Analyse économique

Le rachat de l'oléoduc Trans Mountain

Extraits du rapport de Gordon Laxer Billion Dollar Buyout, rendu public le 3 juin. Les extraits portent sur l'aspect économique du rachat. Pour le texte complet du rapport, cliquer ici.

[...] À l'été 2018, le gouvernement Trudeau a invoqué « l'intérêt national » pour justifier l'achat du réseau d'oléoducs Trans Mountain - y compris un pipeline de 65 ans - à la société texane Kinder Morgan. L'objectif d'Ottawa était d'agrandir le pipeline pour transporter du bitume en importants volumes de l'Alberta aux côtes de la Colombie-Britannique à des fins d'exportation. [...]

Ottawa a acheté l'oléoduc pendant que les États-Unis, le Mexique et le Canada négociaient un accord de remplacement de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). L'Accord Canada-États-Unis-Mexique Canada (ACEUM) comprend un chapitre sur les entreprises d'État [sociétés d'État au Canada], une lettre d'accompagnement sur l'énergie et des exemptions pour la Trans Mountain Corporation, la société pipelinière appartenant maintenant au gouvernement. [...]

[...] Le présent rapport soutient que l'exemption des entreprises d'État et la lettre relative à l'énergie font deux choses simultanément : elles renforcent l'approche 'business as usual' et elles justifient les mesures extraordinaires prises par le gouvernement canadien (et les coûts extrêmes) pour continuer d'exporter du bitume. [...]

En août 2018, le Canada a acheté le réseau d'oléoducs Trans Mountain de Kinder Morgan Canada pour 4,4 milliards de dollars. Bien que la construction de l'agrandissement fut à peine commencée lorsque le gouvernement fédéral a finalisé la vente, l'achat comprenait le plan, les permis existants et l'approbation de l'agrandissement. Le gouvernement fédéral subventionne depuis longtemps l'industrie du pétrole et du gaz naturel, mais la nationalisation d'un pipeline est sans précédent au Canada. Étant donné que la Trans Mountain Corporation (le nom donné à toutes les parties énumérées ci-dessus) appartient maintenant à l'État, elle sera soumise aux exemptions de l'ACEUM négociées par le Canada pour la société. [...]

Ottawa a acheté le réseau de pipelines de Kinder Morgan Canada, qui comprenait l'oléoduc Trans Mountain, son projet d'agrandissement, l'oléoduc de Puget Sound et des installations connexes. Le pipeline existant de 1 150 km a 65 ans et relie Edmonton à Burnaby. Il transporte du pétrole brut et des produits pétroliers raffinés. La ligne de Puget Sound, d'une longueur de 111 km, se sépare de la ligne principale de Trans Mountain à Abbotsford, en Colombie-Britannique, pour se diriger vers l'État de Washington. Cette ligne secondaire transporte du pétrole vers quatre raffineries de l'État de Washington et a une capacité de 240 000 barils par jour. Le projet d'agrandissement triplera presque la capacité principale de 300 000 barils de pétrole par jour à 890 000 barils. Il augmentera les capacités des terminaux d'Edmonton, Burnaby et Westridge au Canada et du terminal Sumas dans l'État de Washington. [...]

En décembre 2017, Kinder Morgan Canada (KMC) a annoncé qu'elle suspendait la construction de l'agrandissement de Trans Mountain afin de se concentrer sur le processus d'obtention de permis. En mars 2018, KMC a rencontré le gouvernement fédéral à plusieurs reprises pour discuter des garanties gouvernementales et d'une indemnité gouvernementale - désignée par KMC comme « le filet de sécurité » - pour permettre au projet de démarrer. À la fin du mois de mars, le ministre des Finances, Bill Morneau, avait demandé à la Corporation de développement des investissements du Canada (CDEV), l'organisme gouvernemental qui a fini par devenir propriétaire de la Trans Mountain Corporation, de donner son avis sur « les options de participation du gouvernement au projet Trans Mountain ». [...]

