Le Programme des aides familiaux résidants: assez bons pour travailler, assez bons pour rester ici!
- Diane Johnston -
Les aides familiaux déclarent depuis longtemps
que s'ils sont assez bons pour travailler, ils sont assez
bons pour rester ici ! Les aides familiaux revendiquent qu'on
leur accorde le statut de résident permanent dès leur
arrivée au Canada et qu'ils soient traités comme des
membres égaux de la société canadienne, que leurs
droits
soient respectés et non bafoués. Dans le cadre de cette
revendication, ils veulent un permis ouvert pour pouvoir trouver un
autre emploi et demandent à ne pas être liés
à un seul employeur ou sous la menace constante d'être
expulsés.
Depuis plus d'un
siècle, le Canada importe de la main-d'oeuvre d'autres pays pour
travailler comme « domestique ». Au début, la
main-d'oeuvre venait principalement de Grande-Bretagne, notamment les
nombreux « enfants Barnardo »[1],
et
d'autres
pays
d'Europe.
Ces
personnes
sont
venues
travailler
comme
gardiennes d'enfants et domestiques pour des
familles riches, mais aussi pour des professionnels hautement
payés comme des avocats, des médecins, etc. Dès
qu'ils ont pu, les femmes et certains hommes ont trouvé un autre
emploi.
Les programmes gouvernementaux
visant à importer de la main-d'oeuvre pour travailler au Canada
se sont succédé depuis le milieu des
années 1950. Jusqu'au milieu des années 1980,
des dizaines de milliers de travailleurs originaires principalement des
Caraïbes et plus tard des Philippines ont été
obligés de
travailler dans des conditions assimilables à du travail en
servitude. Cela comprend les dispositions relatives à la
résidence au domicile de l'employeur et tout ce que cela peut
impliquer en termes de temps de travail, de relations de travail, de
conditions de vie, d'isolement, de violence, d'éloignement et de
séparation des membres de la famille et de
leur collectivité et de la société en
général.
De nombreuses femmes originaires des Caraïbes et
des Philippines qui ont travaillé au Canada comme travailleuses
domestiques étaient et sont hautement qualifiées,
certaines ayant reçu une formation d'enseignantes,
d'infirmières et d'administratrices. Elles cherchent du travail
au Canada en raison des conditions économiques dans leur propre
pays, où elles étaient incapables de trouver du travail
ou
de s'occuper convenablement de leur famille.
Beaucoup de celles qui terminent leur formation
d'enseignante ou d'infirmière aux Philippines sont ensuite
forcées de travailler pendant un certain temps comme
bénévoles avant de pouvoir trouver du travail, et souvent
n'en trouvent pas. Les recruteurs recherchent activement ces
travailleuses. Pour un grand nombre d'entre elles, l'arrivée au
Canada laisse entrevoir l'espoir d'un avenir meilleur pour leurs
enfants. La plupart envoient de l'argent à leur famille.
Un des problèmes que rencontrent ces
travailleuses après leur arrivée au Canada est celui de
recevoir leur statut de résident permanent ou de se le voir
refusé. Dans le cadre de certains programmes, elles ne peuvent
pas demander la résidence permanente pendant qu'elles
travaillent au Canada. Cela devient un problème majeur
puisqu'elles
doivent retourner dans leur pays pour présenter une demande sans
aucune garantie d'acceptation et sans possibilité d'appel en cas
de refus.
Lorsqu'elles travaillent au
Canada, les aides familiales paient des impôts et cotisent au
Régime de pensions du Canada ainsi qu'à
l'assurance-emploi, mais elles ont peu de possibilités
d'utiliser ces programmes en cas de besoin. Cela à cause de
restrictions délibérément mises en place, mais
aussi parce que ces travailleuses craignent d'être
pénalisées par le gouvernement dans leur demande de
résidence permanente.
Le Programme des aides familiaux résidants
(PAFR), introduit en 1992, spécifie que les travailleurs
doivent résider chez leur employeur canadien pendant une
période minimale de deux ans avant de présenter une
demande de résidence permanente. Au Canada, en 2010, plus
de 35 000 travailleurs étaient forcés d'habiter
sur les lieux de travail.
Le PAFR exige également que les travailleurs
suivent une longue formation avant d'être acceptés au
Canada, et certains des demandeurs sont obligés de suivre un
programme de formation aux Philippines à leurs propres frais.
À l'époque, les exigences en matière
d'études ont été portées à
l'équivalent canadien d'une 12e année. Aux
Philippines, la fin normale des études secondaires est
la 10e année, de sorte que les travailleurs sont
obligés de payer pour des études supplémentaires
ainsi que pour le programme de formation.
Les employeurs éventuels doivent demander une
étude d'impact sur le marché du travail indiquant qu'ils
sont incapables de trouver des Canadiens pour faire cet emploi. Les
frais de cette évaluation sont de 1 000 $, mais
ils sont annulés pour les employeurs potentiels qui ont un
revenu de 150 000 $ ou
moins.
