Le libre-échange et le pipeline
Trans
Mountain
L'agrandissement des pipelines soulève de sérieuses questions sur la direction de l'économie et son contrôle
- K.C. Adams -
Manifestation à Vancouver le 18 juin 2019
suite à l'annonce par le gouvernement Trudeau de son intention
de poursuivre le projet d'agrandissement de l'oléoduc Trans
Mountain
Le rachat de Trans Mountain Corporation par le
gouvernement fédéral et l'agrandissement de son
réseau par l'ajout d'un pipeline vers Vancouver soulèvent
de graves problèmes
économiques sur lesquels les Canadiens doivent se pencher.
Ces problèmes s'ajoutent aux préoccupations
environnementales et au désir des Canadiens d'humaniser
l'environnement
social et naturel.
Comment l'Alberta s'est-elle retrouvée dans cette
situation où l'élite dominante croit maintenant que sans
un pipeline débouchant sur les côtes du Pacifique le ciel
va nous tomber sur la tête ? Des quantités
énormes de pétrole et de gaz naturel ont
été exportées de l'Alberta pendant des
décennies, générant des milliards de dollars de
revenus. Où sont allés tous ces revenus ? Qui en
avait le contrôle et comment ont-ils été
investis ? Cela n'a certainement pas contribué à
développer l'économie albertaine dans tous les secteurs,
à en faire une économie stable et moins tributaire de
l'exportation de matières premières et
semi-raffinées et des caprices des impérialistes
américains, car alors on ne parlerait pas ainsi du ciel qui
menace de tomber sans l'agrandissement de l'oléoduc Trans
Mountain (TMX).
Malgré toute la grandeur de l'Alberta, les
géants américains de l'énergie et de
l'armée américaine n'ont d'yeux que pour son
pétrole et son gaz naturel. Ils n'ont que faire de la
viabilité de son économie et du bien-être de ses
habitants. Le développement du secteur de l'énergie de
l'Alberta coïncide avec l'intégration du Canada dans son
ensemble au continentalisme et maintenant au mondialisme de
l'impérialisme américain. Toutes les routes et tout
l'argent de l'énergie vont vers le sud, y compris le pipeline
Trans Mountain, qui alimente principalement les raffineries de la
côte ouest des États-Unis. Le Lower Mainland de la
Colombie-Britannique doit importer une grande partie de
son essence et de son carburéacteur des États-Unis !
Entreprise d'État
Une
action d'urgence devant les bureaux du premier ministre
à
Ottawa le 19 juin 2019 pour protester contre l'approbation du
projet
d'expansion du pipeline Trans Mountain par le gouvernement
libéral.
La Trans Mountain Corporation est maintenant
une entreprise d'État. Avant la mondialisation
néolibérale et son intégration à l'empire
américain, on parlait plutôt de «
sociétés de la Couronne ». À
l'époque du contrôle colonial britannique, les
sociétés de la Couronne ou les entreprises d'État
étaient un élément de l'édification
nationale et de
l'opposition au continentalisme américain, ainsi que des moyens
de payer les riches lorsque les grandes compagnies comme celles du
chemin de fer se retrouvaient en difficulté financière.
La destruction et la privatisation des
sociétés d'État ont été essentielles
à l'intégration de l'économie canadienne à
l'empire américain. Les impérialistes américains
ont mené une campagne très fructueuse pour empêcher
les sociétés d'État de pénétrer le
secteur de l'énergie de l'Alberta. La tentative lancée
en 1975 de faire de Petro-Canada
une entreprise publique viable s'est écroulée
en 1990 sous les attaques soutenues des géants de
l'énergie américains et la pression idéologique
néolibérale.
Les entreprises d'État ou les
sociétés de la Couronne du Canada faisaient partie de la
société civile sous le colonialisme britannique, au
même titre que le gouvernement responsable et les institutions
démocratiques libérales. Ces institutions ne sont plus
viables dans les conditions actuelles de l'impérialisme mondial
néolibéral, c'est-à-dire
l'époque du pouvoir extraordinaire de l'oligarchie
financière et des entreprises sous le contrôle
d'oligarques spécifiques et de la victoire du continentalisme
américain qui a intégré le Canada à son
économie de guerre. Le renouveau démocratique pour
investir le peuple du pouvoir et l'établissement d'une nouvelle
direction de l'économie sont à
l'ordre du jour.
