Supplément
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10
novembre 2018
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Numéro
4
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Centenaire de la fin de la
Première Guerre mondiale
Opposition résolue à la
trahison
du mouvement ouvrier
Manifestation contre la conscription à Londres
en 1916
• L'opposition
des
travailleurs
en
Grande-Bretagne
• Le rôle criminel de la
social-démocratie durant la Première Guerre mondiale -
Chris
Coleman
• L'attitude du Parti bolchevique à
l'égard de la guerre - Lénine
Affiches de la
Première Guerre mondiale
• Affiches contre la guerre et propagande
pour
la guerre
L'opposition des travailleurs en Grande-Bretagne
Manifestation du Premier Mai en Écosse en 1917
Dans la période qui a
précédé le déclenchement de la guerre
en 1914, les travailleurs de Grande-Bretagne ont mené des
grèves, se sont organisés d'une manière nouvelle
et ont mené des actions de plus en plus militantes à
la défense de leurs intérêts. C'est dans ces
circonstances que le Parti travailliste, avant le début de la
Première Guerre
mondiale, avec les autres partis sociaux-démocrates
d'Europe, s'est engagé à lutter contre une guerre
interimpérialiste entre les grandes puissances.
Le Parti travailliste a appuyé formellement la
résolution,
réitérée au Congrès de Bâle de la
Deuxième Internationale en 1912, que tous ces partis ont le
devoir « de faire tous leurs efforts pour empêcher la
guerre par tous les moyens qui leur paraîtront le plus
appropriés ». Si la guerre venait à éclater,
« ils ont le devoir de
s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes
leurs forces la crise économique et politique
créée par la guerre pour
agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter
la chute
de la domination capitaliste ».
Cependant, dès que la guerre a été
déclarée, les dirigeants du Parti travailliste et du
Congrès des syndicats britanniques (CS) ont
déclaré qu'« un effort immédiat doit
être fait pour mettre fin à toutes les disputes
existantes, et pour que, partout où surgissent de nouvelles
situations
difficiles pendant la guerre, un effort sérieux soit fait par
toutes les parties concernées pour en arriver à un accord
à l'amiable... » Ils ont déclaré leur
appui à la guerre de pillage, créé les conditions
pour que le gouvernement déclare illégales les
grèves et les autres activités des syndicats dans
plusieurs industries pendant toute la durée de la guerre et
adopte la Loi de défense du royaume
(DORA) draconienne qui a fait de l'opposition active à la guerre
une infraction criminelle.
En 1915, des dirigeants du Parti travailliste se
sont joints au gouvernement de coalition fauteur de guerre.
En dépit de cette trahison, l'opposition
à la guerre et à ses effet économiques s'est
poursuivie, en particulier parmi les travailleurs des usines de
munitions en Écosse. Dès 1915, plus
de 10 000 travailleurs de Glascow ont mené une
grève non officielle contre les attaques à leur niveau de
vie. Des délégués locaux d'endroits de
travail ont organisé ce qui est devenu le Comité des
travailleurs de Clyde qui comprenait des centaines de
délégués élus directement par la
réunion à l'endroit de travail qui se tenait chaque
semaine.
Des milliers de travailleurs du sud du Pays de Galles
ont aussi organisé des grèves contre les lois
répressives du gouvernement qui niaient leurs droits et,
en 1917, les travailleurs en génie civil de toute la
Grande-Bretagne se sont mis en grève en opposition aux plans du
gouvernement d'étendre le service militaire et d'adopter
d'autres
mesures antiouvrières.
L'opposition à la guerre et la revendication
qu'on
mette fin à la guerre ont pris davantage d'ampleur suite aux
événements révolutionnaires de Russie
en 1917. Au Congrès de Leeds tenu en juin de la même
année, auquel ont participé plus de 1 000
délégués des organisations ouvrières,
syndicales et socialistes, les délégués se sont
prononcés très fortement en appui à la fin de la
guerre et à l'établissement de conseils ouvriers et de
soldats dans toute la Grande-Bretagne pour instaurer un gouvernement
antiguerre.
L'expérience de la Première Guerre
mondiale a démontré que les travailleurs de
Grande-Bretagne et de tous les pays doivent jouer un rôle
dirigeant
dans la société pour arrêter la guerre. La trahison
du Parti travailliste et des partis qui formaient la
Deuxième Internationale a démontré que les
travailleurs doivent s'organiser eux-mêmes sur la base de
leur programme et de leurs objectifs indépendants. Ils doivent
abandonner toute illusion que les partis électoraux qui forment
les gouvernements de partis au service de la bourgeoisie vont servir
leurs intérêts. Aujourd'hui, les travailleurs doivent
organiser avec la perspective de créer leur propre gouvernement
antiguerre, de bâtir le front prolétarien
pour mener ce travail à bien et régler leurs comptes avec
tous les prétextes qui servent à trahir leurs
intérêts.
À gauche : Rapport sur le Congrès de Leeds pour
mettre fin à la guerre
et instaurer les conseils d'ouvriers et de soldats. À
droite : L'édition du 29 janvier 2016 de The
Worker
Le rôle criminel de la social-démocratie
durant la Première Guerre mondiale
- Chris Coleman -
La trahison des partis sociaux-démocrates de la
Deuxième Internationale a été, selon un
commentateur, « la pire défaite jamais subie par la classe
ouvrière mondiale dans toute son histoire ».[1] Pour diriger la classe ouvrière
aujourd'hui dans sa lutte pour se constituer en la nation et
établir des
gouvernements antiguerre, il y a d'importantes leçons à
tirer de l'expérience du mouvement ouvrier international
à combattre le social-chauvinisme de la Deuxième
Internationale.
Pendant près de vingt-cinq ans, dès la
conférence de Bruxelles de 1891, la Deuxième
Internationale avait adopté des résolutions mettant en
garde contre la menace de guerre et appelant à une opposition
à la guerre interimpérialiste. La conférence de
Londres de 1896 avait même appelé à
l'abolition des armées permanentes, à
l'armement du peuple, à la création de tribunaux
d'arbitrage et aux référendums populaires sur la guerre.
Le Congrès de Stuttgart en 1907 avait adopté la
fameuse résolution, dont le dernier paragraphe avait
été écrit par Lénine et Rosa Luxemburg,
dont les principes demeurent valables à ce jour. Elle se lisait
comme suit :
« Si une guerre menace
d'éclater, c'est un devoir de la classe ouvrière dans les
pays concernés, c'est un devoir pour leurs représentants
dans les parlements, avec l'aide du Bureau (socialiste) international,
force d'action et de coordination, de faire tous leurs efforts pour
empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraîtront
le mieux
appropriés et qui varient naturellement selon l'acuité de
la lutte des classes et la situation politique générale.
« Au cas où la
guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de
s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes
leurs forces la crise économique et politique
créée par la guerre pour agiter les couches populaires
les plus profondes et précipiter la chute de la domination
capitaliste. »[2]
Rosa Luxemburg à la conférence de Stuttgart en 1907
Il est certain que les partis sociaux-démocrates
auraient pu empêcher la guerre ou du moins provoquer sa fin
rapide. Dans une situation d'opposition massive à la guerre dans
toute l'Europe, le plus puissant des partis de la Deuxième
Internationale, le Parti social-démocrate d'Allemagne,
était en mesure de le faire et même de diriger une
révolution. Cependant, seuls les bolchéviques russes,
parmi
ceux
qui étaient en mesure de le faire, sont restés
fidèles aux principes convenus à Stuttgart. Et ce sera la
Révolution d'Octobre dirigée par eux qui mettra fin aux
terribles ravages de la guerre.
Mais alors que les nuages noirs de la guerre
s'amassaient et que toutes les puissances impérialistes
trouvaient une justification et voyaient la possibilité de faire
avancer leurs intérêts - l'Allemagne de s'emparer de
colonies britanniques et françaises et de l'Ukraine, des
provinces baltes et de la Pologne de la Russie, la Russie tsariste de
démembrer la Turquie et de s'emparer de Constantinople et des
détroits pour accéder à la
Méditerranée, la Grande-Bretagne d'écraser son
rival, l'Allemagne, et de prendre la Mésopotamie et la Palestine
à la Turquie, la France de s'emparer de la Sarre et de reprendre
l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne, et les États-Unis, en
arrière-plan, prêts à
exploiter toutes les opportunités pour faire progresser leur
ambition de domination mondiale - tous les partis de la
social-démocratie, les uns après les autres, ont
hissé le drapeau capitaliste du chauvinisme national et ont
appuyé la guerre. Seuls les partis russe et serbe de la
Deuxième Internationale ont résisté.
