organisme de réglementation électoral autorisé par les pouvoirs publics, tandis que la police et les sociétés privées sont mises à contribution. Par exemple, Élections Canada a pour politique de ne pas réglementer ou surveiller les documents non payés sur Internet. Le géant Facebook basé aux États-Unis a cependant reçu le feu vert du gouvernement libéral pour le faire grâce à l'initiative sur Facebook appelée « initiative de soutien à l'intégrité électorale au Canada ».

La ministre Gould fait écho au rapport du CST selon lequel les citoyens doivent « avoir confiance que le processus [électoral] est équitable, que les politiciens ne sont pas redevables à des intérêts étrangers ou criminels et que les médias ne sont pas influencés par des intérêts étrangers ou criminels qui tentent d'influencer les électeurs et le résultat du processus démocratique ».

Bons et mauvais acteurs

Mais la description de qui est un « intérêt criminel étranger » est purement subjective et cynique. Tous les partis politiques cartellisés au Canada embauchent des sociétés étrangères spécialisées dans la conduite de campagnes électorales partout dans le monde dans le but de politiser des intérêts privés. Ces stratèges et agents du marketing fonctionnent comme une armée de mercenaires, se déplacent de pays en pays, dans de nombreux cas liés aux mêmes oligarques financiers représentés par les partis politiques qu'ils travaillent à mettre au pouvoir.

Lors de l'élection fédérale de 2015, les conservateurs ont fait venir le conseiller de campagne australien Lynton Crosby, décrit comme « le maître de la politique de division - où les partis exploitent des problèmes sociaux comme le crime ou la race ou l'immigration pour diviser l'opinion publique en leur faveur ». Il a été décrit comme le « magicien d'Oz » en raison de son « habileté à la messagerie politique, qui s'appuie sur le ciblage de certains groupes d'électeurs et utilise des sondages pour affiner l'effort ».[3]

À l'approche des élections de 2015, on a rapporté que les libéraux de Justin Trudeau « ont reçu discrètement des conseils réguliers de Jennifer O'Malley Dillon, la directrice adjointe de la campagne de Barack Obama lors de la dernière campagne présidentielle américaine ». Les militants néodémocrates de Thomas Mulclair « ont reçu des conseils de Jeremy Bird qui était le directeur national de campagne d'Obama ». [4]

Après les élections, Campaigns & Elections, une revue en ligne américaine « axée sur les outils, les tactiques et les techniques de la profession de consultant politique », a publié un article sur la victoire de Justin Trudeau sous le titre « Consultants forego Canadian Victory Lap » (Les consultants n'ont pas participé aux célébrations électorales canadiennes). La revue rapporte que normalement les consultants « n'hésitent pas à se vanter de leur participation à une course gagnante mais la sensibilité du client à l'égard des Américains et des accords de non-divulgation (NDA) ont fait que la vantardise a été réduite au minimum - même de la part de ceux qui ont travaillé directement avec le Parti libéral du nouveau premier ministre Justin Trudeau ».

La firme Precision Strategies, basée aux États-Unis, est une des entreprises que les libéraux ont utilisées. Elle a joué un rôle actif dans les campagnes de Barack Obama et se vante d'avoir « lancé la politique de la précision » et a « créé de nouveaux outils axés sur les données pour atteindre les bons auditoires avec les bons messages - puis les mettre en action ». NGP VAN, qui a développé les bases de données électorales de la campagne d'Obama, a également été embauché par les libéraux.

La politique de la division, visant à s'emparer des « niches de marchés d'électeurs » est précisément la même tactique que les « mauvais acteurs » sont accusés d'utiliser, comme dans le cas des États-Unis où les influenceurs étrangers tentent de « semer la discorde » et les « divisions » entre les gens. Quand la ministre Gould parle d'« adversaires » qui utilisent « les mêmes outils, valeurs et principes » que les protagonistes autoproclamés utilisent, nous dit-elle qu'il y a de « bons acteurs étrangers » dont elle ne s'inquiète pas versus sa catégorie de « mauvais acteurs étrangers » ?

Le besoin d'investir le peuple du pouvoir souverain

Tout cela détourne l'attention du fait singulier qu'aujourd'hui l'édification nationale bourgeoise appartient au passé. Le pouvoir de l'État n'est plus exercé par les États-nations par rapport à leurs propres corps politiques et en relation avec les autres pays sur la base de comment l'intérêt national était défini dans le passé. Les notions de souveraineté nationale n'ont pas de sens lorsque la prise de décision est entre les mains d'intérêts privés qui opèrent sur une base supranationale. Les intérêts privés se regroupent en oligopoles qui interviennent et maraudent en coalitions et en cartels. C'est quelque chose qu'ils ont fait sous une forme ou une autre depuis que ces États-nations ont vu le jour, mais aujourd'hui la conception de la souveraineté nationale n'existe pas en termes matériels, sauf dans les pays qui ont des formes qui investissent du pouvoir souverain le peuple, lequel exerce son pouvoir de décision à l'intérieur de son propre territoire d'une façon qui le favorise.

