L'assemblée « À bas les pattes de la Russie »
à
Victoria le 13 décembre 1918 contre l'intervention canadienne
contre la Russie révolutionnaire. Des conscrits
québécois du Corps expéditionnaire canadien en
Sibérie stationné à Victoria ont assisté
à cette assemblée.
La réponse canadienne à la
révolution russe —
un chapitre oublié de la Première Guerre mondiale
L'histoire du Corps expéditionnaire
canadien en Sibérie
Avec son contingent de 4 192 soldats, le
Canada a été l'un des 14 pays qui ont envahi la
Russie soviétique après la Grande Révolution
socialiste d'Octobre. Le Corps expéditionnaire canadien en
Sibérie, ou CECS, a été déployé
à Vladivostok, en Russie, en décembre 1918. La
création du CECS a été autorisée en
août 1918, sous le commandement du
major-général James H. Elmsley. Il est retourné au
Canada entre avril et juin 1919.
L'opposition à l'intervention contre la Russie
s'est accrue en particulier après l'Armistice du 11
novembre 1918, qui marque la fin de la Première Guerre
mondiale.
La principale mission des forces interventionnistes
était d'écraser la révolution bolchévique,
mais d'autres intérêts guidaient également cette
intervention, notamment garder la Russie dans la guerre contre
l'Allemagne, récupérer la Réserve d'or
impériale russe et protéger son transfert hors de la
Russie pour payer les emprunts de guerre de la
Russie — une dette qu'avait annulée le nouveau pouvoir populaire
dirigé par Lénine.
Certains historiens soutiennent que la participation du
Canada à la campagne de
Sibérie a été dans une grande mesure
motivée par la politique du premier ministre canadien Robert
Borden envers le Royaume-Uni. En tant que Dominion, le Canada
n'était ni membre à part entière de l'Entente, ni
une colonie. Pour Robert Borden, la participation du Canada «
avait peu à voir avec
la Sibérie elle-même et visait davantage à rendre
le gouvernement britannique redevable à son partenaire
canadien », soutient Whitney Lackenbauer.[1] Selon
Gaddis Smith, l'Expédition sibérienne était
« l'épisode initial de la lutte du Canada pour le
contrôle complet de sa politique étrangère
après la Première Guerre mondiale. En
tant que telle, elle illustre l'évolution des relations au sein
de l'Empire britannique bien mieux que les projets d'actes
constitutionnels timidement rédigés par les chefs
d'État du Commonwealth entre 1917
et 1931. »[2]
En octobre 1918, alors que les troupes canadiennes
étaient rassemblées à Victoria pour
l'expédition de Sibérie, le Conseil privé a
autorisé la formation d'une Commission économique
canadienne en Sibérie, dirigée par le
délégué commercial Dana Wilgress, qui comptait des
représentants du Chemin de fer Canadien-Pacifique (CPR) et de
la Banque royale du Canada. Certains disent que la commission a
été
fondée sur la conviction que la révolution
bolchévique allait être un échec et conduirait
à des
opportunités commerciales et d'affaires.
À l'occasion du 100e anniversaire de la
Grande Révolution d'Octobre et du 99e anniversaire de la
signature de l'Armistice du 11 novembre 2018, LML
propose la lecture du livre de Benjamin Issit au sujet de la mutinerie
des soldats canadiens intitulé De Victoria à
Vladivostok. Il est disponible sur le
site « Prologue
numérique ».
Notes
1. P. Whitney Lackenbauer,
University of Waterloo, Why
Siberia ? Canadian Foreign Policy and Siberian Intervention, 1918-19.
2. Gaddis Smith, Canada and the
Siberian Intervention, 1918-1919, The
American Historical
Review, Vol. 64, No. 4 (July 1959),
pp. 866-877.
Des soldats québécois du 259e Bataillon en congé
dans le centre-ville de Victoria vers la fin
de 1918, avant le déploiement en Sibérie
Le Parti bolchévik pendant l'intervention
militaire de
l'étranger et la guerre civile (1918-1920)
- Histoire du Parti communiste
(bolchévik) de l'URSS, chapitre 8 -
Affiche du Nouvel An de la période de la guerre civile
célébrant les victoires de la Révolution
bolchévique.
1. Début de l'intervention militaire de
l'étranger.
Première période de la guerre civile.
Ainsi la paix avait été conclue à
Brest-Litovsk et le pouvoir des Soviets s'était consolidé
à la suite des mesures économiques
révolutionnaires qu'il avait prises. Ces deux faits
s'étaient produits à un moment où, en Occident, la
guerre battait encore son plein, et ils avaient provoqué la plus
vive alarme parmi les impérialistes d'Occident, et
surtout parmi les impérialistes de l'Entente.
Ils craignaient que la signature de la paix entre
l'Allemagne et la Russie pût alléger la situation
militaire de l'Allemagne et aggraver en conséquence celle des
armées de l'Entente. Ils craignaient ensuite que la conclusion
de la paix entre la Russie et l'Allemagne pût renforcer
l'élan vers la paix dans tous les pays, sur tous les fronts, et
compromettre ainsi la cause de la guerre, la cause des
impérialistes. Ils redoutaient enfin que l'existence du pouvoir
des Soviets sur le territoire d'un immense pays et ses succès
intérieurs, consécutifs au renversement du pouvoir de la
bourgeoisie, ne fussent un exemple contagieux pour les ouvriers et les
soldats d'Occident : profondément
mécontents d'une guerre qui traînait en longueur, ceux-ci
ne pouvaient-ils, à l'exemple des Russes, tourner leurs
baïonnettes contre leurs maîtres et oppresseurs ? Pour
toutes ces raisons, les gouvernements de l'Entente
décidèrent une intervention militaire en Russie, pour
renverser le pouvoir des Soviets et mettre sur pied un pouvoir
bourgeois
qui restaurerait le régime capitaliste dans le pays, annulerait
le traité de paix avec l'Allemagne et rétablirait le
front militaire contre l'Allemagne et l'Autriche.
Les impérialistes de l'Entente entreprirent
d'autant plus volontiers cette infâme besogne qu'ils
étaient convaincus de la précarité du pouvoir des
Soviets et ne doutaient pas que, si ses ennemis s'y employaient, il ne
tarderait pas à succomber. Les succès du pouvoir des
Soviets et sa consolidation avaient semé encore plus d'alarme
dans les rangs
des classes renversées, grands propriétaires fonciers et
capitalistes, dans les rangs des partis battus, cadets,
menchéviks, socialistes-révolutionnaires, anarchistes,
nationalistes bourgeois de toute sorte, dans les rangs des
généraux gardes-blancs, des officiers cosaques, etc.
Dès les premiers jours de la victoire de la
Révolution d'Octobre, ces éléments hostiles
avaient crié sur tous les toits que le pouvoir soviétique
n'avait pas de terrain propice en Russie, qu'il était
condamné, qu'il s'effondrerait dans une ou deux semaines, dans
un mois, ou tout au plus dans deux ou trois mois. Mais comme le pouvoir
soviétique,
en dépit des exorcismes de ses ennemis, continuait à
exister et à se consolider, les ennemis du pouvoir des Soviets
à l'intérieur de la Russie se virent obligés de
reconnaître que ce pouvoir était beaucoup plus fort qu'ils
ne l'auraient cru, que pour le renverser il fallait un
sérieux effort, une lutte acharnée de toutes les forces
de la contre-révolution. Aussi décidèrent-ils de
faire
un vaste travail de rébellion pour rassembler les forces de
la contre-révolution, pour racoler des cadres militaires, pour
organiser des émeutes, avant tout dans les régions
cosaques et dans celles où les koulaks étaient en force.
C'est ainsi que dès la première
moitié de 1918, deux forces déterminées
apparurent, qui étaient prêtes à renverser le
pouvoir des Soviets : les impérialistes de l'Entente et la
contre-révolution intérieure de Russie.
Aucune de ces forces ne réunissait des moyens
suffisants pour entreprendre à elle seule de renverser le
pouvoir des Soviets. La contre-révolution de Russie disposait de
certains cadres militaires, ainsi que de certaines ressources en
hommes, principalement parmi les couches supérieures des
cosaques et chez les koulaks, ressources nécessaires
pour déclencher un soulèvement contre le pouvoir des
Soviets. Mais elle n'avait ni argent ni armes. Les impérialistes
étrangers, au contraire, avaient de l'argent et des armes, mais
ils ne pouvaient « assigner » pour l'intervention des
forces militaires suffisantes, non seulement parce que ces forces
étaient indispensables pour la guerre contre
l'Allemagne et l'Autriche, mais encore parce qu'elles pouvaient
s'avérer trop peu sûres pour la lutte contre le pouvoir
des Soviets.