Le 8 avril 2018, KMC a officiellement annoncé la suspension de toutes les dépenses « non essentielles » à moins d'un accord lui permettant de poursuivre le projet avant la fin du mois de mai. KMC a fait appel à Valeurs Mobilières TD pour l'informer de « transactions potentielles », une indication que la société envisageait de vendre. Le 30 avril, KMC a répété que le soutien financier était insuffisant et avait proposé un prix d'achat de 6,5 milliards de dollars.

Le 23 mai 2018, KMC a rejeté l'offre de 3,85 milliards de dollars présentée par Ottawa et a demandé 4,5 milliards de dollars (avant déductions fiscales). Cela comprend 3 milliards de dollars pour le réseau existant et 1,4 milliard de dollars pour les droits d'agrandissement. Le gouvernement a accepté à la condition de disposer de six semaines pour trouver un autre acheteur. Aucune offre du secteur privé n'a été reçue, celui-ci jugeant le projet trop risqué financement. L'agrandissement comportait des risques supplémentaires, notamment une opposition résolue des nations autochtones, des manifestants environnementaux et du gouvernement de la Colombie-Britannique. En revanche, le pipeline existant en lui-même présente peu de risques politiques, mais d'importants risques pour la sécurité, car il s'agit d'une canalisation vieillissante transportant un carburant à forte intensité de carbone.

Le conseiller financier du gouvernement, Greenhill & Co, a préparé une analyse financière de la proposition initiale de 3,85 milliards de dollars (non disponible au public). Il est difficile de savoir comment le gouvernement a eu le temps d'analyser le prix plus élevé en seulement « quelques heures ». Valeurs Mobilières TD a informé KMC que le prix de vente était équitable pour les actionnaires de la société. La TD compte parmi les nombreuses grandes banques qui ont consenti un prêt de 5,5 milliards de dollars principalement pour l'agrandissement. Le prêt a été annulé après que le gouvernement soit intervenu et ait acheté le système d'oléoducs.

Les actionnaires de Kinder Morgan Inc (KMI) et de Kinder Morgan Canada se sont réjouis de la vente. Ils avaient peu à perdre. Ou bien Ottawa achetait le pipeline, ou bien ils laisseraient le projet d'agrandissement échouer, disaient-ils. Au lieu de les prendre au mot, le gouvernement Trudeau a cédé et a acheté la filiale canadienne à un prix élevé. Après qu'il aura secouru financièrement le pipeline aux frais des contribuables, le gouvernement fédéral envisage de le privatiser à nouveau. [...]

Les actionnaires de Kinder Morgan avaient peu à perdre

Kinder Morgan Canada avait consacré 1,1 milliard de dollars au projet d'agrandissement du pipeline avant la vente. En raison d'une approbation sans précédent de l'Office national de l'énergie (ONÉ), les expéditeurs (c'est-à-dire les sociétés pétrolières) y ont contribué entre 210 et 220 millions de dollars. Les contrats à long terme avec les expéditeurs prévoyaient que si l'expansion était annulée, les compagnies pétrolières assumeraient 80 % des coûts. Sur les 900 millions de dollars que Kinder Morgan Canada a contribué, seulement 20 %, soit environ 200 millions de dollars, étaient exposés. [...]

Des prêts du Canada à Trans Mountain

En septembre 2018, un mois après le rachat par le gouvernement, la Trans Mountain Corporation (devenue une société d'État fédérale) avait accès à des prêts d'un montant de 6,5 milliards de dollars provenant du Compte du Canada du gouvernement fédéral géré par Exportation et développement Canada (EDC). EDC fournit des milliards de dollars chaque année pour aider les entreprises de combustibles fossiles. Le Compte du Canada est utilisé pour des transactions comportant « des risques supérieurs à ceux que [EDC] prendrait normalement ». Les prêts provenaient du fonds consolidé du revenu, c'est-à-dire directement des contribuables. Il existe trois prêts distincts, chacun portant un taux d'intérêt de 4,7 % : i) un prêt de 5 milliards de dollars utilisé pour acheter des entités pipelinières Trans Mountain et pour couvrir les coûts d'exploitation du réseau pipelinier ; (ii) un prêt de 500 millions de dollars en cas de déversement (tel que mandaté par l'ONÉ) ; et (iii) un emprunt d'un milliard de dollars pour les coûts récurrents liés à l'expansion de la première année.

