Forum ouvrier

19 juin 2018

Postes Canada espère diviser les travailleurs des postes

L'arbitrage n'a pas résolu les décennies d'injustices subies par les factrices et facteurs ruraux et suburbains

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Les travailleurs des postes à l'extérieur de la Cour suprême de St-John, Terre-Neuve,
le 24 mars 2018, réclamant l'équité salariale.


Postes Canada espère diviser les travailleurs des postes
L'arbitrage n'a pas résolu les décennies d'injustices subies par les
factrices et facteurs ruraux et suburbains 
- Louis Lang

La Commission de la construction du Québec déclare que les grutiers font une grève illégale
Tous avec les grutiers et les travailleurs de la construction luttant pour leurs droits et les droits de tous! - Pierre Chénier
Entrevue avec Richard Goyette, avocat du travail et ancien directeur général de la FTQ-Construction
À propos du Diplôme d'études professionnelles (DEP) en formation de grutiers


Postes Canada espère diviser les travailleurs des postes

L'arbitrage n'a pas résolu les décennies
d'injustices subies par les FFRS

La décision arbitrale publiée le 31 mai 2018 au sujet du processus d'examen de l'équité salariale n'a pas corrigé le problème de discrimination salariale que les factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) soulèvent contre Postes Canada depuis au moins 2004. Si la décision reconnaît que le travail effectué par les factrices et facteurs urbains et celui effectué par les FFRS est aisément comparable et qu'un écart salarial clair persiste, l'arbitre a rejeté les propositions du syndicat visant à remédier à la situation.

Ce processus d'examen de l'équité salariale a été amorcé après les négociations de 2016 précisément pour mettre fin à de nombreuses années d'échec des négociations en raison de l'intransigeance de Postes Canada. Année après année, la Société des postes a refusé de reconnaître ses actions discriminatoires contre les FFRS et sa violation du principe qu'elle doit verser à tous les travailleurs un salaire décent que leurs collectifs considèrent acceptable.

Dans un retournement de situation troublant, l'arbitre a accepté la plupart des éléments de preuve présentés par le syndicat mais a finalement refusé de prendre une décision et a renvoyé les questions aux deux parties pour qu'elles les négocient une fois de plus. En agissant ainsi, l'arbitre n'a pas assumé sa responsabilité de régler les questions pour lesquelles elle a été nommée. De plus, elle a renvoyé la question du traitement injuste des FFRS aux négociations qui ont été impossibles pendant des années parce que Postes Canada a insisté pour maintenir sa discrimination.

Le principe d'un salaire décent pour tous les travailleurs et l'élimination de la discrimination salariale fondée sur le sexe sont des droits qui appartiennent à tous les travailleurs et ne doivent pas être relégués au processus de négociation. Postes Canada continue de s'attaquer à la dignité des travailleurs et le refus de l'arbitre de soutenir les droits permet à Postes Canada d'infliger un traitement inacceptable aux FFRS sans avoir à rendre des comptes.

Renvoyer la question à la table des négociations n'est pas seulement une autre tactique dilatoire maladroite qui est la marque de commerce de ce gouvernement libéral. Elle survient au moment où les négociations sont en cours pour de nouvelles conventions collectives pour les travailleurs urbains et suburbains. Elle vise à diviser les groupes de travailleurs pour miner l'unité des postiers qui se battent pour rendre Postes Canada redevable de ses actes.

Les travailleurs des postes ne peuvent jamais oublier qu'en 2004, lorsque les FFRS ont obtenu le droit d'adhérer au syndicat et de négocier collectivement une convention, la société a forcé les travailleurs urbains à abandonner dans leur convention collective les dispositions relatives à l'indemnité de départ. La Société des postes a forcé les travailleurs urbains à réduire leur réclamation à la valeur qu'ils produisent en guise de  « compensation » pour l'incorporation des FFRS comme employés plutôt que comme entrepreneurs indépendants à statut précaire. Cette fois-ci, les travailleurs des postes sont déterminés à ne pas permettre à Postes Canada d'utiliser la question de l'équité salariale pour miner l'unité de tous les travailleurs et travailleuses des postes dans la lutte pour leurs droits.