Très souvent, les femmes philippines passent par
des agences pour obtenir du travail au Canada. Les agences demandent
entre 3 000 $ et 4 000 $ pour trouver un
emploi aux travailleurs migrants. Parfois, quand les travailleuses
arrivent au Canada où elles sont censées travailler
pendant deux ans avant de
pouvoir déposer une demande de résidence permanente,
l'emploi pour lequel elles sont censées être
embauchées n'est plus disponible. Elles doivent alors trouver un
autre travail très rapidement et obtenir une autre étude
d'impact sur le marché du travail. Cela engendre
toutes sortes de problèmes puisqu'elles deviennent des
sans-papiers et se
retrouvent à la merci de diverses forces de l'État et des
agences privées.
En 2009, le gouvernement Harper a expliqué
la raison du PAFR : « L'obligation de résider chez
l'employeur est un élément essentiel du PAFR vu la
pénurie continue d'aides familiaux au Canada disposés
à habiter dans la maison des personnes auxquelles ils prodiguent
des soins. Il y aurait peut-être suffisamment d'aides familiaux
au Canada pour satisfaire aux besoins du marché du travail
liés aux aides familiaux ne résidant pas chez
l'employeur. Si l'obligation de résider chez l'employeur
était supprimée, il ne serait probablement pas
nécessaire d'embaucher un TET (travailleur étranger
temporaire) ».
Comme indiqué, l'obligation de résider
chez l'employeur était dirigée clairement et ouvertement
contre les travailleurs domestiques migrants, car les travailleurs au
Canada refusent généralement de se conformer à une
telle exigence. La Commission des droits de la personne et des droits
de la jeunesse a condamné cette obligation qui contrevient
aux droits humains consacrés comme fondamentaux, en ce qu'elle
crée une discrimination systémique. L'Organisation
internationale du travail s'oppose également à cette
exigence.
PINAY, l'Organisation des femmes philippines du
Québec, qualifie les relations de travail des aides familiaux
résidants de dépendance personnelle où les
travailleurs sont pris au piège dans une situation semblable
à l'esclavage. PINAY exige depuis longtemps la suppression de
l'obligation de résidence :
« En partie en raison
du fait que le travail domestique est effectué dans des
résidences privées et de l'exigence stricte du PAFR selon
laquelle l'aide familial doit habiter chez son employeur, les PFR
[aides familiaux résidants] courent un risque accru
d'exploitation, de harcèlement et de mauvais traitements dans
leur milieu de travail. La
structure du PAFR crée des conditions propices à la
vulnérabilité, à la traite et au travail
forcé de divers aides familiaux. Il est essentiel d'abandonner
l'exigence relative à la résidence ou, à tout le
moins, de la rendre facultative, afin de remédier à cette
exploitation et d'éviter les violations des droits de la
personne. »[2]
Le gouvernement Harper a apporté des
modifications au PAFR en 2014, qui est ensuite devenu le Programme
canadien des aides familiaux (PCAF). Le PCAF a été
introduit comme programme pilote de cinq ans avec deux volets et finira
en novembre 2019. Jusqu'à maintenant, le gouvernement
Trudeau s'est contenté de dire qu'il
évaluait le projet pilote.
La réforme de 2014 a rendu facultatif le
volet de « résidence chez l'employeur » du
programme, puisque « les employeurs ne peuvent plus maintenant
déduire les frais de logement et de pension de l'indemnisation
des accidentés du travail ». Toutefois, en raison de
la faible rémunération et de l'envoi d'argent à la
famille, de
nombreux aides familiaux migrants sont dans l'impossibilité de
vivre à l'extérieur du domicile de l'employeur.
Le gouvernement a également créé
deux nouvelles catégories d'aidants qui travaillent au Canada
avec un permis de travail temporaire et cherchent à obtenir leur
résidence permanente. Une voie d'accès à la
résidence permanente est pour les gardiennes d'enfants. L'autre
est pour les aidants qui prennent soin des personnes âgées
ou qui ont des
besoins médicaux chroniques. La deuxième voie concerne
directement les infirmières diplômées migrantes,
les infirmières praticiennes, les aides-infirmières et
les aides-soignants. Fait important, le gouvernement canadien et les
employeurs recrutent directement des travailleurs qualifiés des
pays en voie de développement sans compenser directement
ce pays pour la valeur qu'il a dépensée pour former ces
travailleurs.
Les deux catégories de ce programme divisent les
travailleurs en travailleurs qualifiés et peu qualifiés.
En ce qui concerne le volet des travailleurs hautement
qualifiés, le gouvernement recherche explicitement des
infirmières, des infirmières auxiliaires et des migrants
formés qui doivent présenter une demande dans le cadre du
programme, qui
offre des salaires plus élevés et promet un accès
plus facile à la résidence permanente et la
réunification des familles.