Les impérialistes américains
considèrent les entreprises d'État
étrangères comme des concurrents devant être
détruits ou privatisés pour que les oligarques
américains puissent prendre le contrôle et saisir la
valeur ajoutée produite par les travailleurs de ces entreprises.
Au lieu des entreprises d'État, les impérialistes ont
maintenant mis au point des
stratagèmes pour payer les riches qui distribuent les fonds
publics à de puissants intérêts privés comme
une pratique normale. Les entreprises d'État, telles que Postes
Canada, profitent à l'ensemble de l'élite dirigeante,
tandis que les stratagèmes pour payer les riches servent
à verser des fonds publics directement aux oligarques les plus
puissants et à
leurs entreprises dans des secteurs donnés.
Les pays en développement utilisent les
entreprises d'État comme moyen de défense contre le
pillage des plus puissants impérialistes. À mesure que
ces pays se développent et que l'élite
dirigeante locale devient plus puissante, les entreprises d'État
tombent en disgrâce et sont remplacées par d'autres
systèmes pour payer les
riches et par des entreprises privées comme Huawei en Chine.
Les entreprises d'État étaient
spécifiquement visées par les accords de
libre-échange néolibéraux, tels que l'Accord de
libre-échange nord-américain. La prétention est
que les entreprises d'État ne servent pas les
intérêts privés et constituent donc de facto une
concurrence déloyale pour les intérêts
privés, tandis que les plans de sauvetage directs,
les concessions, les contrats, les prêts, les allégements
fiscaux, les infrastructures matérielles et sociales fournies
gratuitement par l'État et, d'autre part, les tarifs, les
boycottages et les embargos de pays entiers ne sont pas
considérés comme tels, ou du moins
pas aussi facilement.
L'attaque contre les entreprises d'État
est reprise dans le nouvel accord de l'ALÉNA appelé
Accord
Canada-États-Unis—Mexique (ACÉUM). Le chapitre 22 de
l'ACÉUM interdit aux entreprises d'État ou
sociétés d'État de concurrencer des
sociétés privées à but lucratif, même
si elles sont définies par le gouvernement comme devant
spécifiquement défendre l'intérêt public ou
l'intérêt national. Or, la Trans Mountain Corporation a
bénéficié d'une exemption
spéciale parce qu'elle profite aux impérialistes
américains, notamment les entreprises de la côte ouest
américaine, et à leur économie de guerre et ne
rivalise pas avec des intérêts privés pour le
moment. Le rachat de Trans Mountain par le gouvernement
fédéral a en fait été une
aubaine pour certains oligarques financiers. Elle et son pipeline
existant, ainsi que l'agrandissement proposé, fonctionneront
à perte selon ceux qui ont examiné les droits de
péage à facturer aux sociétés
d'énergie pour l'expédition de bitume. En outre, les
impérialistes américains, avec leur économie
militarisée et leur soif insatiable de pétrole,
considèrent les pipelines comme cruciaux pour alimenter leurs
raffineries situées sur la côte ouest américaine.
Gordon Laxer écrit dans son rapport sur la
société d'État Trans Mountain Beyond the
Bailout : « L'exemption accordée à la
Trans Mountain Corporation dans l'ACÉUM facilite davantage
l'utilisation par Ottawa de ses ressources financières
illimitées pour subventionner l'agrandissement du pipeline. Elle
précise que même si l'aide à la
société pourrait nuire aux intérêts d'un
autre pays en fournissant des services d'exploitation de pipelines, 'le
Canada peut fournir une aide non commerciale dans des circonstances
où la viabilité de la société est en
péril'. »
Laxer fait remarquer que sans la ratification de
l'ACÉUM, c'est l'ALÉNA existant qui reste en vigueur et
cela ne
comprend pas d'exemption pour la société d'État
qu'est devenue Trans Mountain. Les droits approuvés par l'Office
national de
l'énergie pour acheminer le pétrole dans l'oléoduc
agrandi sont considérés comme faibles et
constituent donc une
subvention de l'État et une infraction aux règles de
l'ALÉNA sur les entreprises d'État.