Parler d'influence ou d'ingérence « étrangère » sans préciser où réside la souveraineté, c'est parler à travers son chapeau. Si la souveraineté est entre des mains étrangères, comment peut-on parler d'« influence étrangère » ou de « ingérence » ?

Il vaudrait mieux que les Canadiens gardent leurs pieds fermement ancrés sur leur sol et entreprennent un projet d'édification nationale qui confère la souveraineté au peuple et non à des intérêts privés étrangers qui définissent d'autres intérêts privés étrangers comme l'ennemi. Au bout du compte, les mauvais intérêts étrangers s'avéreront être vous et moi.

Il est difficile de croire que le CST et le gouvernement Trudeau pensent vraiment que les Canadiens croient un seul mot de ce qu'ils disent tellement leur argument est grossier. Mais penser n'est pas le fort de ceux qui gagnent leur vie à répéter les arguments intéressés des impérialistes américains.

Notes

 1. La lettre mentionne : « Toutefois, aucune préférence à l'égard d'un système électoral en particulier n'est ressortie clairement, encore moins un consensus. De plus, tenir un référendum sans qu'il y ait de préférence ou de question claire ne serait pas dans l'intérêt du Canada. »

 2. National Observer, le 12 février 2018, « Bad actors may use Canada's democratic tools against us, says Gould prior to mat leave », Elizabeth McSheffrey

 3. Globe and Mail, le 10 septembre 2015, mis à jour le 25 mars 2017. « Controversial Australian strategist to help with Tories' campaign »

 4. Globe and Mail, le 27 décembre 2014, mis à jour le 25 mars, « Former Obama aides advising NDP, Liberals on campaign strategy »


Les théories du complot de l'élite dirigeante

Des pouvoirs de police sont mis en place pour surveiller ouvertement le discours politique. Le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) du Canada maintient que les Canadiens n'ont pas à s'inquiéter puisque la Charte des droits et libertés protège « le droit à la liberté d'expression et de conscience, ce qui permet notamment aux citoyens de présenter des idées en public, de les propager et d'en débattre ». Cependant, la ministre des Institutions démocratiques et le CST associent la liberté d'expression à la nécessité de pouvoirs de police pour créer un climat de « confiance » vis-à-vis les élections et faire en sorte que les politiciens ne soient pas soumis à une influence étrangère. Ils disent qu'il doit y avoir un équilibre entre les droits et la sécurité. Comment se fera cet équilibre ? En donnant au CST les outils d'espionnage pour signaler ce qui lui semble un discours suspect et le soumettre à des tactiques de perturbation.

Cela montre que les théories du complot sont devenues la nouvelle norme. L'ironie de la chose est que c'est fait au nom de combattre la perturbation d'inspiration étrangère et les théories du complot. Selon un groupe d'anciens agents du renseignement, de la sécurité nationale et de la politique étrangère américains qui sont intervenus dans l'enquête en cours sur la présumée ingérence russe dans les élections américaines, la Russie mène « une campagne multilatérale de guerre de l'information de type feu de broussailles » partout dans le monde. Cette campagne, disent-ils, comprend « la désinformation écrite et orale, la propagation de théories du complot, des efforts pour contrôler les médias, le recours à la contrefaçon, des campagnes d'influence politique, le financement de groupes extrémistes et d'opposition et les cyberattaques ». L'objectif visé par cette campagne, poursuivent-ils, est demeurée constante « tout au long de l'histoire ». Dans le contexte actuel, l'émergence de plateformes de réseaux sociaux a « déclenché une nouvelle épidémie virulente de ces campagnes d'influence ».[1]

Le groupe d'anciens agents de renseignement, de la sécurité nationale et de la politique étrangère américains reconnaît qu'au fil des années « le paysage géopolitique a changé » mais il soutient que les objectifs globaux restent les mêmes (que pendant la Guerre froide), soit « miner la confiance dans les dirigeants et les institutions démocratiques, semer la discorde entre les États-Unis et leurs alliés, discréditer les candidats politiques perçus comme hostiles au Kremlin, influencer l'opinion publique contre les programmes militaires, économiques et politiques des États-Unis et créer la méfiance et la confusion quant aux sources d'information ».

Est-ce que cela veut dire que le critère permettant d'établir si vous êtes un élément hostile ou non est si vous parlez contre l'OTAN, le G7, l'encerclement de la Russie, les forces néo-nazies en Ukraine, dans les républiques baltes et en Pologne, ou en faveur de la paix en Syrie ou sur la péninsule coréenne ou de la non-ingérence dans les affaires du Venezuela ? Pour en arriver là, ces experts autoproclamés en renseignement notent qu'une des caractéristiques principales de la campagne russe est qu'elle compte sur « des intermédiaires ou des 'coupe-circuit' dans un pays donné ». Ces « coupe-circuit » peuvent être des « organisateurs et des activistes politiques, des universitaires, des journalistes, des exploitants de site Web, des sociétés-écran, des nationalistes, des groupes militants, et d'importants hommes d'affaires russes. Ils peuvent aussi être des complices involontaires qui sont manipulés et poussés à agir dans ce qu'ils croient être dans leurs meilleurs intérêts, ou encore l'allié idéologique ou économique qui partage en grande partie les intérêts russes, ou encore l'agent d'influence complice qui est recruté ou forcé de directement mener à bien des opérations ou objectifs russes ». Ces acteurs locaux, qui sont à la fois des « nationalistes, populistes, activistes politiques et sympathisants russes » servent à la Russie dans ses efforts de « corrosion interne des institutions démocratiques ».