Soutenir un mauvais investissement

Le gouvernement Trudeau a justifié cet achat en affirmant qu'il s'agissait d'un « bon investissement » et qu'il ne voulait pas subventionner Kinder Morgan. Ironiquement, le gouvernement accordera encore plus de subventions en tant que nouveau propriétaire, car l'agrandissement du pipeline n'a jamais été commercialement viable. En outre, les preuves disponibles ne confirment pas la promesse du projet de débloquer les prix du pétrole et de le faire monter.

Des prix mythiques sur les marchés asiatiques

[...] Dans sa campagne publicitaire de 23 millions de dollars, le gouvernement de l'Alberta affirme que l'agrandissement de Trans Mountain débloquerait les prix du pétrole lourd sur les nouveaux marchés asiatiques, qui se mettraient à augmenter. [...]

La destination finale du pétrole dépendra de la demande du marché. Kinder Morgan n'a indiqué nulle part dans sa demande à l'ONÉ que l'Asie serait garantie comme destination finale. En fait, les preuves disponibles permettent de croire que les prix en Asie seraient inférieurs à ceux des États-Unis. De plus, la majeure partie du bitume dilué actuellement exporté par l'Alberta est à l'abri des « rabais » - les prix plus bas pour le pétrole lourd extrait des sables bitumineux par rapport au pétrole léger de meilleure qualité provenant de certaines régions des États-Unis. [...]

Des intervenants aux audiences de l'ONÉ sur l'agrandissement de Trans Mountain — qui se sont déroulées d'avril 2014 à février 2016 - ont exprimé des inquiétudes quant à la capacité de Kinder Morgan de financer le projet. Faisant fi de ces éléments de preuve, l'ONÉ a tout de même décidé en mai 2016 que l'agrandissement était dans l'intérêt public.

Après que le Cabinet fédéral ait approuvé l'agrandissement, la société mère KMI n'a pas trouvé de partenaire de coentreprise. Comme beaucoup d'entreprises sous contrainte, KMI s'est restructurée pour protéger ses actifs. En 2017, la société a « séparé » ses actifs canadiens dans une nouvelle filiale appelée Kinder Morgan Canada. KMI détient 70 % de Kinder Morgan Canada. Les 30 % restants sont négociés à la Bourse de Toronto. En mai 2017, son premier appel public - la première fois qu'une société privée offre des actions au public - a généré un capital de 1,75 milliard de dollars. La somme au complet a été utilisée pour rembourser la société mère au Texas. Peu de temps après, en juillet 2017, la société mère a annoncé que la filiale « s'autofinancerait », se dégageant ainsi de toute responsabilité financière pour Kinder Morgan Canada et son projet d'expansion.

Le coût de l'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain continue de grimper. Le gouvernement fédéral n'a publié aucune estimation actualisée ni limite maximale de ses dépenses. En fait, le gouvernement fédéral a fait preuve d'une opacité alarmante pour l'ensemble du projet. Le coût de construction avait été estimé par KMC en mars 2017 à 7,4 milliards de dollars. La question n'est pas de savoir si les coûts dépasseront 7,4 milliards de dollars, mais de combien ils les dépasseront. Avant que la Cour fédérale n'annule cette extension, Valeurs mobilières TD estimait que les coûts s'élèveraient à 9,3 milliards de dollars en mai 2018, en supposant un délai d'un an et une date de mise en service au 31 décembre 2021. Le directeur parlementaire du budget s'est fondé sur de scénario de 9,3 milliards de dollars et a signalé un retard supplémentaire probable dans la construction. L'économiste Robyn Allan estime le coût de l'agrandissement du pipeline à plus de 10 milliards de dollars. [...]

