Les renards dans le poulailler - qui décide où va l'argent de l'aide gouvernementale?

Dans le sillage de la pandémie de la COVID-19, certains secteurs de l'économie aux États-Unis et au Canada seront arrosés de billions de dollars en fonds de sauvetage. Étant donné que ce sont des fonds publics détenus par les gouvernements, la question se pose : qui décide où et à qui vont ces sommes d'argent ?

C'est logique que les travailleurs, les professionnels et les petites et moyennes entreprises jouent un rôle central à cet égard, étant donné leur implication critique dans la création de la valeur dans l'économie et qu'ils constituent presque l'ensemble de la population de l'Amérique du Nord. Mais ils n'ont pas ce rôle. Au lieu de cela, le pouvoir et l'autorité en cette matière ont été transférés à un petit groupe de mégabanques privées et de financiers.

Par exemple, le Trésor américain, qui assumera le financement du sauvetage aux États-Unis, est une institution publique qui est censée répondre au Congrès. Pourtant, pour une grande partie du sauvetage, l'administration Trump a retiré l'autorité au Trésor américain et l'a confiée aux banques privées de la Réserve fédérale. À leur tour, les banques de la Réserve fédérale ont nommé BlackRock, le plus grand gestionnaire d'actifs privé et la plus grande société du système bancaire « parallèle » au monde, pour superviser des pans entiers du plan de sauvetage et pour décider quelles entreprises et institutions doivent subsister ou périr.

Cependant, ni la Réserve fédérale ni BlackRock ne seront responsables des risques associés aux prêts de sauvetage, quelle que soit leur qualité. Tous les risques et le soutien aux entreprises en faillite incomberont au Trésor américain et, par extension, au peuple américain.[1] Ce n'est pas un problème mineur. Avec BlackRock et d'autres institutions financières à la barre, qui va bénéficier de ces sauvetages d'entreprises sélectionnées qui s'élèveront à 4,5 billions de dollars (ou selon certaines estimations encore plus) ? Est-ce que ce seront ces entreprises « zombies » fortement endettées qui ont déjà été renflouées ou qui ont des liens avec l'administration Trump ou BlackRock ? Est-ce que ce seront les entreprises qui ont profité des faibles taux d'intérêt pour dépenser des billions de dollars en rachats d'actions (enrichissant ainsi les PDG et les actionnaires) au lieu d'investir dans leurs travailleurs et leurs installations de production ? Ou est-ce que ce seront ces oligarques qui ont délocalisé une grande partie de leurs opérations vers d'autres pays ou qui ont émis des milliards d'obligations de pacotille ? Il semble qu'un bon nombre de ces entités choisies et leurs PDG seront largement récompensés, tandis que le peuple américain essaie de survivre avec un maigre versement de 1 200 $ et des prestations limitées d'assurance-emploi.

En ce qui concerne BlackRock, elle gère actuellement un actif colossal de 7 000 milliards de dollars, ainsi que 20 000 milliards de dollars supplémentaires grâce à son logiciel de surveillance des risques financiers. Bien qu'elle soit de loin le plus grand gestionnaire d'actifs et la plus grande « banque fantôme » au monde, BlackRock n'est pas soumise au même contrôle réglementaire que les autres entités financières.[2] Les administrations démocrates et républicaines, y compris la présente administration Trump, ont permis à cette situation de perdurer pendant des années.

BlackRock a amassé une grande partie de sa fortune dans les années 1990 et au début des années 2000 en jouant un rôle clé, avec d'autres institutions financières, dans la promotion des titres adossés à des créances hypothécaires. Ce sont ces mêmes titres toxiques qui ont empoisonné le système bancaire et entraîné d'innombrables saisies de maisons, de faillites et d'expulsions lors de la crise financière de 2008, et beaucoup de souffrances pour le peuple américain. Et le plus honteux dans tout cela est que les démocrates et les républicains ont ensuite permis à BlackRock de « nettoyer » ce gâchis toxique en l'autorisant à remettre des milliards de dollars de fonds publics à des banques, des fonds spéculatifs et d'autres institutions financières choisis, et à empocher dans le cours du processus des millions de dollars.

En 2020, il semble qu'encore une fois l'histoire se répète mais à une échelle encore plus grande. Ce sont les intérêts financiers privés, et non le peuple américain, qui décident quoi faire avec des billions de dollars de deniers publics. Pourtant, le peuple américain sera responsable de tous les prêts qui font défaut et de toutes les obligations et titres à risque qui auront été achetés.