Pour la catégorie des
travailleurs peu qualifiés, la résidence permanente
dépend du niveau de scolarité, de l'âge, des
années d'expérience de travail et des compétences
linguistiques des migrants, ce qui complique l'obtention de la
résidence. Le gouvernement Harper a également
imposé un plafond de 2 750 travailleurs dans chaque
catégorie.
La modification de 2014 concernait la suppression
de l'obligation de résidence, mais non la suppression d'un tel
arrangement en dépit des effets négatifs bien
documentés sur les conditions et les relations de travail. La
résidence des travailleuses domestiques au domicile privé
demeure un sous-régime des lois fédérales du
travail.
Conformément à la Convention 189 de l'OIT, si l'employeur
et la travailleuse en conviennent, cette dernière peut
résider chez l'employeur. L'assignation à
résidence est donc désormais un arrangement laissé
entre un employeur canadien et une travailleuse domestique migrante.
Les travailleuses restent tenues de réaliser 24 mois de
travail à
temps plein pour pouvoir appliquer à la résidence
permanente et leur permis de travail reste lié à un
employeur particulier comme au secteur d'emploi, avec toutes les
difficultés que cela peut entraîner.
Lorsque le gouvernement Harper a apporté ces
modifications, le processus d'acquisition de la résidence
permanente prenait trois ans, plus les deux années de travail
avant. Au minimum, les aides familiaux migrants pouvaient être
séparés de leurs enfants et de leur conjoint pendant cinq
ans, voire plus. Même après avoir reçu leur
résidence
permanente, les travailleurs doivent faire une demande dans le cadre du
programme de réunification des familles et prouver qu'ils sont
en mesure de subvenir aux besoins leur famille après son
arrivée au Canada.
En février de cette année, les aides
familiaux résidants et ceux qui les aident dans leur lutte pour
la défense de leurs droits ont réussi à faire
modifier le PAFR en faveur de ces travailleurs et de leurs familles. Le
gouvernement Trudeau a annoncé la création de deux
programmes pilotes quinquennaux qui « permettront aux aidants
familiaux de venir au Canada avec leur famille et fourniront une voie
d'accès à la résidence permanente ». Les
projets pilotes sont censés fournir des « permis de
travail ouverts pour les époux et conjoints de fait et un permis
d'études pour les enfants à charge, afin que les membres
de la famille de l’aide familial puissent l’accompagner au Canada
». Le gouvernement a également déclaré que
ces travailleurs se verront accorder « une plus grande souplesse
pour changer rapidement de travail ». Ces mesures s'adressent
uniquement aux futurs travailleurs, pas aux milliers de personnes qui
sont déjà au Canada, dont certaines n'étaient pas
correctement informées que leur travail et leurs postes ne leur
fourniraient pas le moyen d'obtenir la résidence permanente.
À cette fin, le gouvernement a également annoncé
une période de trois mois, du 4 mars au 4 juin de cette
année, appelée « voie d'accès provisoire
à l'Intention des aides familiaux » par laquelle les aides
familiaux résidants actuels peuvent demander la résidence
permanente avec des critères modifiés par rapport aux
programmes en cours [3]
Note
1. De 1868 aux années 1930,
100 000 enfants de Grande-Bretagne ont été envoyés
au Canada en tant que main-d'œuvre bon marché. Les deux tiers
d'entre eux avaient moins de 14 ans, beaucoup d'entre eux étant
considérés comme des enfants de l'État dont
les parents ne vouvaient ou ne pouvaient plus s'occuper d'eux. Des
milliers de ces garçons ont été envoyés
travailler dans des fermes manitobaines. Leurs salaires minimaux ont
été versés aux agences responsables de leur
trafic. Certains ont été forcés de dormir dans des
granges, d'autres ont été battus. L'une de ces fermes
était la Barnardo Industrial Farm, située près de
Russell, au Manitoba, en référence au Dr Thomas Barnardo
qui, au nom de grands idéaux, a fondé une organisation
pionnière dans la traite de ces jeunes Britanniques au Canada.
Environ 50 agences ont été impliquées dans ce
système de trafic de main-d'œuvre pour envoyer des enfants au
Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
2. Résumé :
Soumission PINAY pour l'examen périodique universel du Canada
3. Pour de plus
amples informations sur les plus récents changements, voir
« Une
coalition de groupes d'aides familiales migrantes et d'alliés
poursuit sa campagne pour la résidence permanente
immédiate » - Peggy Morton, Forum ouvrier, 7 mars 2019.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 16 - 27 avril 2019
Lien de l'article:
Le Programme des aides familiaux résidants: assez bons pour travailler, assez bons pour rester ici! - Diane Johnston
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