Lors de l'audience de l'ONÉ en 2012, lorsque l'expansion a été envisagée initialement, Kinder Morgan a dit que l'expansion ne pourrait pas avoir lieu si les taux de rendement étaient en dehors de la fourchette de 12 à 15 %. Supposant un taux d'actualisation de 12 % reflétant le plus bas taux de rendement minimal que Kinder Morgan aurait accepté, l'expansion de Trans Mountain ne vaut que 300 millions de dollars, même si elle est achevée en décembre 2021. Il s'agit d'une fraction de ce que le gouvernement a payé pour le projet. Un retard d'un an à ce taux d'actualisation ramènerait la valeur de l'expansion à moins 350 millions de dollars. Par conséquent, le projet aura très probablement un taux de rendement négatif. Il est inconcevable qu'un gouvernement fasse un investissement aussi important dans lequel il est pratiquement garanti qu'il perdra de l'argent.

Les droits payés par les expéditeurs producteurs de pétrole constituent la seule source de revenus directe de l'oléoduc. L'agrandissement n'est pas viable sur le plan financier sans des droits plus élevés. En janvier 2019, la Trans Mountain Pipeline Unlimited Liability Corporation (une filiale de la Trans Mountain Corporation) a demandé à l'ONÉ d'approuver l'accord de péage négocié avec les expéditeurs pour le pipeline existant. L'ONÉ a approuvé la demande de péage en mars 2019. L'économiste Robyn Allan calcule qu'il en résulterait un manque à gagner annuel d'environ 673 millions de dollars avec l'accord de péage proposé. Il soutient que cela constitue en fait une subvention, car l'accord de péage ne couvre pas la totalité des coûts de la ligne et que les contribuables devront en assumer les coûts supplémentaires, étant donné que la Trans Mountain est une entreprise appartenant à l'État. Les contribuables devront verser une subvention de 2 milliards de dollars sur trois ans à l'oléoduc actuel pour couvrir le manque à gagner, et atteindre 3,4 milliards de dollars sur cinq ans si le gouvernement est toujours le propriétaire du pipeline.

Si, après consultation des nations autochtones, le gouvernement approuve les nouvelles constructions, la Trans Mountain Corporation doit proposer un nouveau budget d'équipement aux expéditeurs ayant signé des contrats d'expansion de 15 et 20 ans. Les retards ayant entraîné une augmentation des coûts, ils seront pris en compte dans le nouveau budget. Si les coûts dépassent 6,8 milliards de dollars - ce qui est certainement le cas puisque le dernier budget approuvé par les expéditeurs s'élevait à 7,4 milliards de dollars -, les expéditeurs peuvent résilier leurs accords et l'expansion pourrait échouer. Si tel est le cas, les expéditeurs supporteront 80 % des coûts de l'agrandissement à ce jour et le gouvernement fédéral n'en paiera que 20 %, ce qui permettra d'économiser des sommes considérables. Mais ce serait une défaite majeure pour le gouvernement Trudeau. Les expéditeurs pourraient également demander des subventions au péage encore plus élevées que celles qu'ils reçoivent déjà. Ils sont susceptibles de le faire. Les expéditeurs ont contesté l'augmentation des droits de péage à partir de 10 cents le baril.

En bref, Ottawa a acheté un pipeline qui n'était pas viable commercialement. Le gouvernement perd de l'argent depuis le début. Depuis qu'il a acheté Trans Mountain, celui-ci fonctionne à perte. Pour les quatre premiers mois de propriété, la perte est de 58 millions de dollars, avec une perte prévue de 175 millions de dollars pour 2019. Le gouvernement subventionne la ligne d'origine à hauteur de 2 milliards de dollars entre 2019 et 2021. Le premier ministre Trudeau a admis dans une entrevue qu'il souhaitait acheter le pipeline « non pas pour faire un profit » mais pour atteindre des marchés au-delà des États-Unis. Cependant, les preuves à l'appui de cette affirmation concernant l'accès à de nouveaux marchés sont très faibles, ce qui remet essentiellement en cause la logique sur laquelle repose la décision du gouvernement d'acheter le projet. Les contribuables continuent de payer la note des coûts qui augmentent. Il n'y a pas de limite au coût total de l'expansion.

Les entreprises d'État et l'ACEUM

Le chapitre 22 de l'ACEUM énonce des restrictions néolibérales à l'égard des « entreprises d'État ». Ces restrictions limiteront la capacité du Canada à prendre des mesures efficaces en matière de lutte contre le changement climatique par l'entremise des sociétés d'État faisant concurrence aux sociétés à but lucratif dans la construction d'éléments tels que les autobus et les voitures électriques. [...]