Les négociations de 2016 et l'équité salariale

Lors de la ronde de négociations de 2016 entre Postes Canada et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, l'une des principales demandes du syndicat visait l'équité salariale pour les factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS). Le syndicat a soutenu que les facteurs et factrices urbains et les FFRS effectuent un travail comparable et amènent les mêmes compétences au travail qu'ils effectuent. Le syndicat a soutenu que la Société des postes a manqué à son obligation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne de fournir aux FFRS, qui sont principalement des femmes, des salaires et des avantages sociaux comparables à ceux des facteurs et factrices urbains. 

Les négociations à ce moment-là n'ont pas résolu le problème. Au lieu de cela, un Protocole d'entente sur l'équité salariale a été signé en septembre 2016. Avec la signature du Protocole, la Société des postes et le syndicat ont convenu d'établir un examen conjoint de l'équité salariale des conditions des FFRS conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne et selon l'Ordonnance sur la parité salariale.

Le processus conjoint d'examen de l'équité salariale exigeait que chacune des parties nomme un consultant ou un expert pour produire des rapports décrivant leurs positions respectives. Un comité mixte sur l'équité salariale (CMES) a également été créé pour fournir des commentaires sur le travail des consultants.

Ce processus s'est poursuivi jusqu'au 27 janvier 2017, lorsque la ministre du Travail a nommé une arbitre, Maureen Flynn, pour agir à titre de médiatrice et arbitrer les questions sur lesquelles aucun accord n'avait été conclu.

Les consultants et le CMES ont terminé leurs rapports en octobre 2017 et une série de réunions de pré-médiation a suivi en décembre 2017. Aucun accord n'a pu être conclu et l'affaire a été renvoyée en arbitrage avec des audiences qui devaient débuter le 9 janvier 2018.

Pour ajouter aux retards, à la fin de décembre 2017, la Société des postes a demandé de réviser le rapport de son consultant et a demandé que les audiences d'arbitrage soient reportées.

Les audiences d'arbitrage ont finalement commencé le 18 février 2018 et quatorze jours d'audiences ont été programmés jusqu'au début de mai 2018. L'arbitre Flynn a publié son rapport le 31 mai 2018.

Le volumineux rapport (176 pages) décrit de nombreuses questions techniques liées aux clauses des conventions collectives qui régissent les salaires et les conditions de travail des FFRS et des factrices et facteurs urbains ainsi que les exigences de la Loi sur les droits de la personne et des règlements connexes.

Dans sa décision, l'arbitre a évalué les rapports des consultants qui reposent sur des points de vue opposés sur la façon dont les deux emplois devraient être évalués et sur la méthodologie à utiliser pour évaluer l'écart salarial entre les deux classifications. Ce qui suit est une citation du paragraphe 706 du rapport d'arbitrage :

[706] Outre leur désaccord sur la méthode d'évaluation de l'écart salarial, les parties ont des points de vue différents sur certains aspects de la rémunération des FFRS et des factrices et facteurs. Plus précisément, les éléments suivants ont été débattus ou traités différemment : le taux d'emploi applicable, l'inclusion des dépenses d'utilisation du véhicule dans le salaire des FFRS, l'inclusion de l'allocation variable, l'inclusion des heures supplémentaires et le rajustement des salaires de factrices et facteurs pour tenir compte de la pause-repas et des pauses repos payées.

Dans son rapport, l'arbitre a préféré l'approche du syndicat sur de nombreuses questions en litige.

En ce qui concerne l'évaluation des postes, l'arbitre a conclu que le rapport du consultant du syndicat reflète « fidèlement le contenu des différents emplois et représente mieux les particularités de chaque groupe de comparaison potentiel ». Par conséquent, elle a conclu que le travail effectué par les FFRS et celui effectué par les factrices et facteurs urbains peuvent être aisément comparés.

L'arbitre a également rejeté la méthode proposée par la Société des postes pour calculer le salaire des FFRS parce qu'elle reposait sur le comptage des « points de remise » sur chaque route que l'arbitre décrivait comme une approche fondée sur le « coût de la main-d'oeuvre à l'entreprise » et non sur l'indemnisation à l'employé pour le travail effectué. L'objectif de l'Examen de l'équité salariale était d'évaluer s'il existait « un écart salarial » entre les deux groupes et non de sauver de l'argent en salaires à Postes Canada.