Ils préviennent que « la menace que font peser sur notre démocratie les campagnes russes de mesures actives est sérieuse et continue et exigera la vigilance du gouvernement et du peuple américains. Pour assurer cette vigilance, il faudra selon ces experts élever le niveau de conscience des branches législatives, exécutives et judiciaires américaines ainsi que des médias et de la société civile sur comment la Russie mène ses campagnes d'influence sophistiquées — des campagnes conçues pour obscurcir et se dissimuler — afin que ces acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux puissent prendre des décisions qui tiennent pleinement compte de la nature et de l'ampleur de ces activités et des menaces qu'elles représentent ».

Telle est la conclusion que le gouvernement Trudeau impose maintenant au Canada également. Ouvrons l'oeil sur toute tentative de l'élite dominante d'invoquer des théories de la conspiration pour diviser le peuple !

Note

1. Mémoire d'anciens agents de la sécurité nationale en tant qu'Amici Curiae en appui à aucun parti présenté le 8 décembre 2017 à la Cour de district des États-Unis de Columbia par 14 anciens membres du renseignement, de l'armée et du Département d'État américains dans le cadre de la poursuite intentée par trois citoyens privés contre la campagne du président Donald Trump et de son conseiller Roger Stone.

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Dispute entre la Colombie-Britannique et l'Alberta au sujet de
l'oléoduc Trans Mountain

Diviser le corps politique pour servir les intérêts privés qui rivalisent entre eux


Manifestation à Vancouver, le 29 novembre 2016, après que le gouvernement Trudeau ait donné son aval au prolongement de l'oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan

Les gouvernements NPD de l'Alberta et de la Colombie-Britannique sont engagés dans une bataille sur l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain de l'Alberta vers Burnaby en Colombie-Britannique où le bitume serait chargé sur des pétroliers et exporté vers les marchés asiatiques. Selon les acteurs principaux du conflit, la dispute oppose ceux qui défendent les intérêts des travailleurs à ceux qui défendent les intérêts de l'environnement. La première ministre de l'Alberta Rachel Notley prétend que le gouvernement de la Colombie-Britannique agit illégalement et que ses actions sont des attaques contre les travailleurs canadiens. Le gouvernement de Colombie-Britannique soutient qu'il agit en vertu de son autorité de défendre l'environnement, en particulier les eaux côtières.

On dit que le conflit s'est envenimé quand le ministre de l'Environnement et de la Stratégie sur les changements climatiques de Colombie-Britannique, George Heyman, a annoncé, le 30 juin, qu'il va tenir des consultations sur la nouvelle réglementation qui requiert une étude plus poussée des conséquences d'un déversement de bitume et plus de certitude en ce qui a trait au temps de réponse à un déversement, au nettoyage environnemental et à l'atténuation des dommages. Heyman a dit que des restrictions sur l'augmentation du transport du bitume vont s'appliquer jusqu'à ce que les études soient complétées. Le premier ministre de la province, John Horgan, a dit depuis que le gouvernement n'avait jamais eu l'intention d'arrêter les expéditions de bitume tant que l'étude n'aura pas été complétée.

En réponse à l'annonce de Heyman, le gouvernement de l'Alberta s'est retiré des pourparlers sur l'achat d'électricité du nouveau barrage du site C en Colombie-Britannique et il a annoncé une interdiction d'importer des vins de Colombie-Britannique. La première ministre Notley a dit que la proposition de la Colombie-Britannique est illégale et anticonstitutionnelle et a demandé l'intervention du gouvernement fédéral. Elle a mis sur pied un panel de 19 membres qui comprend des représentants du gouvernement et de monopoles pétroliers et financiers pour examiner d'autres gestes de représailles.[1]


Le gouvernement NPD de la Colombie-Britannique va de l'avant avec la construction du
site « C » du barrage sur la rivière de la Paix malgré la vaste opposition.

Ce qui toutefois doit être noté c'est que mis à part les commentaires du ministre de l'Environnement de la Colombie-Britannique, rien ne s'est passé qui mériterait les mesures de représailles de Notley. Elle est si désespérée qu'elle fait des déclarations dignes de la déesse de la guerre Athéna qui se fait la gardienne de l' « intérêt national » du Canada.