Les circonstances de la lutte contre le pouvoir des
Soviets imposaient la fusion des deux forces antisoviétiques,
celle de l'étranger et celle de l'intérieur. Et cette
fusion s'opéra dans la première moitié
de 1918. C'est ainsi que prit forme l'intervention militaire de
l'étranger contre le pouvoir des Soviets, appuyée par les
rébellions
contre-révolutionnaires des ennemis de ce pouvoir à
l'intérieur de la Russie. C'est ainsi que finit la trêve
et que la guerre civile commença en Russie, c'est-à-dire
la guerre des ouvriers et des paysans des peuples de Russie contre les
ennemis extérieurs et intérieurs du pouvoir des Soviets.
Les impérialistes d'Angleterre, de France, du
Japon, des États-Unis déclenchent l'intervention sans
déclaration de guerre, bien que cette intervention fût une
guerre contre la Russie, et une guerre de la pire espèce. Ces
brigands « civilisés » se glissent,
subrepticement, en voleurs, et débarquent leurs troupes en
territoire russe.
Les Anglo-Français opèrent un
débarquement dans le nord de la Russie ; ils occupent
Arkhangelsk et Mourmansk, et ils y épaulent l'émeute des
gardes-blancs ; ils renversent le pouvoir des Soviets et forment
un gouvernement garde-blanc, le « gouvernement du Nord de la
Russie ».
Les Japonais débarquent leurs troupes à
Vladivostok, s'emparent de la Province maritime, dispersent les Soviets
et épaulent les rebelles gardes-blancs, qui rétabliront
plus tard le régime bourgeois. Dans le Caucase du Nord, les
généraux Kornilov, Alexéev, Dénikine,
secondés par les Anglo-Français, organisent une «
armée volontaire » de
gardes-blancs, provoquent une émeute parmi les couches
supérieures des cosaques et partent en campagne contre les
Soviets. Dans la région du Don, les généraux
Krasnov et Mamontov, secrètement aidés des
impérialistes allemands (qui n'osaient les soutenir ouvertement,
en raison du traité de paix avec la Russie), soulèvent
une révolte parmi les
cosaques du Don, occupent la région et partent en campagne
contre les Soviets.
Dans la région de la Moyenne-Volga et en
Sibérie, les menées anglo-françaises aboutissent
à l'organisation de la révolte du corps d'armée
tchécoslovaque. Le gouvernement soviétique avait
autorisé ce corps d'armée composé de prisonniers
de guerre à rentrer dans sa patrie par la Sibérie et
l'Extrême-Orient. Mais il fut utilisé en cours de route
par les socialistes-révolutionnaires et les
Anglo-Français qui le poussèrent à se soulever
contre le pouvoir des Soviets. L'émeute du corps d'armée
tchécoslovaque fut le signal de la révolte des koulaks
dans le bassin de la Volga et en Sibérie, et de celle des
ouvriers des usines de Volkinsk et d'Ijevsk qui suivaient les
socialistes-révolutionnaires.
Dans la région de la Volga se constitua le gouvernement
garde-blanc et socialiste-révolutionnaire de Samara ;
à Omsk, le gouvernement garde-blanc de Sibérie.
L'Allemagne ne participait pas et ne pouvait pas
participer à cette intervention du bloc
anglo-franco-nippo-américain. D'abord parce qu'elle était
en guerre contre ce bloc. Mais malgré cela, et en dépit
du traité de paix qui existait entre la Russie et l'Allemagne,
personne parmi les bolcheviks ne doutait que le gouvernement de
l'empereur
Guillaume ne fût, pour le pays des Soviets, un ennemi tout aussi
féroce que les interventionnistes
anglo-franco-nippo-américains. Et en effet, les
impérialistes allemands faisaient l'impossible pour isoler,
affaiblir et perdre le pays des Soviets. De la Russie
soviétique, ils détachèrent l'Ukraine, en vertu,
il est vrai, d'un « traité » passé avec
la
Rada d'Ukraine ; ils introduisirent leurs troupes dans ce pays
à la demande de la Rada ukrainienne
contrerévolutionnaire, et se mirent en devoir de piller et
d'opprimer inhumainement le peuple ukrainien, en lui interdisant le
moindre contact avec la Russie soviétique. Ils amputèrent
la Russie soviétique de la Transcaucasie où, à la
demande
des nationalistes géorgiens et azerbaïdjanais, ils
introduisirent des troupes allemandes et turques et
s'installèrent en maîtres à Tiflis et à
Bakou. Ils soutenaient contre le pouvoir des Soviets, --
secrètement il est vrai, -- mais par tous les moyens, en lui
fournissant munitions et vivres, le général Krasnov,
révolté dans la région du Don.
La Russie soviétique se trouvait ainsi
coupée de ses principales sources de vivres, de matières
premières et de combustible.
La situation de la Russie soviétique fut
difficile, à l'époque. On manquait de pain. On manquait
de viande. Les ouvriers étaient tenaillés par la faim.
Aux ouvriers de Moscou et de Pétrograd, on distribuait cinquante
grammes de pain pour deux jours. Et il arrivait qu'on ne
distribuât pas de pain du tout. Les usines chômaient, ou
presque ;
elles manquaient de matières premières et de combustible.
Mais la classe ouvrière ne connut pas le découragement.
Le découragement n'atteignit pas le Parti bolchevik. Les
difficultés inouïes de cette période et la lutte
acharnée contre les difficultés montrèrent quelle
énergie inépuisable la classe ouvrière
recèle et de quelle force d'autorité, grande et
infinie, le Parti bolchevik dispose.
Le Parti proclama que le pays était un camp
retranché, et réorganisa la vie économique,
politique et culturelle sur le pied de guerre. Le gouvernement
soviétique déclara : « La patrie socialiste
est en danger », et appela le peuple à la
résistance. Lénine lança le mot d'ordre :
« Tout pour le front. » Et des centaines de
milliers d'engagés volontaires, ouvriers et paysans,
rejoignirent l'Armée rouge. Près de la moitié des
effectifs du Parti et des Jeunesses communistes étaient au
front. Le Parti soulevait le peuple pour la guerre de salut de la
patrie, contre l'invasion des troupes étrangères,
contre les rébellions des classes exploiteuses renversées
par la
révolution. Le Conseil de la défense ouvrière et
paysanne, organisé par Lénine dirigeait le ravitaillement
du front en hommes, en vivres, en équipements, en munitions.
L'abandon du principe du volontariat et l'introduction du service
militaire obligatoire firent affluer dans l'Armée rouge de
nouveaux contingents, forts de centaines de milliers
d'hommes ; en un court espace de temps, les effectifs de
l'Armée rouge avaient atteint un million d'hommes.
Bien que la situation du pays fût difficile et
que l'Armée rouge, encore jeune, n'eût pas eu le temps de
prendre toute sa force, les mesures prises pour la défense
aboutirent à de premiers succès. Le général
Krasnov fut repoussé de Tsaritsyne dont il considérait la
prise comme certaine, et rejeté au-delà du Don. L'action
du général Dénikine fut
localisée dans une zone peu étendue du Caucase du Nord,
et le général Kornilov fut tué dans une bataille
contre l'Armée rouge. Les Tchécoslovaques et les bandes
de socialistes-révolutionnaires et de gardes-blancs furent
chassés de Kazan, de Simbirsk, de Samara et refoulés vers
l'Oural. L'émeute du garde-blanc Savinkov, à Iaroslavl,
qui avait été
organisée par Lockhart, chef de la mission anglaise à
Moscou, fut écrasée, et Lockhart arrêté.
Pour avoir exercé la terreur blanche contre les bolcheviks, les
socialistes-révolutionnaires qui avaient assassiné les
camarades Ouritski et Volodarski et perpétré un
lâche attentat contre Lénine, furent soumis à la
terreur rouge et écrasés sur tous les points
quelque peu importants de la Russie centrale.
La jeune Armée rouge se trempait, s'aguerrissait
dans les batailles contre l'ennemi. Les commissaires communistes qui
travaillaient alors dans l'Armée rouge, jouèrent un
rôle décisif pour la consolidation de l'Armée, pour
son éducation politique, pour le renforcement de sa valeur
militaire et de sa discipline.