En dépit du fait que, dans la plupart des cas, l'arbitre a préféré l'approche du syndicat pour établir les données nécessaires pour pouvoir évaluer correctement l'écart salarial, elle a rejeté les conclusions du syndicat concernant les mesures que doit prendre Postes Canada pour remédier à la discrimination systématique à l'encontre des FFRS.

Le syndicat réclame une compensation équivalant à 9,72 $ l'heure, soit la différence calculée entre le taux horaire net des factrices et facteurs urbains et le taux horaire obtenu pour les FFRS. Il demande aussi des améliorations du système de mesure des itinéraires. L'arbitre a rejeté ces justes revendications. Plutôt que de statuer sur les questions portées devant le tribunal qui ont été analysées et discutées depuis au moins septembre 2016, l'arbitre a refusé de prendre une décision et a plutôt renvoyé les questions non réglées aux parties. Voici quelques citations tirées de sa décision :

[848] Il est évident, compte tenu des conclusions déjà tirées par la soussignée, que la demande du Syndicat ne peut être accordée.

[849] Étant donné que les parties doivent ajuster la méthode, tel qu'il est indiqué ci-dessus, et inclure les éléments variables dans l'évaluation de la rémunération directe et dans l'évaluation des prestations de retraite, il ne convient pas de rendre une décision sur les dommages-intérêts à ce stade-ci du processus.

[850] Le temps qu'il faudra aux parties pour apporter les ajustements susmentionnés ne leur causera aucun préjudice. Au contraire, ces efforts leur permettront de trouver une meilleure solution, qui soit plus équitable pour les deux parties. Il est dans leur intérêt de poursuivre le travail suspendu prématurément afin de parvenir à de meilleurs résultats. »

Dans ses remarques finales, l'arbitre a dit :

Par conséquent, les parties ont jusqu'au 31 août 2018, à moins qu'elles ne conviennent d'une prolongation, pour me soumettre leur entente. Si elles ne parviennent pas à s'entendre, la soussignée, après avoir consulté les avocats des parties, réservera des dates d'audience d'arbitrage à l'automne 2018. Si les parties le souhaitent, le Tribunal réservera les dates nécessaires pour la tenue de sessions de médiation.

Le rapport de l'arbitre est très préoccupant pour les travailleurs des postes. Bien que la preuve démontre clairement que le traitement des FFRS par Postes Canada a entraîné une discrimination systémique en termes de salaires directs et indirects et de conditions de travail pour près de 8000 femmes qui effectuent le travail, le processus de négociation depuis 2004 et le dernier processus d'arbitrage n'ont pas corrigé la situation. La discrimination flagrante qui se poursuit à l'égard des FRRS, dont la majorité sont des femmes, est incompréhensible. Plusieurs demandent pourquoi Postes Canada n'a pas eu à répondre de ses actes compte tenu de cette violation flagrante de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Est-ce que la discrimination contre les femmes est quelque chose qui est matière à négociations et non une violation des droits qui doit être condamnée et renversée immédiatement ? Après tout, nous sommes en 2018.

Pourtant, les tactiques dilatoires se poursuivent. En refusant d'agir sur la base des éléments de preuve dont elle disposait, l'arbitre a révélé que le processus n'est pas conçu pour résoudre les problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés. Les manoeuvres pour faire traîner les choses, les délais et les excuses sont des moyens pour faire pression sur le syndicat et les travailleurs pour qu'ils abandonnent leurs justes revendications.

Il est important de souligner que le rapport du Tribunal d'arbitrage sur les FFRS qui refuse de demander des comptes à la Société des postes est publié au moment où le syndicat est en train de négocier avec Postes Canada pour les deux conventions collectives des travailleurs urbains et suburbains qui ont expiré au début de cette année. La décision de renvoyer cette importante question de l'équité salariale aux parties après des années d'impasse et le refus de la Société des postes d'assumer ses responsabilités en éliminant la discrimination salariale exercée principalement contre des femmes n'est pas une coïncidence. Elle est conçue pour permettre l'ingérence dans le processus de négociation et pour forcer le syndicat à accepter davantage de concessions et pour traiter les droits des travailleurs comme des objets de marchandage qui peuvent être troqués pour autre chose.

