Changements réglementaires dans la
formation des grutiers du Québec
Le rapport du comité d'experts ne respecte pas
les revendications de sécurité de ceux qui font le travail
- Pierre Chénier -
En avril 2018, le gouvernement du Québec a
décrété de façon unilatérale une
nouvelle réglementation qui gouverne la formation des grutiers
du Québec. Cette décision a renversé les normes et
la formation établies que les nouveaux grutiers doivent suivre
pour garantir leur sécurité et celle des autres
travailleurs de la construction et du
public. Le gouvernement a imposé cette décision en
dépit de la vaste opposition qui existe contre cette
réglementation, en particulier celle des grutiers
eux-mêmes et de leur syndicat.
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Lors des audiences publiques qui ont été
tenues sur les changements proposés, les travailleurs de la
construction et leurs syndicats ont pris une position très
ferme, décrivant les changements comme étant non
sécuritaires et en violation de la norme Z 150 de
l'Association canadienne de normalisation, à laquelle les
grutiers du Québec sont
assujettis. Cette norme spécifie les exigences relatives aux
grues mobiles de manière à protéger la
sécurité des travailleurs et du public.
Ces changements ont été faits à la requête
de la Commission de la construction du Québec (CCQ), l'agence de
l'État financée par lui qui supervise les métiers
et les travailleurs de la construction au bénéfice
des plus grandes entreprises de la construction. Les entreprises se
sont plaintes d'une pénurie de grutiers et ont demandé
que la réglementation relative à la formation soit
abaissée afin de créer un plus large bassin de grutiers
disponibles, sans égard à leur formation et à leur
compétence réelle en ce qui concerne le métier.
Le gouvernement refuse d'écouter les grutiers et
leur syndicat et insiste pour que les changements soient mis en oeuvre.
Les grutiers et leur syndicat ont mené une lutte
déterminée contre cette réglementation, notamment
en refusant de se présenter au travail pendant toute une semaine
en juin dernier. Ils ont dénoncé le gouvernement pour
avoir
imposé ces changements qui s'attaquent à des
méthodes de formation bien établies qui visent à
garantir la sécurité de tous sur les chantiers de
construction, y compris du public.
Les grutiers ont mis de l'avant deux revendications
principales : que la nouvelle réglementation soit
retirée et que la formation professionnelle obligatoire des
grutiers soit maintenue, et qu'une table de concertation soit
créée qui comprend toutes les parties concernées,
dont les enseignants, pour étudier les problèmes relatifs
au secteur des
grutiers et à la sécurité sur les chantiers de
construction.
Le gouvernement a plutôt choisi de mettre sur pied ce qu'il a
appelé un comité d'experts indépendants sur les
changements réglementaires à la formation des grutiers.
Le rapport du comité, qui a été publié
à la fin du mois de mars, ne part pas du besoin d'une formation
qui garantisse la
sécurité.
Il part de la prémisse d'une pénurie de main-d'oeuvre
qualifiée, soit le même prétexte qui est
utilisé par l'industrie de la construction et le gouvernement
pour abaisser les normes de formation et de sécurité.
La situation à laquelle font face les grutiers du Québec
illustre bien comment ce qui est qualifié de comité
d'experts est établi afin
d'écarter la revendication des travailleurs pour la mise en
oeuvre
d'une réglementation qui prescrit une formation en
sécurité adéquate. Le comité a
été établi pour contourner le fait que les
travailleurs n'acceptaient pas des normes inférieures
inadéquates et que ce problème est si sérieux
qu'ils ont refusé de travailler pendant une semaine
entière pour
défendre le régime de formation adéquat. Cela
montre que ce qu'on appelle aujourd'hui des comités d'experts ne
sont pas dignes de confiance parce que l'objectif politique ternit
l'intégrité de l'expertise à laquelle on fait
appel pour se prononcer sur le processus.
On ne doit pas permettre au gouvernement d'agir à
l'encontre des souhaits de ceux qui sont engagés dans le travail
de construction. Les grutiers et les autres travailleurs de la
construction et leurs organisations doivent être au centre de la
prise des décisions quand il est question de la
sécurité et d'autres préoccupations qui concernent
leur
industrie.[1]
Le rapport du comité d'experts
Le rapport du comité d'experts
indépendants, nommé par le gouvernement du Québec
pour étudier du point de vue de la sécurité la
nouvelle réglementation relative à la formation des
grutiers, a été rendu public à la fin du mois de
mars. Cette nouvelle réglementation a été
décrétée par le gouvernement du Québec,
à la requête de la
Commission de la construction du Québec (CCQ) en
avril 2018, sans l'approbation des grutiers qui s'y sont
d'ailleurs massivement et publiquement opposés.[2] Le comité lui-même a
été mis sur pied par le gouvernement dans la
foulée de la lutte des grutiers pour faire retirer cette
nouvelle
réglementation.
