Réunion des premiers ministres sur la santé

Des formes de duperie sous prétexte de réparer le système de santé

– Enver Villamizar –


Manifestation à la défense du droit à la santé devant la réunion des premiers ministres
à Ottawa le 7 février 2023

La réunion des premiers ministres à Ottawa le 7 février, censée s'intéresser au financement de la santé, a été une fraude historique de première catégorie. Les communiqués et les déclarations du gouvernement fédéral, les réponses des premiers ministres provinciaux, les commentaires et les contre-discours des médias étaient sans précédent par la quantité d'inepties proférées et par les nouvelles profondeurs atteintes dans la mise en marché de leurs annonces de milliards pour ceci et cela au nom d'idéaux élevés.

Les premiers ministres ont cherché à faire croire à l'atteinte d'un consensus que si la privatisation est un problème, la solution est que l'État paie pour les services privés et alors les individus n'auront pas à payer; les paiements de transfert peuvent être modifiés pour mieux répondre aux objectifs politiques définis par les consultants privés, une concession ici par le gouvernement vaut une concession là par ceux qui participent aux négociations, et ainsi de suite.

La fraude comprend l'affirmation que les gouvernements à tous les niveaux et les partis d'opposition ont l'intention d'adopter de bonnes politiques pour offrir aux Canadiens les services de santé dont ils ont besoin. Il y a une pléthore de propositions sur ce que les Canadiens souhaitent le plus : les soins dentaires sont opposés à l'assurance-médicaments, à la santé mentale, aux services de garderie, etc.

Rien de ce qu'ils disent ou font, et que les médias répètent fidèlement, n'est fondé sur une réalité concrète. Ce que les sondages et les entreprises de marketing et de consultation déclarent est donné comme la preuve de ce que les Canadiens veulent. Cela donne lieu à des conclusions absurdes, comme dire que les chirurgies de la cataracte et les remplacements du genou et de la hanche sont les problèmes les plus urgents. Autrement dit, ne vous inquiétez pas de la destruction totale du système de santé public, du principe d'universalité, de l'abandon des régions éloignées et des vieilles installations, ne vous inquiétez pas de l'échec du système qui ne fournit plus assez de médecins de famille, de services d'urgence, de premiers répondants ambulanciers, de lits d'hôpitaux et, surtout, ne vous inquiétez pas de la destruction du facteur humain/conscience sociale.

Quelques jours avant la rencontre du 7 février, les ministres des finances fédéral, provinciaux et territoriaux s'étaient également réunis pour entendre la ministre des Finances et vice-première ministre leur faire la leçon et leur dire que chaque province doit augmenter les crédits d'impôt et les incitatifs pour les financiers qui s'engageront à payer l'infrastructure requise par les progrès massifs de la révolution technique et scientifique. Le mantra était que l'objectif de l'économie canadienne doit être de s'assurer qu'elle est compétitive par rapport aux États-Unis et au reste du monde. Rien à voir avec répondre aux besoins des Canadiens et rien à voir avec un plan d'action qui met tout sur la table et est approuvé par les citoyens et résidents de ce pays. Ces derniers sont complètement exclus de l'équation.

À l'ordre du jour de la réunion sur la santé il y avait la demande de « régler les modalités de financement entre les autorités fédérales et provinciales ». Les attentes ont été déçues. La réunion n'a rien réglé et, comme prévu, elle a dégénéré en une querelle de basse-cour à savoir quel niveau de gouvernement aura la compétence de faire ce qu'il veut avec ce qu'on appelle les paiements de transfert. Dans un passé de plus en plus lointain, les paiements de transfert avaient pour but de garantir l'universalité des normes et de faire en sorte que chacun, quel que soit son lieu de résidence, puisse avoir accès aux services de santé dont il a besoin. Loin de donner un nouveau sens à ce principe qui se résume à l'obligation d'offrir à tous les Canadiens ce dont ils ont besoin en matière de soins de santé, les annonces faites par les premiers ministres à la sortie de la rencontre mettent l'accent sur « la mise en commun des indicateurs de santé ».

