L'intensification des exercices de guerre durant la COVID-19

L'écrasement d'un Snowbird

Le 17 mai, un avionTutor de l'Aviation royale canadienne (ARC) s'est écrasé dans un quartier résidentiel près de Kamloops, en Colombie-Britannique. Il faisait partie de l'escadron de démonstration aérienne des Forces canadiennes, les Snowbirds, en tournée de relations publiques pancanadienne. Du nom d'Opération Inspiration, la tournée a été lancée le 2 mai en Nouvelle-Écosse, en pleine pandémie mondiale de la COVID-19 et immédiatement après l'Opération America Strong des Thunderbirds des Forces aériennes américaines qui a été débuté à la mi-avril dans l'État du Colorado, où siège NORAD.[1]

L'accident a coûté la vie à la capitaine Jennifer Casey, une jeune officière des affaires publiques avec les Forces armées canadiennes et NORAD. Le pilote, pour sa part, a survécu après s'être éjecté. Le 24 mai, l'ARC organise une procession commémorative publique dans les rues de Halifax, en Nouvelle-Écosse, sa province d'origine. Il n'y a pas eu de tels hommages publics pour les cinquante aînés qui sont décédés de la COVID-19 au manoir Northwood, la résidence de soins de longue durée à but lucratif située dans cette même ville.

La tournée des neuf chasseurs organisée par le ministère de la Défense nationale devait être un divertissement pour « remonter le moral ». Le 29 avril, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré : « Lorsque nous regarderons les Snowbirds survoler nos maisons, souvenons-nous que nous traversons tout cela tous ensemble ». La tournée a été promue avec zèle par les médias monopolisés, alors qu'au lancement de la tournée à Halifax en mai, CBC-TV montrait en primeur des images vidéo prises de l'intérieur d'un chasseur. Mais selon le ministère de la Défense nationale et contrairement aux prétentions du premier ministre, les Snowbirds sont avant tout un « important outil de relations publiques et de recrutement ».

Le 22 avril, le président des États-Unis Donald Trump a annoncé un programme panaméricain de spectacles aériens mettant en vedette les USAF Thunderbirds et les Blue Angels de la marine américaine. « Ce que nous faisons c'est rendre hommage à nos travailleurs de la santé aux premières lignes dans la lutte contre la COVID-19. Et c'est vraiment un signal pour tous les Américains d'être vigilants pendant cette pandémie. C'est un hommage qu'on leur rend, à nos guerriers. Parce qu'ils sont des guerriers au même titre que ces pilotes incroyables et tous les combattants que nous avons dans les combats plus traditionnels que nous gagnons et nous sommes gagnants. »

Conjointement, le 27 avril, des avions de combat américains et canadiens sous le commandement du NORAD ont participé à un exercice de guerre au-dessus de la région métropolitaine de Toronto, un des principaux foyers du virus. Le 29 avril, la Presse canadienne a reconnu que « certains Canadiens ont pris d'assaut les réseaux sociaux mercredi pour remettre en question la nécessité de ces vols, compte tenu du fait qu'un grand nombre de gens continuent de lutter contre la COVID-19 et d'en mourir. Ces critiques reflétaient celles dirigées contre la décision des forces militaires américaines de déployer leurs équipes de Blue Angels et de Thunderbirds. »

NORAD est dirigé par le Commandement du Nord du Pentagone en tant que partie intégrante de la Sécurité intérieure des États-Unis. Pour donner un aperçu de comment le déploiement de forces militaires américaines est un sujet sensible, même si l'opération était censée être sous un « contrôle binational », NORAD s'est senti obligé de tout faire pour rassurer le public que cet exercice était indépendant de tout programme canadien. « Cette activité de formation n'est liée d'aucune façon à la réponse du gouvernement du Canada à la COVID-19 », a-t-il été annoncé dans un communiqué de presse, qui encourageait les résidents à lever les yeux vers le ciel et à admirer les chasseurs en action.

Selon NORAD, les chasseurs américains travaillaient avec le secteur de la défense aérienne canadienne de la 22e Escadre North Bay, en Ontario, et le contrôle du trafic aérien civil dans la région de Toronto pour « pratiquer des opérations d'entraînement dans un espace aérien de forte densité ». Le tout a été organisé dans le cadre de l'Opération Noble Eagle qui se concentre sur la surveillance et le contrôle de l'espace aérien au-dessus du Canada, et a duré de 10 h à 11 h 30 le matin. « En s'assurant que l'espace aérien était dégagé, NORAD a pu mener son opération dans ce qui est normalement un espace aérien de forte densité. »

On n'explique pas pourquoi il en a été ainsi, pourquoi pendant cette période et pourquoi sur l'heure du midi au-dessus de la plus grande ville du Canada.[2]