Dans son rapport, le comité d'experts ne
mentionne pas qu'aux audiences publiques qu'il a tenues en 2018,
presque tous les intervenants ont pris parti fermement contre cette
nouvelle réglementation, la qualifiant de non sécuritaire
et de violation de la norme canadienne Z 150 de l'Association
canadienne de normalisation, à
laquelle les grutiers du Québec sont assujettis. Cette norme
spécifie les exigences de sécurité relatives aux
grues mobiles de manière à protéger la
sécurité des travailleurs et du public.
Le rapport du comité d'experts ne reconnaît
pas le besoin d'une réglementation obligatoire et applicable en
ce qui concerne la formation des grutiers.
Cette réglementation doit s'appuyer sur une loi pour que la
sécurité de la personne et d'un chantier de
construction soit garantie. Au lieu de cela, en parlant de «
principes directeurs » qui servent de cadre de
référence à son analyse et à ses
recommandations, le comité justifie sa recommandation que le
Diplôme d'études professionnelles (DEP), qui a
été la norme requise pour les grutiers, devienne une
« référence » plutôt qu'une
exigence.
Par exemple, le comité mentionne que les grues
sont des machines complexes qu'il est essentiel de bien comprendre. Il
ajoute que la conduite sécuritaire de ces machines complexes
requiert la maîtrise de connaissances de base théoriques
et pratiques. Comment un nouveau grutier va-t-il acquérir les
connaissances et la maîtrise sans la formation
technique et l'éducation pratique directe que le DEP lui
fournit ?
Selon le comité, le DEP ne doit plus être
obligatoire mais doit devenir optionnel pour les nouveaux grutiers, ce
qui est exactement ce que veut le gouvernement. Le cours devient une
soi-disant référence en ce qui concerne la connaissance
fondamentale requise pour le métier. Il demeure la « voie
privilégiée » d'accès au certificat de
compétence-apprenti-grutier mais n'est pas une exigence.
Dans un langage contourné qu'on associe
habituellement aux petits caractères à la fin des
contrats, le
rapport mentionne que « peu importe la voie d'accès
à l'apprentissage empruntée, les apprentis grutiers
qui se présentent à l'examen de qualification de
compagnon devraient avoir suivi
un parcours professionnel leur ayant permis d'acquérir des
connaissances, une expérience et des habiletés
comparables ». (Notre souligné) C'est comme
si
on disait que « peu importe la voie d'accès »
qui est suivie pour devenir charpentier, électricien,
médecin ou ingénieur, vous devriez « avoir suivi un
parcours professionnel
vous ayant permis d'acquérir des connaissances, une
expérience et des habiletés comparables ».
Est-ce qu'on peut considérer le comité
d'experts comme
étant sérieux en matière de
sécurité ?
Le comité est censé traiter de
sérieuses préoccupations de sécurité qui
remontent à loin. Comment les gens, et en particulier les
travailleurs de la construction, peuvent-ils prendre au sérieux
les mots vagues du comité ? Ses principes directeurs
manquent de consistance et de fermeté. Ils sont
détachés de la situation concrète à
laquelle
les grutiers, les travailleurs de la construction et le public font
face. C'est suite à des années d'accidents
désastreux qu'une formation professionnelle obligatoire pour les
grutiers a été introduite. Est-ce que les travailleurs et
le public seront plus en sécurité si le DEP n'est plus
obligatoire mais est réduit à une «
référence », quelque chose
qu'on pourra ressortir des tiroirs de temps en temps pour masquer la
réalité du manque de formation ?
On est censé oublier
que le DEP a été créé
précisément à cause des nombreux
décès qui frappaient le métier. La
formation obligatoire, donnée par des instructeurs
compétents, a réussi à réduire le nombre de
morts et d'accidents qui se sont produits dans le métier depuis
son adoption il y a plus de 20 ans. Pourquoi le comité
écrit-il une
chose comme « peu importe la voie d'accès à
l'apprentissage empruntée » ? Se pourrait-il que
la forme pratique d'accès à l'apprentissage, le
Diplôme d'études professionnelles, était et est
toujours la voie à suivre pour éviter les morts et les
accidents associés à la conduite des grues mobiles, mais
que quelque chose d'autre motive son
remplacement, comme l'hystérie de la CCQ au sujet d'une «
pénurie de main-d'oeuvre » ?
