167e anniversaire de la naissance
de José Martí
José Marti, essentiel à notre Amérique
- Yolanda Machado -
Marche à la chandelle à l'Université de La Havane
en hommage au 167e anniversaire de naissance de
José Marti le 28 janvier 2020
Quiconque parle d'union économique parle d'union
politique. Le pays qui achète est celui qui
décide, le pays qui vend est celui qui doit se
plier. Les échanges commerciaux doivent être
équilibrés pour garantir la liberté. Le pays qui
court à sa perte ne vend qu'à un seul pays et le
pays qui s'en sortira vend à plus qu'un pays.
L'influence indue d'un pays sur le commerce d'un
autre devient de l'influence politique.
- José Marti, 1891.
Le 28
janvier 2020 est le 167e anniversaire de
la naissance de José Marti, le héros national de
Cuba, l'architecte de la guerre de 1895 et le
penseur critique de « la nouvelle
république » qui serait établie à Cuba après
son indépendance, une république « pour tous et
pour le bien-être de tous », qui sera
essentielle pour freiner l'expansionnisme de son
voisin au nord.
On peut dire qu'un siècle et demi après sa
naissance, il est primordial d'étudier José Marti
si vous voulez savoir quel est le processus et
l'importance de l'unité en Amérique latine, ses
origines, son histoire, ses acteurs, son contexte
et les formes et manières plus spécifiques de la
recherche de cette union.
José Julian Marti Perez est né à La Havane
le 28 janvier 1853 et a eu une enfance
marquée non seulement par les besoins pour
subvenir à sa famille mais par la réalité de Cuba
en tant que colonie espagnole. Au début, il était
politiquement actif et engagé avec ses amis et son
professeur Rafael María de Mendive, dans des
complots pour libérer Cuba.
À 15 ans, il est condamné à une peine de
prison dans les carrières de San Lazaro à La
Havane pour son militantisme politique, après quoi
il est banni puis déporté en Espagne en 1871. Son
premier écrit majeur « Emprisonnement politique à
Cuba » est né de cette expérience. Au cours
des années suivantes, il a voyagé dans plusieurs
pays des Amériques, dont un retour à Cuba à la fin
de la Guerre de dix ans, d'où il a de nouveau été
déporté. En 1881, il s'installe de manière plus
stable à New York, où il intensifie son travail
pour l'indépendance.
José Marti et l'unité de l'Amérique latine
Qui aujourd'hui étudie Marti ? Il n'est
certainement le seul de son époque ni même parmi
ceux qui l'ont précédé (Bolivar étant le plus
important), à voir la nécessité de l'unité de
l'Amérique latine mais on peut dire qu'il est l'un
des penseurs les plus influents dont les efforts
dévoués à la politique et à la vision du monde de
notre Amérique ont agi comme un véhicule qui a
conduit à l'indépendance de Cuba - ainsi qu'à
produire des journalistes critiques - et dont la
pensée se retrouve maintenant dans des articles
publiés dans plusieurs journaux en langue
espagnole de l'Amérique du Sud , en particulier
dans La Nacion de Buenos Aires.
Plusieurs aspects ont sans aucun doute influencé
la conception latino-américaine de José Martí,
mais il a certainement été fortement influencé par
son séjour dans plusieurs pays du continent, en
particulier au Mexique et au Guatemala, comme l'a
noté le professeur et historien cubain Pedro Pablo
Rodríguez, et par l'étude de leurs cultures et de
leurs histoires, ainsi que par son séjour
d'environ 15 ans aux États-Unis
entre 1881 et 1895. Ce dernier est au
coeur de la compréhension de l'oeuvre de Marti,
parce que les événements qu'il allait vivre et
passer en revue, allaient faire de son oeuvre une
pause de réflexion incontestable sur l'histoire et
les défis de l'unité en Amérique latine.
L'« âge du Toc » des États-Unis
(environ 1865 à 1901) a été une période
de plusieurs changements durant lesquels les
États-Unis sont devenus une énorme puissance
industrielle, de nouveaux partis ont vu le jour,
l'émergence de l'organisation du mouvement des
travailleurs et fermiers qui va de pair avec
l'industrialisation, le parachèvement du réseau
ferroviaire et de l'expansion intérieure du pays,
ce qui a ajouté de nouveaux États à l'Union et
l'élimination des peuples autochtones dans l'ouest
du pays par ce qui a été appelé les guerres contre
les Indiens.
Une société moderne florissante a été créée mais
elle a également donné lieu à des bouleversements.
Il n'a pas fallu longtemps à Martí pour voir qu'il
y aurait un besoin de plus en plus pressant pour
ce pays d'élargir ses marchés, et que l'expansion
se ferait presque naturellement vers ses voisins
d'Amérique du Sud. Un tel contexte se retrouve
dans les idées de Henry Clay, président de la
Chambre des représentants des États-Unis, qui
en 1820 avait exprimé son enthousiasme pour
une « ligue de la liberté humaine » des États
américains dans le but d'unir « toutes les nations
de la baie d'Hudson à Cap Horn » et quelques
années plus tard, en 1823, la célèbre
doctrine Monroe, « l'Amérique aux
Américains » par laquelle les États-Unis
cherchaient à affirmer leur domination sur cette
partie du monde face à l'Europe.