Le chapitre 22 de l'ACEUM empêchera les « entreprises d'État » de faire concurrence à des entreprises privées à but lucratif. [...] Il prévoit des sanctions en cas de non-respect lorsque les gouvernements défendent « l'intérêt public défini par le Parlement fédéral », comme le dit l'économiste politique Duncan Cameron.

Une exemption spéciale

Étant donné que la Trans Mountain Corporation est maintenant une filiale de la Société de développement du Canada, elle relève du chapitre des entreprises d'État de l'ACEUM non encore ratifié. Ottawa a négocié une exemption visant à donner à la société une marge de manoeuvre politique principalement pour subventionner sa nouvelle acquisition. [...]

Dans l'ACEUM, le Canada bénéficie d'exemptions similaires pour les autorités de pont, la Corporation commerciale canadienne, la Commission canadienne du lait, la Société canadienne d'hypothèques et de logement, la Fiducie du Canada pour l'habitation et la Trans Mountain Corporation. Les États-Unis ne bénéficient que d'une exemption pour la Federal Financing Bank.

L'exemption pour la Trans Mountain Corporation facilite encore davantage l'utilisation par Ottawa de ses ressources financières illimitées pour subventionner l'agrandissement du pipeline. L'exemption stipule que même si l'aide à la société peut nuire aux intérêts d'un autre pays dans la fourniture de services d'exploitation de pipelines, « le Canada peut fournir une aide non commerciale dans des circonstances où la viabilité de la société est en péril ». Cela signifie que les États-Unis ne pourraient pas exercer de représailles, même si la subvention canadienne nuisait à une proposition de pipeline américaine concurrente. Les droits subventionnés approuvés par l'ONÉ pour la ligne existante de Trans Mountain seraient autorisés en vertu de cette exemption. Toutefois, comme l'ACEUM n'a pas encore été ratifié et que l'ALÉNA reste en vigueur, les droits de péage subventionnés de l'ONÉ enfreignent les règles de l'ALÉNA relatives aux entreprises d'État.

Ottawa s'est dit en faveur d'actions de propriété autochtones dans le pipeline. C'est peut-être une décision stratégique, car l'opposition autochtone au projet a créé un risque important. Depuis mai 2018, ou peut-être même avant, lorsque le gouvernement fédéral a annoncé qu'il achèterait la ligne Trans Mountain, il avait à l'esprit la propriété autochtone. Ottawa a ajouté une clause dans l'exemption de l'ACEUM pour permettre à la Trans Mountain Corporation « d'accorder un traitement favorable aux autochtones et aux organisations autochtones lors de l'achat d'un bien ou d'un service ». Cinq groupes autochtones luttent pour acquérir une participation dans le projet de pipeline et au moins un groupe a rencontré le ministre des Finances Bill Morneau.

La ministre Morneau a dit qu'il n'y avait pas de projet avant la fin des consultations avec les communautés autochtones et a ajouté que le pipeline présentait un risque considérable et un capital immense. Il faut « minimiser les risques » avant qu'un accord sur la propriété autochtone ne soit conclu, a-t-il dit. Pour faire un bon investissement, Ian Anderson, PDG de la Trans Mountain Corporation, a conseillé aux propriétaires potentiels d'attendre l'achèvement de l'agrandissement du pipeline. [...]

