Ce que veut dire « racisme systémique »
- Steve Rutchinski -
Manifestation à Toronto pour demander la fin de la
violence et de l'impunité policières,
et appuyer les manifestations aux États-Unis qui
réclament justice pour George Floyd,
le 6 juin 2010
En ce moment, l'expression « racisme
systémique » est utilisée à toutes les sauces
selon ce qui sert l'intérêt du moment. Mais
suggérer que le racisme est « systémique »,
c'est dire qu'il est partout et nulle part à la
fois, c'est imposer l'idée que la société doit
vivre avec lui.
Cette perfidie a débuté au Canada au début des
années 1990 lorsque le gouvernement
néodémocrate de Bob Rae a mandaté Stephen Lewis de
tenir une enquête sur les huit meurtres en quatre
ans de jeunes Noirs en Ontario. Cela a donné
naissance à la Direction générale de l'action
contre le racisme visant « à créer une société
plus inclusive et à prévenir, à cerner et à
éliminer le racisme systémique dans les
politiques, mesures législatives, programmes et
services du gouvernement ». Cette direction
générale a organisé des réunions partout en
Ontario centrées sur l'incapacité de régler le
problème du racisme institutionnel. En 1993,
à l'issue de cette enquête et d'une panoplie de
recommandations, l'Assemblée législative
ontarienne a mis sur pied la « Commission sur le
racisme systémique dans le système de justice
pénale en Ontario ». Dans une lettre, les six
membres de la Commission ont invité les «
communautés touchées par cette enquête » à
donner leurs opinions sur ce qui devait être
étudié, ainsi que sur les solutions proposées aux
problèmes.
La Commission a dit que son objectif était
d'examiner « l'étendue du racisme systémique dans
le système de justice pénale de l'Ontario et faire
des recommandations afin de l'éliminer là où il
est identifié ». Elle avait aussi le mandat
d'examiner « la procédure, les pratiques, et les
politiques dans les institutions du système de
justice pénale en Ontario qui pourraient être la
cause du racisme systémique ou le refléter ».
Elle devait cibler le « racisme à l'endroit de la
population noire dans les communautés urbaines, en
se penchant particulièrement sur la situation des
femmes et des jeunes, tout en tenant compte de la
vulnérabilité de toutes les communautés de
minorités raciales ». Elle précisait
clairement qu'elle n'avait aucune autorité à
enquêter sur « les allégations individuelles de
méfaits ».
La Commission a défini le « racisme
systémique » comme étant des « procédures et
pratiques, certaines, non intentionnelles, qui
désavantagent et discriminent les minorités
raciales ». Dans une note de bas de page au
sujet de cette définition, elle ajoute : « Le
terme minorité raciale fait partie des points de
référence de la Commission. Celle-ci reconnaît que
beaucoup de gens le trouvent inapproprié. »
La définition de racisme systémique de la
Commission remet en question sa propre existence
et ses propres termes de référence. Elle a été
obligée d'abandonner le terme « minorité
visible » qui avait été utilisé dans
l'enquête présidée par Stephen Lewis en juin 1992
et qui paraissait encore plus offensant à cette
époque. La définition officielle de « minorité
visible » dans le Livre vert sur
l'Immigration de 1975 est « de personnes,
autres que les Autochtones, qui ne sont pas de
race blanche ou qui n'ont pas la peau
blanche ». N'en demeure pas moins que la
Commission définissait les individus en fonction
de la couleur de la peau, ce qui veut dire qu'elle
aussi utilisait une terminologie que les gens
trouvent « inappropriée » précisément parce
qu'ainsi, ils sont définis comme étant autre chose
que des membres du corps politique ayant des
droits égaux.
En institutionnalisant des concepts comme «
minorités visibles » et « minorités
raciales » par le biais de lois et de
diverses agences et commissions, la notion a été
ancrée dans la société qu'il existe des « droits
des minorités » et des « droits de la
majorité » et qu'entre eux il y a une tension
constante. L'État se présente comme le défenseur
des « droits des minorités ». Une société
démocratique ne reconnaît pas ce genre de
catégories de droits. Au contraire, elle reconnaît
des citoyens qui ont tous les mêmes droits et
responsabilités, sans égard au sexe, à la race, à
l'origine sociale, à la richesse, à l'habileté, à
la religion, à l'origine nationale, à la croyance,
etc. Tous sont égaux devant la loi.
La Commission provinciale mise sur pied
en 1993 tentait de donner l'impression qu'il
est difficile de confirmer si un individu est
traité différemment devant la loi, par exemple en
ce qui a trait à la durée d'une peine
d'incarcération ou à une libération sous caution.
Tout visait à cacher qu'il ne peut y avoir que
deux possibilités : soit que les lois et
procédures sont tellement arbitraires que les
responsables de la justice peuvent administrer la
« justice » sans véritables critères établis,
ou que l'État viole les droits des citoyens avec
impunité et que les individus sujets à de telles
violations subissent diverses entraves lorsqu'ils
tentent d'obtenir réparation. Lorsque la
réparation est niée, c'est la justice qui est
niée.
(Sources : Archives du
CRHB, Présent et Avenir 1993. Photo: Xtine
Cameron)
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