Résolument, les sociaux-démocrates
allemands ont été parmi les premiers à agir et
à voter les crédits de guerre au Reichstag. En
Grande-Bretagne, les sociaux-démocrates étaient
généralement plus prudents. Les masses de la classe
ouvrière de Grande-Bretagne, comme dans d'autres pays,
étaient farouchement opposées à la guerre qui
avait
éclaté
en août 1914. Le Parti travailliste a réagi à
ce sentiment en organisant des manifestations dans tout le pays
à la veille de l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne.
La section britannique du Bureau socialiste international a
publié un manifeste antiguerre signé par Henderson et
James Keir Hardie qui se terminait par les slogans « À bas
la
domination
de classe ! », « À bas la
guerre ! ». Ces deux hommes ont été les
principaux orateurs de la grande manifestation de Trafalgar Square, la
plus grande jamais connue, où des résolutions ont
été adoptées, appelant les organisations de
travailleurs à respecter les résolutions de la
Deuxième Internationale contre la guerre
impérialiste. D'autres manifestations monstres ont eu lieu
ailleurs au pays.
Le député du Parti travailliste indépendant (PTI),
James
Keir Hardie, qui parle au square Trafalgar le 3 août 1914. Le
PTI s'opposait à la guerre sur la base de la
solidarité internationale de la classe ouvrière face aux
capitalistes qui profitaient de la guerre.
Toutefois, les dirigeants du Parti travailliste ont
veillé à ce que les choses n'aillent pas plus loin que
les manifestations et les discours. Dès les premiers jours
d'août, le Daily Citizen, organe du Congrès des
syndicats (CS) et du Parti travailliste, a appelé les
travailleurs à « s'unir pour défendre la
patrie ».
Dans les semaines suivantes, les syndicats ont
signé un pacte de « paix civile » avec le
gouvernement libéral, le Parti travailliste signera un accord
similaire dans le domaine politique. Le Parti travailliste
indépendant (PTI), dont les dirigeants, dont Ramsay Macdonald,
étaient également dirigeants du Parti travailliste, a
publié des
manifestes « À bas la guerre » qui se
limitaient à demander « la paix » et appelaient
les travailleurs à faire de la « propagande
générale pour le socialisme sans traiter
spécifiquement de la guerre ».
En même temps, les militants de base du PTI et
du Parti socialiste britannique (PSB) ont été
encouragés à épouser le pacifisme et l'objection
de conscience, et ont été criminalisés
par l'élite britannique pour avoir défendu leur
droit de conscience.
Fin août,
l'exécutif national du Parti travailliste et le Parti
parlementaire travailliste, composé de cinq membres du PTI, ont
accepté l'invitation du gouvernement de se joindre à la
campagne de recrutement. Cette trahison a été suivie
rapidement par un accord entre Henderson et le premier ministre Lloyd
George qui interdisait les grèves et
imposait l'arbitrage obligatoire pour tout conflit dans les usines de
production de munitions. Cet accord a conduit à la loi
draconienne sur les munitions de guerre de juin 1915, le
Munitions of War Act 1915, qui imposait l'arbitrage
obligatoire dans l'ensemble du secteur et contrôlait l'emploi et
la mobilité de tous les
travailleurs. Des tribunaux des munitions locaux, sur lesquels
siégeaient des responsables syndicaux, ont été
créés pour faire appliquer ces règles. Au
début de 1916, quand la conscription obligatoire a
été imposée, les dirigeants du Parti travailliste
faisaient partie du gouvernement et avaient cessé toute forme
d'opposition à la guerre.[3]
« La défense des droits des petites
nations » était l'un des prétextes du
gouvernement britannique pour entrer dans la guerre. Mais
quand les Irlandais se sont levés lors de l'insurrection de
Pâques en 1916 et ont proclamé la République,
le soulèvement a été écrasé avec la
plus grande brutalité, suivie d'exécutions de masse et
d'atrocités de toutes sortes. Les dirigeants syndicaux,
maintenant ministres du gouvernement, ont été complices
de cela. Le PTI, dans son journal Labour Leader, a
déclaré qu'il « condamnait fortement comme tout le
monde ceux qui sont directement responsables de la
révolte » et que James Connolly, sauvagement
assassiné par les
Britanniques alors qu'il était grièvement blessé,
s'était
« terriblement et criminellement trompé ».[4]
Le soutien des sociaux-démocrates à la
guerre interimpérialiste n'était cependant que le
début d'une grande trahison. Malgré le carnage et les
destructions de la guerre, la guerre a ouvert de grandes
possibilités pour faire avancer la cause des peuples. Quatre
grands empires ont été détruits : les empires
russe, allemand, austro-hongrois et
ottoman. De nouvelles nations indépendantes sont nées.
Des soulèvements révolutionnaires ayant un
caractère socialiste anticapitaliste marqué ont
balayé l'Europe. Mais seuls les bolchéviques en Russie
devaient
saisir l'occasion. Ailleurs, la trahison de la social-démocratie
devait être le facteur principal qui empêcha la
victoire de la révolution et
du socialisme dans la plupart sinon dans tous les domaines.
En Allemagne, la révolution a
débuté en novembre 1918 et l'élément
déclencheur a été la mutinerie au sein de la
marine allemande à Kiel. La révolte s'est répandue
comme une traînée de poudre et, inspirée par
l'exemple des bolchéviks, des soviets ont été mis
en
place partout au pays. Le 9 novembre, le gouvernement national
s'est effondré et le Kaiser a pris la fuite. La classe
ouvrière allemande était bien placée pour mener
à terme la révolution prolétarienne socialiste, en
autant qu'elle soit dirigée. La direction du parti
social-démocrate n'avait pas l'intention de jouer ce rôle.
Ils ne voulaient pas le socialisme et y croyaient encore moins.
Ils étaient des éléments
libéraux qui s'efforçaient de rapiécer ici et
là le capitalisme. Leur dirigeant Eber a dit : « Je
hais la révolution autant que je hais le
péché. »[5] Travaillant
étroitement avec les capitalistes « pour sauver
l'Allemagne du bolchévisme », ils ont en premier mis
en
place un gouvernement intérimaire dirigé par Ebert puis
un
gouvernement provisoire composé de sociaux-démocrates et
d'indépendants. Ils ont manipulé le Congrès des
soviets (allemands) pour qu'il appuie le gouvernement provisoire pour
ensuite inciter une lutte armée contre les spartakistes et
mobiliser des éléments militaires réactionnaires
contre les travailleurs combatifs. Les rues de Berlin sont devenues
un théâtre sanglant et la rébellion fut
écrasée. Durant ces événements, Rosa
Luxemburg et Karl Liebknecht furent arrêtés et
assassinés.
En l'espace de quelques semaines, la république
bourgeoise de Weimar fut établie où les capitalistes ont
cyniquement placé les sociaux-démocrates à la
tête du gouvernement, soit Ebert, Scheidemann et Noske.
Même les soviets se sont vu octroyer un rôle «
consultatif » ! C'est ce gouvernement
dirigé par les sociaux-démocrates
qui a signé le Traité de Versailles qui a
inévitablement pavé la voie au fascisme et aux horreurs
de la prochaine guerre mondiale.
À la fin de la Première Guerre mondiale,
une situation révolutionnaire s'est développée
aussi en Grande-Bretagne. Des grèves spontanées
devenaient généralisées. Le Mouvement des
délégués syndicaux (Shop Stewards Movement) qui
avait coupé les liens avec les organisations syndicales «
officielles », gagnait en influence. En Écosse,
malgré toutes les tentatives de l'écraser, dont
l'arrestation et la détention répétée de
leur dirigeant, l'enseignant John McClean, le Comité
révolutionnaire des travailleurs de Clyde a réussi, entre
autres,
à rendre les lois réglementant l'emploi et la
conscription inapplicables.
Un mouvement massif s'était
développé en opposition à la guerre. Les
mutineries se sont répandues au sein de l'armée et de la
marine, dont l'incendie des casernes militaires à Étaples
provoquée par les mutins.[6] Même les
policiers
se sont organisés en syndicats et faisaient la grève. Un
appui massif aux bolchéviques était notable parmi les
travailleurs activistes et lorsque le gouvernement a envoyé des
troupes pour intervenir contre le nouvel État soviétique,
le mécontentement parmi les soldats et les marins a
été un facteur important pour mettre fin à
l'intervention. Aussi, lorsque le gouvernement a voulu intervenir pour
appuyer l'invasion de la Russie soviétique par des gardes blancs
polonais, des actions de masse en opposition à cela ont eu lieu
partout au pays. Le navire Jolly George rempli de munitions
à destination de la Pologne a été rendu
inopérant par les débardeurs sur la Tamise. Des «
comités d'action » ont été
établis par les travailleurs partout au pays. Lénine a
comparé la situation en Grande-Bretagne
à celle que la Russie a vécue durant la révolution
de février 1917, affirmant que les comités d'action
étaient en essence des soviets et soulignant que même les
sociaux-démocrates opportunistes ont été
forcés de les appuyer.