Même ce besoin est pris comme un fait accompli et son objectif n'est pas défini d'une manière qui profite à la population. C'est une chose que de reconnaître que les Canadiens veulent avoir accès à leur dossier en temps opportun, mais c'en est une autre que de confondre le principe d'universalité avec la volonté d'adopter « des normes et des politiques communes en matière de données » de manière à nier le facteur humain/conscience sociale.

Les premiers ministres prétendent s'attaquer à la crise de la santé, mais ils excluent les Canadiens de toute considération dans les délibérations et rejettent d'emblée toutes les solutions et demandes présentées par les médecins, les infirmières, les syndicats de la santé et d'autres.

C'est inacceptable. Leurs « solutions » s'inspirent des exigences formulées par les sociétés d'investissement et des technologies de la santé. À cet égard, des fonds fédéraux ont été annoncés pour deux agences, l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) et Inforoute Santé du Canada, pour gérer et harmoniser les données sur la santé des Canadiens à travers les différents niveaux de gouvernement, dans le but déclaré de s'attaquer à la « fragmentation » du système de soins de santé.

La concurrence entre des intérêts privés étroits pour le marché de l'information sur la santé est féroce. Cela n'a rien à voir avec la satisfaction des besoins en soins et tout à voir avec la définition des soins de santé comme une marchandise dans le système de marché. Dans ce système, les travailleurs de la santé sont considérés comme un coût dont il faut se débarrasser là où c'est possible, pour faire place à l'intelligence artificielle pour effectuer des analyses, des diagnostics et des traitements.

La fraude consiste à prétendre que les gouvernements provinciaux et fédéraux résoudront la crise de la santé en fermant les yeux sur les solutions clairement énoncées d'un bout à l'autre du pays par les travailleurs de la santé. La satisfaction de leurs justes revendications en matière de salaires et de conditions de travail garantira un système de santé digne de ce nom, qui pourra ensuite être doté d'équipements et de programmes modernes. Mais baser le financement du système sur des équipements et des programmes numériques modernes et éliminer les prestataires de soins de santé qui sont les humains qualifiés dans tous les aspects requis par un système de santé moderne est à la fois absurde et honteux.

Les besoins en soins de santé des Canadiens ne peuvent pas être comblés en les considérant comme un coût sans autre avantage pour la société. Le niveau de discussion a été abaissé à tel point que les dirigeants et leurs médias n'entendent même pas à quel point leurs affirmations paraissent ridicules, comme lorsqu'ils disent que « puisque les services seront payés par le trésor public, les Canadiens n'ont pas à les payer eux-mêmes » !

Ils auront beau essayer de détacher les membres individuels de la société de leurs collectifs et les individus et leurs collectifs de l'intérêt général de la société, ils n'y parviendront pas. Les rapports sont une réalité matérielle qui finira par s'imposer, quoi que fassent les gouvernements pour les déchirer dans leur volonté de maintenir leur contrôle sur les ressources matérielles et humaines. La fraude consiste à ignorer délibérément les besoins concrets de la société et de la population et, surtout, à exclure complètement les travailleurs et le peuple de l'équation et des délibérations. La prétention de ces premiers ministres à gouverner en tant que représentants de la volonté du peuple constitue un véritable obstacle au règlement des problèmes en matière de santé.

La sécurité des Canadiens et des travailleurs de la santé à tous les niveaux réside dans leur lutte pour le droit de tous à des services de santé en temps, suivant les normes les plus élevées, dans un système pourvu et financé de manière à placer le facteur humain/conscience sociale au centre de ses préoccupations. Les conditions de travail de tous ceux qui oeuvrent dans le réseau de la santé – qu'on appelle une industrie – ont une incidence directe sur la santé des Canadiens. Tout le monde le sait. La duperie mise en marché par les autorités fédérales et provinciales est une trahison de premier ordre. La porte tournante entre les fonctions de ministres du gouvernement et directeurs d'entreprises privées et les sommes versées aux sociétés d'experts-conseils pour les méthodes modernes de collecte de données ne sont pas synonymes d'offrir aux êtres humains les conditions dont ils ont besoin pour s'épanouir, à défaut de quoi la société stagne et sombre dans l'anarchie et la violence, comme nous le constatons avec des résultats désastreux chaque jour.