Le Parti bolchevik comprit que ces succès de
l'Armée rouge ne pouvaient décider de l'issue des
opérations, que ce n'étaient là que des coups
d'essai. Il se rendit compte que de nouvelles batailles, encore plus
graves, étaient imminentes ; que le pays ne pourrait
récupérer ses bases de ravitaillement en vivres, en
matières premières et en
combustible qu'au prix de batailles sérieuses, acharnées,
contre l'ennemi. Aussi les bolcheviks entreprirent-ils de se
préparer énergiquement à une guerre de longue
haleine ; ils résolurent de mettre l'arrière tout
entier au service du front. Le gouvernement soviétique instaura
le communisme de guerre. Il plaça sous son
contrôle, outre
la grande industrie, la petite et la moyenne, afin d'accumuler des
réserves de marchandises de grande consommation et d'en pourvoir
l'armée et la campagne. Il établit le monopole du
blé, en interdit le commerce privé et établit un
régime de prélèvements pour recenser tous les
excédents de produits alimentaires détenus par les
paysans, afin
d'amasser des réserves de blé et de ravitailler
l'armée et les ouvriers. Enfin, il introduisit le travail
obligatoire pour toutes les classes. En contraignant la bourgeoisie au
travail manuel et en libérant de la sorte les ouvriers, qui
purent ainsi exécuter un autre travail, plus important pour le
front, le Parti réalisait le principe : « Qui ne
travaille pas,
ne mange pas. »
Tout cet ensemble de mesures, qui étaient
imposées par les conditions exceptionnellement difficiles de la
défense du pays et qui avaient un caractère provisoire,
s'appela communisme de guerre. Le pays se prépara à une
longue et âpre guerre civile contre les ennemis extérieurs
et intérieurs du pouvoir des Soviets. Il lui fallut tripler les
effectifs
de l'armée vers la fin de 1918. Il lui fallut accumuler des
ressources pour ravitailler cette armée.
Lénine indiquait à l'époque :
« Nous avions décidé d'avoir une
armée d'un million d'hommes au printemps ; et il nous faut
maintenant une armée de trois millions d'hommes. Nous pouvons
l'avoir. Et nous l'aurons. »
2. Défaite militaire de l'Allemagne.
Révolution allemande.
Fondation de la IIIe Internationale. VIIIe congrès du Parti.
Tandis que le pays des Soviets se préparait aux
nouvelles batailles contre l'intervention étrangère, des
évènements décisifs se déroulaient en
Occident, à l'arrière et sur les fronts des pays
belligérants. L'Allemagne et l'Autriche étouffaient dans
l'étau de la guerre et de la crise de subsistance. Alors que
l'Angleterre, la France et les États-Unis
engageaient des réserves toujours nouvelles, les faibles
réserves de l'Allemagne et de l'Autriche touchaient à
leur fin. Il était évident que les deux pays,
épuisés à l'extrême, seraient incessamment
vaincus.
Simultanément, l'indignation populaire montait
en Allemagne et en Autriche contre l'interminable et funeste guerre,
contre les gouvernements impérialistes de ces pays, qui vouaient
le peuple à l'épuisement, à la famine. À
cet
état d'esprit contribuaient également la puissante action
révolutionnaire de la Révolution d'Octobre, la
fraternisation des
soldats soviétiques avec les soldats austro-allemands sur le
front, dès avant la paix de Brest-Litovsk, enfin, l'influence de
la cessation de la guerre avec la Russie soviétique, l'influence
de la paix signée avec elle. L'exemple de la Russie, dont le
peuple avait mis un terme à la guerre exécrée en
renversant son gouvernement impérialiste, ne pouvait
pas ne pas servir de leçon aux ouvriers austro-allemands. Quant
aux soldats allemands qui avaient été sur le front est et
qui, plus tard, après la paix de Brest-Litovsk, avaient
été envoyés au front ouest, ils ne pouvaient
manquer de décomposer l'armée allemande en racontant leur
fraternisation avec les soldats soviétiques et comment ceux-ci
s'étaient
libérés de la guerre. En ce qui concerne l'armée
autrichienne, elle avait commencé à se décomposer
bien plus tôt, pour les mêmes raisons.
Toutes ces circonstances renforcèrent
l'aspiration à la paix des troupes allemandes ; elles
avaient perdu leur ancienne valeur combative et elles reculaient sous
la poussée des armées de l'Entente. En Allemagne
même, une révolution éclata en novembre 1918,
qui renversa Guillaume et son gouvernement.
Force fut à l'Allemagne de s'avouer vaincue et
de demander la paix à l'Entente.
C'est ainsi que l'Allemagne, puissance de premier rang,
fut réduite d'un seul coup à l'état de puissance
de second ordre.
Pour le pouvoir des Soviets, cette circonstance avait
une certaine portée négative, puisqu'elle faisait des
pays de l'Entente, organisateurs de l'intervention militaire contre le
pouvoir soviétique, la force dominante de l'Europe et de
l'Asie ; elle leur permettait de renforcer l'intervention et
d'organiser le blocus du pays des Soviets, de serrer
encore le noeud coulant qui étranglait ce pays. C'est bien ce
qu'ils firent, comme nous le verrons plus tard. Mais d'un autre
côté, cette circonstance avait une portée positive
encore plus grande, puisqu'elle allégeait radicalement la
situation du pays des Soviets. Premièrement, le pouvoir
soviétique pouvait annuler la paix spoliatrice de Brest-Litovsk,
arrêter les paiements au titre de la contribution de guerre et
engager ouvertement la lutte militaire et politique pour libérer
l'Estonie, la Lettonie, la Biélorussie, la Lituanie, l'Ukraine,
la Transcaucasie, pour les arracher au joug de l'impérialisme
allemand. En second lieu, et c'est là l'essentiel, l'existence
au centre de l'Europe, en Allemagne, d'un
régime républicain et de Soviets de députés
ouvriers et soldats devait exercer une influence
révolutionnaire, - et elle exerça réellement cette
influence, - sur les autres pays d'Europe, ce qui ne pouvait manquer de
raffermir la situation du pouvoir des Soviets en Russie. La
révolution allemande était, il est vrai, une
révolution bourgeoise, et non
socialiste ; les Soviets y étaient un instrument docile du
parlement bourgeois, car en son sein dominaient les
social-démocrates, des conciliateurs dans le genre des
menchéviks russes, ce qui explique proprement la faiblesse de la
révolution. À quel point elle était faible, c'est
ce
qu'atteste, par exemple, le fait qu'elle laissa impuni l'assassinat
par les gardes-blancs de révolutionnaires en vue comme R.
Luxembourg et K. Liebknecht. Mais c'était quand même une
révolution. Guillaume avait été renversé.
Les ouvriers avaient secoué leurs chaînes ; ce fait
seul devait forcément donner libre cours à la
révolution en Occident, susciter un essor de la
révolution dans les pays
d'Europe.
La révolution montait en Europe. En Autriche, le
mouvement révolutionnaire prenait de l'extension. La
République des Soviets avait été proclamée
en Hongrie. À la faveur de la vague révolutionnaire, les
partis
communistes, en Europe, étaient remontés à la
surface.
Un terrain réel se trouvait créé
pour
l'unification des partis communistes dans la IIIe Internationale, dans
l'Internationale communiste.
En mars 1919, à Moscou, au Ier
congrès des partis communistes de différents pays,
l'Internationale communiste fut fondée sur l'initiative de
Lénine et des bolchéviks. Le blocus et les
persécutions des impérialistes avaient
empêché beaucoup de délégués de se
rendre à Moscou ; le Ier congrès réunit
néanmoins les délégués des
principaux pays d'Europe et d'Amérique. C'est Lénine qui
dirigea les travaux du congrès.
Dans son rapport sur la démocratie bourgeoise et
la dictature du prolétariat, Lénine montra la
signification du pouvoir des Soviets, en tant que démocratie
authentique pour les travailleurs. Le congrès adopta un
Manifeste au prolétariat international, qui appelait à la
lutte décisive pour la dictature prolétarienne, pour la
victoire des Soviets dans
tous les pays.
Le congrès constitua un Comité
exécutif de la IIIe Internationale, de l'Internationale
communiste (C.E. de l'I.C.).
C'est ainsi que fut créée une
organisation internationale du prolétariat
révolutionnaire d'un type nouveau, l'Internationale
marxiste-léniniste.
D'une part se renforçait donc le bloc
réactionnaire des États de l'Entente contre le pouvoir
des Soviets, mais d'autre part, l'essor révolutionnaire
s'affirmait en Europe, principalement dans les pays vaincus et cet
essor avait puissamment allégé la situation du pays des
Soviets, telles étaient les circonstances contradictoires au
milieu desquelles le
VIIIe congrès de notre Parti se réunit en mars 1919.
Il comptait 301 délégués avec
voix délibérative, représentant 313 766
membres du Parti. Les délégués avec voix
consultative étaient au nombre de 102.