« Ce projet a été approuvé dans l'intérêt national et c'est dans l'intérêt national qu'il doit être construit. Nous n'allons pas nous arrêter tant que le projet n'est pas construit », a dit Notley. « Ce n'est pas une lutte entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. La Colombie-Britannique est en fait en train d'essayer d'usurper l'autorité du gouvernement fédéral et de saper la base de notre Confédération. »

Le gouvernement NPD de l'Alberta a aussi initié une pétition dont le message est : « Dites au premier ministre Horgan et au gouvernement de la Colombie-Britannique d'arrêter de créer des obstacles aux travailleurs canadiens. »

Le recours aux menaces et contre-menaces, aux mesures de représailles et aux jeux de pouvoir est devenue chose courante dans un monde basé sur les relations d'argent. Un des membres du groupe de travail de 19 membres mis sur pied par Notley est Peter Hogg de la firme d'avocats Blakes. La firme Blakes a publié un commentaire de Hogg sur son site web qui dit que les actions du gouvernement de la Colombie-Britannique risquent de faire éclater le Nouveau partenariat de l'Ouest (NWPTA) et l'Accord du libre-échange (ALÉ).

Le NWPTA est un accord conclu entre les gouvernements de Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba qui « crée au Canada le plus vaste marché interprovincial libre de barrières tarifaires ». Il y est dit expressément : « Article 3 - Absence d'obstacles. Chaque partie doit s'assurer que ses mesures ne restreignent pas ou n'entravent pas le commerce entre ou sur le territoire des parties ». Il comprend un mécanisme exécutoire de règlement des différends.

L'article suggère que si la Colombie-Britannique venait à adopter une loi restreignant le mouvement du bitume, les producteurs et les expéditeurs pourraient demander une injonction pour retarder la mise en oeuvre de la loi jusqu'à ce qu'une contestation constitutionnelle soit entendue. L'article ne mentionne pas que le gouvernement albertain ait enfreint le NWPTA en interdisant l'importation des vins de Colombie-Britannique. Ni la Colombie-Britannique, ni l'Alberta n'ont mentionné l'existence de cette entente et l'Alberta a plutôt demandé l'intervention du gouvernement Trudeau. Par contre, le 19 février, le gouvernement de Colombie-Britannique a annoncé qu'il va contester formellement cette interdiction en vertu du processus de résolution des différends compris dans l'Accord de libre-échange canadien.

Les commentateurs suggèrent que le gouvernement NPD de l'Alberta agit ainsi pour faire dérailler Jason Kenney et le Parti conservateur uni et présenter le NPD comme le « défenseur de l'Alberta ». Cela masque le fait que c'est Kinder Morgan, le constructeur des oléoducs Trans Mountain, et d'autres monopoles pétroliers qui tirent les ficelles et demandent des changements à la réglementation afin de pouvoir faire comme bon leur semble. Cela montre que la rivalité entre les monopoles pétroliers s'envenime au détriment du Canada et des Canadiens, une rivalité qui n'a rien à voir avec la protection des intérêts des travailleurs ou de ceux de l'environnement.

Tout ceci se déroule au moment où le gouvernement Trudeau a annoncé qu'il va éliminer l'Office national de l'énergie et créer un régime de réglementation entièrement nouveau. Est-ce que l'objectif véritable de cette dispute Alberta/Colombie-Britannique est de mettre le gouvernement Trudeau sur la sellette pour qu'il mette en place les changements réglementaires que demandent les monopoles qui menacent sinon d'aller investir ailleurs ?

Bien que l'oléoduc Trans Mountain ait reçu l'aval de l'Office national de l'énergie et du gouvernement fédéral, Kinder Morgan doit encore recevoir les permis des municipalités et du gouvernement provincial. [2] En plus, Kinder Morgan fait face aux contestations judiciaires des villes de Vancouver et de Burnaby, de la Nation Squamish, de la bande indienne de Coldwater, de la bande indienne de Musqueam, de la fondation Raincoast Conservation et de la société Living Oceans qui ont tous requis une révision judiciaire de la décision de l'Office national de l'énergie qui a autorisé l'oléoduc.

Il faudra aussi déterminer si le gouvernement de Colombie-Britannique a rempli son devoir de consulter les nations autochtones. Dans sa décision de 2017 dans la cause Premières Nations côtières c. La Colombie-Britannique (Environnement), la Cour suprême de Colombie-Britannique a soutenu la position de la Première Nation Gitga'at et des Premières Nations côtières que le gouvernement provincial devait décider s'il allait émettre un Certificat d'évaluation environnementale (ÉE) au projet de Northern Gateway d'Enbridge et qu'il devait consulter les Premières Nations avant de le faire. La cour avait aussi statué que la Colombie-Britannique pourrait imposer des conditions additionnelles.

Kinder Morgan prétend que le processus d'autorisation est utilisé pour retarder et entraver la construction. Il dit que rien ne devrait retarder son échéancier de construction. En décembre 2017, Kinder Morgan a réussi à obtenir de l'Office national de l'énergie la décision qu'il peut entreprendre la construction dans la ville de Burnaby sans se conformer à plusieurs règlements municipaux. La ville de Burnaby avait fait valoir que Kinder Morgan était responsable des délais parce qu'il n'avait pas demandé les permis nécessaires.

