Numéro 40 - 7 octobre 2017
Supplément
Les adieux
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Fidel et Che passent en revue la milice paysanne le 22 août 1960.
Les
adieux
• Lettre d'adieu de Che Guevara à Fidel
Castro - 1er avril 1965
• Oraison funèbre de Fidel -
18
octobre 1967
Les adieux
Lettre d'adieu de Che Guevara à Fidel Castro
- 1er avril 1965 -
Fidel,
Je me souviens en ce moment de tant de choses : du
jour où j'ai fait ta connaissance chez Maria Antonia, où
tu m'as proposé de venir et de toute la tension qui entourait
les préparatifs.
Un jour, on nous demanda qui devait être
prévenu en cas de décès, et la possibilité
réelle de la mort nous frappa tous profondément. Par la
suite, nous avons appris que cela était vrai et que dans une
révolution il faut vaincre ou mourir (si elle est
véritable). De nombreux camarades sont tombés sur le
chemin de la victoire.
Che à son bureau de ministre de l'Industrie
en 1964
|
Aujourd'hui, tout a un ton moins dramatique, parce que
nous
sommes plus mûrs ; mais les faits se répètent.
J'ai l'impression d'avoir accompli la part de mon devoir qui me liait
à la Révolution cubaine sur son territoire, et je prends
congé de toi, des compagnons, de ton peuple qui est maintenant
aussi le mien.
Je démissionne formellement de mes fonctions
à la direction du parti, de mon poste de ministre, je
renonce à mon grade de commandant et à ma
nationalité cubaine. Rien de légal ne me lie plus
aujourd'hui à Cuba en dehors de liens d'une autre nature qu'on
n'annule pas comme des titres ou des grades. En passant ma vie en
revue, je crois avoir travaillé avec suffisamment
d'honnêteté
et de dévouement à la consolidation du triomphe
révolutionnaire. Si j'ai commis une faute de quelque
gravité, c'est de ne pas avoir eu plus confiance en toi
dès les premiers moments dans la Sierra Maestra et de ne pas
avoir su discerner plus rapidement tes qualités de dirigeant et
de
révolutionnaire.
J'ai vécu des jours magnifiques et j'ai
éprouvé à tes côtés la fierté
d'appartenir à notre peuple en ces journées lumineuses et
tristes de la crise des Caraïbes. Rarement, un chef d'État
n'a été aussi brillant dans de telles
circonstances et je me félicite aussi de t'avoir suivi sans
hésiter, d'avoir partagé ta façon de penser, de
voir et d'apprécier les dangers et les principes.
D'autres terres du monde réclament le concours
de mes modestes efforts. Je peux faire ce qui t'est refusé, en
raison de tes responsabilités à la tête de Cuba et
l'heure est venue de nous séparer.
Je veux que tu saches que je le fais avec un
mélange de joie et de douleur ; je laisse ici les
plus pures de mes espérances de constructeur et les plus chers
de tous les êtres que j'aime... et je laisse un peuple qui m'a
adopté comme un fils. J'en éprouve un déchirement.
Sur les nouveaux champs de bataille je porterai en moi la foi que tu
m'as inculquée, l'esprit révolutionnaire de mon
peuple, le sentiment d'accomplir le plus sacré des
devoirs : lutter contre l'impérialisme où qu'il
soit ; ceci me réconforte et guérit les plus
profondes blessures.
Je répète une fois encore que je
délivre Cuba de toute responsabilité, sauf de celle qui
émane de son exemple. Si un jour, sous d'autres cieux, survient
pour moi l'heure décisive, ma dernière pensée sera
pour ce peuple et plus particulièrement pour toi. Je te remercie
pour tes
enseignements et ton exemple ; j'essaierai d'y rester
fidèle jusqu'au bout de mes actes. J'ai toujours
été en accord total avec la politique extérieure
de notre révolution et je le reste encore. Partout où je
me trouverai, je sentirai toujours peser sur moi la
responsabilité d'être un
révolutionnaire cubain et je me comporterai comme tel. Je ne
laisse aucun bien matériel à mes enfants et à ma
femme, et je ne le regrette pas ; au contraire, je suis heureux
qu'il en soit ainsi. Je ne demande rien pour eux, car je sais que
l'État leur donnera ce qu'il faut pour vivre et s'instruire.