(Photos: FO, STTP, C. Dyer)

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La Commission de la construction du Québec déclare que les grutiers font
une grève illégale

Tous avec les grutiers et les travailleurs
de la construction luttant pour leurs droits
et les droits de tous!


Manifestation le 5 mai 2018 à Montréal pour dénoncer les changements non sécuritaires
à la réglementation sur la formation des grutiers

La Commission de la construction du Québec (CCQ) a déclaré que les grutiers du Québec mènent en ce moment une grève illégale. Cette déclaration a été faite lundi le 18 juin quand les grutiers ne se sont pas présentés au travail à l'échelle du Québec. La représentante de la CCQ a dit à la presse que l'organisme est en train d'amasser le plus d'informations possibles pour prouver que les grutiers sont engagés dans une grève illégale afin d'intenter des poursuites pénales contre eux aussitôt que possible.

Les associations ou les représentants qui seraient déclarés coupables d'avoir ordonné, encouragé ou appuyé une grève ou d'y avoir participé sont passibles d'une amende de 7 960 $ à 79 587 $ pour chaque jour ou partie de jour de grève. Les travailleurs membres de ces associations sont passibles d'une amende qui peut atteindre 199 $ par jour. Comme c'est l'habitude maintenant, la représentante de la CCQ a aussi dit que des gestes d'intimidation ont été commis pour inciter les travailleurs à la grève et que des poursuites pénales pour intimidation seront aussi intentées.

Des accusations d'intimidation peuvent mener à l'interdiction pour des travailleurs de diriger ou représenter un syndicat pendant cinq ans. Cela fait maintenant quelques semaines que la CCQ sillonne les chantiers à l'échelle du Québec pour épier les travailleurs et les avertir des poursuites qui vont s'abattre sur eux s'ils défendent leurs droits de manière concertée en refusant par exemple de faire des heures supplémentaires ou en menant des activités qui entravent, ralentissent ou interrompent les travaux.

Les faits sont que les grutiers travaillant sur la construction du Pont Champlain jeudi le 14 juin ont quitté le chantier quand les travaux ont été interrompus à cause de la pluie et que le maître-d'oeuvre n'a pas respecté la convention collective qui prévoit que les grutiers doivent être payés un minimum de 5 heures lorsque les opérations sont arrêtées pour cause d'intempéries.

Les grutiers ne sont pas revenus au travail sur le pont Champlain vendredi et ne se sont pas présentés samedi non plus pour le travail en temps supplémentaire. Lundi le 18 juin, les grutiers ne se sont pas présentés au travail à l'échelle du Québec, ce qui fait que les chantiers qui requéraient l'opération de grues ont été pratiquement paralysés dans tout le Québec.

Les grutiers s'opposent fermement à la nouvelle réglementation mise de l'avant par la CCQ et entérinée par le gouvernement du Québec qui crée de sérieux dangers pour la vie et la sécurité des grutiers, des autres travailleurs de la construction et du public. La nouvelle réglementation dégrade sérieusement en quantité et en qualité la formation requise des travailleurs pour devenir grutiers, Le gouvernement, à la requête de la CCQ, a aboli le caractère obligatoire du Diplôme d'études professionnelles (DEP) de 870 heures de formation. Le DEP est maintenant facultatif et une nouvelle formation de 150 heures fournie directement sur les chantiers et sous la responsabilité des entreprises a été introduite.

La CCQ et le gouvernement ont aussi créé un cours de 80 heures pour les camions-flèches d'une capacité maximale de 30 tonnes suite à quoi le travailleur qui réussit la formation devient conducteur qualifié de ces camions. C'est justement ce type de grues qui versent le plus et qui causent le plus de dommages. Tel est le contexte conflictuel dans lequel les actions des grutiers sont organisées.