En ouvrant le congrès, Lénine
évoqua d'abord la mémoire d'un des meilleurs
organisateurs du Parti bolchévik, J. Sverdlov, qui était
mort la veille.
Le congrès adopta le nouveau programme du Parti.
Ce programme donnait la caractéristique du capitalisme et de son
stade suprême, l'impérialisme ; deux systèmes
d'États y étaient mis en regard : le système
de la démocratie bourgeoise et le système
soviétique. Il exposait en détail les tâches
concrètes du Parti en lutte pour le
socialisme : mener jusqu'au bout l'expropriation de la
bourgeoisie, gérer l'économie du pays d'après un
plan socialiste unique, faire participer les syndicats à
l'organisation de l'économie nationale ; appliquer la
discipline socialiste du travail ; utiliser les
spécialistes dans l'économie nationale sous le
contrôle des organismes
soviétiques ; entraîner graduellement et
méthodiquement la paysannerie moyenne à l'oeuvre de la
construction socialiste.
Le congrès adopta la proposition de
Lénine de donner dans le programme, à côté
de la définition de l'impérialisme comme stade
suprême du capitalisme, la description du capitalisme industriel
et de l'économie marchande simple, qui figurait dans l'ancien
programme adopté par le IIe congrès du Parti.
Lénine jugeait nécessaire de marquer dans
le programme la complexité de notre économie et
d'indiquer l'existence dans notre pays de différentes formations
économiques, y compris la petite économie marchande
représentée par le paysan moyen. C'est pourquoi, lors de
la discussion du programme, Lénine s'éleva
résolument contre le point de vue antibolchévik de
Boukharine, qui proposait
d'éliminer du programme les paragraphes relatifs au capitalisme,
à la petite production marchande, à l'économie du
paysan moyen. Le point de vue de Boukharine signifiait la
négation menchévique et trotskiste du rôle du
paysan moyen dans la construction du régime soviétique.
En même temps, Boukharine escamotait le fait de l'apparition et
du
développement des éléments koulaks
engendrés par la petite exploitation marchande à la
campagne.
Lénine battit également en brèche
le point de vue antibolchevik de Boukharine et de Piatakov sur
la question nationale. Tous deux s'étaient prononcés
contre l'inscription au programme d'un paragraphe sur le droit des
nations à disposer d'elles-mêmes, contre
l'égalité des droits pour les nations, sous
prétexte que ce mot d'ordre empêcherait la
révolution prolétarienne de triompher, empêcherait
l'union des prolétaires des différentes
nationalités. Lénine réfuta ces funestes
conceptions impérialistes et chauvines de Boukharine et de
Piatakov.
Le VIIIe congrès du Parti réserva dans
ses travaux une place importante à la question de l'attitude
à observer envers le paysan moyen. Après ce décret
que l'on connaît sur la terre, le village devenait de plus en
plus un village de paysans moyens ; c'étaient eux qui
constituaient maintenant la majorité de la population paysanne.
L'état
d'esprit et la conduite de la paysannerie moyenne, qui avait
oscillé entre la bourgeoisie et le prolétariat,
étaient d'une importance considérable pour les
destinées de la guerre civile et de la construction socialiste.
L'issue de la guerre civile dépendait pour beaucoup de ces
questions : de quel côté pencherait le paysan
moyen ; quelle
classe, - prolétariat ou bourgeoisie, - saurait gagner la
paysannerie moyenne. Dans l'été de 1918, les
Tchécoslovaques, les gardes-blancs, les koulaks, les
socialistes-révolutionnaires, les menchéviks
étaient parvenus à renverser le pouvoir des Soviets dans
le bassin de la Volga, parce qu'ils avaient eu l'appui d'une partie
importante de la
paysannerie moyenne. Il en avait été de même des
émeutes fomentées par les koulaks dans la Russie
centrale. Mais à partir de l'automne 1918, un revirement
s'opère dans l'état d'esprit des masses de la paysannerie
moyenne en faveur du pouvoir des Soviets. La paysannerie s'était
rendue compte que la victoire des blancs entraînait la
restauration du pouvoir des grands propriétaires fonciers, la
reprise des terres aux paysans, le pillage, le fouet et la torture pour
les paysans. Ce qui contribua aussi à modifier l'attitude de la
paysannerie, ce fut l'activité des comités de paysans
pauvres, qui avaient maté les koulaks. Voilà dans quelles
conditions Lénine formula en
novembre 1918 le mot d'ordre :
« Savoir aboutir à une entente avec le
paysan moyen, sans renoncer une minute à la lutte contre le
koulak et en s'appuyant solidement sur les seuls paysans
pauvres. » (Lénine , t. XXIII, p. 294,
éd. Russe.)
Certes, les hésitations de la paysannerie
moyenne n'avaient pas cessé entièrement, mais elle
s'était rapprochée du pouvoir des Soviets et elle le
soutenait avec plus de fermeté. La politique
préconisée par le VIIIe congrès du Parti à
l'égard de la paysannerie moyenne y contribua dans une grande
mesure.
Le VIIIe congrès marqua un tournant dans la
politique du Parti envers la paysannerie moyenne. Le rapport de
Lénine et les décisions du congrès
déterminèrent une nouvelle ligne du Parti dans cette
question. Le congrès demanda aux organisations du Parti et
à tous les communistes de faire une stricte distinction entre la
paysannerie moyenne et
les koulaks, de la gagner à la cause de la classe
ouvrière en se montrant attentifs à ses besoins. Il
fallait lutter contre le retard du paysan moyen par la persuasion, et
non par des mesures de contrainte, de violence. Aussi le congrès
donna-t-il la directive de réaliser les mesures socialistes
à la campagne (constitution des communes, des artels
agricoles), sans user de contrainte. Dans toutes les occasions
où l'on heurtait les intérêts vitaux du paysan
moyen, il fallait aboutir à s'entendre pratiquement avec lui,
lui faire certaines concessions sur les moyens de
réaliser les transformations socialistes. Le congrès
proposa de pratiquer une politique d' alliance solide avec le
paysan moyen, en conservant au prolétariat le rôle
dirigeant dans cette alliance.
La nouvelle politique envers la paysannerie moyenne,
proclamée par Lénine au VIIIe congrès, demandait
au prolétariat de s'appuyer sur la paysannerie pauvre, de
réaliser une alliance solide avec le paysan moyen et de mener la
lutte contre le koulak. Jusqu'au VIIIe congrès, le Parti avait
en somme fait une politique de neutralisation
du paysan moyen. Autrement dit, il avait voulu obtenir du paysan moyen
qu'il ne se plaçât pas aux côtés de la
bourgeoisie. Mais maintenant cela ne suffisait plus. Le VIIIe
congrès passa de la politique de neutralisation du paysan moyen
à l' alliance solide avec lui pour lutter contre les
gardes blancs et l'intervention étrangère de même
que
pour assurer le succès de la construction socialiste.
La ligne adoptée par le congrès envers la
masse fondamentale de la paysannerie, envers le paysan moyen, joua un
rôle décisif pour assurer la victoire dans la guerre
civile contre l'intervention étrangère et ses
suppôts, les gardes blancs. En automne 1919, lorsqu'il
fallut choisir entre le pouvoir des Soviets et Dénikine, la
paysannerie
soutint les Soviets, et la dictature du prolétariat triompha de
son ennemi le plus dangereux.
Les questions d'organisation de l'Armée rouge
prirent une place toute spéciale dans le congrès. On vit
s'affirmer l'opposition dite « opposition militaire ».
Elle réunissait bon nombre d'anciens « communistes de
gauche ». Mais, outre les représentants du «
communisme de gauche » battu, l'« opposition
militaire »
comprenait des militants qui, sans jamais avoir participé
à aucune opposition, étaient mécontents de la
direction de Trotski dans l'armée. La plupart des
délégués militaires étaient très
montés contre Trotski, contre le culte qu'il vouait aux
spécialistes de l'ancienne armée tsariste, dont une
partie nous avaient franchement trahis pendant la guerre
civile, contre son attitude d'arrogance et d'hostilité envers
les vieux cadres bolchéviks de l'armée. On cita au
congrès des exemples « tirés de la
pratique », montrant que Trotski avait voulu faire fusiller
nombre de communistes responsables de l'armée qui n'avaient pas
l'heur de lui plaire, faisant ainsi le jeu de l'ennemi ; seule
l'intervention du Comité central et les protestations des
militants de l'armée avaient empêché que ces
camarades ne fussent exécutés.