Il importe de noter qu'au sein des forces qui
représentent la politique américaine cette idée de
« l'américanisme » ou «
panaméricanisme » n'était pas une vision
unanimement appuyée dans la politique américaine.
Alors
que certains préconisaient des échanges
commerciaux
semblables à une union douanière, d'autres, des
industries protectionnistes convaincues,
cherchaient à maintenir
des tarifs élevés pour les produits importés.
Cependant, les États-Unis doivent garantir les
échanges
commerciaux et ne voient pas d'un oeil favorable
les incursions
commerciales de puissances européennes dont la
Grande-Bretagne,
qui ont entretenu des relations amicales avec
plusieurs anciennes
colonies espagnoles d'Amérique, avec lesquelles
elles ont des
liens étroits.
Depuis 1881, des efforts pour organiser ce
qui serait la première Conférence internationale
des États américains à Washington étaient déjà en
cours par le secrétaire d'État de l'époque, James
G. Blaine, qui occuperait le même poste et
dirigerait ces efforts vers la fin de cette
décennie.
Par l'adoption d'une loi en 1888, le Congrès
des États-Unis a autorisé le président de cette
nation à appeler à la tenue « d'une conférence
entre les États-Unis et les républiques du
Mexique, d'Amérique centrale et du Sud, d'Haïti,
de Saint-Domingue et de l'empire du Brésil »
dont les objectifs étaient, entre autres, des «
mesures en vue de la formation d'une union
douanière américaine dans le cadre de laquelle le
commerce des nations américaines entre elles sera
encouragé, dans la mesure du possible et
rentable » et « l'adoption par chacun
des gouvernements d'une pièce de monnaie commune
en argent, utilisée dans les transactions
commerciales réciproques des citoyens de tous les
États d'Amérique », selon l'annonce lue.
Cependant, le jeune journaliste et
révolutionnaire cubain, qui a également été consul
d'Argentine, de l'Uruguay et du Paraguay à
l'occasion, a écrit dans ses chroniques que la
nécessité de mettre fin à cet expansionnisme était
urgente, car en tant que républiques
latino-américaines naissantes, elles n'avaient pas
eu le temps de s'affirmer pour que la relation
soit d'égal à égal.
En 1884, la revue mensuelle « The
American » publie ce qui suit : « Il y a
à la fois un danger et un avantage à une relation
intime et inévitable entre deux sections des
Amériques. Cette intimité est tant à portée de la
main, et peut-être sur certaines questions si
écrasantes qu'il y a peu de place et de temps pour
se lever, voir et parler. »
La conférence alla d'octobre 1889 à
avril 1890, avec des réunions et des pauses
successives. Dans un numéro du 2 novembre du
journal argentin La Nacion, Martí a
écrit :
Jamais en Amérique, depuis son indépendance
jusqu'à nos jours, il n'y a eu une question qui
nécessite plus de bon jugement ou plus de
vigilance, ou qui exige un examen plus clair et
plus approfondi, que l'invitation des puissants
États-Unis (débordant de marchandises
invendables et déterminés à étendre leurs
dominions en Amérique) envoyée aux nations
américaines les moins puissantes (liées par le
commerce libre et utile avec les nations
européennes) dans le but de conclure une
alliance contre l'Europe et mettre fin aux
transactions avec le reste du monde. L'Amérique
espagnole a appris à se sauver de la tyrannie de
l'Espagne ; et maintenant, après avoir
examiné avec des yeux judicieux les antécédents,
les motifs et les ingrédients de l'invitation,
il est essentiel de dire, car c'est vraiment le
cas, que le moment est venu pour l'Amérique
espagnole de déclarer sa deuxième indépendance.
Cette conférence n'a pas atteint son objectif
principal, soit l'union douanière, mais a servi de
terrain pour que se manifeste la vision du monde
des pays du Sud, en particulier de l'Argentine, et
surtout la réponse donnée à plusieurs des
propositions faites ainsi que la réponse à «
l'Amérique pour les Américains » par,
finalement, le slogan « l'Amérique pour
l'humanité ».