J'aurais
encore beaucoup à te dire, à toi et à notre
peuple, mais je sens que c'est inutile, car les mots ne peuvent
exprimer ce que je voudrais, et ce n'est pas la peine de noircir du
papier en vain.
Jusqu'à la victoire, toujours !
La patrie ou la mort !
Je t'embrasse avec toute ma ferveur
révolutionnaire.
Oraison funèbre de Fidel
- 18 octobre 1967 -
Le fameux portrait du Che par Alberto Korda en fer forgé avec la
parole célèbre: «Hasta la victoria siempre»
orne l'édifice du ministère de l'Intérieur sur la
place de la Révolution
à La Havane.
Le 18 octobre 1967, troisième jour
de deuil national, Fidel Castro a prononcé une oraison
funèbre devant une foule d'un million de personnes
rassemblée sur la place de la Révolution à La
Havane pour une grande cérémonie en hommage à
Ernesto Che
Guevara.
* * *
Ce fut un jour de juillet ou d'août 1955 que
je connus le Che. Cette nuit-là, comme il le raconte
lui-même, il devint un membre de la future expédition du Granma.
À
cette
époque,
toutefois, l'expédition n'avait
encore ni bateau, ni arme, ni troupe. C'est ainsi qu'en même
temps que Raúl, le Che fut l'un des deux premiers de la liste du
Granma.
Depuis douze années sont passées :
douze années pleines de lutte et d'histoire. Années
durant lesquelles la mort a fauché beaucoup de vies vaillantes
et irremplaçables ; mais aussi années où nous
avons vu surgir des personnes extraordinaires — les années
de cette révolution qui est la nôtre. Années
pendant lesquelles se sont forgés les hommes de la
révolution, se sont créés entre ces hommes et le
peuple des liens d'affection, des liens d'amitié qui
défient toute possibilité d'expression.
Et pourtant, ce soir, nous sommes réunis ici,
vous et moi, pour essayer d'exprimer de quelque façon ces
sentiments envers celui qui fut l'un des plus connus, des plus
admirés, des plus aimés et, sans aucun doute, le plus
extraordinaire de nos camarades de la révolution ; exprimer
ces sentiments
à lui, aux héros qui se sont battus à ses
côtés, qui sont tombés avec lui, à son
armée internationale qui a écrit une page glorieuse et
inoubliable de l'Histoire.
Le Che était de ces gens qui attirent
immédiatement l'affection de tous, par leur simplicité,
leur caractère, leur naturel, leur camaraderie, leur
personnalité, leur originalité, même lorsqu'on
ignorait encore les autres qualités singulières qui le
caractérisaient.
D'abord il fut seulement le médecin de notre
troupe ; mais peu à peu, entre nous, se
créèrent des liens plus étroits, des sentiments
mutuels naquirent. Il nous paraissait totalement imprégné
d'un esprit de profonde haine, de mépris pour
l'impérialisme. Pas seulement
parce que sa formation politique était déjà alors
parvenue à un degré notable de développement, mais
parce qu'il avait pu assister en personne, peu avant au Guatemala,
à l'intervention criminelle de l'impérialisme, par
mercenaires interposés, qui avait balayé la
révolution de ce pays. Pour quelqu'un comme lui, il
n'était pas besoin de beaucoup d'arguments. Il lui suffisait de
savoir que Cuba aussi se trouvait dans une situation semblable, il lui
suffisait de savoir qu'il y avait des hommes décidés
à combattre, armes au poing, cette situation, il lui suffisait
de savoir que
ces hommes étaient inspirés par des sentiments purement
révolutionnaires et patriotiques. C'était plus que
suffisant pour lui.
Et c'est ainsi qu'un jour, à la fin de
novembre 1956, il entreprit avec nous le voyage pour Cuba. Je me
souviens que pour lui cette traversée fut très dure, car
les circonstances où l'on dut organiser l'expédition
l'avaient empêché de se munir des médicaments qui
lui
étaient indispensables, et il passa tout le temps de la
navigation secoué par une terrible attaque d'asthme, sans aucun
soulagement possible, sans non plus une seule plainte.
Des partisans du Mouvement du 26 juillet, dont Che Guevara,
débarquent du Granma,
le 2 décembre 1956 à la Playa Las Coloradas, dans la
municipalité de Niquero.