Mais tout en luttant contre la déformation de la
politique militaire du Parti par Trotski, l'« opposition
militaire » défendait un point de vue erroné
dans plusieurs problèmes relatifs à la construction de
l'armée. Lénine et Staline s'élevèrent
résolument contre l'« opposition militaire »,
qui défendait les survivances de l'esprit partisan
dans la troupe et luttait contre la création d'une Armée
rouge régulière, contre l'utilisation des
spécialistes militaires, contre la discipline de fer sans
laquelle il ne saurait y avoir de véritable armée. Dans
sa réplique à l'« opposition
militaire », le camarade Staline demanda la création
d'une armée régulière, imprégnée
d'un rigoureux esprit de
discipline.
« Ou bien, disait le camarade Staline, nous
créerons une véritable armée ouvrière et
paysanne, principalement paysanne, rigoureusement disciplinée,
et nous défendrons la République, ou bien c'en sera fait
de nous. »
Tout en repoussant une série de suggestions de
l'« opposition militaire », le congrès critiqua
violemment Trotski, en exigeant de lui l'amélioration du travail
des institutions militaires centrales et le renforcement du rôle
des communistes dans l'armée.
Les travaux de la commission de l'Armée
désignée dans le sein du congrès aboutirent
à une décision unanime des congressistes sur la question
militaire.
Les décisions du congrès
fortifièrent l'Armée rouge et la rapprochèrent
encore du Parti.
On examina ensuite les problèmes relatifs
à la construction du Parti et des Soviets, au rôle
dirigeant du Parti dans le travail des Soviets. Au cours de la
discussion, le congrès infligea une riposte au groupe
opportuniste de Sapronov-Ossinki, qui déniait au Parti le
rôle dirigeant dans le travail des Soviets.
Enfin, devant l'afflux considérable de nouveaux
adhérents, le congrès prit une décision tendant
à améliorer la composition sociale du Parti et à
procéder à un nouveau recensement.
Et ce fut le début de la première
épuration du Parti.
3. L'intervention s'étend. Blocus du pays des
Soviets. Campagne de Koltchak et écrasement de Koltchak.
Campagne de Dénikine et écrasement de Dénikine. La
trêve de trois mois. IXe congrès du Parti.
« Vive l'Armée rouge de trois millions d'hommes » -
affiche anonyme de 1919
L'Allemagne et l'Autriche une fois vaincues, les
États de l'Entente décidèrent de lancer
d'importantes forces militaires contre le pays des Soviets.
Après la défaite de l'Allemagne et le retrait de ses
troupes hors d'Ukraine et de Transcaucasie, ce furent les
Anglo-Français qui prirent sa place en amenant leur flotte dans
la mer Noire et en
opérant des débarquements à Odessa et en
Transcaucasie. Les envahisseurs de l'Entente, qui se conduisaient en
maîtres dans les régions occupées, en
arrivèrent à un tel degré de sauvagerie qu'ils
n'hésitaient pas à passer par les armes des groupes
entiers d'ouvriers et de paysans. Enfin, après l'occupation du
Turkestan, ils poussèrent le cynisme
jusqu'à emmener au-delà de la Caspienne 26
bolchéviks dirigeants de Bakou, les camarades Chaoumian,
Fiolétov, Djaparidzé, Malyguine, Azizbékov,
Korganov et autres, et là, aidés des
socialistes-révolutionnaires, ils les firent sauvagement
fusiller.
À quelque temps de là, les envahisseurs
proclamèrent le blocus de la Russie. Les communications
maritimes et autres avec le monde extérieur furent
coupées.
Le pays des Soviets se trouva ainsi presque
entièrement cerné.
À cette époque, l'Entente fondait son
principal
espoir sur l'amiral Koltchak, sa créature en Sibérie,
à Omsk. Il avait été proclamé «
régent suprême de la Russie ». Toute la
contrerévolution de Russie obéissait à ses ordres.
Ainsi, le front devenait le front principal.
Au printemps de 1919, Koltchak, à la
tête d'une importante armée, atteignit presque la Volga.
Les meilleures forces bolchéviques furent lancées contre
lui ; on mobilisa Jeunesses communistes et ouvriers. En
avril 1919, l'Armée rouge infligea à Koltchak une
défaite grave. Et ce fut peu après, sur toute la ligne du
front, la
retraite de son armée.
Au plus fort de l'offensive de l'Armée rouge sur
le front est, Trotski proposa un plan qui ne laissait pas d'être
suspect : s'arrêter devant l'Oural, cesser la poursuite de
Koltchak et porter l'armée de front est au front sud. Le
Comité central du Parti comprit fort bien qu'il était
impossible de laisser aux mains de Koltchak l'Oural et la
Sibérie, où il pouvait, avec le concours de Japonais et
des Anglais, se ressaisir et se remettre sur pieds : le
Comité central rejeta ce plan et donna la directive de
poursuivre l'offensive. Trotski, en désaccord avec cette
directive, donna sa démission. Le Comité central
n'accepta pas sa démission, mais il l'obligea à
abandonner sans délai la
direction des opérations militaires sur le front est.
L'Armée rouge poussa son offensive contre Koltchak avec plus de
vigueur encore. Elle lui fit subir une série de nouvelles
défaites et débarrassa des blancs l'Oural et la
Sibérie, où elle fut soutenue par un puissant mouvement
de partisans, surgi à l'arrière des blancs.
En été 1919, les
impérialistes chargèrent le général
Ioudénitch, qui se trouvait à la tête de la
contre-révolution dans le nord-ouest (dans les Provinces
baltiques, sous Pétrograd), de détourner du front est
l'attention de l'Armée rouge en lançant une attaque sur
Pétrograd. La garnison des deux forts qui défendaient les
accès de la ville,
gagnée par l'agitation contre-révolutionnaire des anciens
officiers, se souleva contre le pouvoir des Soviets ; un complot
contre-révolutionnaire fut découvert à
l'état-major du front. L'ennemi menaçait
Pétrograd. Mais grâce aux mesures prises par le pouvoir
soviétique avec le concours des ouvriers et des matelots, les
forts insurgés furent
repris aux blancs et les troupes de Ioudénitch, vaincues,
rejetées sur l'Estonie.
La défaite de Ioudénitch devant
Pétrograd facilita la lutte contre Koltchak. Fin 1919,
l'armée de Koltchak était définitivement mise en
déroute. Koltchak lui-même fut arrêté et
fusillé à Irkoutsk, sur sentence du comité
révolutionnaire.
C'en était fini de Koltchak.
En Sibérie, le peuple chantait ce refrain :
« Veste anglaise, Épaulette
française, Tabac du Japon, Régent d'Omsk, hon !
Usée, la veste,
Épaulette, tombée, Du tabac, n'en reste,
Régent décampé ! »
En voyant que Koltchak n'avait pas justifié
l'espoir qu'ils avaient mis en lui, les envahisseurs modifièrent
leur plan d'offensive contre la République des Soviets. On dut
évacuer d'Odessa les troupes d'intervention qui, au contact des
armées de la république soviétique, se laissaient
gagner par l'esprit révolutionnaire et avaient commencé
à se
soulever contre leurs maîtres, les impérialistes. C'est
ainsi, par exemple, que les marins français, guidés par
André Marty, s'étaient révoltés à
Odessa. Aussi, après la défaite de Koltchak, l'Entente
reporta-t-elle son attention principale sur le général
Dénikine, complice de Kornilov et organisateur de l'«
armée des volontaires ». Dénikine
travaillait à ce moment contre le pouvoir des Soviets dans le
midi, dans la région du Kouban. L'Entente avait abondamment
ravitaillé son armée en armes et équipements, et
elle la jeta vers le nord, contre le pouvoir des Soviets.
Cette fois, le front sud devenait le front principal.
Dénikine engagea sa grande campagne contre le
pouvoir des Soviets dans l'été de 1919. Trotski
avait désorganisé le front sud, et nos troupes
subissaient défaite sur défaite. À la mi-octobre,
les
blancs avaient envahi toute l'Ukraine, enlevé Orel, et ils
menaçaient Toula qui fournissait notre armée en
cartouches, en fusils et en mitrailleuses.
Les blancs arrivaient sur Moscou. La situation de la république
des Soviets devenait plus que grave. Le Parti sonna l'alarme, appelant
le peuple à la résistance. Lénine lança le
mot d'ordre : « Tous à la lutte contre
Dénikine ! » Sous l'inspiration des
bolchéviks, les ouvriers et les paysans tendirent toutes leurs
forces afin d'écraser
l'ennemi.
Pour organiser l'écrasement de Dénikine,
le Comité central dépêcha sur le front sud les
camarades Staline, Ordjonikidzé, Boudionny. Trotski fut
écarté de la direction de l'Armée rouge du midi.