On doit se rappeler qu'en 2007, l'oléoduc de Kinder Morgan à Burnaby a subi un bris de la part d'une tierce partie qui a causé des dommages sérieux aux maisons avoisinantes et le déversement de 78 000 litres de pétrole brut dans la baie Burrard qui ont contaminé 15 000 mètres de littoral. Kinder Morgan avait reçu une amende de 150 000 $.

Il y a des preuves certaines que Kinder Morgan a été autorisé à ignorer les conditions mises par l'ONÉ en toute impunité. Toujours au mépris de la loi et de la réglementation en vigueur, Trans Mountain a placé sans permis dans des rivières des tapis pour décourager le frai, qu'il a dû enlever. Différents experts ont aussi mentionné que Kinder Morgan a une longue habitude de « lésiner sur les mesures de sécurité ».

Un amalgame entre l'intérêt national et les demandes des monopoles

Les gouvernements fédéral et albertain disent constamment que l'oléoduc Trans Mountain est dans l' « intérêt national ». L'Office national de l'énergie est chargé de faire de la réglementation dans l'intérêt public mais les gouvernements ne parlent plus d'intérêt public mais bien d' « intérêt national ». Un signe d'égalité est ensuite tracé entre intérêt national et les intérêts étroits des monopoles qui décident à eux seuls ce qui est produit et comment c'est produit. Une fois qu'un projet a été déclaré question d' « intérêt national », plus rien ne peut lui barrer le chemin. Il semble que l'affirmation du droit des nations autochtones au consentement préalable pour des projets qui se mènent sur leurs terres traditionnelles et sur des territoires non cédés constitue un danger pour l'intérêt national. Il semble également que ce qu'on considère comme des intérêts régionaux ou locaux, comme des règlements municipaux ou provinciaux, soient devenus un danger pour l' « intérêt national ».

Dans sa plainte à l'Office national de l'énergie en décembre 2017, Kinder Morgan a dit que le processus d'autorisation lui causait des délais. Il a dit avoir besoin d'une « idée claire de l'échéancier des processus d'autorisation et d'approbation avant de s'engager à faire des dépenses pour la pleine construction du projet » et qu'il avait établi son budget pour 2018 dans cette optique.

Il semble que Kinder Morgan demande que des permis lui soient accordés sans que lui-même ait nécessairement rempli ses obligations et que, s'il est entravé par des gouvernements locaux ou provinciaux, il va en appeler aux organismes réglementaires d'avoir recours à leurs pouvoirs de police au nom de l' « intérêt national ». Tout ceci est présenté comme une question de primauté du droit et une défense de la Constitution canadienne et autres choses du genre. En fait, cela montre à quel point les oligopoles ont directement usurpé le pouvoir et gouvernent au moyen des pouvoirs de police. Les arrangements constitutionnels en vigueur permettent en fait de gouverner au moyen des pouvoirs de police mais, dans le passé, ce phénomène a été plus ou moins tenu sous contrôle parce que les disputes tendaient à être résolues par le biais de mécanismes de résolution des différends. Ces mécanismes sont maintenant écartés de la manière la plus intéressée. L'appel du gouvernement Notley de s'en remettre à la constitution est un signe d'impuissance et les tergiversations du gouvernement de la Colombie-Britannique sont aussi un signe de son impuissance.

L'affirmation que la construction du pipeline Trans Mountain va régler les problèmes de l'économie n'a pas de sens elle non plus. On pourrait en rire si ce n'était des bouleversements et des difficultés bien réels ressentis par les travailleurs, agriculteurs, petites entreprises et peuples autochtones ainsi que la détérioration de l'environnement. Pour les travailleurs, dont les années de résistance ont porté le gouvernement NPD au pouvoir pour qu'il agisse différemment des autres, c'est du réchauffé encore une fois. Cela fait longtemps qu'ils ont rejeté la fiction qu'une plus grande expédition de matières premières va être une « solution » à quoi que ce soit.

Les intérêts des travailleurs, des peuples autochtones et de l'environnement en Alberta et en Colombie-Britannique requièrent le rejet de la vieille conscience de la société selon laquelle nous vivons dans une société civile qui soutient l'intérêt public. La classe ouvrière doit fournir une nouvelle direction à l'économie pour résoudre les problèmes d'une façon qui bénéficie au peuple. Telle est l'essence de l'édification nationale dans les conditions actuelles.

Notes

1. Les membres du groupe de travail qui ne font pas partie du gouvernement sont :

Frank McKenna (Groupe Banque TD et ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick), Anne McLellan (ancienne vice-première ministre et ministre des Ressources naturelles), Jim Carter (ATB Financial et ancien président de Syncrude), Peter Hogg (chercheur invité chez la firme d'avocats Blakes) Peter Tertzakian (Arc Financial), Trevor Tombe (économiste de l'Université de Calgary), Ginny Flood (Suncor) et Janet Annesley (Husky).