Nous débarquâmes, nous
commençâmes nos premiers déplacements à
pied, nous subîmes notre premier revers, et au bout de quelques
semaines nous nous réunîmes de nouveau — comme vous le
savez — le peu que nous restions de l'expédition du Granma. Et
le Che continuait à nous servir de médecin.
Mais vint le premier combat victorieux et le Che devint
lui aussi soldat, tout en restant toujours notre médecin :
il y eut notre deuxième combat victorieux et là le Che
déjà ne fut plus seulement un soldat, mais le plus brave
des soldats, et accomplit pour la première fois une de ces
prouesses
singulières qui l'ont caractérisé dans toutes
les actions militaires.
Puis notre force s'accrut et nous nous trouvâmes
à devoir affronter une bataille qui, à ce moment, avait
pour nous une importance extraordinaire. La situation était
difficile. Les informations dont nous disposions étaient, en
bien des sens, erronées. Nous devions attaquer en pleine
lumière, aux
premières heures de la matinée, une position fortement
défendue, sur le bord de la mer, bien armée, avec notre
arrière-garde menacée à une courte distance par
les troupes ennemies ; dans cette situation confuse il fallut
demander aux hommes un effort suprême : le camarade
Juan Almeida devant assurer une mission très difficile, l'un des
flancs de notre dispositif restait complètement
découvert, complètement dépourvu de force
d'attaque, avec le danger de faire échouer l'ensemble de
l'opération. Et alors l'on vit le Che, qui n'était encore
que
médecin, demander trois ou quatre hommes, dont un avec un
fusil-mitrailleur, et, en quelques secondes, se jeter sans
hésiter pour soutenir l'attaque de ce
côté-là.
En cette occasion, il ne fut pas seulement un
combattant valeureux, mais aussi un médecin valeureux, il
secourut les camarades blessés et aussi les soldats ennemis
lorsque cela fut nécessaire. Et quand nous fûmes
contraints à abandonner la position — pas avant, pourtant,
d'avoir razzié toutes
les armes — et à entreprendre une longue marche, talonnés
par différentes forces ennemies, il fut quand même
nécessaire que quelqu'un restât en arrière avec les
blessés : le Che resta. Appuyé par un petit groupe
de nos soldats, il se consacra à soigner les
blessés, sauva la vie de tous et avec eux rejoignit plus tard la
colonne.
Ainsi fut-il encore dans la bataille d'Uvero. Mais
fut-il jamais différent, en une autre occasion, toujours dans
les tous premiers temps, dont on n'a encore jamais parlé quand,
à la suite d'une trahison, notre petite armée fut
attaquée par surprise par de nombreux avions ? Nous
étions en train
de nous retirer sous les bombes et nous avions déjà
parcouru un bon bout de chemin quand je me rappelai certains fusils
restés entre les mains des soldats paysans qui étaient
venus avec nous lors des premières actions et avaient ensuite
demandé la permission d'aller retrouver leur famille — dans
notre armée débutante, il n'y avait pas encore beaucoup
de discipline. Je pensai, à ce moment, que ces fusils
étaient irrémédiablement perdus. Et au contraire,
je m'en souviens, on avait à peine le temps de poser le
problème que tout de suite le Che s'offrit d'aller les
récupérer. Et alors que le bombardement continuait, il se
mit en route vite, sans aucun retard.
C'était là, justement, une de ses
caractéristiques essentielles, à se proposer pour
réaliser la mission la plus dangereuse. Et cela, naturellement,
suscitait l'admiration, et même une double admiration, parce que
c'était un camarade qui combattait avec nous sans pourtant
être né sur
notre terre et parce que c'était un homme profond, un homme dont
l'esprit bouillonnait de rêves de lutte dans d'autres parties du
continent. Un homme qui faisait continuellement preuve d'altruisme, de
désintéressement ; il était toujours
disposé à faire les choses les plus difficiles, à
risquer sa vie à chaque instant.
Il prit ainsi les grades de commandant et de chef de la
seconde colonne qui s'organisa dans la Sierra Maestra : ainsi son
prestige commença de croître, ainsi commença-t-il
de jouir de cette renommée de combattant magnifique, qui dans le
cours de la guerre devait le porter aux plus hauts grades.
Le Che était un soldat hors pair ; le Che
était un chef hors pair ; le Che était, du point de
vue militaire, un homme extraordinairement capable, extraordinairement
courageux, extraordinairement agressif. Si en tant que
guérillero il avait un talon d'Achille, ce talon d'Achille
était justement son
goût excessif pour l'attaque, son absolu mépris du danger.