Avant l'arrivée du camarade Staline, l'état-major avait
élaboré, de concert avec Trotski, un plan d'après
lequel l'attaque principale contre Dénikine
devait être portée de Tsaritsyne sur Novorossiisk en
passant par les steppes Du Don, où l'Armée rouge se
serait
trouvée dans une région totalement dépourvue de
voies de communication et peuplée de cosaques, dont une notable
partie subissait alors l'influence des gardes blancs. Le camarade
Staline fit une critique serrée de ce plan et proposa au
Comité central son propre plan d'écrasement de
Dénikine : diriger l'attaque principale par la ligne
Kharkov — Bassin du Donetz — Rostov. Ce plan assurait l'avance rapide
de nos troupes contre Dénikine, grâce aux sympathies
manifestes de la population ouvrière et paysanne des
régions que traverserait notre armée. En outre,
l'existence, dans
cette zone d'action, d'un réseau ramifié de chemins de
fer permettait de ravitailler régulièrement nos troupes.
Ce plan permettait enfin de libérer le bassin du Donetz et de
pourvoir notre pays en combustible.
Le Comité central du Parti adopta le plan du
camarade Staline. Dans la seconde quinzaine d'octobre 1919,
après une résistance acharnée, Dénikine fut
défait par l'Armée rouge dans des batailles
décisives, devant Orel et Voronèje. Dénikine se
replia rapidement, puis il précipita encore sa retraite vers le
sud, poursuivi par nos troupes. Au
début 1920, toute l'Ukraine et le Caucase du Nord
étaient libérés des blancs.
Pendant les combats décisifs livrés sur
le front sud, les impérialistes avaient de nouveau lancé
le corps d'armée de Ioudénitch sur Pétrograd, pour
détourner une partie de nos forces vers le nord et
remédier ainsi à la situation des troupes de
Dénikine. Les blancs étaient tout près de la
ville. Le prolétariat héroïque de Pétrograd
fit de son corps un
rempart pour défendre la première ville de la
révolution. Comme toujours, les communistes marchaient dans les
premiers rangs. À la suite de combats acharnés, les
blancs
furent battus et rejetés à nouveau au delà des
frontières de notre pays, en Estonie.
C'est ainsi qu'on en finit avec Dénikine
également. Koltchak et Dénikine écrasés, il
se fit une courte trêve.
Les impérialistes voyaient que les armées
blanches avaient été défaites, que l'intervention
échouait et que le pouvoir des Soviets se consolidait dans le
pays, tandis que par ailleurs, les ouvriers d'Europe occidentale
manifestaient leur indignation croissante de la guerre d'intervention
contre la République des Soviets : les impérialistes
changèrent donc d'attitude à l'égard de
l'État soviétique. En janvier 1920, l'Angleterre, la
France et l'Italie décidèrent de lever le blocus.
C'était là une brèche importante
pratiquée dans le mur de l'intervention.
Évidemment, il ne fallait pas en déduire
que l'État soviétique en avait fini avec l'intervention
et la guerre civile. Restait le danger d'une agression de la part de la
Pologne impérialiste. Les envahisseurs n'avaient pas encore
été définitivement chassés
d'Extrême-Orient, de Transcaucasie et de Crimée. Mais le
pays des Soviets avait obtenu une
trêve momentanée, qui lui permettait de consacrer plus de
forces à la construction de l'économie. Le Parti pouvait
s'occuper des problèmes économiques.
Pendant la guerre civile, nombreux étaient les
ouvriers qualifiés qui avaient abandonné la production en
raison de la fermeture des fabriques et des usines. Maintenant, le
parti rappelait ces ouvriers pour qu'ils pussent travailler à la
production dans leur spécialité. Plusieurs milliers de
communistes furent spécialement affectés au
relèvement des
transports, dont la situation était difficile. Sans avoir
rétabli les transports, on ne pouvait songer sérieusement
à rétablir les principales branches de l'industrie. Le
travail d'approvisionnement se renforça et s'améliora. On
entreprit d'élaborer un plan d'électrification de la
Russie. Près de cinq millions de soldats rouges, que, vu le
danger de guerre, on
ne pouvait encore licencier, se trouvaient sous les armes, aussi
certaines unités de l'Armée rouge furent-elles
transformées en armées du travail et
utilisées aux tâches de la construction économique.
Le Conseil de la défense ouvrière et paysanne fut
transformé en Conseil du travail et de la défense
(STO). Pour l'aider dans
ses travaux, on créa une Commission du plan d'État
(Gosplan).
C'est dans cette atmosphère que s'ouvrit, fin
mars 1920, le IXe Congrès du Parti.
Au congrès assistèrent 554
délégués avec voix délibérative,
représentant 611 978 membres du Parti. Il y
avait 162 délégués avec voix consultative.
Le congrès fixa les tâches
économiques immédiates du pays dans le domaine des
transports et de l'industrie ; il affirma particulièrement
la nécessité, pour les syndicats, de participer à
la construction économique.
Une attention soutenue fut accordée au plan
unique de l'économie, qui prévoyait en premier lieu le
relèvement des transports, du combustible, de la
métallurgie. Dans ce plan, la place essentielle revenait
à l'électrification de l'ensemble de l'économie
nationale, que Lénine préconisait comme « un
grandiose programme pour 10 à 20
ans ». C'est sur cette base que fut élaboré
ensuite le célèbre plan GOELRO [Plan d'État pour
l'électrification de la Russie], dépassé de loin
aujourd'hui.
Le congrès infligea une défaite au groupe
du « centralisme démocratique », groupe hostile
au Parti, qui s'élevait contre la direction unique et la
responsabilité personnelle des dirigeants dans l'industrie, et
qui défendait la « collégialité »
sans limites et l'irresponsabilité dans la direction de
l'industrie. Le rôle principal dans ce
groupe ennemi du Parti était joué par Sapronov, Ossinki,
V. Smirnov. Ils furent soutenus au congrès par Rykov et Tomski.
4. Agression des hobereaux polonais contre le pays des
Soviets. Aventure du général Wrangel. Effondrement du
plan polonais. Écrasement de Wrangel. Fin de l'intervention.
Malgré l'écrasement de Koltchak et de
Dénikine, et bien que le pays des Soviets étendît
de plus en plus ses dimensions en libérant des blancs et des
envahisseurs le territoire du Nord, le Turkestan, la Sibérie, le
Don, l'Ukraine, etc. ; bien que l'Entente eût
été obligée de lever le blocus de la Russie, les
États de l'Entente se refusaient
néanmoins à accepter l'idée que le pouvoir des
Soviets s'était montré imbattable et qu'il demeurait
victorieux. Aussi décidèrent-ils de tenter une nouvelle
intervention contre lui. Cette fois, les envahisseurs vont utiliser
d'une part Pilsudski, nationaliste contre-révolutionnaire
bourgeois, chef effectif de l'État polonais, et d'autre part le
général
Wrangel, qui avait rassemblé en Crimée les débris
de l'armée de Dénikine et de là, menaçait
le bassin du Donetz, l'Ukraine.
Selon le mot de Lénine, la Pologne des hobereaux
et Wrangel étaient comme les deux mains de l'impérialisme
international, qui tentaient d'étrangler le pays des Soviets.
Les polonais avaient leur plan : s'emparer de
l'Ukraine soviétique rive-droite du Dniepr, s'emparer de la
Biélorussie soviétique, rétablir dans ces
régions le pouvoir des hobereaux polonais, étendre les
limites de l'État polonais « d'une mer à
l'autre », de Dantzig à Odessa, et pour le concours
que leur prêtait Wrangel, aider celui-ci
à battre l'Armée rouge et à rétablir dans
la Russie soviétique le pouvoir des grands propriétaires
fonciers et des capitalistes.
Ce plan fût approuvé par les États
de l'Entente.
Les tentatives du gouvernement soviétique pour
engager des négociations avec la Pologne en vue de maintenir la
paix et de conjurer la guerre ne donnèrent aucun
résultat. Pilsudski ne voulait pas entendre parler de paix. Il
voulait la guerre. Il comptait que l'Armée rouge,
fatiguée des batailles livrées à Koltchak et
à Dénikine, ne résisterait pas à
l'attaque des troupes polonaises.
La courte trêve prit fin.
En avril 1920, les troupes de la Pologne
envahissaient l'Ukraine soviétique et s'emparaient de Kiev. Dans
le même temps, Wrangel prenait l'offensive, menaçant le
bassin du Donetz.
En riposte à l'attaque de l'armée
polonaise, les armées rouges du front sud atteignirent dans leur
élan les portes de Lvov en Galicie, tandis que l'armée du
front ouest approchait de Varsovie. L'armée des hobereaux
polonais allait être battue à plate couture.