Il est intéressant de noter que, depuis les sauvetages de 2008 et les autres qui ont suivi, les actifs gérés par BlackRock sont montés en flèche, passant de 1,3 billion à 7,4 billions de dollars aujourd'hui, tandis que l'avoir net de la majorité des Américains a stagné ou a chuté.[3]

S'exprimant sur la pratique notoire de BlackRock qui consiste à vendre aux investisseurs des obligations à haut risque et à les dénaturer en les présentant comme des fonds négociés en bourse (« FCB ») à « haut rendement », l'oligarque de Wall Street Carl Icahn a qualifié BlackRock d'« entreprise extrêmement dangereuse » et a affirmé que la mafia « avait un meilleur code d'éthique ».[4] D'autres observateurs de l'establishment ont exprimé leurs craintes qu'il y ait un risque de conflit d'intérêts énorme en cédant à BlackRock le pouvoir de décider quelles entreprises et quels secteurs recevront des fonds de sauvetage, étant donné qu'elle aura probablement des intérêts et des investissements dans les mêmes sociétés et les FCB qui doivent être renfloués (comme ce fut le cas en 2008). Certains ont tenté de faire valoir que BlackRock facturera des frais relativement bas pour les transactions qu'elle fournira. Mais cet argument perd de vue que c'est dans les pouvoirs discrétionnaires de BlackRock de choisir les gagnants et les perdants que résident son véritable pouvoir et sa poule aux oeufs d'or.[5]

Alors en quoi tout cela concerne-t-il le Canada ? Le 27 mars, la Banque du Canada a annoncé qu'elle lançait un Programme d'achat de papier commercial qui « contribuera à alimenter les flux de crédit à l'économie » en achetant du « papier commercial – y compris adossé à des actifs – émis par des entreprises canadiennes ainsi que des municipalités et organismes provinciaux ». Lors d'une mise à jour de cette annonce, la Banque du Canada a annoncé que BlackRock fournira « des services-conseils » en appui au programme de la Banque du Canada. En plus, le groupe Gestion de Placements TD a été retenu en tant que gestionnaire d'actifs et CIBC Mellon comme dépositaire.[6] Il convient également de noter qu'au début de l'année dernière, BlackRock et la Banque Royale ont annoncé un partenariat pour établir un nouveau FCB au Canada.

Il reste à voir quels conflits d'intérêts résulteront de tout ce qui précède. Mais cela révèle également à quel point l'oligarchie financière au Canada, ainsi que l'État canadien lui-même, s'est intégrée dans une économie nord-américaine dominée par les sociétés mondiales américaines.

La situation montre également que le système économique au Canada et aux États-Unis n'est pas le capitalisme classique, mais plutôt le capitalisme monopoliste d'État, où les entreprises géantes sont régulièrement soutenues par des fonds publics et où les frontières entre l'État et l'oligarchie financière sont pratiquement inexistantes.

Cela est amplement démontré lorsque les partis politiques du Congrès américain et du Parlement canadien permettent que la surveillance de ces sauvetages massifs financés par les deniers publics soit mise entre les mains de BlackRock et d'autres institutions financières privées avec peu ou pas d'objection.

Des questions doivent être posées. Premièrement, pourquoi BlackRock de toutes ces institutions devrait-elle se voir accorder une telle autorité et influence par le Congrès américain et le Parlement canadien étant donné ses antécédents ? Et deuxièmement, pour aborder la situation dans son ensemble, pourquoi les grandes banques privées et les oligarques financiers aux États-Unis et au Canada devraient-ils avoir tant de pouvoir sur la destination des fonds publics, en particulier lorsque nous sommes confrontés à une récession extrêmement grave qui pourrait secouer les fondements mêmes de l'économie mondiale ? Où se trouve la volonté du peuple dans cette équation ? L'intérêt privé doit-il supplanter le bien public ?

Encore, il semble que de nouveau les renards se verront confier la responsabilité de gérer le poulailler. Il faut une meilleure voie vers l'avant.

Notes

1. « Weimar America, here we come ! Virus hysteria adds $10 trillion to the national debt », Mike Whitney, Information Clearing House, 12 avril 2020

2. « BlackRock takes command », Joyce Nelson, Counterpunch, 8 avril 2020

3. « Why BlackRock has a role in the Fed bond-buying spree : Quick take », Annie Massa, Bloomberg, 25 mars 2020

4. « Icahn called BlackRock 'An extremely dangerous company' ; the Fed has chosen it to manage its corporate bond bailout programs », Pam Martens et Russ Matens, Wall Street on Parade, 30 mars 2020

5. « Fed releases details of BlackRock deal for virus response », Matthew Goldstein, New York Times, 27 mars 2020

6. « Mise à jour : La Banque du Canada introduira un Programme d'achat de papier commercial », Banque du Canada, 27 mars 2020


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 31 - 10 mai 2020

Lien de l'article:
Les renards dans le poulailler - qui décide où va l'argent de l'aide gouvernementale? - Peter Ewart


    

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