Ce sont encore les sociaux-démocrates qui sont
venus à la rescousse de la bourgeoisie. Une propagande
antisoviétique pernicieuse ainsi que des attaques contre les
travailleurs révolutionnaires et le parti communiste
nouvellement établi, sont devenus la marque de commerce
officielle du Parti travailliste et du Parti travailliste
indépendant. Cette
traîtrise combinée à tout l'héritage
opportuniste parmi même les meilleurs éléments de
la classe ouvrière, ainsi que la faiblesse relative et le
sectarisme fréquent des communistes, ont permis à la
bourgeoisie de survivre à la crise révolutionnaire
de 1919-1920 en Grande Bretagne.[7]
Le rôle clé joué par les
sociaux-démocrates opportunistes pour empêcher la
révolution socialiste et maintenir les capitalistes et les
impérialistes au pouvoir dans tous les pays sauf la Russie,
alors que l'occasion se présentait de façon si
évidente durant la période de la Première Guerre
mondiale, est résumé brillamment par Lénine au IIe
Congrès
de la nouvelle Internationale communiste (Congrès de fondation
de la IIe Internationale). Il a
dit ces mots célèbres :
L'opportunisme, voilà
notre ennemi principal. L'opportunisme des couches supérieures
du mouvement ouvrier, c'est un socialisme non prolétarien, mais
bourgeois. La preuve est faite que les militants du mouvement ouvrier
qui appartiennent à la tendance opportuniste sont de meilleurs
défenseurs de la bourgeoisie que les bourgeois
eux-mêmes. S'ils n'avaient pas en main la direction des ouvriers,
la bourgeoisie ne pourrait pas se maintenir. Ce n'est pas seulement
l'histoire du régime Kérenski en Russie qui le
prouve ; la République démocratique d'Allemagne,
avec à sa tête un gouvernement social-démocrate, le
prouve aussi de même que le comportement d'Albert
Thomas à l'égard de son gouvernement bourgeois. La preuve
est faite enfin par l'expérience analogue de la Grande-Bretagne
et des États-Unis.[8]
La social-démocratie a continué
d'être la politique préférée de
l'impérialisme, son instrument principal pour empêcher la
classe ouvrière d'être au pouvoir, jusqu'à la fin
du XXe siècle, avec l'effondrement de l'Union soviétique
et des démocraties populaires qui a marqué le passage du
flot révolutionnaire au repli révolutionnaire et que la
mondialisation
néolibérale est devenue le programme des États du
système impérialiste. Le néolibéralisme a
été inévitablement accompagné des ravages
incessants des guerres impérialistes de conquête et
d'intervention, qui se poursuivent sans relâche jusqu'à ce
jour. La mort, la destruction, les déplacements de millions de
personnes continuent d'être infligés aux
peuples du monde. Et, comme toujours, les peuples du monde aspirent
à la paix.
Si l'on jette un regard sur la Première Guerre
mondiale, il n'y a aucun doute que la prise du pouvoir par les
bolchéviques en Russie et leur retrait immédiat de la
guerre ont
été des facteurs importants pour ramener la paix et
mettre fin à la guerre. C'était véritablement un
gouvernement antiguerre. Le combat inlassable de Lénine contre
les
politiques opportunistes a été conséquent avec la
défense de la cause pour la paix.
Dans les circonstances actuelles et en tenant compte
des conditions d'aujourd'hui, il faut pour garantir la paix que la
classe ouvrière soit investie du pouvoir de décider,
qu'elle se constitue en la nation, qu'elle ouvre la voie vers une
société nouvelle et prenne les mesures
nécessaires pour établir un processus politique qui va
mener à l'établissement d'un
gouvernement antiguerre.
Notes
1. William Z Foster, History of the Three
Internationals, International Publishers, New York, 1955,
p. 225
2. Ibid, p. 207
3. Ralph Fox, The Class Struggle in Britain,
Part II : 1914-1923, Martin Lawrence,
Londres, 1933, chapitre 2
4. Ibid, p. 16
5. Foster, p. 278
6. Mutinerie à Étaples
(Pas-de-Calais). L'État-Major britannique utilisait
Étaples comme base de rassemblement des troupes,
éloigné des combats, mais bien relié par les voies
de chemin de fer vers Arras et Béthune. Près
de 60 000 hommes s'entraînaient en permanence sur le
Mont Levin. Les
renforts débarquaient au port de Boulogne-sur-Mer, et,
après une marche forcée de 26 km, étaient
soumis à un encadrement impitoyable de la part des
instructeurs, surnommés les « canaris », car
porteurs d'un brassard jaune. Ces instructeurs, dans leur
majorité n'ayant jamais vu le front, mêlent sadisme et
cruauté. Ils étaient selon le
soldat Notley : « les pires individus que l'on puisse
imaginer et qui transformaient la vie des hommes en enfer ».
Étaples a connu, en septembre 1917, la
révolte des soldats contre les conditions d'entraînement.
Le contrôle postal du 17 septembre 1917 évoque
la révolte de soldats écossais et canadiens, barrant les
ponts avec des mitrailleuses. Le caporal Reynolds
témoigne : « Au pied de la colline se trouvait le
camp de détention
n•1 avec ses malheureux prisonniers attachés par les poignets
pendant que, tout en bas sur la plage, luttant dans la boue et la vase,
des centaines, des milliers d'hommes de troupes étaient
injuriés et molestés. » Des déserteurs
s'organisent en bandes, dans les bois environnants. Une
société de déserteurs, « Le
Sanctuaire », se forme et
trouve refuge dans les tunnels et les puits autour de Camiers.
Selon certaines études, la rébellion
débute le 9 septembre 1917. Sur la
place d'Étaples, le caporal William Wood est arrêté
par la Military Police (MP), pour avoir conversé avec
une infirmière, conversation alors interdite ! Le chef de
patrouille abat le caporal, lors de l'échauffourée
consécutive à
l'interpellation. La nouvelle se propage rapidement parmi les
Écossais, Australiens et Néo-Zélandais du camp.
Ils s'emparent des armes d'entraînement du camp. La mutinerie
débute. Les soldats révoltés se répandent
en ville malgré la tentative d'interception du Royal
Fusiliers sur le pont des Trois Arches. La chasse aux «
canaris »
et aux MP commence dans les rues et maisons d'Étaples. Un
millier de révoltés venus du Touquet, gagnent
Étaples. Le général Thomson, commandant du camp
d'entraînement, et ses subordonnés sont jetés du
pont sur la Canche. Des exactions sont commises dans la ville
d'Étaples.
Après trois jours de révolte, l'assaut
sur Passchendaele étant imminent, le commandement britannique
décide d'intervenir. Le 19e régiment de hussards et
une partie de la 1st
Honorable
Artillery
Company sont dirigés sur Étaples.
Le 13 septembre, deux bataillons retirés du front d'Artois
viennent les rejoindre, suivis d'un escadron de
Gurkas de l'Armée des Indes. Le 14, le camp est investi.
Les révoltés doivent gagner le front. Rien ne permet
aujourd'hui d'établir le nombre exact de soldats qui ont alors
été passés par les armes.
À Boulogne, l'armée britannique doit aussi
faire
face à des mutins parmi les Labour Corps. Le
maréchal Haig fait exécuter 23 ouvriers
égyptiens, puis plus tard, 9 ouvriers chinois.
A Étaples, le caporal Jesse Short est
fusillé le 4 octobre 1917. Le chef de la mutinerie
Percy Toplis, déserteur, le « mutin au
monocle », est arrêté le 15
octobre 1917 à Rang-du-Fliers ; il s'évade et
est abattu en Angleterre en 1920.
(Sources : les sites Web
« 1914-1918 : Reims dans la Grande Guerre »
et « Chemins de mémoire 14-18 » )
7. Fox, chapitres 3 et 4.
8. Lénine, « Rapport sur la situation
internationale et les tâches fondamentales de l'internationale
communiste », Oeuvres tome 31, Éditions
du progrès, Moscou, 1973, p. 238
L'attitude du Parti bolchevique à
l'égard
de la guerre
- Lénine -
L'attitude des socialistes à l'égard des
guerres
Les socialistes ont toujours condamné les
guerres entre peuples comme une entreprise barbare et bestiale. Mais
notre attitude à l'égard de la guerre est
foncièrement différente de celle des pacifistes
(partisans et propagandistes de la paix) bourgeois et des anarchistes.