La CCQ et le gouvernement rejettent les efforts des travailleurs de la construction pour défendre leur droit à une formation adéquate. Ils ont refusé d'entendre les représentations des travailleurs qui demandent que la nouvelle réglementation ne soit pas mise en oeuvre et qu'une table de toutes les parties soit créée pour étudier la situation. La CCQ est devenue une agence de police répressive de l'État qui criminalise les travailleurs qui défendent leurs droits et étouffe la voix de tous ceux qui sont préoccupés de la détérioration des standards et des attaques aux droits et à la sécurité dans le secteur de la construction.

Pour sa part, la CNESST, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, observe un silence honteux face à cette dégradation des conditions de santé et de sécurité. Le gouvernement du Québec, qui a adopté la loi 152 de criminalisation plus poussée des travailleurs de la construction, a entériné la nouvelle réglementation. Les institutions qui prétendent être l'autorité publique et représenter l'intérêt public refusent de le défendre. Elles ont fermé leurs portes aux travailleurs, ceux-là mêmes qui connaissent d'expérience les dangers qui existent et le danger croissant qui est causé à tous lorsque les normes de formation sont abaissées et que les droits sont attaqués. Qu'est-ce que les travailleurs de la construction sont censés faire quand toutes les avenues de discussion avec les vieilles institutions sont bloquées ? Le problème auquel les travailleurs de la construction font face est un problème que tous les travailleurs et la société doivent affronter de façon urgente et avec détermination.

La nouvelle réglementation et la loi 152 ne sont rien d'autre que des instruments néolibéraux d'abaissement des conditions de travail dans la construction et d'attaques contre la lutte des travailleurs organisés en syndicats. L'objectif visé est l'augmentation des profits des entreprises de la construction au détriment des travailleurs et du public.

En abaissant les standards de formation des travailleurs pour qu'ils deviennent grutiers et en mettant les entreprises en charge de la formation, directement sur les chantiers, on accroît la concurrence entre les travailleurs pour le travail disponible et le danger de blessures et de morts au travail. Les travailleurs subiront une pression plus forte de la part des employeurs pour accomplir des tâches dangereuses et même illégales sous la menace de ne pas être rappelés au travail lors du prochain contrat.

Tous savent que les compagnies qui vont maintenant être responsables de la formation des grutiers vont accroître la pression sur eux pour qu'ils travaillent au noir, une pression qui est déjà omniprésente dans le secteur de la construction. Selon les travailleurs de la construction, les grutiers ont été parmi les rares travailleurs de la construction qui jusqu'à présent ont mis en échec ces activités illégales des entreprises. La formation professionnelle y était pour beaucoup car elle solidifiait les connaissances des travailleurs et les rendait plus confiants à agir selon leur conscience en refusant d'effectuer des travaux non sécuritaires et en déclarant ouvertement et légalement leurs heures de travail, avec le plein appui organisé du syndicat. La nouvelle réglementation est une déréglementation du métier de grutier, dans le cadre de la déréglementation progressive des métiers de la construction et de l'abaissement des conditions de travail. Le seul objectif de ces mesures est de servir ceux qui possèdent et contrôlent les grandes entreprises de construction et leur expropriation de la valeur que les travailleurs produisent.

Cette campagne et ces attaques de la CCQ contre les grutiers sont des actions socialement irresponsables qui violent les droits et mettent le public en danger. Les grues sont souvent utilisées dans des zones densément peuplées. Ces activités régressives de la CCQ et du gouvernement doivent être condamnées de façon très ferme par tous les travailleurs.

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Entrevue avec Richard Goyette, avocat du travail et ancien directeur général de la FTQ-Construction

Forum ouvier : Les grutiers du québec luttent fermement contre la nouvelle réglementation qui abaisse les exigences professionnelles requises pour devenir grutier. Cette réglementation crée un sérieux problème, en particulier en ce qui concerne la santé et la sécurité des travailleurs de la construction et du public. Quels sont les traits essentiels de cette lutte selon toi ?

