Le Marxiste-Léniniste

Supplément

10 novembre 2018

Numéro 4

Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale

Opposition résolue à la trahison
du mouvement ouvrier

Manifestation contre la conscription à Londres en 1916

L'opposition des travailleurs en Grande-Bretagne
Le rôle criminel de la social-démocratie durant la Première Guerre mondiale - Chris Coleman
L'attitude du Parti bolchevique à l'égard de la guerre - Lénine 


Affiches de la Première Guerre mondiale
Affiches contre la guerre et propagande pour la guerre

 


L'opposition des travailleurs en Grande-Bretagne


Manifestation du Premier Mai en Écosse en 1917

Dans la période qui a précédé le déclenchement de la guerre en 1914, les travailleurs de Grande-Bretagne ont mené des grèves, se sont organisés d'une manière nouvelle et ont mené des actions de plus en plus militantes à la défense de leurs intérêts. C'est dans ces circonstances que le Parti travailliste, avant le début de la Première Guerre mondiale, avec les autres partis sociaux-démocrates d'Europe, s'est engagé à lutter contre une guerre interimpérialiste entre les grandes puissances.

Le Parti travailliste a appuyé formellement la résolution, réitérée au Congrès de Bâle de la Deuxième Internationale en 1912, que tous ces partis ont le devoir « de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraîtront le plus appropriés ». Si la guerre venait à éclater, « ils ont le devoir de s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste ».

Cependant, dès que la guerre a été déclarée, les dirigeants du Parti travailliste et du Congrès des syndicats britanniques (CS) ont déclaré qu'« un effort immédiat doit être fait pour mettre fin à toutes les disputes existantes, et pour que, partout où surgissent de nouvelles situations difficiles pendant la guerre, un effort sérieux soit fait par toutes les parties concernées pour en arriver à un accord à l'amiable... » Ils ont déclaré leur appui à la guerre de pillage, créé les conditions pour que le gouvernement déclare illégales les grèves et les autres activités des syndicats dans plusieurs industries pendant toute la durée de la guerre et adopte la Loi de défense du royaume (DORA) draconienne qui a fait de l'opposition active à la guerre une infraction criminelle.

En 1915, des dirigeants du Parti travailliste se sont joints au gouvernement de coalition fauteur de guerre.

En dépit de cette trahison, l'opposition à la guerre et à ses effet économiques s'est poursuivie, en particulier parmi les travailleurs des usines de munitions en Écosse. Dès 1915, plus de 10 000 travailleurs de Glascow ont mené une grève non officielle contre les attaques à leur niveau de vie. Des délégués locaux d'endroits de travail ont organisé ce qui est devenu le Comité des travailleurs de Clyde qui comprenait des centaines de délégués élus directement par la réunion à l'endroit de travail qui se tenait chaque semaine.

Des milliers de travailleurs du sud du Pays de Galles ont aussi organisé des grèves contre les lois répressives du gouvernement qui niaient leurs droits et, en 1917, les travailleurs en génie civil de toute la Grande-Bretagne se sont mis en grève en opposition aux plans du gouvernement d'étendre le service militaire et d'adopter d'autres mesures antiouvrières.

L'opposition à la guerre et la revendication qu'on mette fin à la guerre ont pris davantage d'ampleur suite aux événements révolutionnaires de Russie en 1917. Au Congrès de Leeds tenu en juin de la même année, auquel ont participé plus de 1 000 délégués des organisations ouvrières, syndicales et socialistes, les délégués se sont prononcés très fortement en appui à la fin de la guerre et à l'établissement de conseils ouvriers et de soldats dans toute la Grande-Bretagne pour instaurer un gouvernement antiguerre.

L'expérience de la Première Guerre mondiale a démontré que les travailleurs de Grande-Bretagne et de tous les pays doivent jouer un rôle dirigeant dans la société pour arrêter la guerre. La trahison du Parti travailliste et des partis qui formaient la Deuxième Internationale a démontré que les travailleurs doivent s'organiser eux-mêmes sur la base de leur programme et de leurs objectifs indépendants. Ils doivent abandonner toute illusion que les partis électoraux qui forment les gouvernements de partis au service de la bourgeoisie vont servir leurs intérêts. Aujourd'hui, les travailleurs doivent organiser avec la perspective de créer leur propre gouvernement antiguerre, de bâtir le front prolétarien pour mener ce travail à bien et régler leurs comptes avec tous les prétextes qui servent à trahir leurs intérêts.


À gauche : Rapport sur le Congrès de Leeds pour mettre fin à la guerre et instaurer les conseils d'ouvriers et de soldats. À droite : L'édition du 29 janvier 2016 de The Worker

Haut de page


Le rôle criminel de la social-démocratie durant la Première Guerre mondiale

La trahison des partis sociaux-démocrates de la Deuxième Internationale a été, selon un commentateur, « la pire défaite jamais subie par la classe ouvrière mondiale dans toute son histoire ».[1] Pour diriger la classe ouvrière aujourd'hui dans sa lutte pour se constituer en la nation et établir des gouvernements antiguerre, il y a d'importantes leçons à tirer de l'expérience du mouvement ouvrier international à combattre le social-chauvinisme de la Deuxième Internationale.

Pendant près de vingt-cinq ans, dès la conférence de Bruxelles de 1891, la Deuxième Internationale avait adopté des résolutions mettant en garde contre la menace de guerre et appelant à une opposition à la guerre interimpérialiste. La conférence de Londres de 1896 avait même appelé à l'abolition des armées permanentes, à l'armement du peuple, à la création de tribunaux d'arbitrage et aux référendums populaires sur la guerre. Le Congrès de Stuttgart en 1907 avait adopté la fameuse résolution, dont le dernier paragraphe avait été écrit par Lénine et Rosa Luxemburg, dont les principes demeurent valables à ce jour. Elle se lisait comme suit :

« Si une guerre menace d'éclater, c'est un devoir de la classe ouvrière dans les pays concernés, c'est un devoir pour leurs représentants dans les parlements, avec l'aide du Bureau (socialiste) international, force d'action et de coordination, de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraîtront le mieux appropriés et qui varient naturellement selon l'acuité de la lutte des classes et la situation politique générale.

« Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »[2]


Rosa Luxemburg à la conférence de Stuttgart en 1907

Il est certain que les partis sociaux-démocrates auraient pu empêcher la guerre ou du moins provoquer sa fin rapide. Dans une situation d'opposition massive à la guerre dans toute l'Europe, le plus puissant des partis de la Deuxième Internationale, le Parti social-démocrate d'Allemagne, était en mesure de le faire et même de diriger une révolution. Cependant, seuls les bolchéviques russes, parmi ceux qui étaient en mesure de le faire, sont restés fidèles aux principes convenus à Stuttgart. Et ce sera la Révolution d'Octobre dirigée par eux qui mettra fin aux terribles ravages de la guerre.

Mais alors que les nuages noirs de la guerre s'amassaient et que toutes les puissances impérialistes trouvaient une justification et voyaient la possibilité de faire avancer leurs intérêts - l'Allemagne de s'emparer de colonies britanniques et françaises et de l'Ukraine, des provinces baltes et de la Pologne de la Russie, la Russie tsariste de démembrer la Turquie et de s'emparer de Constantinople et des détroits pour accéder à la Méditerranée, la Grande-Bretagne d'écraser son rival, l'Allemagne, et de prendre la Mésopotamie et la Palestine à la Turquie, la France de s'emparer de la Sarre et de reprendre l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne, et les États-Unis, en arrière-plan, prêts à exploiter toutes les opportunités pour faire progresser leur ambition de domination mondiale - tous les partis de la social-démocratie, les uns après les autres, ont hissé le drapeau capitaliste du chauvinisme national et ont appuyé la guerre. Seuls les partis russe et serbe de la Deuxième Internationale ont résisté.