Le comité tire la conclusion que le programme de
formation donné par les entreprises, qui a été
décrété par le gouvernement du Québec et la
CCQ pour remplacer le DEP obligatoire, est «
insuffisant » du
point de vue apprentissage et notions de base que les nouveaux
travailleurs doivent acquérir pour assurer la conduite
sécuritaire d'une grue. Demande-t-il alors que le DEP doit
être maintenu en tant que la voie
éprouvée obligatoire à suivre ? Non, il
propose une
modification faiblarde au programme proposé par le gouvernement,
conformément à ses propres considérations
faiblardes.
Ce programme comprendrait une formation initiale de
trois semaines en centre de formation professionnelle. Le comité
recommande aussi que toute nouvelle inscription au programme de
formation en entreprise soit suspendue jusqu'à ce que cette
formation initiale soit mise en oeuvre.
Le comité part du point de vue que la nouvelle
réglementation est là pour rester. Il recommande que,
pour émousser l'opposition, une modification soit incluse pour
que les experts aient l'air d'être sérieux en ce qui
concerne la sécurité. La seule chose que le comité
prend au sérieux, c'est de trouver une façon de mettre en
oeuvre le diktat du
gouvernement et de la CCQ et de saper toute opposition et toute
discussion sérieuse sur ce qu'il faut faire pour réduire
le nombre inacceptable de décès et de blessures dans le
secteur de la construction.
Qu'y a-t-il derrière la décision du
gouvernement
et de son comité d'experts ?
En ce qui concerne une pénurie de main-d' oeuvre,
les travailleurs de la construction ont démontré
qu'environ 14 % des travailleurs quittent le secteur par
année tant les conditions, notamment de sécurité,
sont inacceptables. Le gouvernement et la CCQ ne veulent pas faire
enquête sur pourquoi les travailleurs quittent le
secteur et pourquoi le nombre des décès et des accidents
est si élevé. Tout ce qu'ils veulent, c'est affaiblir les
conditions d'entrée dans le métier afin que de nouvelles
personnes soient disponibles, sans que leur compétence soit
garantie.
Le rapport du comité ne part pas du point de vue
d'assurer la sécurité des travailleurs et du public comme
la priorité qui prime sur tout le reste. Le comité ne
commence pas en mobilisant les travailleurs eux-mêmes et leurs
organisations pour reconnaître les problèmes qui existent
et examiner comment améliorer les conditions. Le comité
est
imprégné du pragmatisme de ceux qui possèdent le
pouvoir économique et politique. Ce pragmatisme fait passer leur
profit d'entreprise avant les principes. Ce pragmatisme ne comprend pas
les droits inaliénables des travailleurs de la construction,
dont leur droit à des conditions de travail et de vie qu'ils
jugent acceptables et à des conditions dans
le secteur de la construction qui sont acceptables à une
société civilisée.
Les travailleurs doivent intensifier leur appui à
la lutte des grutiers pour garantir la sécurité de tous,
en opposition à l'intransigeance et à l'arrogance du
gouvernement et aux grands intérêts d'affaires qu'il sert.
Notes
1. Pour des reportages sur la lutte
des grutiers à la défense de leurs droits et de la
sécurité de tous, lire :
- « Les
travailleurs demandent que le rapport du comité sur la
sécurité des grutiers soit publié »,
Forum ouvrier, le 7 mars 2019
- « Les
grutiers, leurs alliés et des experts disent tous Non !
à la nouvelle règlementation
irresponsable », Forum ouvrier, le 24
janvier 2019
- « La
logique
et
les
actions
intéressées
et tordues des
gouvernants », Pierre Chénier, Forum ouvrier,
le 19
juillet 2018
- « Développements
récents
dans
la
lutte
des
grutiers du Québec pour leurs
droits », Forum ouvrier, le 3
juillet 2018
2. Cette nouvelle
réglementation a aboli le caractère obligatoire du
Diplôme d'études professionnelles (DEP) de 870 heures
de formation en institution professionnelle pour devenir grutier. Le
DEP est maintenant facultatif. Une nouvelle formation de 150
heures fournie directement sur les chantiers et sous la
responsabilité des entreprises a été introduite.
La CCQ et le gouvernement ont aussi remplacé le diplôme
par un cours de 80 heures pour les camions-flèches d'une
capacité maximale de 30 tonnes. C'est justement ce type de
grues qui versent le plus et qui causent le plus de dommages.
Cet article est paru dans
Numéro 13
- 18 avril 2019
Lien de l'article:
Changements
réglementaires dans la
formation des grutiers du Québec: Le rapport du comité
d'experts ne respecte pas les revendications de sécurité
de ceux qui font le travail - Pierre Chénier
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