Richard Goyette : Le débat peut se résumer à ceci. L'État agit de maniere plus que méprisante à l'endroit des travailleurs de la construction et du public. Il existait des conditions à la fin des années 1990 relativement à l'opération de grues qui tuaient des gens dans la construction et parmi le public. On a remédié à cela en instaurant une formation professionnelle obligatoire de 870 heures sous la forme d'un Diplôme d'études professionnelles (DEP) afin que chaque opération effectuée par le grutier soit sécuritaire pour lui, les autres travailleurs et le public. Cette réglementation a été très efficace dans la réduction des décès et des blessures dans ce métier. Et voilà maintenant que le gouvernement, au nom de la concurence, de l'accessibilité aux métiers de la construction, ou je ne sais quoi, revient à ces conditions-là qui tuaient et mutilaient des gens. Ils sont prêts, au nom de l' « économie », à revenir à ces conditions.

Ce mépris est d'autant plus grand que les deux chartes des droits et libertés, la fédérale et la québécoise, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, le Code civil, la Déclaration universelle des droits de l'homme, tout un stock juridique, disent qu'il faut faire attention à la personne. Qu'il faut permettre que les milieux de travail soient sains et sécuritaires. [1] Les gouvernements qui ont adopté ces lois et signé les déclarations disent que le droit ne compte plus et que ce qu'ils appellent « l'économie » passe par dessus tout.

Les travailleurs sont révoltés de cela. Il y a déjà 50 morts par année dans le secteur de la construction au Québec. Au lieu de sauver des vies, on veut rajouter des décès. C'est cela le vrai débat. Les travailleurs savent qu'ils ont raison. En droit ils ont raison. Mais ils n'ont pas les moyens de faire respecter ce droit à court terme. Comment résoudre ce problème est le problème auquel nous sommes confrontés.

Le gouvernement du Québec, dans ce dossier-là, essaie de jouer la carte du corporatisme parce qu'il n'a aucun appui sur rien pour passer ce règlement. Les travailleurs sont blâmés de s'intéresser uniquement à leur emploi à eux, avec l'appui des entreprises qui sont des employeurs de locations de grues. Mais ce secteur-là a été développé en respectant les règles. Les opérateurs de grues sont ceux qui déclarent le plus d'heures. Les grutiers ont même une liste de rappel. Le secteur est lié à l'enseignement professionnel. Selon le gouvernement, tout cela coûte trop cher, et le gouvernement a même une étude d'impact de la réglementation dans laquelle il est dit que l'abaissement de la réglementation va faire baisser la masse salariale de 1,9 million $. Cela veut dire qu'on va faire appel au travail au noir en permettant à n'importe qui de faire n'importe quoi. Les grutiers ont publié sur leur site web plein de photos qui montrent des camions-flèches qui ont versé récemment. Et on veut libéraliser encore plus la conduite de ces camions !

Alors, dans cet enjeu-là, on a la désobéissance civile au nom de valeurs supérieures, qui n'est même pas pour l'intérêt pécunier immédiat , qui est civilisée, face à un gouvernement qui ne l'est pas, qui est rétrograde. Si les gens prennent en main leur destin et celui de la collectivité contre ces politiques irresponsables et dangereuses, qui a raison ? On va leur donner des amendes ? On va casser leur syndicat ? Ce sont eux les bandits ? C'est le monde à l'envers. Le débat est là.

Note

1. À titre d'exemple, l'article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec dit : « Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. »

L'article 2087 du Code civil du Québec dit : « L'employeur, outre qu'il est tenu de permettre l'exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié. »

L'article 9 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail dit : « Le travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. »

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À propos du Diplôme d'études professionnelles (DEP) en formation de grutiers


Photo d'un camion-flèche renversé à Montréal, le 19 avril 2018, affichée sur la page Facebook des grutiers

En vertu du nouveau règlement mis en oeuvre depuis le 14 mai dernier, la formation professionnelle obligatoire des grutiers au moyen d'un DEP comprenant 870 heures de formation a été abolie. Elle est devenue facultative et le gouvernement et la Commission de la construction du Québec ont instauré une formation de 150 heures donnée directement sur le chantier par l'entreprise.


  Montage visuel sur la page Facebook de la FTQ-construction illustrant la différence entre la formation obtenue par le DEP et la formation sur le tas des grutiers

L'instauration de la formation professionnelle obligatoire dans ce métier de la construction en 1997 ne s'est pas faite par choix mais dans un contexte d'accidents mortels et de blessures sérieuses liés à l'opération de grues.