Les exportations d'énergie carbone

[...] Le chapitre de l'ALÉNA sur l'énergie restera en vigueur au cours des deux prochaines années. Il inclut la clause de proportionnalité énergétique qui oblige les pays signataires à mettre à la disposition des exportations les mêmes quantités de pétrole, de gaz naturel et d'électricité destinées aux autres pays de l'ALÉNA qu'au cours des trois dernières années. Compte tenu de la concentration et de la continentalisation des sociétés pétrolières et gazières et des pipelines, cela rend « disponible à l'exportation » pratiquement synonyme d'« obligation d'exporter ». La règle n'a jamais été invoquée, mais elle plane comme un spectre sur les exportations canadiennes de pétrole et de gaz naturel vers les États-Unis et limite les options énergétiques et environnementales que Ottawa envisagerait. Dès le départ, le Mexique a été exempté de la règle de proportionnalité énergétique de l'ALÉNA. Cela signifiait que le Mexique n'est pas obligé d'exporter son pétrole et son gaz naturel vers les États-Unis. Jusqu'en 2015, à quelques exceptions près, les États-Unis n'autorisaient pas les exportations de pétrole. En réalité, la clause de proportionnalité ne s'appliquait réellement qu'au Canada, ce qui garantit aux États-Unis un premier accès à la majorité du pétrole et du gaz naturel du Canada.

La révolution des schistes bitumineux et du gaz naturel ainsi que les forages horizontaux aux États-Unis ont rapidement modifié la donne en sortant le pays d'une grande dépendance vis-à-vis des importations de combustibles. La production nationale de gaz naturel a atteint son niveau le plus bas en 2005 et [après une fracturation hydraulique généralisée], les États-Unis sont devenus un exportateur net en 2018.

La production intérieure de pétrole a également fortement augmenté après 2008 et a fortement réduit les importations nettes de pétrole des États-Unis. L'augmentation de la production américaine de ces deux carburants au carbone a amené le président Donald Trump à se vanter du fait que les États-Unis sont désormais une superpuissance énergétique. Ce changement a affaibli la volonté de Washington de conserver la règle de proportionnalité énergétique de l'ALÉNA. Cela dit, la demande américaine de pétrole canadien n'a augmenté qu'au fil des ans et, en 2014, les importations de pétrole du Canada ont dépassé celles de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). Cependant, le gouvernement Trump avait également des préoccupations de souveraineté quant à l'engagement d'une part de l'énergie américaine à exporter en vertu de la règle de proportionnalité, une autre raison pour laquelle Washington n'a pas insisté pour maintenir la disposition.

Puisque Washington veut mettre fin à sa dépendance pétrolière vis-à-vis du Moyen-Orient et du Venezuela, la plupart des futures importations de pétrole des États-Unis proviendront probablement du Canada via des pipelines transfrontaliers. Étant donné qu'aucun gouvernement canadien ou grand parti politique n'a préconisé l'indépendance énergétique du Canada depuis le début des années 1980, Washington peut avoir confiance dans le fait que le Canada est un fournisseur même sans la règle de proportionnalité. Le vaste réseau de pipelines transfrontaliers renforce les exportations de pétrole canadien même en l'absence de proportionnalité. L'American Petroleum Institute - la principale organisation de défense des intérêts du Big Oil aux États-Unis - ne s'est pas opposé à l'élimination de la proportionnalité. [...]

Par ailleurs, le gouvernement de l'Alberta et l'Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), les principaux initiateurs de la règle de proportionnalité énergétique lors de son insertion dans l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis de 1989, n'insistent plus maintenant.

La lettre d'accompagnement sur l'énergie

Un chapitre trilatéral sur l'énergie a été inclus dans les premiers projets de l'ACEUM. Il a été abandonné dans sa version finale parce que le nouveau gouvernement nationaliste de gauche d'Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) au Mexique, élu le 1er juillet 2018, s'est opposé à la création d'un chapitre sur l'énergie. [...]

Toutes les questions qui ne concernent que deux pays de l'ACEUM sont en annexe ou dans des annexes spécifiques à chaque pays. Les États-Unis et le Canada ont officiellement convenu que la lettre relative à l'énergie « fera partie intégrante de l'Accord ». Aucun des deux pays ne peut mettre fin à la lettre d'accompagnement sur l'énergie sans mettre fin à l'entente ou sans la modifier. [...]

La proportionnalité énergétique est absente de l'ACEUM et de sa lettre d'accompagnement. [...] Toutefois, l'accord pourrait encore limiter la flexibilité du Canada en matière de politique. L'article 3 de l'annexe sur l'énergie reconnaît « l'importance de renforcer l'intégration des marchés énergétiques nord-américains sur la base des principes du marché » et soutient l'indépendance énergétique de l'Amérique du Nord.