Résolument, les sociaux-démocrates allemands ont été parmi les premiers à agir et à voter les crédits de guerre au Reichstag. En Grande-Bretagne, les sociaux-démocrates étaient généralement plus prudents. Les masses de la classe ouvrière de Grande-Bretagne, comme dans d'autres pays, étaient farouchement opposées à la guerre qui avait éclaté en août 1914. Le Parti travailliste a réagi à ce sentiment en organisant des manifestations dans tout le pays à la veille de l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne. La section britannique du Bureau socialiste international a publié un manifeste antiguerre signé par Henderson et James Keir Hardie qui se terminait par les slogans « À bas la domination de classe ! », « À bas la guerre ! ». Ces deux hommes ont été les principaux orateurs de la grande manifestation de Trafalgar Square, la plus grande jamais connue, où des résolutions ont été adoptées, appelant les organisations de travailleurs à respecter les résolutions de la Deuxième Internationale contre la guerre impérialiste. D'autres manifestations monstres ont eu lieu ailleurs au pays.


Le député du Parti travailliste indépendant (PTI), James Keir Hardie, qui parle au square Trafalgar le 3 août 1914. Le PTI  s'opposait à la guerre  sur la base de la solidarité internationale de la classe ouvrière face aux capitalistes qui profitaient de la guerre.

Toutefois, les dirigeants du Parti travailliste ont veillé à ce que les choses n'aillent pas plus loin que les manifestations et les discours. Dès les premiers jours d'août, le Daily Citizen, organe du Congrès des syndicats (CS) et du Parti travailliste, a appelé les travailleurs à « s'unir pour défendre la patrie ».

Dans les semaines suivantes, les syndicats ont signé un pacte de « paix civile » avec le gouvernement libéral, le Parti travailliste signera un accord similaire dans le domaine politique. Le Parti travailliste indépendant (PTI), dont les dirigeants, dont Ramsay Macdonald, étaient également dirigeants du Parti travailliste, a publié des manifestes « À bas la guerre » qui se limitaient à demander « la paix » et appelaient les travailleurs à faire de la « propagande générale pour le socialisme sans traiter spécifiquement de la guerre ».

En même temps, les militants de base du PTI et du Parti socialiste britannique (PSB) ont été encouragés à épouser le pacifisme et l'objection de conscience, et ont été criminalisés par l'élite britannique pour avoir défendu leur droit de conscience.

Fin août, l'exécutif national du Parti travailliste et le Parti parlementaire travailliste, composé de cinq membres du PTI, ont accepté l'invitation du gouvernement de se joindre à la campagne de recrutement. Cette trahison a été suivie rapidement par un accord entre Henderson et le premier ministre Lloyd George qui interdisait les grèves et imposait l'arbitrage obligatoire pour tout conflit dans les usines de production de munitions. Cet accord a conduit à la loi draconienne sur les munitions de guerre de juin 1915, le Munitions of War Act 1915, qui imposait l'arbitrage obligatoire dans l'ensemble du secteur et contrôlait l'emploi et la mobilité de tous les travailleurs. Des tribunaux des munitions locaux, sur lesquels siégeaient des responsables syndicaux, ont été créés pour faire appliquer ces règles. Au début de 1916, quand la conscription obligatoire a été imposée, les dirigeants du Parti travailliste faisaient partie du gouvernement et avaient cessé toute forme d'opposition à la guerre.[3]

« La défense des droits des petites nations » était l'un des prétextes du gouvernement britannique pour entrer dans la guerre. Mais quand les Irlandais se sont levés lors de l'insurrection de Pâques en 1916 et ont proclamé la République, le soulèvement a été écrasé avec la plus grande brutalité, suivie d'exécutions de masse et d'atrocités de toutes sortes. Les dirigeants syndicaux, maintenant ministres du gouvernement, ont été complices de cela. Le PTI, dans son journal Labour Leader, a déclaré qu'il « condamnait fortement comme tout le monde ceux qui sont directement responsables de la révolte » et que James Connolly, sauvagement assassiné par les Britanniques alors qu'il était grièvement blessé, s'était « terriblement et criminellement trompé ».[4]

Le soutien des sociaux-démocrates à la guerre interimpérialiste n'était cependant que le début d'une grande trahison. Malgré le carnage et les destructions de la guerre, la guerre a ouvert de grandes possibilités pour faire avancer la cause des peuples. Quatre grands empires ont été détruits : les empires russe, allemand, austro-hongrois et ottoman. De nouvelles nations indépendantes sont nées. Des soulèvements révolutionnaires ayant un caractère socialiste anticapitaliste marqué ont balayé l'Europe. Mais seuls les bolchéviques en Russie devaient saisir l'occasion. Ailleurs, la trahison de la social-démocratie devait être le facteur principal qui empêcha la victoire de la révolution et du socialisme dans la plupart sinon dans tous les domaines.

En Allemagne, la révolution a débuté en novembre 1918 et l'élément déclencheur a été la mutinerie au sein de la marine allemande à Kiel. La révolte s'est répandue comme une traînée de poudre et, inspirée par l'exemple des bolchéviks, des soviets ont été mis en place partout au pays. Le 9 novembre, le gouvernement national s'est effondré et le Kaiser a pris la fuite. La classe ouvrière allemande était bien placée pour mener à terme la révolution prolétarienne socialiste, en autant qu'elle soit dirigée. La direction du parti social-démocrate n'avait pas l'intention de jouer ce rôle. Ils ne voulaient pas le socialisme et y croyaient encore moins. Ils étaient des éléments libéraux qui s'efforçaient de rapiécer ici et là le capitalisme. Leur dirigeant Eber a dit : « Je hais la révolution autant que je hais le péché. »[5] Travaillant étroitement avec les capitalistes « pour sauver l'Allemagne du bolchévisme », ils ont en premier mis en place un gouvernement intérimaire dirigé par Ebert puis un gouvernement provisoire composé de sociaux-démocrates et d'indépendants. Ils ont manipulé le Congrès des soviets (allemands) pour qu'il appuie le gouvernement provisoire pour ensuite inciter une lutte armée contre les spartakistes et mobiliser des éléments militaires réactionnaires contre les travailleurs combatifs. Les rues de Berlin sont devenues un théâtre sanglant et la rébellion fut écrasée. Durant ces événements, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht furent arrêtés et assassinés.

En l'espace de quelques semaines, la république bourgeoise de Weimar fut établie où les capitalistes ont cyniquement placé les sociaux-démocrates à la tête du gouvernement, soit Ebert, Scheidemann et Noske. Même les soviets se sont vu octroyer un rôle « consultatif » ! C'est ce gouvernement dirigé par les sociaux-démocrates qui a signé le Traité de Versailles qui a inévitablement pavé la voie au fascisme et aux horreurs de la prochaine guerre mondiale.

À la fin de la Première Guerre mondiale, une situation révolutionnaire s'est développée aussi en Grande-Bretagne. Des grèves spontanées devenaient généralisées. Le Mouvement des délégués syndicaux (Shop Stewards Movement) qui avait coupé les liens avec les organisations syndicales « officielles », gagnait en influence. En Écosse, malgré toutes les tentatives de l'écraser, dont l'arrestation et la détention répétée de leur dirigeant, l'enseignant John McClean, le Comité révolutionnaire des travailleurs de Clyde a réussi, entre autres, à rendre les lois réglementant l'emploi et la conscription inapplicables.

Un mouvement massif s'était développé en opposition à la guerre. Les mutineries se sont répandues au sein de l'armée et de la marine, dont l'incendie des casernes militaires à Étaples provoquée par les mutins.[6] Même les policiers se sont organisés en syndicats et faisaient la grève. Un appui massif aux bolchéviques était notable parmi les travailleurs activistes et lorsque le gouvernement a envoyé des troupes pour intervenir contre le nouvel État soviétique, le mécontentement parmi les soldats et les marins a été un facteur important pour mettre fin à l'intervention. Aussi, lorsque le gouvernement a voulu intervenir pour appuyer l'invasion de la Russie soviétique par des gardes blancs polonais, des actions de masse en opposition à cela ont eu lieu partout au pays. Le navire Jolly George rempli de munitions à destination de la Pologne a été rendu inopérant par les débardeurs sur la Tamise. Des « comités d'action » ont été établis par les travailleurs partout au pays. Lénine a comparé la situation en Grande-Bretagne à celle que la Russie a vécue durant la révolution de février 1917, affirmant que les comités d'action étaient en essence des soviets et soulignant que même les sociaux-démocrates opportunistes ont été forcés de les appuyer.