Nous nous distinguons des premiers en ce sens que nous comprenons le
lien
inévitable qui rattache les guerres à la lutte des
classes à l'intérieur du pays, que nous comprenons qu'il
est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et
sans instaurer le socialisme ; et aussi en ce sens que nous
reconnaissons parfaitement la légitimité, le
caractère progressiste et la nécessité des guerres
civiles, c'est-à-dire
des guerres de la classe opprimée contre celle qui l'opprime,
des esclaves contre les propriétaires d'esclaves, des paysans
serfs contre les seigneurs terriens, des ouvriers salariés
contre la bourgeoisie. Nous autres, marxistes, différons des
pacifistes aussi bien que des anarchistes en ce sens que nous
reconnaissons la nécessité d'analyser historiquement
(du point de vue du matérialisme dialectique de Marx) chaque
guerre prise à part. L'histoire a connu maintes guerres qui,
malgré les horreurs, les atrocités, les calamités
et les souffrances qu'elles comportent inévitablement, furent
progressives, c'est-à-dire utiles au développement de
l'humanité en aidant à détruire des institutions
particulièrement
nuisibles et réactionnaires (par exemple, l'autocratie ou le
servage) et les despotismes les plus barbares d'Europe (turc et russe).
Aussi importe-t-il d'examiner les particularités historiques de
la guerre actuelle.
Les types historiques des guerres modernes
La grande révolution française a
inauguré une nouvelle époque dans l'histoire de
l'humanité. Depuis lors et jusqu'à la Commune de Paris,
de 1789 à 1871, les guerres de libération
nationale, à caractère progressif bourgeois,
constituèrent l'un des types de guerres. Autrement dit, le
contenu principal et la portée historique de ces
guerres étaient le renversement de l'absolutisme et du
système féodal, leur ébranlement, l'abolition du
joug étranger. C'étaient là, par
conséquent, des guerres progressives ; aussi tous les
démocrates honnêtes, révolutionnaires, de
même que tous les socialistes, ont toujours souhaité, dans
les guerres de ce genre, le succès du pays
(c'est-à dire de la bourgeoisie) qui contribuait à
renverser ou à saper les bastions les plus dangereux du
régime féodal, de l'absolutisme et de l'oppression
exercée sur les peuples étrangers. Ainsi, dans les
guerres révolutionnaires de la France, il y avait un
élément de pillage et de conquête des terres
d'autrui par les Français ; mais cela ne
change rien à la portée historique essentielle de ces
guerres qui démolissaient et ébranlaient le régime
féodal et l'absolutisme de toute la vieille Europe, de l'Europe
du servage. Dans la guerre franco-allemande, l'Allemagne a
dépouillé la France, mais cela ne change rien à la
signification historique fondamentale de cette guerre, qui a affranchi
des
dizaines de millions d'Allemands du morcellement féodal et de
l'oppression exercée sur eux par deux despotes, le tsar russe et
Napoléon III.
La différence entre guerre offensive et guerre
défensive
L'époque de 1789-1871 a laissé
des traces profondes et des souvenirs révolutionnaires. Avant le
renversement du régime féodal, de l'absolutisme et du
joug national étranger, il ne pouvait absolument pas être
question de voir se développer la lutte du prolétariat
pour le socialisme. Parlant du caractère légitime de la
guerre «
défensive » à propos des guerres de cette
époque, les socialistes ont toujours eu en vue, très
précisément, ces objectifs qui se ramènent
à la révolution contre le régime
médiéval et le servage. Les socialistes ont toujours
entendu par guerre « défensive » une guerre
« juste » dans ce sens (comme a dit
exactement
un jour W. Liebknecht). C'est seulement dans ce sens que les
socialistes reconnaissaient et continuent de reconnaître le
caractère légitime, progressiste, juste, de la «
défense de la patrie » ou d'une guerre «
défensive ». Par exemple, si demain le Maroc
déclarait la guerre à la France, l'Inde à
l'Angleterre, la Perse ou la Chine à la
Russie, etc., ce seraient des guerres « justes »,
« défensives », quel que soit celui qui
commence, et tout socialiste appellerait de ses voeux la victoire des
États opprimés, dépendants, lésés
dans leurs droits, sur les « grandes » puissances
oppressives, esclavagistes, spoliatrices.
Mais imaginez qu'un propriétaire de 100
esclaves fasse la guerre à un autre propriétaire qui en
possède 200, pour un plus « juste »
partage des esclaves. Il est évident qu'appliquer à un
tel cas la notion de guerre « défensive » ou de
« défense de la patrie » serait falsifier
l'histoire ; ce serait, pratiquement,
une mystification des simples gens, de la petite bourgeoisie, des gens
ignorants, par d'habiles esclavagistes. C'est ainsi qu'aujourd'hui la
bourgeoisie impérialiste trompe les peuples au moyen de
l'idéologie « nationale » et de la notion de
défense de la patrie dans la guerre actuelle entre
esclavagistes, qui a pour enjeu l'aggravation et le
renforcement de l'esclavage.
La guerre actuelle est une guerre impérialiste
Presque tout le monde reconnaît que la guerre
actuelle est une guerre impérialiste, mais le plus souvent on
déforme cette notion, ou bien on l'applique
unilatéralement, ou bien on insinue que cette guerre pourrait
avoir une portée progressiste bourgeoise, de libération
nationale. L'impérialisme est le degré supérieur
du développement du
capitalisme, que celui-ci n'a atteint qu'au XXe siècle. Le
capitalisme se sent désormais à l'étroit dans les
vieux États nationaux sans la formation desquels il n'aurait pu
renverser le régime féodal. Le capitalisme a
développé la concentration au point que des industries
entières ont été accaparées par les
syndicats patronaux, les trusts, les associations
de capitalistes milliardaires, et que presque tout le globe a
été partagé entre ces « potentats du
capital », sous forme de colonies ou en enserrant les pays
étrangers dans les filets de l'exploitation financière.
À la liberté du commerce et de la concurrence se sont
substituées les tendances au monopole, à la
conquête de terres pour y investir les
capitaux, pour en importer des matières premières, etc.
De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte
contre le régime féodal, le capitalisme
impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations.
Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu
réactionnaire ; il a développé les forces
productives au point que
l'humanité n'a plus qu'à passer au socialisme, ou bien
à subir durant des années, et même des dizaines
d'années, la lutte armée des « grandes »
puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l'aide
de colonies, de monopoles, de privilèges et d'oppressions
nationales de toute nature.
La guerre entre les plus gros propriétaires
d'esclaves pour le maintien et l'aggravation de l'esclavage
Afin de montrer clairement le rôle de
l'impérialisme, nous citerons des données précises
sur le partage du monde entre ce qu'on appelle les «
grandes » puissances (c'est à-dire celles qui
réussissent à piller sur une grande échelle) :
Le
partage
du
monde
par
les
“grandes”
puissances
esclavagistes
|
Colonies |
Métropoles |
Total |
|
1876 |
1914 |
1914 |
|
|
km2
(millions) |
habitants
(millions) |
km2
(millions) |
habitants
(millions) |
km2
(millions) |
habitants
(millions) |
km2
(millions) |
habitants
(millions) |
Angleterre |
22,5 |
251,9 |
33,5 |
393,5 |
0,3 |
46,5 |
33,8 |
440 |
Russie |
17 |
15,9 |
17,4 |
33,2 |
5,4 |
136,2 |
22,8 |
169,4 |
France |
0,9 |
6 |
10,6 |
55,5 |
0,5 |
39,6 |
11,1 |
95,1 |
Allemagne |
|
|
2,9 |
12,3 |
0,5 |
64,9 |
3,4 |
77,2 |
Japon |
|
|
0,3 |
19,2 |
0,4 |
53 |
0,7 |
72,2 |
États-Unis de l’Amérique
du Nord |
|
|
0,3 |
9,7 |
9,4 |
97 |
9,7 |
106,7 |
Les 6 « grandes »
puissances |
40,4 |
273,8 |
65 |
523,4 |
16,5 |
437,2 |
81,5 |
960,6 |
Colonies n'appartenant pas aux grandes
puissances (mais à la Belgique, à la Hollande et à
d'autres États) |
|
|
9,9 |
45,3 |
|
|
9,9 |
45,3 |
Trois pays « semi-
coloniaux »
(Turquie, Chine et Perse) |
|
|
|
|
|
|
14,5 |
361,2 |
Total |
|
|
|
|
|
|
150,9 |
1367,1 |
Autres États et pays |
|
|
|
|
|
|
28 |
289,9 |
Tout le globe |
|
|
|
|
|
|
133,9 |
1657 |
Il ressort de ce tableau que les peuples qui,
de 1789 à 1871, ont combattu la plupart du temps
à la tête des autres peuples pour la liberté, sont
devenus désormais, après 1876, à la faveur
d'un capitalisme hautement
développé et « plus que mûr », les
oppresseurs et les exploiteurs de la majorité des populations et
des nations du globe. Entre 1876 et 1914, six «
grandes » puissances ont accaparé 25 millions de
kilomètres carrés, soit une superficie
représentant deux fois et demi celle de toute l'Europe !