Tous les présidents américains depuis le « Project Independence » de Richard Nixon ont promis l'indépendance énergétique des États-Unis. La lettre relative à l'énergie élargit la notion d'indépendance énergétique des États-Unis pour inclure le pétrole canadien. C'est seulement en l'ajoutant à la production de pétrole aux États-Unis que l'Amérique du Nord (à l'exclusion du Mexique) peut aborder l'indépendance énergétique au sens de l'autosuffisance en pétrole, les importations de pétrole étant compensées par les exportations.

Lorsque le président Trump a approuvé le projet d'oléoduc Keystone XL proposé par TransCanada en 2017, il a tweeté qu'il « réduirait notre dépendance à l'égard du pétrole étranger ». Étant donné que le pipeline serait principalement rempli de bitume dilué de l'Alberta, Trump a supposé que le pétrole canadien était du pétrole américain. En vertu de la règle de proportionnalité de l'ALÉNA, cela était vrai à toutes fins pratiques.

L'article 4 de l'annexe sur l'énergie énonce : « Chacune des parties s'efforce de faire en sorte que les autorités de réglementation de l'énergie sur son territoire évitent, dans toute la mesure du possible, de perturber les relations contractuelles, soutiennent l'intégration du marché énergétique nord-américain, et veille à une mise en oeuvre ordonnée et équitable de ces mesures ». [Notre souligné]

Le libellé « s'efforce de faire en sorte » de l'article 4 est inapplicable. Mais un futur gouvernement américain pourrait bien l'invoquer pour justifier son droit à l'énergie canadienne, et un gouvernement canadien pourrait le citer pour insister sur le fait que le Canada ne pout pas rechercher l'indépendance énergétique ou environnementale. [...]

Le 30 novembre 2018, [la ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia] Freeland a officiellement signé l'annexe sur l'énergie de l'ACEUM, dans laquelle le Canada s'engageait à « renforcer l'intégration des marchés énergétiques nord-américains sur la base des principes du marché, incluant la libéralisation du commerce et des investissements entre les parties, afin de soutenir la compétitivité, la sécurité et l'indépendance énergétiques de l'Amérique du Nord ».

Bien que le libellé de l'annexe sur l'intégration énergétique en Amérique du Nord soit faible, les accords commerciaux entre le Canada et l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contiennent des restrictions à l'importation et à l'exportation de tous les biens. Les membres de l'OMC, y compris le Canada, ne sont pas autorisés à restreindre l'exportation de tout produit par des moyens autres que les droits de douane ou les taxes.

Actuellement, si les entreprises veulent ajouter du diluant au bitume pour l'exporter en accès libre de droits de douane américains, elles doivent s'approvisionner en diluant aux États-Unis. Le diluant est un diluant à base chimique utilisé pour faciliter le passage du bitume dans les canalisations. [...]

Les implications pour les pipelines transfrontaliers

Avant l'entrée en vigueur de l'ALÉNA en 1994, les exportations d'électricité de BC Hydro vers le nord-ouest américain étaient facturées davantage pour le transport que pour les services publics intérieurs américains. L'article 5 de la lettre relative à l'énergie interdit cette pratique. La plupart des dispositions de l'annexe sur l'énergie utilisent l'expression « s'efforce de faire en sorte que ». Mais le texte couvrant le transport transfrontalier et les gazoducs utilise l'expression plus contraignante : « fait en sorte que ». L'article 5 concerne principalement le transport d'énergie en provenance de la Colombie-Britannique, mais s'applique également aux réseaux de pipelines transfrontaliers. Chaque pays « fait en sorte que » les installations de transport et les réseaux de pipelines accordent un accès non préférentiel et que les tarifs, taux ou frais exigés sont justes et raisonnables [italiques ajoutés]. Les implications de ce libellé ne sont pas claires, mais cela pourrait empêcher Ottawa d'adopter un plan de sécurité climatique et énergétique axé sur le Canada. [...]

Conclusion

[...] Les exemptions prévues dans l'ACEUM pour le pipeline Trans Mountain permettront à Ottawa de subventionner l'oléoduc. Cela contredit directement le discours du gouvernement Trudeau selon lequel l'agrandissement doit être commercialement viable.