L'ACÉUM comprend également une exemption
permettant à la Trans Mountain Corporation «
d'accorder un traitement favorable aux personnes et organisations
autochtones lors de l'achat d'un bien ou d'un service ».
Cela reviendrait vraisemblablement à utiliser la
propriété autochtone comme une arme contre l'absence de
consentement pour
l'agrandissement de l'oléoduc des nombreux peuples
autochtones vivant le long du tracé et dans les basses terres
intérieures de la Colombie-Britannique.
La question de savoir qui bénéficie (cui
bono) de l'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain
revêt un intérêt particulier. La construction et la
fourniture de matériel demeurent sous le contrôle de
sociétés privées. Les entreprises
énergétiques qui rempliront les pipelines de bitume sont
des géants privés et étrangers dans la plupart des
cas. La demande de bitume proviendra presque certainement des
raffineries américaines de la côte ouest. Le Canada ne
possède maintenant qu'une seule petite raffinerie à
Burnaby, dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique.
Le gouvernement Trudeau dit qu'il
finira par revendre la Trans Mountain Corporation au secteur
privé, en particulier à des investisseurs autochtones,
mais l'opération doit tout d'abord être « sans
risque ». Pour le moment, la société
d'État opérerait à perte à cause des
faibles droits à percevoir pour le transport du pétrole
et en raison des
sommes énormes investies pour acheter le pipeline et le
développer. Le PDG de Trans Mountain a même publiquement
averti les investisseurs, y compris les investisseurs autochtones,
d'attendre que le pipeline élargi soit construit et
opérationnel, que les droits de péage puissent être
augmentés et que l'investissement soit « sans
risque ».
Avec cet étonnant aveu, cet avertissement aux
propriétaires privés potentiels, le PDG semble
dire : attendez que l'agrandissement soit terminé et que
l'immense valeur y ait été incorporée avant de
soumettre des offres à un prix inférieur au prix de
production, ce que le gouvernement considérera sans faute. Une
offre d'investisseurs
autochtones pourrait être considérée si cela
atténue l'opposition à l'agrandissement.
La direction actuelle de l'économie, y
compris le TMX, va dans le sens de la guerre, du privilège de
classe pour les oligarques au pouvoir, de l'insécurité
pour les travailleurs, de la destruction de l'environnement social et
naturel et, plus généralement, d'une économie et
d'une société qui échappent au contrôle du
peuple.
De nombreux Canadiens discutent de ces choses et
cherchent une nouvelle direction pour l'économie qui la
dégage de l'économie de guerre américaine,
s'attaque aux privilèges de classe, garantisse le
bien-être et la sécurité de la population, humanise
l'environnement social et naturel et donne au peuple un contrôle
par le renouveau
démocratique qui l'investit du pouvoir de décider.
Pour plus d'informations sur le projet d'agrandissement
de l'oléoduc Trans Mountain, voir :
- « Le
gouvernement albertain adopte une loi restreignant les livraisons de
pétrole à la Colombie-Britannique », LML 19
mai 2018
;
et
- « Le
gouvernement Trudeau achète le pipeline Trans Mountain dans un
stratagème à grande échelle pour payer les
riches : Pas de consentement, pas de sauvetages et pas de
pipeline ! Arrêtez de payer les riches ! »,
LML 2 juin 2018
Analyse économique: Le rachat de
l'oléoduc Trans Mountain
Pour des extraits en français du rapport de
Gordon Laxer Billion Dollar Buyout
publié
le 3 juin sur certains aspects économiques du rachat, cliquer ici. Pour le
texte complet du rapport en anglais, cliquer ici.
(Photos: LML, A.
Nasimi.)
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019
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Le libre-échange et le pipeline
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Mountain: L'agrandissement des pipelines soulève de sérieuses questions sur la direction de l'économie et son contrôle - K.C. Adams
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