Six puissances
tiennent dans la servitude plus d'un demi-milliard (523
millions) d'habitants des colonies. Pour 4 habitants des «
grandes » puissances, il y en a 5 dans leurs «
colonies ». Tout le monde sait que les colonies ont
été
conquises par le fer et par le feu, qu'on inflige à leurs
populations un traitement barbare, qu'on les
exploite par mille moyens (exportation de capitaux, concessions,
etc. en les trompant sur la qualité des marchandises qui
leur sont vendues, en les assujettissant aux autorités de la
nation « dominante », etc., et ainsi de suite). La
bourgeoisie anglo-française dupe le peuple lorsqu'elle
prétend mener la guerre pour la liberté des peuples et
de la Belgique : en réalité, elle mène la
guerre pour conserver les immenses territoires coloniaux dont elle
s'est emparée. Les impérialistes allemands auraient
immédiatement évacué la Belgique, etc., si les
Anglais et les Français avaient partagé avec eux leurs
colonies « à l'amiable ». La situation a ceci
de singulier que, dans ce conflit,
le sort des colonies sera tranché par l'issue de la guerre sur
le continent. Du point de vue de la justice bourgeoise et de la
liberté nationale (ou du droit des nations à
l'existence), l'Allemagne aurait incontestablement raison contre
l'Angleterre et la France, car elle a été «
lésée » en fait de colonies ; ses ennemis
oppriment infiniment
plus de nations qu'elle ne le fait elle-même, et chez son
alliée, l'Autriche, les Slaves opprimés jouissent
assurément d'une plus grande liberté que dans la Russie
tsariste, cette véritable « prison des
peuples ». Mais l'Allemagne fait elle aussi la guerre pour
opprimer des nations, et non pour les affranchir. Ce n'est pas
l'affaire des socialistes
d'aider un brigand plus jeune et plus vigoureux (l'Allemagne) à
piller des brigands plus vieux et plus repus. Les socialistes doivent
profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous.
Pour cela, il faut avant tout que les socialistes disent au peuple la
vérité, à savoir que cette guerre est, dans un
triple sens, une guerre d'esclavagistes
pour la consolidation de l'esclavage. C'est une guerre qui vise,
premièrement, à aggraver l'esclavage des colonies au
moyen d'un partage plus « équitable » et d'une
exploitation ultérieure mieux «
orchestrée » ; deuxièmement, à
accentuer le joug qui pèse sur les nations
étrangères à l'intérieur des «
grandes » puissances
elles-mêmes, car l'Autriche aussi bien que la Russie (la
Russie dans des proportions beaucoup plus grandes et bien pires que
l'Autriche) ne se maintiennent qu'au moyen de ce joug qu'elles
renforcent par la guerre ; troisièmement, à
intensifier et à prolonger l'esclavage salarié, car le
prolétariat est divisé et accablé, tandis que les
capitalistes gagnent sur tous les tableaux en s'enrichissant par la
guerre, en exacerbant les préjugés nationaux et en
accentuant la réaction, qui connaît une recrudescence dans
tous les pays, même dans les pays républicains les plus
libres.
« La guerre est la continuation de la politique
par d'autres moyens »
(à savoir : par la violence)
Cette sentence célèbre appartient
à Clausewitz, l'un des auteurs les plus pénétrants
en matière militaire.[1]
Les marxistes ont toujours considéré avec juste raison
cette thèse comme la base théorique de
l'interprétation de chaque guerre donnée. C'est de ce
point de vue que Marx et Engels ont toujours
envisagé les différentes guerres.
Appliquez ce point de vue à la guerre actuelle.
Vous verrez que, durant des dizaines d'années, pendant
près d'un demi-siècle, les gouvernements et les classes
dirigeantes d'Angleterre, de France, d'Allemagne, d'Italie, d'Autriche
et de Russie ont pratiqué une politique de pillage des colonies,
d'oppression de nations étrangères, d'écrasement
du
mouvement ouvrier. C'est cette politique, et nulle autre, qui se
poursuit dans la guerre actuelle. En Autriche et en Russie notamment,
la politique du temps de paix consiste, comme celle du temps de guerre,
à asservir les nations et non à les affranchir. Au
contraire, en Chine, en Perse, dans l'Inde et les autres pays
dépendants, nous assistons durant
ces dernières dizaines d'années à une politique
d'éveil à la vie nationale de dizaines et de centaines de
millions d'hommes, à une politique tendant à les
libérer du joug des « grandes » puissances
réactionnaires. La guerre sur ce terrain historique peut
être aujourd'hui encore une guerre progressive bourgeoise, une
guerre de libération
nationale.
Il suffit de considérer que la guerre actuelle
continue la politique des « grandes » puissances et
des classes fondamentales qui les constituent pour constater
aussitôt le caractère manifestement antihistorique,
mensonger et hypocrite de l'opinion selon laquelle il serait possible,
dans la guerre actuelle, de justifier l'idée de la «
défense de la
patrie ».
L'exemple de la Belgique
Les social-chauvins de la Triple (aujourd'hui
Quadruple) Entente (en Russie : Plékhanov et Cie) aiment
par-dessus tout invoquer l'exemple de la Belgique. Mais cet exemple se
retourne contre eux. Les impérialistes allemands ont
violé sans vergogne la neutralité de la Belgique, comme
ont fait toujours et partout les États belligérants qui,
en cas de besoin, foulaient aux pieds tous les traités
et engagements. Admettons que tous les États qui ont
intérêt à respecter les traités
internationaux aient déclaré la guerre à
l'Allemagne, en exigeant de ce pays qu'il évacue et
dédommage la Belgique. En l'occurrence, la sympathie des
socialistes serait allée, bien entendu, aux ennemis de
l'Allemagne. Or, le fait est justement que la guerre menée par
la « Triple (et Quadruple) Entente » ne l'est pas
pour la Belgique ; cela est parfaitement connu, et seuls les
hypocrites le dissimulent. L'Angleterre pille les colonies de
l'Allemagne et la Turquie ; la Russie pille la Galicie et la
Turquie ; la France
réclame l'Alsace-Lorraine et même la rive gauche du
Rhin ; un traité a été conclu avec l'Italie
sur le partage du butin (Albanie et Asie mineure) ; un marchandage
analogue est en cours avec la Bulgarie et la Roumanie. Sur le terrain
de la guerre actuelle des gouvernements actuels, il est impossible
d'aider la Belgique
autrement qu'en aidant à étrangler l'Autriche ou la
Turquie, etc. ! Que vient faire alors ici la «
défense de la patrie » ? ? C'est là
précisément le caractère particulier de la guerre
impérialiste, guerre menée par des gouvernements
bourgeois réactionnaires qui ont fait historiquement leur temps,
avec pour enjeu l'oppression
d'autres nations. Quiconque justifie la participation à cette
guerre perpétue l'oppression impérialiste des nations.
Quiconque préconise d'exploiter les difficultés actuelles
des gouvernements pour lutter en faveur de la révolution sociale
défend la liberté réelle de la totalité des
nations, qui n'est réalisable qu'en régime socialiste.
Pourquoi la Russie fait-elle la guerre ?
En Russie, l'impérialisme capitaliste du type
moderne s'est pleinement révélé dans la politique
du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de
la Mongolie ; mais ce qui, d'une façon
générale, prédomine en Russie, c'est
l'impérialisme militaire et féodal. Nulle part au monde
la majorité de la population du pays n'est aussi
opprimée : les Grands Russes ne forment que 43 %
de la population, c'est à dire moins de la moitié, et
tous les autres habitants sont privés de droits, en tant
qu'allogènes. Sur les 170 millions d'habitants de la
Russie, près de 100 millions sont asservis et
privés de droits. Le tsarisme fait la guerre pour
s'emparer de la Galicie et étrangler définitivement la
liberté des Ukrainiens, pour conquérir l'Arménie,
Constantinople, etc. Le tsarisme voit dans la guerre un moyen de
détourner l'attention du mécontentement qui
s'accroît à l'intérieur du pays et d'écraser
le mouvement révolutionnaire grandissant. Aujourd'hui, pour deux
Grands-Russes, on
compte en Russie deux ou trois « allogènes »
privés de droits : le tsarisme s'efforce, au moyen de la
guerre, d'augmenter le nombre des nations opprimées par la
Russie,
d'accentuer leur oppression et de faire ainsi échec à la
lutte pour la liberté que mènent les Grands Russes
eux-mêmes. La possibilité d'asservir et de piller les
autres
peuples aggrave le marasme économique, car il arrive souvent que
la source des revenus soit moins le développement des forces
productives que l'exploitation semi féodale des «
allogènes ». Ainsi, du côté de la
Russie, la guerre porte un caractère foncièrement
réactionnaire et hostile aux mouvements de libération.
Qu'est-ce que le social-chauvinisme ?