Le gouvernement fédéral a risqué des milliards de dollars d'argent des contribuables pour renflouer Kinder Morgan Canada, alors que ce dernier avait peu à perdre. [...]

Le gouvernement utilise tous les outils disponibles pour réaliser l'agrandissement de Trans Mountain, y compris l'exemption de Trans Mountain Corporation dans l'ACEUM afin de pouvoir fournir une aide financière illimitée. [...]

Le Canada a signé une lettre bilatérale sur l'énergie avec les États-Unis et a accepté d'intégrer les ressources énergétiques canadiennes au marché américain. Cette annexe contredit la prétention de la ministre Freeland que l'élimination de la proportionnalité est un avantage pour la souveraineté énergétique du Canada. De plus, l'objectif de la lettre d'accompagnement sur l'énergie, qui est d'intégrer le marché continental, pourrait limiter l'efficacité future de l'action pour le climat au Canada. [...]

L'exemption des entreprises d'État et la lettre d'accompagnement sur l'énergie ont d'importantes répercussions sur l'avenir énergétique et climatique du Canada, car elles font deux choses simultanément : elles renforcent l'approche "business as usual" et elles justifient les mesures extraordinaires prises par le gouvernement canadien (et les coûts extrêmes) pour continuer à exporter du bitume. [...]

Note du rapport Laxer sur les émissions de gaz à effet de serre du projet d'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain

En 2016, après que l'ONÉ eut recommandé l'approbation de l'agrandissement de Trans Mountain, Ottawa souhaitait une évaluation de son impact sur les émissions des gaz à effet de serre (GES). Environnement et Changement climatique Canada a calculé que les émissions de gaz à effet de serre en amont - liées à la production et au traitement du pétrole - associées à l'ajout de 590 000 barils par jour suite à l'agrandissement produiraient l'équivalent de 13 à 15 mégatonnes (Mt) dioxyde de carbone par an. Une mégatonne, c'est un million de tonnes métriques. L'évaluation des GES n'inclut pas les émissions en aval provenant du raffinage ou de la combustion lors de l'utilisation finale. Étant donné que la majeure partie du pétrole sera exportée, la plus grande partie de l'utilisation finale se fera à l'extérieur du Canada. L'ONÉ a rejeté l'appel lancé en février 2019 par le groupe environnemental Stand.earth lui demandant de tenir compte des émissions de GES en amont et en aval de l'agrandissement du pipeline lors de son examen. Cette décision s'écartait de la décision prise par l'ONÉ en 2017 d'évaluer les émissions en amont et en aval dans le cadre de son évaluation de la proposition d'oléoduc Énergie Est de TransCanada pour acheminer le pétrole de l'Alberta au Nouveau-Brunswick. TransCanada a abandonné ce projet à l'automne 2017.

Quinze Mt équivaut à ajouter 3 750 000 véhicules passagers sur les routes canadiennes. Le ministère avait déjà prévu que, dans son scénario de référence, le Canada manquerait de loin sa cible d'émissions de Paris pour 2030, soit 79 Mt, c'est-à-dire 15 % de ses émissions. À l'aide des données du ministère, nous avons calculé que l'ajout de 13 à 15 Mt au total des émissions du Canada aurait pour effet d'accroître la contribution du Canada de trois points de pourcentage, la portant à 18 %, à l'objectif de Paris.

Le gouvernement de Stephen Harper a fixé cet objectif trop modeste en 2015. Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat d'octobre 2018 met en garde que tous les pays doivent aller au-delà de leurs objectifs de Paris et réduire leurs émissions de 45 % d'ici 2030 afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 • C. Pour atteindre cet objectif, le Canada doit réduire ses émissions de 210 Mt supplémentaires. L'ajout d'un oléoduc rempli principalement de bitume dilué est une mauvaise direction à prendre à la lumière de la recommandation du groupe que tous les pays doivent procéder à des transitions « rapides et profondes » au cours de la prochaine décennie. [...]

(Traduit de l'anglais par LML)

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