Ce sont encore les sociaux-démocrates qui sont venus à la rescousse de la bourgeoisie. Une propagande antisoviétique pernicieuse ainsi que des attaques contre les travailleurs révolutionnaires et le parti communiste nouvellement établi, sont devenus la marque de commerce officielle du Parti travailliste et du Parti travailliste indépendant. Cette traîtrise combinée à tout l'héritage opportuniste parmi même les meilleurs éléments de la classe ouvrière, ainsi que la faiblesse relative et le sectarisme fréquent des communistes, ont permis à la bourgeoisie de survivre à la crise révolutionnaire de 1919-1920 en Grande Bretagne.[7]

Le rôle clé joué par les sociaux-démocrates opportunistes pour empêcher la révolution socialiste et maintenir les capitalistes et les impérialistes au pouvoir dans tous les pays sauf la Russie, alors que l'occasion se présentait de façon si évidente durant la période de la Première Guerre mondiale, est résumé brillamment par Lénine au IIe Congrès de la nouvelle Internationale communiste (Congrès de fondation de la IIe Internationale). Il a dit ces mots célèbres :

L'opportunisme, voilà notre ennemi principal. L'opportunisme des couches supérieures du mouvement ouvrier, c'est un socialisme non prolétarien, mais bourgeois. La preuve est faite que les militants du mouvement ouvrier qui appartiennent à la tendance opportuniste sont de meilleurs défenseurs de la bourgeoisie que les bourgeois eux-mêmes. S'ils n'avaient pas en main la direction des ouvriers, la bourgeoisie ne pourrait pas se maintenir. Ce n'est pas seulement l'histoire du régime Kérenski en Russie qui le prouve ; la République démocratique d'Allemagne, avec à sa tête un gouvernement social-démocrate, le prouve aussi de même que le comportement d'Albert Thomas à l'égard de son gouvernement bourgeois. La preuve est faite enfin par l'expérience analogue de la Grande-Bretagne et des États-Unis.[8]

La social-démocratie a continué d'être la politique préférée de l'impérialisme, son instrument principal pour empêcher la classe ouvrière d'être au pouvoir, jusqu'à la fin du XXe siècle, avec l'effondrement de l'Union soviétique et des démocraties populaires qui a marqué le passage du flot révolutionnaire au repli révolutionnaire et que la mondialisation néolibérale est devenue le programme des États du système impérialiste. Le néolibéralisme a été inévitablement accompagné des ravages incessants des guerres impérialistes de conquête et d'intervention, qui se poursuivent sans relâche jusqu'à ce jour. La mort, la destruction, les déplacements de millions de personnes continuent d'être infligés aux peuples du monde. Et, comme toujours, les peuples du monde aspirent à la paix.

Si l'on jette un regard sur la Première Guerre mondiale, il n'y a aucun doute que la prise du pouvoir par les bolchéviques en Russie et leur retrait immédiat de la guerre ont été des facteurs importants pour ramener la paix et mettre fin à la guerre. C'était véritablement un gouvernement antiguerre. Le combat inlassable de Lénine contre les politiques opportunistes a été conséquent avec la défense de la cause pour la paix.

Dans les circonstances actuelles et en tenant compte des conditions d'aujourd'hui, il faut pour garantir la paix que la classe ouvrière soit investie du pouvoir de décider, qu'elle se constitue en la nation, qu'elle ouvre la voie vers une société nouvelle et prenne les mesures nécessaires pour établir un processus politique qui va mener à l'établissement d'un gouvernement antiguerre.

Notes

 1. William Z Foster, History of the Three Internationals, International Publishers, New York, 1955, p. 225

 2. Ibid, p. 207

 3. Ralph Fox, The Class Struggle in Britain, Part II : 1914-1923, Martin Lawrence, Londres, 1933, chapitre 2

 4. Ibid, p. 16

 5. Foster, p. 278

 6. Mutinerie à Étaples (Pas-de-Calais). L'État-Major britannique utilisait Étaples comme base de rassemblement des troupes, éloigné des combats, mais bien relié par les voies de chemin de fer vers Arras et Béthune. Près de 60 000 hommes s'entraînaient en permanence sur le Mont Levin. Les renforts débarquaient au port de Boulogne-sur-Mer, et, après une marche forcée de 26 km, étaient soumis à un encadrement impitoyable de la part des instructeurs, surnommés les « canaris », car porteurs d'un brassard jaune. Ces instructeurs, dans leur majorité n'ayant jamais vu le front, mêlent sadisme et cruauté. Ils étaient selon le soldat Notley : « les pires individus que l'on puisse imaginer et qui transformaient la vie des hommes en enfer ».

Étaples a connu, en septembre 1917, la révolte des soldats contre les conditions d'entraînement. Le contrôle postal du 17 septembre 1917 évoque la révolte de soldats écossais et canadiens, barrant les ponts avec des mitrailleuses. Le caporal Reynolds témoigne : « Au pied de la colline se trouvait le camp de détention n•1 avec ses malheureux prisonniers attachés par les poignets pendant que, tout en bas sur la plage, luttant dans la boue et la vase, des centaines, des milliers d'hommes de troupes étaient injuriés et molestés. » Des déserteurs s'organisent en bandes, dans les bois environnants. Une société de déserteurs, « Le Sanctuaire », se forme et trouve refuge dans les tunnels et les puits autour de Camiers.

Selon certaines études, la rébellion débute le 9 septembre 1917. Sur la place d'Étaples, le caporal William Wood est arrêté par la Military Police (MP), pour avoir conversé avec une infirmière, conversation alors interdite ! Le chef de patrouille abat le caporal, lors de l'échauffourée consécutive à l'interpellation. La nouvelle se propage rapidement parmi les Écossais, Australiens et Néo-Zélandais du camp. Ils s'emparent des armes d'entraînement du camp. La mutinerie débute. Les soldats révoltés se répandent en ville malgré la tentative d'interception du Royal Fusiliers sur le pont des Trois Arches. La chasse aux « canaris » et aux MP commence dans les rues et maisons d'Étaples. Un millier de révoltés venus du Touquet, gagnent Étaples. Le général Thomson, commandant du camp d'entraînement, et ses subordonnés sont jetés du pont sur la Canche. Des exactions sont commises dans la ville d'Étaples.

Après trois jours de révolte, l'assaut sur Passchendaele étant imminent, le commandement britannique décide d'intervenir. Le 19e régiment de hussards et une partie de la 1st Honorable Artillery Company sont dirigés sur Étaples. Le 13 septembre, deux bataillons retirés du front d'Artois viennent les rejoindre, suivis d'un escadron de Gurkas de l'Armée des Indes. Le 14, le camp est investi. Les révoltés doivent gagner le front. Rien ne permet aujourd'hui d'établir le nombre exact de soldats qui ont alors été passés par les armes.

À Boulogne, l'armée britannique doit aussi faire face à des mutins parmi les Labour Corps. Le maréchal Haig fait exécuter 23 ouvriers égyptiens, puis plus tard, 9 ouvriers chinois.

A Étaples, le caporal Jesse Short est fusillé le 4 octobre 1917. Le chef de la mutinerie Percy Toplis, déserteur, le « mutin au monocle », est arrêté le 15 octobre 1917 à Rang-du-Fliers ; il s'évade et est abattu en Angleterre en 1920.