2. DeSmog Canada rapporte que Kinder Morgan a peut-être enfreint la condition posée par l'ONÉ de déposer un plan de gestion de la qualité au moins quatre mois avant de fabriquer tout tuyau ou toute pièce de la nouvelle section du pipeline Trans Mountain. L'ONÉ mentionne dans ses notes que la documentation fournie par Trans Mountain en février 2017 était incomplète.

« Le plan de gestion de la qualité requiert que Trans Mountain fournisse de la documentation sur les qualifications des entrepreneurs en oléoducs, les vendeurs et les fournisseurs, la vérification de la qualité du tuyau fabriqué et la préservation du tuyau pendant l'expédition et l'entreposage », fait remarquer DeSmog. Les documents qu'a soumis Trans Mountain à l'ONÉ ont confirmé que les contrats de fabrication de l'oléoduc ont été accordés entre mai et juillet 2017 et que la fabrication des tuyaux a débuté en octobre bien que la documentation requise n'avait pas encore été fournie.

(Sources : CBC, Edmonton Journal, Calgary Herald, National Observer)

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150e anniversaire de la naissance de W.E.B. Du Bois

Le legs de W.E.B. Du Bois — Paul Robeson


W.E.B. Du Bois en 1946

William Edward Burghardt « W.E.B. » Du Bois est né le 23 février 1868 à Great Barrington, au Massachussetts. Ses prises de position comme activiste politique, être humain, auteur, sociologue, historien et panafricaniste lui ont mérité une place d'honneur en tant que leader américain égal aux plus grands. W.E.B. Du Bois a étudié à l'université Humboldt à Berlin, à l'université de Harvard, à l'université de Fisk ainsi qu'à l'école de la vie. Il est décédé à accra, au Ghana, le 27 août 1963 à l'âge de 95 ans.

LML publie en cette occasion l'hommage écrit par Paul Robeson, un autre grand leader américain, lui aussi égal aux plus grands.

***


W.E.B. Du Bois en 1909 dans son bureau à l'Université d'Atlanta

Quand je rassemble mes souvenirs, la première chose qui me vient à l'esprit au sujet du docteur Du Bois est la fierté que je ressentais devant son érudition et l'autorité dont il jouissait dans ses nombreux domaines de travail et d'écriture. Au secondaire et au collège, nos enseignants nous conseillaient les ouvrages de référence qui étaient la norme à cette époque touchant à la sociologie, les relations raciales, l'Afrique et les affaires mondiales. Je me souviens de la grande fierté que j'ai ressentie lorsque que ces livres et ces articles se sont avérés être ceux du Dr Du Bois, et je les ai souvent prêtés à mes collègues étudiants qui eux aussi étaient très impressionnés par l'autorité universellement respectée et reconnue de l'homme.


   L'article de Robeson a été publié dans la revue Freedomways à l'hiver 1965. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.

En tant qu'étudiants noirs, nous sommes devenus membres de l'Association nationale pour l'avancement des gens de couleur (NAACP) que le Dr Du Bois avait contribué à organiser et bâtir. Nous lisions religieusement The Crisis dont il a été le rédacteur en chef pendant si longtemps, et dans lequel il écrivait de façon limpide, constructive et militante au sujet des problèmes complexes de la scène américaine, de la question noire, de l'Afrique et des affaires mondiales. Il a appelé le peuple américain, et en particulier tout le mouvement syndical, à bien saisir la nécessité de l'unité dans la lutte des masses laborieuses, y compris les Noirs, pour un niveau de vie décent.

Pour nous, le Dr Du Bois était notre professeur, le docteur, le doyen, et nous en parlions avec le plus grand respect, prêtant une oreille attentive à toutes ses déclarations. Nous l'avons suivi en grand nombre avec fierté, marchant le long de la Cinquième Avenue dans une manifestation du NAACP pour les droits civils. Le Dr Du Bois a parlé, écrit et marché pour les droits civils. Il exigeait une citoyenneté de première classe pour tous les Américains, une pleine égalité d'opportunité, de dignité et de droits juridiques pour nous tous. Il prêtait un intérêt et une attention universels à notre histoire noire et à notre riche patrimoine africain, pour que les bases de notre lutte soient des plus solides. Tout cela s'est passé il y a de très nombreuses années, bien avant que je ne termine mes études collégiales en 1919. Notre bon docteur, ce grand homme, comprenait notre situation, notre monde, et sa voix parfois isolée retentissait néanmoins comme un clairon pour annoncer l'urgente nécessité de changement.

Le docteur Du Bois était un distingué historien aussi bien qu'un scientifique social. Souvent nous discutions de la richesse et de la beauté de notre héritage folklorique, en particulier la musique noire qu'il aimait et trouvait très émouvante. Il soulignait souvent l'importance de cette contribution spéciale à la culture américaine. Nous avions des discussions intéressantes sur la ressemblance entre notre musique folklorique noire et les nombreuses autres musiques folkloriques du monde.