Mais les louches agissements de Trotski et de ses
partisans au Grand Quartier Général de l'Armée
rouge compromirent nos succès. Par la faute de Trotski et de
Toukhatchevski, l'offensive des armées rouges sur le front
ouest, en direction de Varsovie, s'effectuait d'une façon
absolument inorganisée : on ne laissait pas aux troupes le
temps de se fortifier sur les positions conquises ; on fit prendre
une avance excessive aux unités de tête, qui se
trouvèrent sans munitions et sans réserves, celles-ci
étant restées trop loin derrière ; la ligne
de front avait été allongée sans fin, ce qui en
facilitait la percée. C'est ainsi qu'un faible contingent de
troupes polonaises ayant
enfoncé notre front ouest dans un des secteurs, nos troupes
dépourvues de munitions durent opérer un recul. En ce qui
concerne les armées du front sud, qui étaient
déjà devant Lvov et refoulaient les polonais, le triste
« président du conseil militaire
révolutionnaire » Trotski leur interdit de prendre
Lvov et leur enjoignit de dépêcher loin vers
le nord-est, soi-disant pour appuyer le front ouest, l'armée de
cavalerie, c'est-à-dire la force principale du front sud :
il était cependant facile de comprendre que la prise de Lvov
était le seul — et le meilleur — soutien possible à
procurer au front ouest ! Tandis que le retrait de l'armée
de cavalerie du front sud et son départ de la zone de
Lvov signifiait en fait le repli de nos armées, sur le front sud
également. C'est ainsi que Trotski, par un ordre de trahison,
imposa à nos armées du front sud une retraite
incompréhensible pour elles et dénuée de
fondement, à la grande joie des hobereaux polonais.
C'était bien une aide directe, non pas à
notre front ouest, mais aux hobereaux polonais et à l'Entente.
Quelques jours plus tard, l'offensive des armées
polonaises était arrêtée ; nos troupes
s'apprêtaient à une nouvelle contre-offensive. Mais la
Pologne, manquant de forces pour continuer la guerre et alarmée
par la perspective d'une contre-attaque des rouges dut renoncer
à ses prétentions sur l'Ukraine rive-droite et la
Biélorussie ; elle
préféra conclure la paix avec la Russie. Le 20
octobre 1920, à Riga, un traité de paix était
signé avec la Pologne, en vertu duquel la Pologne conservait la
Galicie et une partie de la Biélorussie.
Quand elle eût signé la paix avec la
Pologne, la république soviétique décida d'en
finir avec Wrangel. Celui-ci avait reçu des Français et
des Anglais, des armes modernes, des autos blindées, des chars
d'assaut, des avions, des équipements. Il disposait
d'unités de choc, principalement composées d'officiers
blancs. Mais Wrangel n'avait pas
réussi à rassembler des forces quelque peu importantes de
paysans et de cosaques autour des troupes de débarquement qu'il
avait fait descendre dans le Kouban et la région du Don.
Cependant, Wrangel, qui touchait de près au bassin du Donetz,
menaçait notre région houillère. La situation du
pouvoir des Soviets se compliquait encore du fait qu'à
cette époque l'Armée rouge était recrue de
fatigue. Les soldats rouges étaient obligés d'avancer
dans des conditions extrêmement difficiles, en marchant contre
les troupes de Wrangel et en écrasant en même temps les
bandes d'anarchistes-makhnovistes [partisans de Makhno], qui aidaient
Wrangel. Mais bien que celui-ci eût l'avantage de la
technique de son côté, et bien que l'Armée rouge ne
disposait pas de chars d'assaut, elle refoula Wrangel jusque dans la
presqu'île de Crimée. En novembre 1920, les troupes
rouges s'emparaient des positions fortifiées de
Pérékop, pénétraient en Crimée,
écrasant les troupes de Wrangel et libérant la
Crimée des gardes blancs et des
envahisseurs. La Crimée devint soviétique.
C'est l'effondrement des plans impérialistes
polonais et l'écrasement de Wrangel qui ferment la
période de l'intervention militaire.
Fin 1920 avait commencé la
libération de la Transcaucasie du joug des nationalistes
bourgeois moussavatistes en Azerbaïdjan, national-mencheviks en
Géorgie, dachnaks en Arménie. Le pouvoir des Soviets
triompha en Azerbaïdjan, en Arménie et en Géorgie.
Cela ne signifiait pas encore la fin complète de
l'intervention. L'intervention japonaise en Extrême-Orient se
poursuivit jusqu'en 1922. En outre, il y eût de nouvelles
tentatives d'organiser l'intervention (ataman Sémionov et baron
Ungern à l'est, intervention des gardes blancs de Finlande en
Carélie, en 1921). Mais les principaux
ennemis du pays des Soviets, les forces essentielles de l'intervention,
avaient été écrasés fin 1920.
La guerre des envahisseurs étrangers et des
gardes blancs russes contre les Soviets s'était terminée
par la victoire des Soviets. La République soviétique
avait sauvegardé l'indépendance de son État, sa
libre existence.
C'était la fin de l'intervention militaire
étrangère de la guerre civile. C'était la victoire
historique du pouvoir des soviets.
5. Comment et pourquoi le pays des Soviets a vaincu
les forces conjuguées tournées contre lui :
l'intervention de l'Angleterre, de la France, du Japon, de la Pologne
et la contre-révolution de la bourgeoisie, des grands
propriétaires fonciers et des gardes blancs de Russie.
Si l'on prend la grande presse européenne et
américaine de l'époque de l'intervention, on peut
constater sans peine que pas un écrivain en vue, militaire ou
civil, pas un connaisseur de l'art militaire ne croyait à la
victoire du pouvoir des Soviets. Au contraire, tous les
écrivains en vue, tous les connaisseurs des choses militaires,
les historiens
des révolutions de tous les pays et de tous les peuples, ce
qu'on appelle les hommes de science, tous étaient unanimes
à proclamer que les jours du pouvoir des Soviets étaient
comptés, que sa défaite ne saurait être
conjurée.
Leur certitude de la victoire de l'Intervention
reposait sur le fait que le pays des Soviets n'avait pas encore une
Armée rouge constituée, qu'il aurait à la
créer, pour ainsi dire, en cours de marche, tandis que les
envahisseurs et les gardes-blancs avaient une armée plus ou
moins prête.
Elle reposait ensuite sur le fait que l'Armée
rouge n'avait pas de cadres militaires expérimentés, la
majeure partie des cadres de ce genre étant passée
à la contre-révolution, tandis que les envahisseurs et
les gardas blancs avaient de tels cadres.
Elle reposait encore sur le fait que l'Armée
rouge souffrait de l'insuffisance, -- en quantité et en
qualité, -- des armements et des munitions, à cause du
retard de l'industrie militaire russe ; qu'elle ne pouvait
recevoir de matériel militaire des autres pays, la Russie
étant bloquée de toutes parts, tandis que les
armées d'intervention et les
blancs étaient et continueraient d'être abondamment
pourvus en armements, en munitions et en équipements de premier
ordre.
Elle reposait enfin sur le fait que les armées
d'intervention et les blancs occupaient alors les régions les
plus riches en denrées alimentaires, tandis que l'Armée
rouge était coupée de ces régions et souffrait du
manque de vivres.
Effectivement, tous ces défauts et toutes ces
insuffisances existaient dans les unités de l'Armée
rouge. Sous ce rapport, mais seulement sous ce rapport, messieurs les
interventionnistes avaient parfaitement raison. Comment expliquer en ce
cas que l'Armée rouge, qui avait tant de défauts graves,
ait vaincu l'armée des envahisseurs et des gardes-blancs,
exempte de tous ces défauts ?
1• L'Armée rouge a vaincu parce que la
politique du pouvoir des Soviets pour laquelle elle se battait
était une politique juste, conforme aux intérêts du
peuple ; parce que le peuple sentait et concevait cette politique
comme une politique juste, comme sa politique à lui, et la
soutenait jusqu'au bout. Les bolcheviks savaient qu'une
armée qui lutte au nom d'une politique injuste, non soutenue par
le peuple, ne peut pas vaincre. Telle était
précisément l'armée des envahisseurs et des
gardes-blancs. Cette armée avait tout : de vieux chefs
expérimentés, un matériel de premier ordre, des
munitions, des équipements, des vivres. Il ne lui manquait
qu'une chose : le
soutien et la sympathie des peuples de Russie, qui ne voulaient ni ne
pouvaient soutenir la politique antipopulaire des envahisseurs et des
« régents » gardes-blancs. Et l'armée
des envahisseurs et des gardes-blancs fut battue.