« Lorsque le délégué argentin Sáenz Pena, en
remettant en question l'union commerciale, a
conclu son discours par la phrase Que l'Amérique
soit pour toute l'humanité, ils se sont tous
levés en signe d'appréciation et ont tendu la
main. » (José Martí dans La Nacion, 31
mars 1890)
Dans son livre intitulé Al sol voy, Glimpses
of Martí politics, Pedro Pablo Rodríguez a
déclaré que « l'unité latino-américaine est donc
une conséquence logique de l'anti-impérialisme de
Marti, ou mieux, est l'envers de cette médaille,
en raison de l'étroite interdépendance des deux
aspects de sa pensée. »
En 1891, Martí réitère sa position à la
Conférence monétaire des républiques américaines
et publie cette même année son essai
transcendantal sur l'unité de l'Amérique latine, «
Notre Amérique », le produit d'une profonde
maturité de sa pensée, qui place non seulement la
figure autochtone au centre de la formation des
républiques américaines, mais aussi de la
nécessité d'avoir leur propre approche et de
participer au commerce international, « Que le
monde soit greffé à nos républiques mais nous
devons être le tronc. »
Une réédition de la doctrine Monroe
En septembre 2019, dans son discours devant
l'Assemblée générale des Nations unies, le
président américain, Donald Trump, a fait une
allusion directe à la doctrine Monroe et a
déclaré : « Ici, dans l'hémisphère
occidental, nous sommes déterminés à maintenir
notre indépendance contre l'empiétement des
puissances étrangères expansionnistes. Depuis le
président Monroe, la politique officielle de notre
pays est de rejeter l'ingérence des nations
étrangères dans cet hémisphère et dans nos propres
affaires. »
Sans mentionner à quelles nations étrangères il
faisait référence, on peut imaginer que la
référence visait spécifiquement la Chine et la
Russie. Peut-être plus la Chine qui a des
relations et échanges commerciaux importants dans
la région avec des économies importantes comme le
Brésil (qui fait partie du groupe BRICS) et des
enjeux de taille en technologie.
Selon un reportage diffusé au milieu de 2019
par la chaîne allemande Deutsche Welle, « Les
investissements chinois dans la région ont
considérablement augmenté, passant de 17
milliards de dollars en 2002 à près
de 306 milliards de dollars en 2018.
Parallèlement, le pays est devenu le plus grand
partenaire commercial du Brésil, du Chili, du
Pérou et de l'Uruguay. » Ce reportage
lui-même note que la stratégie de la Chine a
changé, passant de la recherche de la
reconnaissance diplomatique (face à la
reconnaissance de Taïwan) à la concentration sur
ses relations commerciales bien que selon le
responsable chinois consulté, la région ne soit
pas une priorité pour la Chine.
Cependant, c'est une priorité pour les
États-Unis, qui ne voient pas d'un bon oeil cette
approche, comme l'a clairement indiqué il y a
quelques jours le secrétaire d'État, Mike Pompeo,
en route pour le Costa Rica, alors qu'il a
critiqué les « promesses tape-à-l'oeil » de
la Chine, soulignant d'autre part les
investissements des États-Unis dans ce pays
d'Amérique centrale, déclenchant une dispute
diplomatique avec l'ambassade de Chine à San José.
Tout cela crée un scénario qui place l'Amérique
latine au centre des conflits géopolitiques
mondiaux et il existe dans l'oeuvre de Martí des
éléments pertinents pour éclairer la compréhension
des événements qui s'y déroulent. Quelque 167
ans après sa naissance, nous pouvons dire non
seulement que Martí était un penseur exceptionnel,
mais qu'il avait également bien cerné la question
au moment clé de l'émergence de styles et
d'organisations qui façonneraient en grande partie
la vie moderne tout au long du XXe siècle (société
de masse, partis, mouvements de masse) et sont
maintenant confrontés à des crises systémiques du
capitalisme à un stade avancé et à la révolution
techno-scientifique qui mettent au défi l'humanité
de multiples façons.
L'héritage de Martí peut contribuer à comprendre
la complexité de l'histoire de l'unité en Amérique
latine, dans une situation qui a vu ces derniers
temps l'effondrement de l'UNASUR et la résurgence
de la CÉLAC et de la CARICOM comme des
institutions clés de coopération entre les pays
d'Amérique du Sud, permettant à ceux qui
l'étudient d'avoir une meilleure perspective et
compréhension, et pour façonner les événements de
manière plus appropriée. José Martí est en ce sens
une voix omniprésente et est, sans aucun doute,
l'une des voix essentielles de notre Amérique.
Le personnel diplomatique de l'ambassade de Cuba
et leur famille rendent hommage
à José Martí, Ottawa, 28 janvier 2020.
La consule de Cuba à Montréal, Mara Bilbao Diaz,
dépose des fleurs au buste de José Martí
au Parc de l'Amérique latine, Québec, 28
janvier 2020.
L'association d'amitié Canada-Cuba (Vancouver)
commémore l'anniversaire de naissance de José
Martí, 26 janvier 2020.
Yolanda Machado est journaliste,
communicatrice et étudiante de la pensée de
Marti. Elle est l'auteur de plusieurs articles
sur José Martí présentés à des rencontres
internationales et enseigne la pensée politique
de José Martí en Argentine.
(Rebelión, 28
janvier 2020. Traduction LML.
Photos : Estudios Revolución, TML, Cuban
Embassy in Canada.)
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 6 - 4 février 2020
Lien de l'article:
167e anniversaire de la naissance
de José Martí: José Marti, essentiel à notre Amérique - Yolanda Machado
Site Web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|