Le social-chauvinisme, c'est la « défense
de la patrie » dans la guerre actuelle. De cette position
découlent, par voie de conséquence, la renonciation
à la lutte de classe pendant la guerre, le vote des
crédits militaires, etc. Les social-chauvins pratiquent en fait
une politique antiprolétarienne, bourgeoise, car ils
préconisent en réalité, non
pas la « défense de la patrie » au sens de la
lutte contre l'oppression étrangère, mais le «
droit » de telles ou telles « grandes »
puissances à piller les colonies et à opprimer d'autres
peuples. Les social-chauvins reprennent à leur compte la
mystification du peuple par la bourgeoisie, selon laquelle la guerre
serait menée pour la
défense de la liberté et de l'existence des nations, et
se rangent ainsi aux côtés de la bourgeoisie contre le
prolétariat. Sont des social-chauvins aussi bien ceux qui
justifient et exaltent les gouvernements et la bourgeoisie d'un
des groupes des puissances belligérantes que ceux qui, à
l'instar de Kautsky, reconnaissent aux socialistes de toutes
les puissances belligérantes un droit identique à la
« défense de la patrie ». Le
social-chauvinisme, qui prône en fait la défense des
privilèges, des avantages, des pillages et violences de «
sa propre » bourgeoisie impérialiste (ou de toute
bourgeoisie, en général), constitue une trahison pleine
et entière de toutes les
convictions socialistes et de la résolution du Congrès
socialiste international de Bâle.
Le Manifeste de Bâle
Le Manifeste sur la guerre, adopté à
l'unanimité à Bâle en 1912, vise justement la
guerre qui a éclaté en 1914 entre l'Angleterre et
l'Allemagne avec leurs alliés actuels. Le manifeste
déclare nettement que nul intérêt du peuple ne peut
justifier une telle guerre, menée pour « le profit des
capitalistes ou l'orgueil des
dynasties », sur la base de la politique
impérialiste, spoliatrice, des grandes puissances. Le manifeste
déclare expressément que la guerre est un danger «
pour les gouvernements » (tous sans exception), met en
évidence la crainte que la « révolution
prolétarienne » leur inspire, rappelle de la
manière la plus explicite l'exemple de
la Commune de 1871 et celui d'octobre décembre 1905, c'est-à-dire
l'exemple
de
la
révolution
et
de
la guerre civile. Par
conséquent, le Manifeste de Bâle indique,
précisément pour la guerre actuelle, la tactique de la
lutte révolutionnaire des ouvriers à l'échelle
internationale contre leurs gouvernements, la tactique de la
révolution prolétarienne. Le Manifeste de Bâle
reprend les termes de la résolution de Stuttgart disant qu'au
cas où la guerre éclaterait, les socialistes devraient
exploiter « la crise économique et politique »
créée par la guerre pour « précipiter la
chute de la domination capitaliste », c'est à dire
mettre à profit les difficultés suscitées aux
gouvernements par la guerre, ainsi que la colère des masses, en
vue de la révolution socialiste.
La politique des social-chauvins, qui justifient la
guerre du point de vue bourgeois sur le mouvement de libération,
qui admettent la « défense de la patrie », qui
votent les crédits, qui entrent dans les ministères,
etc., est donc une trahison pure et simple du socialisme, qui ne
s'explique, comme on le verra plus loin, que par la victoire de
l'opportunisme et de la politique ouvrière national
libérale au sein de la majorité des partis
européens.
Les fausses références à Marx et
Engels
Les social-chauvins russes (Plékhanov en
tête) invoquent la tactique de Marx dans la guerre
de 1870 ; les social-chauvins allemands (genre Lensch, David
et Cie) invoquent les déclarations d'Engels en 1891 sur la
nécessité pour les socialistes allemands de
défendre la patrie en cas de guerre contre la Russie et la
France
réunies ; enfin, les social-chauvins genre Kautsky,
désireux de transiger avec le chauvinisme international et de le
légitimer, invoquent le fait que Marx et Engels, tout en
condamnant les guerres, se sont néanmoins chaque fois
rangés, de 1854-1855 à 1870-1871 et
en 1876-1877, du côté de tel ou tel État
belligérant, une fois le conflit malgré tout
déclenché.
Toutes ces références déforment
d'une façon révoltante les conceptions de Marx et
d'Engels par complaisance pour la bourgeoisie et les opportunistes, de
même que les écrits des anarchistes (les Guillaume et Cie)
dénaturent les conceptions de Marx et d'Engels pour justifier
l'anarchisme. La guerre de 1870 1871 a été, du
côté de
l'Allemagne, une guerre historiquement progressive jusqu'à la
défaite de Napoléon III qui, de concert avec le tsar,
avait longtemps opprimé l'Allemagne en y maintenant le
morcellement féodal. Dès que la guerre eut tourné
au pillage de la France (annexion de l'Alsace et de la Lorraine), Marx
et Engels condamnèrent résolument les Allemands. Au
reste, dès le début de cette guerre, Marx et Engels
avaient approuvé le refus de Bebel et de Liebknecht de voter les
crédits et recommandé à la
social-démocratie de ne pas faire bloc avec la bourgeoisie, mais
de lutter pour la sauvegarde des intérêts de classe
particuliers du prolétariat. Appliquer le jugement porté
sur cette guerre progressive
bourgeoise et de libération nationale à la guerre
impérialiste actuelle, c'est se moquer de la
vérité. Il en va de même, de façon encore
plus frappante, pour la guerre de 1854 1855 et pour toutes
les guerres menées au XIX• siècle, alors que n'existaient
ni l'impérialisme actuel, ni les
conditions objectives déjà mûres du
socialisme, ni des partis socialistes de masse dans tous
les pays belligérants, c'est à dire à une
époque où faisaient précisément
défaut les conditions d'où le Manifeste de Bâle
dégageait la tactique de la « révolution
prolétarienne » en relation avec la guerre
entre les grandes puissances.
Invoquer aujourd'hui l'attitude de Marx à
l'égard des guerres de l'époque de la bourgeoisie progressive
et oublier les paroles de Marx : « Les ouvriers n'ont pas de
patrie », paroles qui se rapportent justement
à l'époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a
fait son temps, à l'époque de la révolution
socialiste,
c'est déformer cyniquement la pensée de Marx et
substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois.
La faillite de la IIe Internationale
Les socialistes du monde entier ont
déclaré solennellement en 1912, à Bâle,
qu'ils considéraient la future guerre européenne comme
une entreprise « criminelle » et
ultra-réactionnaire de tous les gouvernements, qui
devait précipiter la chute du capitalisme en provoquant
inévitablement la révolution contre ce dernier. La
guerre est venue, la crise a éclaté. Au lieu de la
tactique révolutionnaire, la majorité des partis
social-démocrates ont appliqué une tactique
réactionnaire et se sont rangés du côté de
leurs gouvernements et de leur bourgeoisie. Cette trahison à
l'égard du socialisme marque la faillite de la IIe
Internationale (1889 1914), et nous devons voir
clairement ce qui a déterminé cette faillite, ce qui a
engendré le social-chauvinisme et ce qui lui a donné sa
vigueur.
Le social-chauvinisme, dernier mot de l'opportunisme
Durant toute l'existence de la II• Internationale, une
lutte s'est poursuivie à l'intérieur de tous les partis
social-démocrates entre l'aile révolutionnaire et l'aile
opportuniste. Dans plusieurs pays, il y a eu scission sur ce point
(Angleterre, Italie, Hollande, Bulgarie). Aucun marxiste ne doutait que
l'opportunisme fût l'expression. de la politique
bourgeoise au sein du mouvement ouvrier, l'expression des
intérêts de la petite bourgeoisie et de l'alliance avec
« leur » bourgeoisie d'une partie minime
d'ouvriers embourgeoisés contre les intérêts de la
masse des prolétaires, de la masse des opprimés.
Les conditions objectives de la fin du XIXe
siècle renforçaient tout particulièrement
l'opportunisme, l'utilisation de la légalité bourgeoise
étant transformée de ce fait en servilité à
son égard ; elles créaient une mince couche
bureaucratique et aristocratique de la classe ouvrière, et
attiraient dans les rangs des partis social-démocrates
nombre de « compagnons de route » petits bourgeois.
La guerre a accéléré ce
développement, transformé l'opportunisme en
social-chauvinisme, et l'alliance tacite des opportunistes avec la
bourgeoisie, en une alliance ouverte.
En outre, les autorités militaires ont
décrété partout la loi martiale et muselé
la masse ouvrière, dont les anciens chefs sont passés,
à peu près en bloc, du côté de la
bourgeoisie.