Du Bois (sixième à partir de la droite, première rangée) à la 20e session annuelle de la NAACP à Cleveland en Ohio en 1929

Non seulement notre professeur était-il un grand universitaire reconnu, il était aussi le plus distingué de nos hommes d'État. Sa connaissance des affaires mondiales, sa création du Congrès panafricain, son travail continu dans plusieurs capitales du monde pour l'indépendance africaine, ont fait de lui un homme grandement connu et respecté à l'étranger et aimé en Afrique. Son livre, The World and Africa, a été un des premiers livres importants sur l'Afrique moderne d'après-guerre, et a contribué à faire la lumière et attirer l'attention sur l'exploitation continue de l'Afrique par le « monde libre ». En tant que membres du Conseil des Affaires africaines, nous nous sommes sentis fiers et fortunés lorsque le Dr Du Bois a décidé de se joindre à notre organisation en tant que président en 1949. Ses connaissances, son expérience et sa sagesse ainsi que le travail du très qualifié et dévoué secrétaire exécutif de l'organisation, le Dr Alphaeus Hunton, nous ont permis de faire certaines précieuses contributions à la lutte du peuple africain, en particulier en Afrique du Sud.


W.E.B. Du Bois (deuxième à partir de la droite) au Congrès panafricain à Bruxelles en 1921

Il y a quinze ans, lorsque nous avons fondé le quotidien noir Freedom dont le très compétent rédacteur en chef était notre ami et collègue, le regretté Louis Burnham, le Dr Du Bois était l'un de nos plus fidèles et brillants contributeurs. Ses articles clairs, directs et informatifs sur l'Afrique, sur le Noir en Amérique, sur la situation mondiale en changement, donnaient un prestige plus grand à notre publication.

Être associé, discuter et travailler avec ce grand homme était toujours très gratifiant.

Comme résultat sans doute de sa recherche et de son travail en sociologie, de son étroite observation de l'histoire et de la vie sociale américaine, de son vif intérêt continu pour l'Afrique et pour les affaires internationales, le Dr Du Bois est devenu un grand supporter du socialisme en tant que mode de vie. Il a suivi avec compréhension et appréciation l'émergence de l'Union soviétique et s'est fait des amis de par le monde socialiste. Il appréciait non seulement leur rejet du racisme, mais aussi, en tant que scientifique social, leur intérêt constructif et pratique et leur activité gouvernementale concrète pour le bien-être de la vaste majorité du peuple. Le Dr Du Bois a dit à maintes reprises qu'il croyait que la Révolution d'octobre de 1917 représentait le moment décisif de l'histoire moderne et avait joué un rôle de la plus haute importance dans le façonnement d'un monde nouveau qui voyait l'émergence de nombreuses autres terres socialistes.

C'est donc conformément à cette logique et dans un geste profondément émouvant qu'en 1961, ayant bien saisi la situation mondiale, le Dr Du Bois est devenu membre du Parti communiste des États-Unis et, plus tard, un citoyen accueilli et honoré du Ghana, en son Afrique bien-aimée. Il a suivi avec beaucoup de soucis les luttes pour l'indépendance dans diverses parties de l'Afrique. Il savait que ces luttes devaient être remportées pour que l'Afrique et le peuple africain puissent développer leur immense potentiel. Sa vive intelligence, son éducation exhaustive et son passé académique n'empêchaient pas le Dr Du Bois d'être un être humain terre-à-terre, doté d'un esprit vif et charmant, d'un bon sens de l'humour teinté d'espièglerie, ni de profiter pleinement de la vie. Je me souviens en particulier de son éclat de rire enjoué et spontané.


Photo de 2011 du centre qui été nommé en honneur de Du Bois à Accra au Ghana

Je me souviens aussi d'un merveilleux souper de l'Action de grâces chez lui à Grace Court à Brooklyn il y a de cela environ dix ans. Il avait invité des gens des Nations unies, sachant qu'ils avaient entendu parler de l'Action de grâces et avaient lu des choses à son sujet mais n'avaient pas d'expérience directe pour bien comprendre ce congé américain spécial. Nous avons donc eu droit à un repas et à une soirée de l'Action de grâces aussi authentiques que lui et sa conjointe Shirley avaient pu organiser, le bon docteur faisant preuve comme hôte d'esprit et d'entrain dans ses patientes explications de l'événement -- de la dinde à la sauce aux canneberges à la tarte à la citrouille, en passant par les débuts de l'histoire américaine. Suite à ce délicieux repas, au moment du café et du brandy devant le feu de foyer du spacieux salon, il nous a entretenu de Frederick Douglass, dont le portrait dominait la cheminée, et de sa place dans l'histoire américaine. C'est là un heureux et précieux souvenir.