Joignons-nous tous aux travailleurs de la santé qui réclament les salaires et les conditions de travail qui leur reviennent de droit ! Sans faire de l'activation du facteur humain/conscience sociale l'objectif visé de la distribution de milliards de dollars ici et là pour fragmenter davantage le système de santé, une arnaque demeure une arnaque, la fraude est la fraude, et les gouvernements doivent être tenus responsables. Il faut exiger qu'ils répondent aux revendications des travailleurs qui fournissent les services dans tous les aspects du système de santé, y compris dans les centres de soins de longue durée et les maisons des aînés.

À titre d'information
L'Institut canadien d'information sur la santé

L'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) est un organisme public qui a pour mandat d'accélérer l'amélioration de la prestation des soins de santé. Son conseil d'administration est composé de directeurs d'hôpitaux publics et de sous-ministres des provinces, ainsi que de deux membres à titre personnel. L'un d'entre eux est la Dre Alexandra T. Greenhill, qui « compte parmi les médecins qui jouent un rôle de premier plan en innovation de la santé numérique au Canada ». Elle est cofondatrice, PDG et médecin en chef de Careteam Technologies, « qui exploite une plateforme de santé numérique misant sur l'intelligence artificielle pour éliminer la fragmentation des soins de santé et favoriser une santé optimale ». Elle est également ambassadrice mondiale de Blackbox Connect propulsé par Google for Entrepreneurs et entrepreneure en résidence à Innovation Boulevard.

Il est clair que le financement public du système de santé n'en fait pas un système public !

Careteam est une « plateforme de collaboration d'équipe de niveau soins de santé » qui prétend réunir les professionnels de la santé, le patient et l'équipe de soutien personnel dans un plan de soins intégré, des communications instantanées et des analyses de population pour permettre les transitions, les soins chroniques complexes et l'innovation dans un environnement de soins de santé fragmenté.

Personne ne semble s'intéresser à pourquoi nous avons un « environnement de soins de santé fragmenté » et à ce que cela signifie. La destruction délibérée du système public en le privant de son objectif d'offrir des soins de santé à tous les Canadiens ne fait l'objet d'aucune discussion. Au lieu de cela, on nous offre le jargon et les conclusions du marché. Selon le site Web de l'ICIS : « Nous sommes préoccupés par le fait que la fragmentation des soins de santé s'aggrave, car il y a de plus en plus de comorbidités, d'options, d'applications et d'appareils. Les patients, les familles, les cliniciens et les organismes de santé sont submergés par le bruit. Nous devons faire en sorte que le système de santé agisse comme un système, en commençant par certains problèmes de santé complexes et chroniques, ainsi que pour les patients atteints de multimorbidité et les systèmes de soins intégrés. [...]

« La plateforme de Careteam prolonge les investissements existants dans des technologies telles que les dossiers médicaux électroniques et les portes d'entrée numériques avec des plans de soins personnalisables et exploitables permettant la collaboration au sein et entre plusieurs organisations. »

Nous devons croire que la fourniture de technologies d'investissement et de portes d'entrée numériques remplacera le facteur humain/conscience sociale. L'ICIS dit :

« Tout le monde peut travailler ensemble sur la même page, ce qui allège le fardeau des soins pour les familles et améliore la santé et la vie des enfants. Déployable le jour même, configurable sans codage et facile à adopter, la plateforme a aidé de nombreuses équipes de santé à atteindre leurs objectifs. »

Blackbox Connect, en partenariat avec Google for Entrepreneurs, est un mécanisme par lequel Google forme une poignée de « jeunes entrepreneurs du monde entier », qui restent ensemble dans un manoir, et leur donne accès à « un mentorat, une formation intense et des investisseurs ». Blackbox Connect a été fondé par un vétéran de la Silicon Valley, Fadi Bishara, « afin d'injecter les jeunes entreprises mondiales dans l'écosystème, l'état d'esprit et la magie de la Silicon Valley », permettant ainsi aux entrepreneurs « d'accéder à l'expertise nécessaire pour développer leurs idées et élaborer une stratégie de marché mondial ».