La FTQ-Construction rapporte qu'en 1994, devant le nombre alarmant d'accidents impliquant des grues, une table de concertation formée de la CSST (Commission de la santé et de la sécurité du travail) de la CCQ (Commission de la construction du Québec) du ministère de l'Éducation et des associations patronales et syndicales avait convenu d'imposer une formation obligatoire intitulée « Utilisation sécuritaire des grues » aux travailleurs actifs et aux nouveaux venus dans le métier.

Le contenu de cette mesure a été incorporé dans le DEP quand il a été créé en 1997. Depuis la création du DEP, on a dénombré, selon la FTQ-Construction, une baisse de 66 % du nombre de décès annuels impliquant une grue. De 1973 à 1997, ce nombre s'élevait en moyenne à 4,5 décès par année. Depuis 1997 jusqu'à aujourd'hui, il est passé à 1,5 par année, ce qui est encore inacceptable mais néanmoins très inférieur et montre que la formation doit être encore améliorée et certainement pas réduite ou démantelée. Les accidents non mortels impliquant l'utilisation d'une grue ont aussi beaucoup diminué avec la formation professionnelle.

Dans son mémoire présenté au gouvernement du Québec le 1er février 2018 intitulé « Mémoire portant sur les projets de règlements modifiant le Règlement sur la formation professionnelle de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction concernant le métiers de grutiers », le Collectif des grutiers décrit ainsi le contexte de l'époque.

Si nous résumons l'état de la situation qui prévalait à l'époque, nous retenons les éléments suivants :

1. Un grand nombre d'accidents s'est produit sur les chantiers de construction impliquant des appareils de levage ;

 2. Ces accidents ont causé des blessures et des décès, et pour un moindre mal, des dommages à du matériel, des véhicules et des immeubles ;

 3. Plusieurs de ces accidents ont mis directement en péril la vie de citoyens, qui en raison de leur travail ou de leur loisir, se trouvaient aux abords des chantiers de construction ;

 4. En raison de ces événements, la Commission de la santé et la sécurité du travail a, dans la mise en place de mesures pour remédier à cette situation, interpellé la Commission de la construction du Québec afin qu'une formation dite « Utilisation sécuritaire des grues » soit développée et dispensée à tous les opérateurs qualifiés et aux apprentis en exercice, et à tout nouveau candidat voulant intégrer le métier de grutier ;

 5. Suite à la production du « Plan d'action concernant l'utilisation sécuritaire des appareils de levage » produit par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le sous-comité professionnel des grutiers a adopté une résolution à cet effet ;

 6. En raison des travaux déjà entrepris par le sous-comité professionnel des grutiers, les membres du comité font spécifiquement référence au programme de formation professionnelle qui sera prochainement mis sur pied ;

 7. Le cours « Utilisation sécuritaire des grues » n'était qu'une mesure temporaire afin de pallier au plus urgent, jusqu'à ce qu'une formation professionnelle soit disponible et obligatoire pour les personnes voulant opérer un appareil de levage ;

 8. Le contenu de l'USG et bien plus ont été intégrés dans le contenu de la formation du DEP, afin que chaque opération opérée par le grutier soit sécuritaire pour lui, les autres travailleurs et le public.

[...]une fois le cours USG intégré dans le programme de formation professionnelle du grutier, dispensé par un centre de formation professionnelle, nul ne devait plus détenir un certificat de compétence apprenti sans être préalablement détenteur d'un DEP. C'est aussi pourquoi le contenu du DEP contient tout au long de la formation dispensée, des éléments de sécurité et pour cause.

C'est ce programme dont le caractère obligatoire vient d'être aboli sous prétexte qu'il est trop rigide, qu'il limite l'accès des travailleurs à tous les métiers de la construction ( c'est-à-dire qu'il réduit la concurrence entre les travailleurs) et qu'il est inefficace dans la lutte à la soi-disant pénurie de main-d'oeuvre, laquelle est une fraude qui vise à abaisser les conditions de travail des travailleurs de la construction.

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