(Sources : les sites Web « 1914-1918 : Reims dans la Grande Guerre » et « Chemins de mémoire 14-18 » )

 7. Fox, chapitres 3 et 4.

 8. Lénine, « Rapport sur la situation internationale et les tâches fondamentales de l'internationale communiste », Oeuvres tome 31, Éditions du progrès, Moscou, 1973, p. 238

Haut de page


L'attitude du Parti bolchevique à l'égard de la guerre

L'attitude des socialistes à l'égard des guerres

Les socialistes ont toujours condamné les guerres entre peuples comme une entreprise barbare et bestiale. Mais notre attitude à l'égard de la guerre est foncièrement différente de celle des pacifistes (partisans et propagandistes de la paix) bourgeois et des anarchistes. Nous nous distinguons des premiers en ce sens que nous comprenons le lien inévitable qui rattache les guerres à la lutte des classes à l'intérieur du pays, que nous comprenons qu'il est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et sans instaurer le socialisme ; et aussi en ce sens que nous reconnaissons parfaitement la légitimité, le caractère progressiste et la nécessité des guerres civiles, c'est-à-dire des guerres de la classe opprimée contre celle qui l'opprime, des esclaves contre les propriétaires d'esclaves, des paysans serfs contre les seigneurs terriens, des ouvriers salariés contre la bourgeoisie. Nous autres, marxistes, différons des pacifistes aussi bien que des anarchistes en ce sens que nous reconnaissons la nécessité d'analyser historiquement (du point de vue du matérialisme dialectique de Marx) chaque guerre prise à part. L'histoire a connu maintes guerres qui, malgré les horreurs, les atrocités, les calamités et les souffrances qu'elles comportent inévitablement, furent progressives, c'est-à-dire utiles au développement de l'humanité en aidant à détruire des institutions particulièrement nuisibles et réactionnaires (par exemple, l'autocratie ou le servage) et les despotismes les plus barbares d'Europe (turc et russe). Aussi importe-t-il d'examiner les particularités historiques de la guerre actuelle.

Les types historiques des guerres modernes

La grande révolution française a inauguré une nouvelle époque dans l'histoire de l'humanité. Depuis lors et jusqu'à la Commune de Paris, de 1789 à 1871, les guerres de libération nationale, à caractère progressif bourgeois, constituèrent l'un des types de guerres. Autrement dit, le contenu principal et la portée historique de ces guerres étaient le renversement de l'absolutisme et du système féodal, leur ébranlement, l'abolition du joug étranger. C'étaient là, par conséquent, des guerres progressives ; aussi tous les démocrates honnêtes, révolutionnaires, de même que tous les socialistes, ont toujours souhaité, dans les guerres de ce genre, le succès du pays (c'est-à dire de la bourgeoisie) qui contribuait à renverser ou à saper les bastions les plus dangereux du régime féodal, de l'absolutisme et de l'oppression exercée sur les peuples étrangers. Ainsi, dans les guerres révolutionnaires de la France, il y avait un élément de pillage et de conquête des terres d'autrui par les Français ; mais cela ne change rien à la portée historique essentielle de ces guerres qui démolissaient et ébranlaient le régime féodal et l'absolutisme de toute la vieille Europe, de l'Europe du servage. Dans la guerre franco-allemande, l'Allemagne a dépouillé la France, mais cela ne change rien à la signification historique fondamentale de cette guerre, qui a affranchi des dizaines de millions d'Allemands du morcellement féodal et de l'oppression exercée sur eux par deux despotes, le tsar russe et Napoléon III.

La différence entre guerre offensive et guerre défensive

L'époque de 1789-1871 a laissé des traces profondes et des souvenirs révolutionnaires. Avant le renversement du régime féodal, de l'absolutisme et du joug national étranger, il ne pouvait absolument pas être question de voir se développer la lutte du prolétariat pour le socialisme. Parlant du caractère légitime de la guerre « défensive » à propos des guerres de cette époque, les socialistes ont toujours eu en vue, très précisément, ces objectifs qui se ramènent à la révolution contre le régime médiéval et le servage. Les socialistes ont toujours entendu par guerre « défensive » une guerre « juste » dans ce sens (comme a dit exactement un jour W. Liebknecht). C'est seulement dans ce sens que les socialistes reconnaissaient et continuent de reconnaître le caractère légitime, progressiste, juste, de la « défense de la patrie » ou d'une guerre « défensive ». Par exemple, si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l'Inde à l'Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., ce seraient des guerres « justes », « défensives », quel que soit celui qui commence, et tout socialiste appellerait de ses voeux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les « grandes » puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.

Mais imaginez qu'un propriétaire de 100 esclaves fasse la guerre à un autre propriétaire qui en possède 200, pour un plus « juste » partage des esclaves. Il est évident qu'appliquer à un tel cas la notion de guerre « défensive » ou de « défense de la patrie » serait falsifier l'histoire ; ce serait, pratiquement, une mystification des simples gens, de la petite bourgeoisie, des gens ignorants, par d'habiles esclavagistes. C'est ainsi qu'aujourd'hui la bourgeoisie impérialiste trompe les peuples au moyen de l'idéologie « nationale » et de la notion de défense de la patrie dans la guerre actuelle entre esclavagistes, qui a pour enjeu l'aggravation et le renforcement de l'esclavage.

La guerre actuelle est une guerre impérialiste

Presque tout le monde reconnaît que la guerre actuelle est une guerre impérialiste, mais le plus souvent on déforme cette notion, ou bien on l'applique unilatéralement, ou bien on insinue que cette guerre pourrait avoir une portée progressiste bourgeoise, de libération nationale. L'impérialisme est le degré supérieur du développement du capitalisme, que celui-ci n'a atteint qu'au XXe siècle. Le capitalisme se sent désormais à l'étroit dans les vieux États nationaux sans la formation desquels il n'aurait pu renverser le régime féodal. Le capitalisme a développé la concentration au point que des industries entières ont été accaparées par les syndicats patronaux, les trusts, les associations de capitalistes milliardaires, et que presque tout le globe a été partagé entre ces « potentats du capital », sous forme de colonies ou en enserrant les pays étrangers dans les filets de l'exploitation financière. À la liberté du commerce et de la concurrence se sont substituées les tendances au monopole, à la conquête de terres pour y investir les capitaux, pour en importer des matières premières, etc. De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire ; il a développé les forces productives au point que l'humanité n'a plus qu'à passer au socialisme, ou bien à subir durant des années, et même des dizaines d'années, la lutte armée des « grandes » puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l'aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d'oppressions nationales de toute nature.

La guerre entre les plus gros propriétaires d'esclaves pour le maintien et l'aggravation de l'esclavage

Afin de montrer clairement le rôle de l'impérialisme, nous citerons des données précises sur le partage du monde entre ce qu'on appelle les « grandes » puissances (c'est à-dire celles qui réussissent à piller sur une grande échelle)  :

Le partage du monde par les “grandes” puissances esclavagistes


Colonies Métropoles Total

1876 1914 1914

km2
(millions)
habitants
(millions)
km2
(millions)
habitants
(millions)
km2
(millions)
habitants
(millions)
km2
(millions)
habitants
(millions)
Angleterre 22,5 251,9 33,5 393,5 0,3 46,5 33,8 440
Russie 17 15,9 17,4 33,2 5,4 136,2 22,8 169,4
France 0,9 6 10,6 55,5 0,5 39,6 11,1 95,1
Allemagne

2,9 12,3 0,5 64,9 3,4 77,2
Japon

0,3 19,2 0,4 53 0,7 72,2
États-Unis de l’Amérique du Nord

0,3 9,7 9,4 97 9,7 106,7
Les 6  « grandes » puissances 40,4 273,8 65 523,4 16,5 437,2 81,5 960,6
Colonies n'appartenant pas aux grandes puissances (mais à la Belgique, à la Hollande et à d'autres États)

9,9 45,3

9,9 45,3
Trois pays « semi- coloniaux » (Turquie, Chine et Perse)