Je me souviens très bien également de la campagne politique du DR Du Bois lorsqu'il a été candidat du Parti du Travail américain de New York pour un siège au sénat américain. Dans le tohu-bohu habituel des campagnes politiques américaines, le docteur Du Bois a toujours conservé son calme et sa dignité. Il ne participait pas aux basses manoeuvres d'attaques et d'injures, mais discutait des vraies questions à l'aide de discours où il brillait par sa vive intelligence et son humour tranchant. Nous étions tous inquiets qu'un homme de son âge -- il avait alors 82 ans et semblait fragile -- puisse résister au rythme éreintant d'une telle campagne. Mais le Dr Du Bois prenait soin de sa santé avec intelligence, comme pour tout ce qu'il entreprenait. Par exemple, si les organisateurs fixaient à 22 heures une réunion où il serait l'orateur, ils la limitaient à une demi-heure et, peu importe l'état imprévisible de la réunion, à 22 heures pile le Dr Du Bois montait sur le podium, livrait un discours brillant d'une demi-heure, se reposait un peu, et quittait les lieux.

À mesure que le docteur Du Bois observait et comprenait les événements mondiaux, il reconnaissait la question de la paix comme l'une des plus importantes questions de l'ère nucléaire. Ainsi, d'une façon typique chez lui, il devint associé à tous les mouvements pour la paix dans le monde et oeuvra activement à la paix. En 1949, il fut nommé président du Centre d'information pour la paix ici au pays, et plus tard a été accusé, jugé et acquitté pour son rôle dirigeant dans le travail pour la paix.


W.E.B. Du Bois (à droite) et Paul Robeson (au centre) au Conseil mondial de la paix à
Paris en 1949

Lorsque le docteur Du Bois et Shirley sont venus à Londres en 1958, nous vivions dans un appartement à Maida Vale. Peu après leur arrivée, Eslanda et moi sommes allés à Moscou pour une longue visite de ce pays et nous avons prêté notre logis aux Du Bois. Nous étions heureux d'apprendre qu'ils avaient trouvé leur séjour très plaisant et que nous avions ainsi contribué à mettre un peu de confort dans leur visite à Londres. Après leur départ, nous avons pensé mettre une inscription sur la porte : « Le Dr Du Bois a dormi ici. »


  Du Bois et Shirley à la Parade du Premier Mai à Moscou en 1959

Mon dernier souvenir du docteur Du Bois est à Londres, en 1962, dans des circonstances moins heureuses. Le docteur, qui avait alors 94 ans, était gravement malade et s'est retrouvé à Londres pour une grave opération. Il était faible et fatigué, et nous nous demandions avec inquiétude s'il allait survivre à l'épreuve. À ce moment-là, j'étais moi-même patient dans une maison de repos à Londres et je me sentais à la fois attristé et impuissant devant l'état de santé du docteur. Ainsi, lorsque mon épouse, qui lui rendait souvent visite à l'hôpital, m'a appris qu'il voulait absolument me voir et avait demandé spécifiquement à me voir, je me suis levé et je me suis rendu à l'hôpital de l'Université de Londres où nous avons passé du temps ensemble. Malgré son état de santé précaire, il m'a parlé du travail qu'il consacrait à l'Encyclopédia Africana. Nous avons aussi discuté des développements de la révolte des Noirs chez nous en Amérique, de la puissance et de l'influence du monde socialiste, et du merveilleux éveil du peuple africain.

Je lui ai rendu à nouveau visite à l'hôpital et j'ai été enchanté et soulagé d'apprendre qu'il semblait, de façon presque miraculeuse, avoir retrouvé la santé. C'était en août 1962.

Alors que je séjournais, en proie à la maladie, à la maison de repos de Londres, le Dr Du Bois s'est rétabli de son intervention. Il a eu la force de se lever et de voyager avec Shirley en Suisse où il s'est reposé au soleil. Il est allé à Pékin pour assister à la Célébration d'octobre, à Moscou pour la Célébration de novembre, et, de retour à Londres à la fin du mois de novembre, le docteur Du Bois m'a rendu visite à la maison de repos. Il m'a fait un compte-rendu fascinant de son voyage et de ses expériences, qu'il avait grandement appréciés.

C'est la dernière fois que je l'ai vu. Lui et Shirley se sont rendus au Ghana où on lui a réservé un accueil des plus chaleureux.

Mes souvenirs les plus précieux du Dr Du Bois sont liés à la force et au côté pratique de son intelligence, à son courage et à son intégrité intellectuels, à sa lucidité face au monde et à notre place dans ce monde — ce qui a aussi élevé notre propre conscience. Sa grande influence sur la pensée américaine et sur la pensée noire restera à jamais inestimable. Nous l'admirions, le respections, l'appréciions et le suivions parce qu'il était transparent et direct, parce que son militantisme était fondé sur une force et un courage des plus combatifs qui lui venaient d'une grande connaissance, d'une immense sagesse et de l'expérience. Je me souviens aussi de sa grande bonté.

Le docteur Du Bois était, et est, dans le sens le plus profond, un leader américain, un leader noir, un leader mondial.

(Paru dans freedoms Ways, 1965. Traduit de l'anglais par LML.)

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