Leurs chasseurs CF18-Hornets sont partis de la 3e Escadre Bagotville, au Québec, et se sont envolés vers Toronto. Les contrôleurs de NAV CANADA au centre de contrôle aérien de Toronto ont ouvert la voie aux chasseurs à réaction en maintenant les autres aéronefs à l'écart de la zone d'opérations réglementée. « Cette zone est un espace aérien préétabli qui permet aux aéronefs du NORAD d'effectuer des missions militaires telles que le ravitaillement en vol, la surveillance et les scénarios d'entraînement, sans interférence. »

L'exercice faisait partie d'une série d'exercices qui ont été peu publicisés. Le 23 avril, NORAD a mené « un exercice de défense aérienne binationale près de la frontière des États-Unis et du Canada pour renforcer l'interopérabilité et maintenir nos capacités de réaction rapide pendant la réponse à la COVID 19 ». La zone frontalière n'a pas été rendue publique, mais l'exercice a eu lieu alors que le 26 mars la vice-première ministre Chrystia Freeland affirmait d'un ton ferme, au nom de la souveraineté, les objections du gouvernement canadien face au stationnement de troupes américaines sur la frontière tel que proposé par Trump. « Ce que nous avons dit est 'Nous ne croyons pas du tout que la santé publique serve de justification pour que vous entrepreniez une telle action' » et « Nous ne prenons pas d'ordres de personne », a-t-elle dit.

De telles bravades ne servent pas à grand-chose si ce n'est que de faire oublier les autres exercices militaires transfrontaliers. Le 13 mai, des CF-18 Hornets et un CC-150 Polaris de ravitaillement en vol ont « mené une patrouille dans le nord du Canada » sans rendre public l'endroit ni la raison de l'exercice, ni invoquer la « santé publique » comme justification.

Trump a aussi annoncé que le 4 juillet il compte organiser un spectacle aérien comme ceux du mois d'avril. L'événement qu'il avait organisé l'an dernier a mis en vedette un déploiement militaire qui a coûté 2,5 millions de dollars.

Dans le vaste éventail de déploiements militaires pendant une crise de la santé publique et, dans le même contexte, les spectacles aériens des Snowbirds, on retrouve constamment la métaphore véhiculée par Trudeau et Trump d'être « en guerre », tandis qu'ils mettent sur un pied d'égalité le personnel militaire et les professionnels de la santé en tant que « héros » et « guerriers ». En ce sens, les militaires font partie de l'agence dirigeante durant la crise de santé publique à la fois au Canada et aux États-Unis. Aux États-Unis, près de 64 000 troupes ont été déployées. Au Canada, des troupes ont été déployées dans les résidences pour aînés — près de 1 700 membres des Forces armées canadiennes ont été déployés dans près de 30 résidences pour aînés, soit 25 CHSLD au Québec et cinq en Ontario, plus que les 1 400 du début— et dans les communautés autochtones. Aussi, près de 2 000 soldats sont déployés dans 20 missions militaires outremer tandis que le Canada continue de participer dans les exercices militaires provocateurs de l'OTAN en Europe et dans la Méditerranée. Le désastre de l'écrasement d'un hélicoptère Sikorsky Cyclone sur le HMCS Fredericton dans la mer Ionienne le 28 avril et la propagation du coronavirus parmi les Forces armées ont relativement été passés sous silence et il en va de même pour le déploiement de navires de guerre canadiens qui participent aux exercices de guerre RIMPAC qui doivent se tenir à proximité d'Hawaï et dans le Pacifique au mois d'août, le plus grand exercice de guerre maritime au monde.

La propagande menée pour Opération Inspiration vise autant les rangs militaires que le public, tout comme l'engagement d'inspecter les aéronefs vieux de 57 ans utilisés par les Snowbirds. Les inquiétudes au sujet de la sécurité du personnel des forces armées face au coronavirus sont à la hausse, surtout dans la marine où la revendication juste et légitime de rapatrier les troupes se fait maintenant entendre.[3] Sept membres du personnel ont perdu la vie en vain durant une période de deux semaines et un autre soldat a perdu la vie en juin dernier lors d'un exercice de parachutage mené par les États-Unis dans le cadre d'un exercice de l'OTAN en Bulgarie. À ce moment-là aussi on a promis une enquête. La culture du secret est telle que le Pentagone, suivi de près par le ministère canadien de la Défense nationale, a imposé une interdiction draconienne sur la publication de statistiques sur les infections dans les rangs des forces armées. Cette mesure va de pair avec une offensive idéologique visant à la fois le personnel des forces armées et le public comme quoi il faut maintenir « l'équilibre entre la santé et la sûreté et la sécurité » au moment où les préparatifs de guerre et l'insécurité des peuples du monde s'intensifient. La prémisse qui sous-tend tous les appels à l'intégration complète des Forces armées canadiennes à la machine de guerre américaine est que défendre la sécurité c'est « maintenir » la « patrie » nord-américaine « libre et prospère » - c'est-à-dire, contre tout ce qui menace le règne des oligopoles sous l'influence des impérialistes américains, une approche de la sécurité qui est totalement dépourvue d'une conception moderne axée sur l'être humain.