14,5 361,2
Total





150,9 1367,1
Autres États et pays





28 289,9
Tout le globe





133,9 1657

Il ressort de ce tableau que les peuples qui, de 1789 à 1871, ont combattu la plupart du temps à la tête des autres peuples pour la liberté, sont devenus désormais, après 1876, à la faveur d'un capitalisme hautement développé et « plus que mûr », les oppresseurs et les exploiteurs de la majorité des populations et des nations du globe. Entre 1876 et 1914, six « grandes » puissances ont accaparé 25 millions de kilomètres carrés, soit une superficie représentant deux fois et demi celle de toute l'Europe ! Six puissances tiennent dans la servitude plus d'un demi-milliard (523 millions) d'habitants des colonies. Pour 4 habitants des « grandes » puissances, il y en a 5 dans leurs « colonies ». Tout le monde sait que les colonies ont été conquises par le fer et par le feu, qu'on inflige à leurs populations un traitement barbare, qu'on les exploite par mille moyens (exportation de capitaux, concessions, etc. en les trompant sur la qualité des marchandises qui leur sont vendues, en les assujettissant aux autorités de la nation « dominante », etc., et ainsi de suite). La bourgeoisie anglo-française dupe le peuple lorsqu'elle prétend mener la guerre pour la liberté des peuples et de la Belgique : en réalité, elle mène la guerre pour conserver les immenses territoires coloniaux dont elle s'est emparée. Les impérialistes allemands auraient immédiatement évacué la Belgique, etc., si les Anglais et les Français avaient partagé avec eux leurs colonies « à l'amiable ». La situation a ceci de singulier que, dans ce conflit, le sort des colonies sera tranché par l'issue de la guerre sur le continent. Du point de vue de la justice bourgeoise et de la liberté nationale (ou du droit des nations à l'existence), l'Allemagne aurait incontestablement raison contre l'Angleterre et la France, car elle a été « lésée » en fait de colonies ; ses ennemis oppriment infiniment plus de nations qu'elle ne le fait elle-même, et chez son alliée, l'Autriche, les Slaves opprimés jouissent assurément d'une plus grande liberté que dans la Russie tsariste, cette véritable « prison des peuples ». Mais l'Allemagne fait elle aussi la guerre pour opprimer des nations, et non pour les affranchir. Ce n'est pas l'affaire des socialistes d'aider un brigand plus jeune et plus vigoureux (l'Allemagne) à piller des brigands plus vieux et plus repus. Les socialistes doivent profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous. Pour cela, il faut avant tout que les socialistes disent au peuple la vérité, à savoir que cette guerre est, dans un triple sens, une guerre d'esclavagistes pour la consolidation de l'esclavage. C'est une guerre qui vise, premièrement, à aggraver l'esclavage des colonies au moyen d'un partage plus « équitable » et d'une exploitation ultérieure mieux « orchestrée » ; deuxièmement, à accentuer le joug qui pèse sur les nations étrangères à l'intérieur des « grandes » puissances elles-mêmes, car l'Autriche aussi bien que la Russie (la Russie dans des proportions beaucoup plus grandes et bien pires que l'Autriche) ne se maintiennent qu'au moyen de ce joug qu'elles renforcent par la guerre ; troisièmement, à intensifier et à prolonger l'esclavage salarié, car le prolétariat est divisé et accablé, tandis que les capitalistes gagnent sur tous les tableaux en s'enrichissant par la guerre, en exacerbant les préjugés nationaux et en accentuant la réaction, qui connaît une recrudescence dans tous les pays, même dans les pays républicains les plus libres.

« La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens »
(à savoir : par la violence)

Cette sentence célèbre appartient à Clausewitz, l'un des auteurs les plus pénétrants en matière militaire.[1] Les marxistes ont toujours considéré avec juste raison cette thèse comme la base théorique de l'interprétation de chaque guerre donnée. C'est de ce point de vue que Marx et Engels ont toujours envisagé les différentes guerres.

Appliquez ce point de vue à la guerre actuelle. Vous verrez que, durant des dizaines d'années, pendant près d'un demi-siècle, les gouvernements et les classes dirigeantes d'Angleterre, de France, d'Allemagne, d'Italie, d'Autriche et de Russie ont pratiqué une politique de pillage des colonies, d'oppression de nations étrangères, d'écrasement du mouvement ouvrier. C'est cette politique, et nulle autre, qui se poursuit dans la guerre actuelle. En Autriche et en Russie notamment, la politique du temps de paix consiste, comme celle du temps de guerre, à asservir les nations et non à les affranchir. Au contraire, en Chine, en Perse, dans l'Inde et les autres pays dépendants, nous assistons durant ces dernières dizaines d'années à une politique d'éveil à la vie nationale de dizaines et de centaines de millions d'hommes, à une politique tendant à les libérer du joug des « grandes » puissances réactionnaires. La guerre sur ce terrain historique peut être aujourd'hui encore une guerre progressive bourgeoise, une guerre de libération nationale.

Il suffit de considérer que la guerre actuelle continue la politique des « grandes » puissances et des classes fondamentales qui les constituent pour constater aussitôt le caractère manifestement antihistorique, mensonger et hypocrite de l'opinion selon laquelle il serait possible, dans la guerre actuelle, de justifier l'idée de la « défense de la patrie ».

L'exemple de la Belgique

Les social-chauvins de la Triple (aujourd'hui Quadruple) Entente (en Russie : Plékhanov et Cie) aiment par-dessus tout invoquer l'exemple de la Belgique. Mais cet exemple se retourne contre eux. Les impérialistes allemands ont violé sans vergogne la neutralité de la Belgique, comme ont fait toujours et partout les États belligérants qui, en cas de besoin, foulaient aux pieds tous les traités et engagements. Admettons que tous les États qui ont intérêt à respecter les traités internationaux aient déclaré la guerre à l'Allemagne, en exigeant de ce pays qu'il évacue et dédommage la Belgique. En l'occurrence, la sympathie des socialistes serait allée, bien entendu, aux ennemis de l'Allemagne. Or, le fait est justement que la guerre menée par la « Triple (et Quadruple) Entente » ne l'est pas pour la Belgique ; cela est parfaitement connu, et seuls les hypocrites le dissimulent. L'Angleterre pille les colonies de l'Allemagne et la Turquie ; la Russie pille la Galicie et la Turquie ; la France réclame l'Alsace-Lorraine et même la rive gauche du Rhin ; un traité a été conclu avec l'Italie sur le partage du butin (Albanie et Asie mineure) ; un marchandage analogue est en cours avec la Bulgarie et la Roumanie. Sur le terrain de la guerre actuelle des gouvernements actuels, il est impossible d'aider la Belgique autrement qu'en aidant à étrangler l'Autriche ou la Turquie, etc. ! Que vient faire alors ici la « défense de la patrie » ? ? C'est là précisément le caractère particulier de la guerre impérialiste, guerre menée par des gouvernements bourgeois réactionnaires qui ont fait historiquement leur temps, avec pour enjeu l'oppression d'autres nations. Quiconque justifie la participation à cette guerre perpétue l'oppression impérialiste des nations. Quiconque préconise d'exploiter les difficultés actuelles des gouvernements pour lutter en faveur de la révolution sociale défend la liberté réelle de la totalité des nations, qui n'est réalisable qu'en régime socialiste.

Pourquoi la Russie fait-elle la guerre ?

En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s'est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie ; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal. Nulle part au monde la majorité de la population du pays n'est aussi opprimée : les Grands Russes ne forment que 43 % de la population, c'est à dire moins de la moitié, et tous les autres habitants sont privés de droits, en tant qu'allogènes. Sur les 170 millions d'habitants de la Russie, près de 100 millions sont asservis et privés de droits. Le tsarisme fait la guerre pour s'emparer de la Galicie et étrangler définitivement la liberté des Ukrainiens, pour conquérir l'Arménie, Constantinople, etc. Le tsarisme voit dans la guerre un moyen de détourner l'attention du mécontentement qui s'accroît à l'intérieur du pays et d'écraser le mouvement révolutionnaire grandissant. Aujourd'hui, pour deux Grands-Russes, on compte en Russie deux ou trois « allogènes » privés de droits : le tsarisme s'efforce, au moyen de la guerre, d'augmenter le nombre des nations opprimées par la Russie, d'accentuer leur oppression et de faire ainsi échec à la lutte pour la liberté que mènent les Grands Russes eux-mêmes. La possibilité d'asservir et de piller les autres peuples aggrave le marasme économique, car il arrive souvent que la source des revenus soit moins le développement des forces productives que l'exploitation semi féodale des « allogènes ». Ainsi, du côté de la Russie, la guerre porte un caractère foncièrement réactionnaire et hostile aux mouvements de libération.

Qu'est-ce que le social-chauvinisme ?