2• L'Armée rouge a vaincu parce qu'elle
était fidèle et dévouée jusqu'au bout
à son peuple, ce qui lui valait l'amour de ce peuple, qui la
soutenait comme son armée à lui. L'Armée rouge est
issue du peuple. Et si elle est fidèle à son peuple comme
un fils est fidèle à sa mère, elle aura le soutien
du peuple, elle vaincra. Tandis qu'une
armée qui va contre son peuple subira nécessairement la
défaite.
3• L'Armée rouge a vaincu parce que le
pouvoir des Soviets avait réussi à alerter tout
l'arrière, tout le pays, pour servir le front. Une armée
sans un arrière fort pour soutenir le front par tous les moyens,
est vouée à la défaite. Les bolcheviks savaient
cela, et c'est pour cette raison qu'ils avaient transformé le
pays en un camp retranché
qui approvisionnait le front en matériel de guerre, en
munitions, en équipements, en vivres, en contingents de renfort.
4• L'Armée rouge a vaincu parce que : a)
les soldats rouges comprenaient le but et les
objectifs de la guerre, et se rendaient compte qu'ils étaient
justes ; b) la conscience que le but et les tâches
de la guerre étaient justes, fortifiait leur esprit de
discipline et leur valeur combative ; c) ceci
étant, la masse des soldats rouges a fait preuve, à tout
instant, dans sa lutte contre l'ennemi, d'une abnégation sans
exemple et d'un héroïsme sans précédent.
5• L'Armée rouge a vaincu parce que son
noyau dirigeant, à l'arrière et au front, était le
Parti bolchevik, soudé par sa cohésion et sa discipline,
puissant par son esprit révolutionnaire et sa volonté de
consentir tous les sacrifices pour faire triompher la cause commune,
insurpassé par sa capacité à organiser les
multitudes et à les diriger de
façon judicieuse, dans une situation complexe.
Lénine a dit :
« C'est uniquement parce que le Parti
était sur ses gardes, parce que le Parti était
rigoureusement discipliné et que son autorité unissait
toutes les institutions et toutes les administrations, parce que des
dizaines, des centaines, des milliers et, en fin de compte, des
millions d'hommes suivaient comme un seul le mot d'ordre du
Comité central,
c'est uniquement parce que des sacrifices inouïs furent consentis,
que le miracle qui s'est produit a pu se produire. C'est uniquement
pour cela qu'en dépit des campagnes redoublées,
triplées, quadruplées des impérialistes de
l'Entente et des impérialistes du monde entier, nous nous sommes
trouvés en mesure de vaincre. » (Lénine,
Oeuvres choisies, t. II, p. 671.)
6• L'Armée rouge a vaincu parce que : a)
elle a su former dans son sein des dirigeants
militaires d'un type nouveau comme Frounze, Vorochilov, Boudionny et
autres ; b) dans ses rangs combattaient des
héros-nés comme Kotovski, Tchapaev, Lazo, Chtchors,
Parkhomenko et bien d'autres ; c)
l'éducation politique de l'Armée rouge était faite
par des hommes tels que Lénine, Staline, Molotov, Kalinine,
Sverdlov, Kaganovitch, Ordjonikidze, Kirov, Kouibychev, Mikoïan,
Jdanov, Andréev, Pétrovski, Iaroslavski, Dzerjinski,
Chtchadenko, Mekhliss, Khrouchtchev, Chvernik, Chkiriatov, d'autres
encore ; d) l'Armée rouge
comptait dans son sein ces organisateurs et agitateurs peu communs
qu'étaient les commissaires militaires, dont l'activité
cimentait les rangs des soldats et qui implantaient parmi eux l'esprit
de discipline et l'intrépidité au combat,
réprimaient avec énergie, -- rapidement et sans merci, --
les actes de trahison de certains chefs et, au contraire,
soutenaient avec courage et résolution l'autorité et la
gloire des commandants, membres et non-membres du Parti, qui avaient
prouvé leur dévouement au pouvoir des Soviets et
s'étaient montrés capables de diriger d'une main ferme
les unités de l'Armée rouge.
« Sans commissaires militaires, nous n'aurions
pas eu d'Armée rouge », disait Lénine.
7• L'Armée rouge a vaincu parce qu'à
l'arrière des armées blanches, à l'arrière
de Koltchak, de Dénikine, de Krasnov, de Wrangel, travaillaient
dans l'illégalité des bolcheviks admirables, membres et
non-membres du Parti, qui soulevaient les ouvriers et les paysans
contre les envahisseurs, contre les gardes-blancs ; qui minaient
l'arrière des ennemis du pouvoir des Soviets et, par là
même, facilitaient l'avance de l'Armée rouge. Nul n'ignore
que les partisans d'Ukraine, de Sibérie, d'Extrême-Orient,
de l'Oural, de Biélorussie, du bassin de la Volga, qui
disloquaient l'arrière des gardes-blancs et des envahisseurs,
ont rendu un service inappréciable à l'Armée rouge.
8• L'Armée rouge a vaincu parce que le pays des
Soviets n'était pas seul dans sa lutte avec la
contre-révolution des gardes-blancs et l'intervention
étrangère ; parce que la lutte du pouvoir des
Soviets et ses succès avaient suscité la sympathie et
l'aide des prolétaires du monde entier. Si les
impérialistes voulaient étouffer la République
soviétique par l'intervention armée et le blocus, les
ouvriers de ces pays impérialistes sympathisaient avec les
Soviets et les aidaient. Leur lutte contre les capitalistes des pays
ennemis de la République soviétique a fait que les
impérialistes ont dû renoncer à l'intervention. Les
ouvriers d'Angleterre, de France et des autres pays qui avaient
participé à
l'intervention, organisaient des grèves, refusaient de charger
le matériel de guerre destiné aux envahisseurs et aux
généraux blancs ; ils formaient des «
comités d'action » sous le mot d'ordre « Bas
les mains devant la Russie ! »
« Aussitôt que la bourgeoisie
internationale, disait Lénine, lève la main contre nous,
ses propres ouvriers la saisissent au poignet. » (Ibidem,
p. 405.)
Résumé
Battus par la Révolution d'Octobre, les grands
propriétaires fonciers et les capitalistes, de concert avec les
généraux blancs, s'abouchent, au préjudice de leur
patrie, avec les gouvernements des pays de l'Entente, pour
déclencher en commun une agression militaire contre le pays des
Soviets et en renverser le pouvoir. C'est sur cette base que
s'organise l'intervention militaire de l'Entente et les
rébellions de gardes-blancs à la périphérie
de la Russie, ce qui fait que la Russie se trouve coupée de ses
bases de ravitaillement en subsistances et en matières
premières.
La défaite militaire de l'Allemagne et la
cessation de la guerre des deux coalitions impérialistes en
Europe aboutissent au renforcement de l'Entente, au renforcement de
l'intervention, et suscitent de nouvelles difficultés pour le
pays des Soviets. La révolution en Allemagne et le mouvement
révolutionnaire dans les pays d'Europe — au contraire
— créent une situation internationale favorable au pouvoir
soviétique et allègent la situation du pays des Soviets.
Le Parti bolchevik alerte les ouvriers et les paysans
pour la guerre de salut de la patrie contre les envahisseurs
étrangers et la contre-révolution de la bourgeoisie et
des grands propriétaires fonciers. La République
soviétique et son Armée rouge battent, l'une après
l'autre, les créatures de l'Entente : Koltchak,
Ioudénitch,
Dénikine, Krasnov, Wrangel ; elles chassent d'Ukraine et de
Biélorussie Pilsudski, autre créature de l'Entente, et
repoussent l'intervention militaire étrangère, dont elles
rejettent les troupes au-delà des frontières du pays des
Soviets.
C'est ainsi que la première agression militaire
du capital international contre le pays du socialisme se termine par un
échec complet. Battus par la révolution, les partis
socialiste-révolutionnaire, menchévik, anarchiste,
nationalistes soutiennent, dans la période de l'intervention,
les généraux blancs et les envahisseurs ; ils
ourdissent des
complots contre la République des Soviets, organisent la terreur
contre les militants soviétiques. Ces partis qui, avant la
Révolution d'Octobre, avaient eu quelque influence sur la classe
ouvrière, pendant la guerre civile se démasquent
complètement aux yeux des masses populaires comme partis de
contre-révolution. La période de la guerre civile et
de l'intervention marque l'effondrement politique de ces partis et le
triomphe définitif du Parti communiste dans le pays des Soviets.
(Chapitre VIII de l'Histoire du Parti
communiste (bolchévik) de l'URSS, Éditions en langues
étrangères, Moscou, 1949)
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