La base économique de l'opportunisme est la
même que celle du social-chauvinisme : les
intérêts d'une mince couche d'ouvriers
privilégiés et de la petite bourgeoisie, qui
défendent leur situation privilégiée, leur «
droit » aux miettes des profits réalisés dans
le pillage des autres nations par « leur » bourgeoisie
nationale,
grâce aux avantages attachés à sa situation de
grande puissance, etc.
Le contenu politique et idéologique de
l'opportunisme est le même que celui du social-chauvinisme :
remplacement de la lutte des classes par leur collaboration,
renonciation aux moyens révolutionnaires de lutte, soutien de
« son » gouvernement en difficultés au lieu
d'une utilisation de ces difficultés pour la révolution.
Si l'on
considère tous les pays européens dans leur ensemble,
sans s'arrêter à telles bu telles personnalités
(quel que soit leur prestige), on constatera que c'est bien le courant
opportuniste qui est devenu le principal rempart du social-chauvinisme,
et que du camp des révolutionnaires s'élève
presque partout une protestation plus ou moins
conséquente contre ce courant. Et si l'on considère, par
exemple, le groupement des tendances au congrès socialiste
international de Stuttgart, en 1907, on constatera que le marxisme
international était contre l'impérialisme, tandis que,
dès cette époque, l'opportunisme international le
soutenait.
L'unité avec les opportunistes, c'est l'alliance
des ouvriers
avec « leur » bourgeoisie nationale et la scission de
la classe ouvrière révolutionnaire internationale
Autrefois, avant la guerre, l'opportunisme était
souvent considéré comme une «
déviation », une « position
extrême », mais on lui reconnaissait néanmoins
le droit d'être partie intégrante du parti
social-démocrate. La guerre a montré que c'est
désormais chose impossible. L'opportunisme s'est pleinement
« épanoui », il a
joué jusqu'au bout son rôle d'émissaire de la
bourgeoisie dans le mouvement ouvrier. L'unité avec les
opportunistes est devenue un tissu d'hypocrisies, dont nous voyons un
exemple dans le parti social-démocrate allemand. Dans toutes les
grandes occasions (par exemple, lors du vote du 4 août), les
opportunistes présentent leur ultimatum et
l'imposent en mettant en jeu leurs nombreuses relations avec la
bourgeoisie, leur majorité dans les directions des syndicats,
etc. L' unité avec les opportunistes, n'étant
rien d'autre que la scission du prolétariat
révolutionnaire de tous les pays, marque en fait
aujourd'hui la subordination de la classe ouvrière à
« sa »
bourgeoisie nationale, l'alliance avec celle-ci en vue d'opprimer
d'autres nations et de lutter pour les privilèges
impérialistes. Si dure que soit, en certains cas, la lutte
contre les opportunistes qui règnent dans maintes organisations,
quelque forme particulière que prenne, dans certains pays, le
processus d'épuration des partis ouvriers se débarrassant
des opportunistes, ce processus est inévitable et fécond.
Le socialisme réformiste agonise ; le socialisme renaissant
« sera révolutionnaire, intransigeant,
insurrectionnel » selon l'expression si juste du socialiste
français Paul Golay.
Le « kautskisme »
Kautsky, la plus grande autorité de la II•
Internationale, offre un exemple éminemment typique, notoire, de
la façon dont la reconnaissance verbale du marxisme a abouti en
fait à le transformer en « strouvisme » ou en
« brentanisme »[2].
Nous
en
avons
un
autre
exemple
avec
Plékhanov.
À
l'aide de sophismes manifestes, on vide le marxisme de son
âme vivante, révolutionnaire. On admet tout dans
le marxisme, excepté les moyens révolutionnaires
de lutte, la propagande en leur faveur et la préparation de leur
mise en oeuvre, l'éducation des masses dans ce sens. Au
mépris de tout principe, Kautsky «
concilie » la pensée fondamentale du
social-chauvinisme, l'acceptation de la défense de la patrie
dans la guerre actuelle, avec des concessions diplomatiques et
ostentatoires aux gauches, telles que l'abstention lors du vote des
crédits, la prise de position verbale en faveur de l'opposition,
etc. Kautsky, qui écrivit en 1909 tout un livre sur
l'imminence d'une époque de révolutions et sur le lien
entre la guerre et la révolution ; Kautsky, qui signa
en 1912 le Manifeste de Bâle sur l'utilisation
révolutionnaire de la guerre de demain, s'évertue
aujourd'hui à justifier et à farder le
social-chauvinisme, et se joint comme Plékhanov à la
bourgeoisie pour railler toute idée de
révolution, toute initiative allant dans le sens d'une lutte
nettement révolutionnaire.
La classe ouvrière ne peut jouer son rôle
révolutionnaire mondial sans mener une lutte implacable contre
ce reniement, cette veulerie, cette servilité à
l'égard de l'opportunisme et cet incroyable avilissement de la
théorie marxiste. Le kautskisme n'est pas un effet du hasard,
c'est le produit social des contradictions de la IIe Internationale, de
la
fidélité en paroles au marxisme alliée à la
soumission de fait à l'opportunisme.
Ce mensonge majeur du « kautskisme »
se manifeste sous des formes diverses dans les différents pays.
En Hollande, Roland Holst, tout en repoussant l'idée de la
défense de la patrie, plaide pour l'unité avec le parti
des opportunistes. Trotsky, en Russie, repoussant également
cette idée, plaide aussi pour l'unité avec le groupe
opportuniste et chauvin de « Nacha Zaria ». Rakovski,
en Roumanie, tout en déclarant la guerre à
l'opportunisme, qu'il rend responsable de la faillite de
l'Internationale, est prêt cependant à admettre
l'idée de la défense de la patrie. Ce sont là des
manifestations du mal que les marxistes hollandais (Gorter, Pannekoek)
ont appelé le «
radicalisme passif », et qui vise à substituer au
marxisme révolutionnaire l'éclectisme en théorie,
et la servilité ou l'impuissance devant l'opportunisme dans la
pratique.
Le mot d'ordre des marxistes est celui
de la social-démocratie révolutionnaire
La guerre a, sans conteste, engendré une crise
extraordinairement violente et aggravé, à l'extrême
la misère des masses. Le caractère réactionnaire
de cette guerre, le mensonge éhonté de la bourgeoisie de tous
les pays, qui dissimule ses visées do brigandage sous le manteau
de l'idéologie « nationale », suscitent
nécessairement,
dans la situation révolutionnaire qui existe objectivement, des
tendances révolutionnaires au sein des masses. Notre devoir est
d'aider à prendre conscience de ces tendances, de les
approfondir et de leur donner corps. Seul le mot d'ordre de la
transformation de la guerre impérialiste en guerre civile
exprime correctement cette tâche, et toute lutte de
classe conséquente pendant la guerre, toute tactique
sérieusement appliquée d'« actions de
masse » y mène inévitablement. On ne peut
savoir si c'est à l'occasion de la première ou d'une
seconde guerre impérialiste des grandes puissances, si c'est
pendant ou après cette guerre, qu'éclatera un puissant
mouvement révolutionnaire. Mais,
de toute façon, notre devoir impérieux est de travailler
méthodiquement et sans relâche dans cette voie.
Le Manifeste de Bâle invoque sans détours
l'exemple de la Commune de Paris, c'est à dire la transformation
d'une guerre de gouvernements en guerre civile. Il y a un
demi-siècle, le prolétariat était trop faible, les
conditions objectives du socialisme n'étaient pas encore venues
à maturité, il ne pouvait y avoir ni corrélation
ni coopération des
mouvements révolutionnaires dans tous les pays
belligérants ; l'engouement d'une partie des ouvriers
parisiens pour « l'idéologie nationale » (la
tradition de 1792) attestait de leur part une défaillance
petite bourgeoise, que Marx avait signalée en son temps et qui
fut une des causes de l'échec de la Commune. Un
demi-siècle plus
tard, les conditions qui affaiblissaient la révolution d'alors
ont disparu, et à l'heure actuelle il est impardonnable pour un
socialiste de renoncer à agir, très
précisément, dans l'esprit des communards parisiens.
L'exemple de la fraternisation dans les tranchées
Les journaux bourgeois de tous les pays
belligérants ont cité des exemples de fraternisation
entre soldats même dans les tranchées. Et les
décrets draconiens promulgués par les autorités
militaires (Allemagne, Angleterre) contre cette fraternisation ont
démontré que les gouvernements et bourgeoisie y
attachaient une sérieuse importance. Si des
cas de fraternisation ont pu se produire, malgré la donation
totale de l'opportunisme à la direction des partis
social-démocrates d'Europe occidentale, et alors que le
social-chauvinisme est soutenu par toute la presse
social-démocrate, par toutes les autorités de la IIe
Internationale, cela nous montre à quel point il serait possible
d'abréger la durée de
la guerre criminelle, réactionnaire et esclavagiste
d'aujourd'hui et d'organiser le mouvement international
révolutionnaire, si un travail systématique ait
effectué dans ce sens, ne serait-ce que par les socialistes de
gauche de tous les pays belligérants.