Le social-chauvinisme, c'est la « défense de la patrie » dans la guerre actuelle. De cette position découlent, par voie de conséquence, la renonciation à la lutte de classe pendant la guerre, le vote des crédits militaires, etc. Les social-chauvins pratiquent en fait une politique antiprolétarienne, bourgeoise, car ils préconisent en réalité, non pas la « défense de la patrie » au sens de la lutte contre l'oppression étrangère, mais le « droit » de telles ou telles « grandes » puissances à piller les colonies et à opprimer d'autres peuples. Les social-chauvins reprennent à leur compte la mystification du peuple par la bourgeoisie, selon laquelle la guerre serait menée pour la défense de la liberté et de l'existence des nations, et se rangent ainsi aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Sont des social-chauvins aussi bien ceux qui justifient et exaltent les gouvernements et la bourgeoisie d'un des groupes des puissances belligérantes que ceux qui, à l'instar de Kautsky, reconnaissent aux socialistes de toutes les puissances belligérantes un droit identique à la « défense de la patrie ». Le social-chauvinisme, qui prône en fait la défense des privilèges, des avantages, des pillages et violences de « sa propre » bourgeoisie impérialiste (ou de toute bourgeoisie, en général), constitue une trahison pleine et entière de toutes les convictions socialistes et de la résolution du Congrès socialiste international de Bâle.

Le Manifeste de Bâle

Le Manifeste sur la guerre, adopté à l'unanimité à Bâle en 1912, vise justement la guerre qui a éclaté en 1914 entre l'Angleterre et l'Allemagne avec leurs alliés actuels. Le manifeste déclare nettement que nul intérêt du peuple ne peut justifier une telle guerre, menée pour « le profit des capitalistes ou l'orgueil des dynasties », sur la base de la politique impérialiste, spoliatrice, des grandes puissances. Le manifeste déclare expressément que la guerre est un danger « pour les gouvernements » (tous sans exception), met en évidence la crainte que la « révolution prolétarienne » leur inspire, rappelle de la manière la plus explicite l'exemple de la Commune de 1871 et celui d'octobre décembre 1905, c'est-à-dire l'exemple de la révolution et de la guerre civile. Par conséquent, le Manifeste de Bâle indique, précisément pour la guerre actuelle, la tactique de la lutte révolutionnaire des ouvriers à l'échelle internationale contre leurs gouvernements, la tactique de la révolution prolétarienne. Le Manifeste de Bâle reprend les termes de la résolution de Stuttgart disant qu'au cas où la guerre éclaterait, les socialistes devraient exploiter « la crise économique et politique » créée par la guerre pour « précipiter la chute de la domination capitaliste », c'est à dire mettre à profit les difficultés suscitées aux gouvernements par la guerre, ainsi que la colère des masses, en vue de la révolution socialiste.

La politique des social-chauvins, qui justifient la guerre du point de vue bourgeois sur le mouvement de libération, qui admettent la « défense de la patrie », qui votent les crédits, qui entrent dans les ministères, etc., est donc une trahison pure et simple du socialisme, qui ne s'explique, comme on le verra plus loin, que par la victoire de l'opportunisme et de la politique ouvrière national libérale au sein de la majorité des partis européens.

Les fausses références à Marx et Engels

Les social-chauvins russes (Plékhanov en tête) invoquent la tactique de Marx dans la guerre de 1870 ; les social-chauvins allemands (genre Lensch, David et Cie) invoquent les déclarations d'Engels en 1891 sur la nécessité pour les socialistes allemands de défendre la patrie en cas de guerre contre la Russie et la France réunies ; enfin, les social-chauvins genre Kautsky, désireux de transiger avec le chauvinisme international et de le légitimer, invoquent le fait que Marx et Engels, tout en condamnant les guerres, se sont néanmoins chaque fois rangés, de 1854-1855 à 1870-1871 et en 1876-1877, du côté de tel ou tel État belligérant, une fois le conflit malgré tout déclenché.

Toutes ces références déforment d'une façon révoltante les conceptions de Marx et d'Engels par complaisance pour la bourgeoisie et les opportunistes, de même que les écrits des anarchistes (les Guillaume et Cie) dénaturent les conceptions de Marx et d'Engels pour justifier l'anarchisme. La guerre de 1870 1871 a été, du côté de l'Allemagne, une guerre historiquement progressive jusqu'à la défaite de Napoléon III qui, de concert avec le tsar, avait longtemps opprimé l'Allemagne en y maintenant le morcellement féodal. Dès que la guerre eut tourné au pillage de la France (annexion de l'Alsace et de la Lorraine), Marx et Engels condamnèrent résolument les Allemands. Au reste, dès le début de cette guerre, Marx et Engels avaient approuvé le refus de Bebel et de Liebknecht de voter les crédits et recommandé à la social-démocratie de ne pas faire bloc avec la bourgeoisie, mais de lutter pour la sauvegarde des intérêts de classe particuliers du prolétariat. Appliquer le jugement porté sur cette guerre progressive bourgeoise et de libération nationale à la guerre impérialiste actuelle, c'est se moquer de la vérité. Il en va de même, de façon encore plus frappante, pour la guerre de 1854 1855 et pour toutes les guerres menées au XIX• siècle, alors que n'existaient ni l'impérialisme actuel, ni les conditions objectives déjà mûres du socialisme, ni des partis socialistes de masse dans tous les pays belligérants, c'est à dire à une époque où faisaient précisément défaut les conditions d'où le Manifeste de Bâle dégageait la tactique de la « révolution prolétarienne » en relation avec la guerre entre les grandes puissances.

Invoquer aujourd'hui l'attitude de Marx à l'égard des guerres de l'époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx : « Les ouvriers n'ont pas de patrie », paroles qui se rapportent justement à l'époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l'époque de la révolution socialiste, c'est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois.

La faillite de la IIe Internationale

Les socialistes du monde entier ont déclaré solennellement en 1912, à Bâle, qu'ils considéraient la future guerre européenne comme une entreprise « criminelle » et ultra-réactionnaire de tous les gouvernements, qui devait précipiter la chute du capitalisme en provoquant inévitablement la révolution contre ce dernier. La guerre est venue, la crise a éclaté. Au lieu de la tactique révolutionnaire, la majorité des partis social-démocrates ont appliqué une tactique réactionnaire et se sont rangés du côté de leurs gouvernements et de leur bourgeoisie. Cette trahison à l'égard du socialisme marque la faillite de la IIe Internationale (1889 1914), et nous devons voir clairement ce qui a déterminé cette faillite, ce qui a engendré le social-chauvinisme et ce qui lui a donné sa vigueur.

Le social-chauvinisme, dernier mot de l'opportunisme

Durant toute l'existence de la II• Internationale, une lutte s'est poursuivie à l'intérieur de tous les partis social-démocrates entre l'aile révolutionnaire et l'aile opportuniste. Dans plusieurs pays, il y a eu scission sur ce point (Angleterre, Italie, Hollande, Bulgarie). Aucun marxiste ne doutait que l'opportunisme fût l'expression. de la politique bourgeoise au sein du mouvement ouvrier, l'expression des intérêts de la petite bourgeoisie et de l'alliance avec « leur  » bourgeoisie d'une partie minime d'ouvriers embourgeoisés contre les intérêts de la masse des prolétaires, de la masse des opprimés.

Les conditions objectives de la fin du XIXe siècle renforçaient tout particulièrement l'opportunisme, l'utilisation de la légalité bourgeoise étant transformée de ce fait en servilité à son égard ; elles créaient une mince couche bureaucratique et aristocratique de la classe ouvrière, et attiraient dans les rangs des partis social-démocrates nombre de « compagnons de route » petits bourgeois.

La guerre a accéléré ce développement, transformé l'opportunisme en social-chauvinisme, et l'alliance tacite des opportunistes avec la bourgeoisie, en une alliance ouverte.

En outre, les autorités militaires ont décrété partout la loi martiale et muselé la masse ouvrière, dont les anciens chefs sont passés, à peu près en bloc, du côté de la bourgeoisie.

La base économique de l'opportunisme est la même que celle du social-chauvinisme : les intérêts d'une mince couche d'ouvriers privilégiés et de la petite bourgeoisie, qui défendent leur situation privilégiée, leur « droit » aux miettes des profits réalisés dans le pillage des autres nations par « leur » bourgeoisie nationale, grâce aux avantages attachés à sa situation de grande puissance, etc.