Inforoute Santé du Canada

Inforoute Santé du Canada a été créée en octobre 2000 avec un investissement initial de 500 millions de dollars du gouvernement du Canada. Elle se présente comme une société indépendante, à but non lucratif. Le 22 janvier 2001, Inforoute a été constituée en société. Depuis sa création, elle a reçu quelque 2,5 milliards de dollars en fonds publics. Selon son site Web, « en intégrant la santé numérique dans l'expérience de soins, nous proposons des modèles de soins plus efficients et plus accessibles. Nous accélérons et facilitons l'échange sécurisé des données. Et nous contribuons ainsi à améliorer la santé de tous les Canadiens. »

Quelle arnaque !

Son conseil d'administration est composé de sous-ministres qui s'occupent de données et d'analyses dans le domaine de la santé, d'anciens ministres, d'entrepreneurs et de consultants en affaires dans le domaine des soins de santé. Le président, le Dr Peter Vaughan, colonel commandant des Forces canadiennes, est un ancien sous-ministre. L'ancien ministre de la Santé de l'Ontario, le Dr Eric Hoskins, qui fait également partie du conseil, est maintenant associé chez Maverix Private Equity, qui regroupe divers investisseurs en capital de risque basés en Ontario, comme Jim Balsillie (RIM), Arlene Dickinsen (District Ventures) et John Bitove (Obylysk).

Inforoute Santé du Canada a un certain nombre de projets :

L'ordonnance électronique avec PrescripTIon – Décrit comme un service sans but lucratif qui permet aux prescripteurs de transmettre électroniquement les ordonnances sous forme de données directement à partir de leur dossier médical électronique vers le système de gestion d'une pharmacie, éliminant ainsi le besoin d'ordonnances par télécopieur et sur papier.

Interopérabilité – Inforoute affirme que « l'interopérabilité améliore la continuité des soins, la collaboration entre les professionnels de la santé et l'accès des patients à leurs renseignements médicaux. Elle permet aussi au réseau de la santé de gagner en efficience et de réduire la redondance. » Elle précise : « Bien qu'il existe de nombreux défis liés à l'interopérabilité, le partage des résumés de patients entre différentes solutions a été identifié comme une priorité à la suite de consultations approfondies. »

Les résumés de patients sont « des parties de dossiers médicaux constituées d'un ensemble normalisé d'informations. Ils permettent aux patients et aux cliniciens d'accéder à un ensemble concis de renseignements sur le patient et de le mettre à jour, ce qui facilite le partage des renseignements nécessaires entre les prestateurs de soins et les établissements (p. ex. soins actifs, primaires et spécialisés). »

Le site Web d'Inforoute Santé du Canada indique qu'« un processus de développement collaboratif est en cours, dans le but de publier une spécification pancanadienne du résumé du patient (PS-CA) pour une mise en oeuvre expérimentale d'ici le début de 2022 »."

En novembre 2022, en Ontario, par exemple, le résumé du patient a commencé et « sa première itération » comprend :

- Un résumé des médicaments
- Allergies et intolérances
- Liste des problèmes
- Vaccinations
- Historique des procédures
- Antécédents de maladie

Investissements – Inforoute soutient les efforts provinciaux, territoriaux et pancanadiens visant à mettre en oeuvre des initiatives de soins virtuels efficaces.

Gestion du changement – Le programme de gestion du changement en matière de soins virtuels vise à s'assurer que les cliniciens disposent des outils et de la formation dont ils ont besoin pour contribuer à la transformation des soins et à améliorer l'équité et la littératie en santé numérique de la population canadienne.

Approvisionnement – Inforoute aide les administrations publiques intéressées à présélectionner des fournisseurs de solutions au moyen d'une demande de présélection intergouvernementale. Ces demandes constituent la première étape des activités d'approvisionnement et permettront d'établir une liste de fournisseurs de solutions préqualifiés.

Partenaires – « Au moyen de tribunes et de consultations, d'événements et de collaborations à des projets comme le portail-santé des citoyens Mustimuhw et le service d'aide Crisis Text Line propulsé par Jeunesse, J'écoute, nous collaborons avec les intervenants pour favoriser l'adoption de la santé numérique. »


Cet article est paru dans
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Volume 53 Numéro 2 - Février 2023

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