C'est une situation dangereuse. Les déclarations du président Trump qu'il pourrait appeler les militaires à distribuer les vaccins laissent présager l'application de la loi martiale face au coronavirus. La loi martiale pourrait aussi être invoquée sous prétexte de l'éclosion de la COVID-19 en Chine et dans d'autres pays étrangers et ses répercussions continues possibles sur les États-Unis pendant les élections américaines. En d'autres mots, les militaires, plutôt que les autorités civiles de la santé du pays, prendraient en charge la santé, ce qui est déjà en partie ce qui se produit. Notamment, en mars, le gouvernement Trudeau examinait les pouvoirs contenus dans la Loi sur les mesures d'urgence, une législation qui autorise le recours sans restriction aux pouvoirs militaires et de la police, au nom de protéger le public de la pandémie.

En dépit d'inquiétudes grandissantes sur la sécurité du programme des Snowbirds, le ministre de la Défense, Harjit Saijan déclare qu'il compte le continuer.[4]

Il est temps de tirer les conclusions qui s'imposent sur la nature de l'intégration du Canada à la machine de guerre américaine. L'alliance militaire NORAD est toujours décrite comme étant responsable de la défense de l'Amérique du Nord, mais, tout comme l'OTAN, il s'agit d'une alliance militaire agressive.

Note

1. Jusqu'à tout récemment, nous entendions que NORAD est « l'organisation militaire binationale la plus puissante au monde » (et non seulement militaire). Le site web de NORAD se vante de défendre « les États-Unis continentaux » et la « patrie en tant que mission sacrée ». Le NORAD définit notre pays comme étant « la région canadienne ». NORAD répond spécifiquement au Commandement du Nord, partie intégrante de la Sécurité intérieure des États-Unis. Sur son site web, NORAD se vante d'être « en tête » quant au déploiement américain de 19 000 troupes et de 45 000 membres de la Garde nationale. Chaque État, trois territoires et Washington ont placé en service actif du personnel de l'armée et de la garde nationale aérienne. En vertu de la constitution américaine, tous les commandants militaires américains sont subordonnés au commandant-en-chef des Forces armées américaines, le président des États-Unis. En fait, cela veut dire qu'en vertu du traité du NORAD, Donald Trump est le commandant-en-chef des Forces armées canadiennes — l'homme face à qui, selon les médias, la politique de Trudeau serait différente, voir même dirigée contre lui ! 

Pour un historique plus approfondi, voir « Le 60e anniversaire du NORAD - Démanteler le NORAD est plus urgent que jamais », LML, 2 juin 2018

2. Noble Eagle a été lancé au lendemain du 11 septembre. Rompant avec la tradition militaire, les gestionnaires de la perception se sont chargés de nommer les guerres. À l'origine, le choix des noms de code militaires était une question de sécurité. Dans la façon actuelle des États-Unis de mener la guerre, cependant, les noms de code militaires font partie d'une stratégie de « marketing ». Il y a eu Opération Noble Eagle, Opération Valiant Strike, Opération Provide Comfort, Opération Enduring Freedom, Opération Uphold Democracy, Opération Iraqi Freedom et, maintenant, Opération Reassurance, Opération American Strong et Opération Inspiration.

3. Parlant de l'incident du USS Roosevelt, où près de 1 000 marins ont été infectés par le virus, Scott Taylor, éditeur et rédacteur de Esprit de Corps, écrivait le 22 avril: « La leçon que la Marine royale canadienne devrait tirer de cet incident, c'est que puisque nous ne sommes pas en guerre et que le virus, lui, est réel, la sécurité de nos marins doit l'emporter sur les engagements opérationnels ». « Faites de la sécurité du personnel pendant la crise du coronavirus une priorité », dit-il, tel que cité dans le Hill Times, 22 avril 2020.

4. Dès 2003, une étude du ministère de la Défense nationale signalait : « Chaque nouvelle année, le risque technique, sécuritaire et financier associé à prolonger la vie des Tutor au-delà de la cinquième décennie augmentera. Ces risques sont importants. » Citation de Michael Byers, « Les Snowbirds — cloués au sol », National Post, 12 mai 2014.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 36 - 27 mai 2020

Lien de l'article:
L'intensification des exercices de guerre durant la COVID-19: L'écrasement d'un Snowbird - Tony Seed


    

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