L'importance de l'organisation illégale
Les anarchistes les plus marquants du monde entier se
sont déshonorés tout autant que les opportunistes par le
social-chauvinisme (dans l'esprit de Plékhanov et de Kautsky)
dont ils ont fait preuve au cours de cette guerre. Un des
résultats utiles de ce conflit sera sans doute qu'il tuera la
fois l'opportunisme et l'anarchisme.
Sans renoncer en aucun cas et sous aucun
prétexte à, utiliser la plus minime possibilité
légale pour organiser les masses et propager le socialisme, les
partis social-démocrates doivent rompre avec toute attitude
servile devant la légalité. « Tirez les premiers,
messieurs les bourgeois », écrivait Engels [3], en faisant précisément
allusion à la guerre civile et à la
nécessité pour nous de violer la légalité après
que celle-ci l'aura été par la bourgeoisie. La crise a
montré que la bourgeoisie enfreint la légalité
dans tous les pays même les plus libres, et qu'il est impossible
de conduire masses à la révolution sans constituer une
organisation clandestine pour préconiser, discuter,
apprécier et préparer les moyens de lutte
révolutionnaires. En Allemagne, par exemple, tout ce que les
socialistes font d'honnête se fait contre le vil opportunisme et
l'hypocrite « kautskisme », et cela,
précisément, dans l'illégalité. En
Angleterre, on est passible du bagne pour l'impression
d'appels invitant à refuser le service militaire.
Considérer comme compatible avec l'appartenance
au parti social-démocrate la répudiation des
procédés clandestins de propagande et les railler dans la
presse légale, c'est trahir le socialisme.
De la défaite de « son propre »
gouvernement dans la guerre impérialiste
Les partisans de la victoire de leur gouvernement dans
la guerre actuelle, de même que les partisans du mot
d'ordre : « Ni victoire ni défaite »,
adoptent les uns et les autres le point de vue du social-chauvinisme.
Dans une guerre réactionnaire, la classe révolutionnaire
ne peut pas ne pas souhaiter la défaite de son
gouvernement ; elle ne peut manquer de voir le lien entre les
échecs militaires de ce dernier et les facilités qui en
résultent pour le renverser. Seul le bourgeois qui croit que la
guerre engagée par les gouvernements finira de toute
nécessité comme une guerre entre gouvernements, et qui le
désire, trouve « ridicule » ou «
absurde »
l'idée que les socialistes de tous les pays
belligérants doivent affirmer qu'ils veulent la défaite
de tous les gouvernements, de « leurs »
gouvernements. Par contre, une telle position correspondrait exactement
à la pensée secrète de tout ouvrier conscient et
s'inscrirait dans le cadre de notre activité visant à
transformer la
guerre impérialiste en guerre civile.
Il est hors de doute que l'important travail
d'agitation contre la guerre effectué par une partie des
socialistes anglais, allemands et russes « affaiblissait la
puissance militaire » de leurs gouvernements respectifs,
mais cette agitation faisait honneur aux socialistes. Ceux-ci doivent
expliquer aux masses qu'il n'est point de salut pour elles
hors du renversement révolutionnaire de «
leurs » gouvernements respectifs, et que les
difficultés rencontrées par ces gouvernements dans la
guerre actuelle doivent être exploitées
précisément à cette fin.
Du pacifisme et du mot d'ordre de la paix
L'état d'esprit des masses en faveur de la paix
exprime souvent le début d'une protestation, d'une
révolte et d'une prise de conscience du caractère
réactionnaire de la guerre. Tirer profit de cet état
d'esprit est le devoir de tous les social-démocrates. Ils
participeront très activement à tout mouvement et
à toute manifestation sur ce terrain, mais
ils ne tromperont pas le peuple en laissant croire qu'en l'absence d'un
mouvement révolutionnaire, il est possible de parvenir à
une paix sans annexions, sans oppression des nations, sans pillage,
sans que subsiste le germe de nouvelles guerres entre les gouvernements
actuels et les classes actuellement dirigeantes. Tromper ainsi le
peuple ne ferait
que porter de l'eau au moulin de la diplomatie secrète des
gouvernements belligérants et de leurs plans
contre-révolutionnaires. Quiconque désire une paix solide
et démocratique doit être partisan de la guerre civile
contre les gouvernements et la bourgeoisie.
Du droit des nations à disposer
d'elles-mêmes
La mystification du peuple la plus largement
pratiquée par la bourgeoisie dans cette guerre est le camouflage
de ses buts de brigandage derrière l'idée de la «
libération nationale ». Les Anglais promettent la
liberté à la Belgique ; les Allemands à la
Pologne, etc. En réalité, comme nous l'avons vu, c'est
une guerre entre les
oppresseurs de la majorité des nations du monde pour consolider
et étendre cette oppression.
Les socialistes ne peuvent atteindre leur but sans
lutter contre tout asservissement des nations. Aussi doivent ils exiger
absolument que les partis social-démocrates des pays oppresseurs
(des « grandes » puissances, notamment) reconnaissent
et défendent le droit des nations opprimées
à disposer d'elles-mêmes, et cela au
sens politique du mot, c'est à dire le droit à la
séparation politique. Le socialiste appartenant à une
puissance impérialiste ou à une nation possédant
des colonies, et qui ne défendrait pas ce droit, serait, un
chauvin.
La défense de ce droit, loin d'encourager la
formation de petits États, conduit au contraire à la
formation plus libre, plus sûre et, par suite, plus large et plus
généralisée, de grands États et de
fédérations entre États, ce qui est plus
avantageux pour les masses et correspond mieux au développement
économique.
Les socialistes des nations opprimées,
pour leur part, doivent lutter sans réserve pour l'unité
complète (y compris sur le plan de l'organisation) des ouvriers
des nationalités opprimées et oppressives. L'idée
d'une séparation juridique des nations (ce qu'on appelle
l'« autonomie nationale culturelle » de Bauer et
Renner)
est une idée réactionnaire.
L'époque de l'impérialisme est celle de
l'oppression croissante des nations du monde entier par une
poignée de « grandes » puissances ; aussi
la lutte pour la révolution internationale socialiste contre
l'impérialisme est-elle impossible sans la reconnaissance du
droit des nations à disposer d'elles-mêmes. « Un
peuple qui en opprime
d'autres ne saurait être libre » (Marx et Engels). Ne
peut être socialiste un prolétariat qui prend son parti de
la moindre violence exercée par « sa » nation
à l'encontre d'autres nations.
Notes
1. Carl von Clausewitz, De la guerre,
première partie, livre I, chapitre I, § 24
2. Le « brentanisme »,
théorie réformiste bourgeoise, « reconnaissant
(l'école du capitalisme), mais rejetant l'école de la
lutte de classe révolutionnaire » (Lénine). L.
Brentano, économiste bourgeois allemand, partisan du «
socialisme d'État », essayait de démontrer la
possibilité de réaliser
l'égalité sociale dans le cadre du capitalisme, au moyen
de réformes et de la conciliation des intérêts des
capitalistes et des ouvriers. Sous le couvert d'une phraséologie
marxiste, Brentano et ses adeptes tentaient de subordonner le mouvement
ouvrier aux intérêts de la bourgeoisie.
3. Friedrich Engels, « Le Socialisme en
Allemagne », Oeuvres complètes de K. Marx et F.
Engels, tome 22
(Lénine, « Le socialisme et la
guerre », Oeuvres Tome 21, Éditions du
progrès, Moscou, 1973)
Affiches de la Première Guerre
mondiale
Affiches contre la guerre et propagande de guerre
Affiches contre la guerre
Australie
Irlande
Propagande pour la guerre
Grande-Bretagne
Commonwealth
Canada
Terre-Neuve
Australie
Inde
Russie tsariste
À gauche: « Tout pour la guerre! Souscrivez aux
prêts de guerre à 5,5%. », Saint-Petersburg, Russie,
1916. À droite: « Prêts pour la liberté - la
guerre jusqu'à la victoire! » (T. Butschkin)
Allemagne
À gauche: L'hydre à 8 têtes. Dans cette affiche
allemande, l'Allemagne et l'Austro-Hongrie sont
présentées comme des soldats tuant l'hydre, chacune des
têtes de l'hydre représentant une puissances de la Triple
Entente et leurs alliés. Au centre: « Tout pour la patrie
! Tout pour la liberté !» À droite: « Pour travailler la
terre en paix, donnez !»
L'empire austro-hongrois
« Amener les prêts de guerre autrichens », ave cun
soldat autrichien du XVIe siècle
L'empire ottoman
« Mobilisation ! Soldats, aux armes ! Le premier jour de la
mobilisation est... »
États-Unis
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Marxiste-Léniniste
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