Le contenu politique et idéologique de l'opportunisme est le même que celui du social-chauvinisme : remplacement de la lutte des classes par leur collaboration, renonciation aux moyens révolutionnaires de lutte, soutien de « son » gouvernement en difficultés au lieu d'une utilisation de ces difficultés pour la révolution. Si l'on considère tous les pays européens dans leur ensemble, sans s'arrêter à telles bu telles personnalités (quel que soit leur prestige), on constatera que c'est bien le courant opportuniste qui est devenu le principal rempart du social-chauvinisme, et que du camp des révolutionnaires s'élève presque partout une protestation plus ou moins conséquente contre ce courant. Et si l'on considère, par exemple, le groupement des tendances au congrès socialiste international de Stuttgart, en 1907, on constatera que le marxisme international était contre l'impérialisme, tandis que, dès cette époque, l'opportunisme international le soutenait.

L'unité avec les opportunistes, c'est l'alliance des ouvriers
avec « leur » bourgeoisie nationale et la scission de
la classe ouvrière révolutionnaire internationale

Autrefois, avant la guerre, l'opportunisme était souvent considéré comme une « déviation », une « position extrême », mais on lui reconnaissait néanmoins le droit d'être partie intégrante du parti social-démocrate. La guerre a montré que c'est désormais chose impossible. L'opportunisme s'est pleinement « épanoui », il a joué jusqu'au bout son rôle d'émissaire de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier. L'unité avec les opportunistes est devenue un tissu d'hypocrisies, dont nous voyons un exemple dans le parti social-démocrate allemand. Dans toutes les grandes occasions (par exemple, lors du vote du 4 août), les opportunistes présentent leur ultimatum et l'imposent en mettant en jeu leurs nombreuses relations avec la bourgeoisie, leur majorité dans les directions des syndicats, etc. L' unité avec les opportunistes, n'étant rien d'autre que la scission du prolétariat révolutionnaire de tous les pays, marque en fait aujourd'hui la subordination de la classe ouvrière à « sa » bourgeoisie nationale, l'alliance avec celle-ci en vue d'opprimer d'autres nations et de lutter pour les privilèges impérialistes. Si dure que soit, en certains cas, la lutte contre les opportunistes qui règnent dans maintes organisations, quelque forme particulière que prenne, dans certains pays, le processus d'épuration des partis ouvriers se débarrassant des opportunistes, ce processus est inévitable et fécond. Le socialisme réformiste agonise ; le socialisme renaissant « sera révolutionnaire, intransigeant, insurrectionnel » selon l'expression si juste du socialiste français Paul Golay.

Le « kautskisme »

Kautsky, la plus grande autorité de la II• Internationale, offre un exemple éminemment typique, notoire, de la façon dont la reconnaissance verbale du marxisme a abouti en fait à le transformer en « strouvisme » ou en « brentanisme »[2]. Nous en avons un autre exemple avec Plékhanov. À l'aide de sophismes manifestes, on vide le marxisme de son âme vivante, révolutionnaire. On admet tout dans le marxisme, excepté les moyens révolutionnaires de lutte, la propagande en leur faveur et la préparation de leur mise en oeuvre, l'éducation des masses dans ce sens. Au mépris de tout principe, Kautsky « concilie » la pensée fondamentale du social-chauvinisme, l'acceptation de la défense de la patrie dans la guerre actuelle, avec des concessions diplomatiques et ostentatoires aux gauches, telles que l'abstention lors du vote des crédits, la prise de position verbale en faveur de l'opposition, etc. Kautsky, qui écrivit en 1909 tout un livre sur l'imminence d'une époque de révolutions et sur le lien entre la guerre et la révolution ; Kautsky, qui signa en 1912 le Manifeste de Bâle sur l'utilisation révolutionnaire de la guerre de demain, s'évertue aujourd'hui à justifier et à farder le social-chauvinisme, et se joint comme Plékhanov à la bourgeoisie pour railler toute idée de révolution, toute initiative allant dans le sens d'une lutte nettement révolutionnaire.

La classe ouvrière ne peut jouer son rôle révolutionnaire mondial sans mener une lutte implacable contre ce reniement, cette veulerie, cette servilité à l'égard de l'opportunisme et cet incroyable avilissement de la théorie marxiste. Le kautskisme n'est pas un effet du hasard, c'est le produit social des contradictions de la IIe Internationale, de la fidélité en paroles au marxisme alliée à la soumission de fait à l'opportunisme.

Ce mensonge majeur du « kautskisme » se manifeste sous des formes diverses dans les différents pays. En Hollande, Roland Holst, tout en repoussant l'idée de la défense de la patrie, plaide pour l'unité avec le parti des opportunistes. Trotsky, en Russie, repoussant également cette idée, plaide aussi pour l'unité avec le groupe opportuniste et chauvin de « Nacha Zaria ». Rakovski, en Roumanie, tout en déclarant la guerre à l'opportunisme, qu'il rend responsable de la faillite de l'Internationale, est prêt cependant à admettre l'idée de la défense de la patrie. Ce sont là des manifestations du mal que les marxistes hollandais (Gorter, Pannekoek) ont appelé le « radicalisme passif », et qui vise à substituer au marxisme révolutionnaire l'éclectisme en théorie, et la servilité ou l'impuissance devant l'opportunisme dans la pratique.

Le mot d'ordre des marxistes est celui
de la social-démocratie révolutionnaire

La guerre a, sans conteste, engendré une crise extraordinairement violente et aggravé, à l'extrême la misère des masses. Le caractère réactionnaire de cette guerre, le mensonge éhonté de la bourgeoisie de tous les pays, qui dissimule ses visées do brigandage sous le manteau de l'idéologie « nationale », suscitent nécessairement, dans la situation révolutionnaire qui existe objectivement, des tendances révolutionnaires au sein des masses. Notre devoir est d'aider à prendre conscience de ces tendances, de les approfondir et de leur donner corps. Seul le mot d'ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile exprime correctement cette tâche, et toute lutte de classe conséquente pendant la guerre, toute tactique sérieusement appliquée d'« actions de masse » y mène inévitablement. On ne peut savoir si c'est à l'occasion de la première ou d'une seconde guerre impérialiste des grandes puissances, si c'est pendant ou après cette guerre, qu'éclatera un puissant mouvement révolutionnaire. Mais, de toute façon, notre devoir impérieux est de travailler méthodiquement et sans relâche dans cette voie.

Le Manifeste de Bâle invoque sans détours l'exemple de la Commune de Paris, c'est à dire la transformation d'une guerre de gouvernements en guerre civile. Il y a un demi-siècle, le prolétariat était trop faible, les conditions objectives du socialisme n'étaient pas encore venues à maturité, il ne pouvait y avoir ni corrélation ni coopération des mouvements révolutionnaires dans tous les pays belligérants ; l'engouement d'une partie des ouvriers parisiens pour « l'idéologie nationale » (la tradition de 1792) attestait de leur part une défaillance petite bourgeoise, que Marx avait signalée en son temps et qui fut une des causes de l'échec de la Commune. Un demi-siècle plus tard, les conditions qui affaiblissaient la révolution d'alors ont disparu, et à l'heure actuelle il est impardonnable pour un socialiste de renoncer à agir, très précisément, dans l'esprit des communards parisiens.

L'exemple de la fraternisation dans les tranchées

Les journaux bourgeois de tous les pays belligérants ont cité des exemples de fraternisation entre soldats même dans les tranchées. Et les décrets draconiens promulgués par les autorités militaires (Allemagne, Angleterre) contre cette fraternisation ont démontré que les gouvernements et bourgeoisie y attachaient une sérieuse importance. Si des cas de fraternisation ont pu se produire, malgré la donation totale de l'opportunisme à la direction des partis social-démocrates d'Europe occidentale, et alors que le social-chauvinisme est soutenu par toute la presse social-démocrate, par toutes les autorités de la IIe Internationale, cela nous montre à quel point il serait possible d'abréger la durée de la guerre criminelle, réactionnaire et esclavagiste d'aujourd'hui et d'organiser le mouvement international révolutionnaire, si un travail systématique ait effectué dans ce sens, ne serait-ce que par les socialistes de gauche de tous les pays belligérants.

L'importance de l'organisation illégale

Les anarchistes les plus marquants du monde entier se sont déshonorés tout autant que les opportunistes par le social-chauvinisme (dans l'esprit de Plékhanov et de Kautsky) dont ils ont fait preuve au cours de cette guerre. Un des résultats utiles de ce conflit sera sans doute qu'il tuera la fois l'opportunisme et l'anarchisme.

Sans renoncer en aucun cas et sous aucun prétexte à, utiliser la plus minime possibilité légale pour organiser les masses et propager le socialisme, les partis social-démocrates doivent rompre avec toute attitude servile devant la légalité. « Tirez les premiers, messieurs les bourgeois », écrivait Engels [3], en faisant précisément allusion à la guerre civile et à la nécessité pour nous de violer la légalité après que celle-ci l'aura été par la bourgeoisie. La crise a montré que la bourgeoisie enfreint la légalité dans tous les pays même les plus libres, et qu'il est impossible de conduire masses à la révolution sans constituer une organisation clandestine pour préconiser, discuter, apprécier et préparer les moyens de lutte révolutionnaires. En Allemagne, par exemple, tout ce que les socialistes font d'honnête se fait contre le vil opportunisme et l'hypocrite « kautskisme », et cela, précisément, dans l'illégalité. En Angleterre, on est passible du bagne pour l'impression d'appels invitant à refuser le service militaire.

Considérer comme compatible avec l'appartenance au parti social-démocrate la répudiation des procédés clandestins de propagande et les railler dans la presse légale, c'est trahir le socialisme.

De la défaite de « son propre » gouvernement dans la guerre impérialiste

Les partisans de la victoire de leur gouvernement dans la guerre actuelle, de même que les partisans du mot d'ordre : « Ni victoire ni défaite », adoptent les uns et les autres le point de vue du social-chauvinisme. Dans une guerre réactionnaire, la classe révolutionnaire ne peut pas ne pas souhaiter la défaite de son gouvernement ; elle ne peut manquer de voir le lien entre les échecs militaires de ce dernier et les facilités qui en résultent pour le renverser. Seul le bourgeois qui croit que la guerre engagée par les gouvernements finira de toute nécessité comme une guerre entre gouvernements, et qui le désire, trouve « ridicule » ou « absurde » l'idée que les socialistes de tous les pays belligérants doivent affirmer qu'ils veulent la défaite de tous les gouvernements, de « leurs » gouvernements. Par contre, une telle position correspondrait exactement à la pensée secrète de tout ouvrier conscient et s'inscrirait dans le cadre de notre activité visant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile.

Il est hors de doute que l'important travail d'agitation contre la guerre effectué par une partie des socialistes anglais, allemands et russes « affaiblissait la puissance militaire » de leurs gouvernements respectifs, mais cette agitation faisait honneur aux socialistes. Ceux-ci doivent expliquer aux masses qu'il n'est point de salut pour elles hors du renversement révolutionnaire de « leurs » gouvernements respectifs, et que les difficultés rencontrées par ces gouvernements dans la guerre actuelle doivent être exploitées précisément à cette fin.

Du pacifisme et du mot d'ordre de la paix

L'état d'esprit des masses en faveur de la paix exprime souvent le début d'une protestation, d'une révolte et d'une prise de conscience du caractère réactionnaire de la guerre. Tirer profit de cet état d'esprit est le devoir de tous les social-démocrates. Ils participeront très activement à tout mouvement et à toute manifestation sur ce terrain, mais ils ne tromperont pas le peuple en laissant croire qu'en l'absence d'un mouvement révolutionnaire, il est possible de parvenir à une paix sans annexions, sans oppression des nations, sans pillage, sans que subsiste le germe de nouvelles guerres entre les gouvernements actuels et les classes actuellement dirigeantes. Tromper ainsi le peuple ne ferait que porter de l'eau au moulin de la diplomatie secrète des gouvernements belligérants et de leurs plans contre-révolutionnaires. Quiconque désire une paix solide et démocratique doit être partisan de la guerre civile contre les gouvernements et la bourgeoisie.

Du droit des nations à disposer d'elles-mêmes

La mystification du peuple la plus largement pratiquée par la bourgeoisie dans cette guerre est le camouflage de ses buts de brigandage derrière l'idée de la « libération nationale ». Les Anglais promettent la liberté à la Belgique ; les Allemands à la Pologne, etc. En réalité, comme nous l'avons vu, c'est une guerre entre les oppresseurs de la majorité des nations du monde pour consolider et étendre cette oppression.

Les socialistes ne peuvent atteindre leur but sans lutter contre tout asservissement des nations. Aussi doivent ils exiger absolument que les partis social-démocrates des pays oppresseurs (des « grandes » puissances, notamment) reconnaissent et défendent le droit des nations opprimées à disposer d'elles-mêmes, et cela au sens politique du mot, c'est à dire le droit à la séparation politique. Le socialiste appartenant à une puissance impérialiste ou à une nation possédant des colonies, et qui ne défendrait pas ce droit, serait, un chauvin.

La défense de ce droit, loin d'encourager la formation de petits États, conduit au contraire à la formation plus libre, plus sûre et, par suite, plus large et plus généralisée, de grands États et de fédérations entre États, ce qui est plus avantageux pour les masses et correspond mieux au développement économique.

Les socialistes des nations opprimées, pour leur part, doivent lutter sans réserve pour l'unité complète (y compris sur le plan de l'organisation) des ouvriers des nationalités opprimées et oppressives. L'idée d'une séparation juridique des nations (ce qu'on appelle l'« autonomie nationale culturelle » de Bauer et Renner) est une idée réactionnaire.

L'époque de l'impérialisme est celle de l'oppression croissante des nations du monde entier par une poignée de « grandes » puissances ; aussi la lutte pour la révolution internationale socialiste contre l'impérialisme est-elle impossible sans la reconnaissance du droit des nations à disposer d'elles-mêmes. « Un peuple qui en opprime d'autres ne saurait être libre » (Marx et Engels). Ne peut être socialiste un prolétariat qui prend son parti de la moindre violence exercée par « sa » nation à l'encontre d'autres nations.

Notes

 1. Carl von Clausewitz,  De la guerre, première partie, livre I, chapitre I, § 24

 2. Le « brentanisme », théorie réformiste bourgeoise, « reconnaissant (l'école du capitalisme), mais rejetant l'école de la lutte de classe révolutionnaire » (Lénine). L. Brentano, économiste bourgeois allemand, partisan du « socialisme d'État », essayait de démontrer la possibilité de réaliser l'égalité sociale dans le cadre du capitalisme, au moyen de réformes et de la conciliation des intérêts des capitalistes et des ouvriers. Sous le couvert d'une phraséologie marxiste, Brentano et ses adeptes tentaient de subordonner le mouvement ouvrier aux intérêts de la bourgeoisie.

 3. Friedrich Engels, « Le Socialisme en Allemagne », Oeuvres complètes de K. Marx et F. Engels, tome 22

(Lénine, « Le socialisme et la guerre », Oeuvres Tome 21, Éditions du progrès, Moscou, 1973)

Haut de


Affiches de la Première Guerre mondiale

Affiches contre la guerre et propagande de guerre

Affiches contre la guerre

Australie

Irlande

Propagande pour la guerre


Grande-Bretagne


Commonwealth


Canada




Terre-Neuve


Australie




Inde


Russie tsariste


À gauche: « Tout pour la guerre! Souscrivez aux prêts de guerre à 5,5%. », Saint-Petersburg, Russie, 1916. À droite: « Prêts pour la liberté - la guerre jusqu'à la victoire! » (T. Butschkin)

Allemagne


À gauche: L'hydre à 8 têtes. Dans cette affiche allemande, l'Allemagne et l'Austro-Hongrie sont présentées comme des soldats tuant l'hydre, chacune des têtes de l'hydre représentant une puissances de la Triple Entente et leurs alliés. Au centre: « Tout pour la patrie ! Tout pour la liberté !» À droite: « Pour travailler la terre en paix, donnez !»

L'empire austro-hongrois

« Amener les prêts de guerre autrichens », ave cun soldat autrichien du XVIe siècle

L'empire ottoman

« Mobilisation ! Soldats, aux armes ! Le premier jour de la mobilisation est... »

États-Unis


Haut de page


Lisez Le Marxiste-Léniniste
Site web:  www.pccml.ca   Courriel: redaction@cpcml.ca