Les ennemis prétendent tirer des conclusions de
sa mort. Mais le Che était un maître de la guerre !
Le Che était un artiste de la guérilla ! Et il l'a
montré une infinité de fois. Il l'a montré surtout
dans deux épreuves extraordinaires : l'une, quand il
parcourut
toute l'île à la tête d'une colonne talonnée
et traquée par des milliers de soldats traversant un territoire
absolument plat, qu'il ne connaissait pas, et réalisant, comme
Camilo Cienfuegos, une formidable entreprise militaire. Il l'a
montré dans la foudroyante campagne de la province de Las
Villas, et
en particulier dans l'audacieuse attaque de la ville de Santa Clara,
quand, conduisant une colonne d'à peine trois cents hommes, il
pénétra dans une ville défendue par des chars, de
l'artillerie, plusieurs milliers de soldats de l'infanterie.
Voilà les deux entreprises qui le consacrent comme un chef hors
du
commun, comme un artiste de la guerre révolutionnaire.
L'armée rebelle victorieuse défile dans les rues de Santa
Clara le 31 décembre 1958 après la victoire
décisive sous le commandement de Che.
Et il y en a qui, prenant pour base sa mort
héroïque et glorieuse, prétendent nier la
vérité ou la validité de ses conceptions ou de ses
idées sur la guérilla ! L'artiste peut bien mourir,
surtout l'artiste d'un art aussi dangereux que la lutte
révolutionnaire, mais ce qui ne
mourra en aucune façon c'est l'art auquel il a consacré
sa vie, son intelligence. Quoi d'étonnant à ce que cet
artiste meure au combat ? À vrai dire, il est bien plus
extraordinaire qu'il ne soit pas mort avant, dans l'une des
innombrables occasions où il risqua sa peau pendant notre
révolution. Et combien de fois ne dut-on pas l'empêcher de
mettre en jeu sa vie dans des escarmouches d'importance mineure.
Mais voilà, dans un combat, dans l'un des si
nombreux combats qu'il a livrés, voilà, il a perdu la
vie. Nous ne possédons pas d'éléments suffisants
de jugement pour déduire quelles circonstances ont
précédé son dernier fait d'armes, savoir
jusqu'à quel point
il s'est comporté avec une témérité
excessive. Mais si - nous le redisons - en tant que guérillero
il avait un talon d'Achille, ce talon d'Achille était
précisément cette témérité, ce
mépris absolu du danger. C'est là, peut-être, que
je n'arrive pas
à être d'accord avec lui : parce que pour moi sa vie,
son expérience, sa capacité de chef aguerri, son prestige
et tout ce qu'il signifiait vivant, tout cela comptait bien plus,
incomparablement plus, que l'évaluation que souvent
lui-même donnait de lui.
Mais sans doute ce qui aura profondément
influencé sa conduite, c'est l'idée que les hommes ont
une valeur relative dans l'histoire, l'idée que les causes ne
sont pas défaites quand tombent les hommes qui les
représentent, que la marche indomptable de la victoire ne
s'arrête pas, ne
s'arrêtera pas parce que tombent les chefs. C'est une
vérité : qui peut en douter ? C'est ce que
prouve sa foi dans les hommes, sa foi dans les idées, sa foi
dans l'exemple. Et pourtant, comme je l'ai déjà dit il y
a quelques jours, combien aurions-nous aimé que ce fût
lui-même qui forge la victoire, le voir construire la victoire
sous son commandement, sous sa direction, parce qu'ils sont si peu
communs les hommes de son expérience, de son envergure, de sa
capacité véritablement singulière. Toutefois, nous
savons comment apprécier son exemple et nous nourrissons
la conviction la plus absolue que cet exemple deviendra un
modèle à imiter, servira à faire jaillir du sein
des peuples des hommes semblables à lui.
Il n'est pas facile de réunir en une seule
personne toutes les qualités qui se trouvaient réunies en
lui. Il n'est pas aisé pour un homme de savoir donner
spontanément son développement à une
personnalité comme la sienne. Je dirais qu'il était de ce
genre d'hommes difficile
à égaler, pratiquement impossible à
dépasser. Mais je dirai aussi que des hommes comme lui sont
capables, par leur exemple, de susciter d'autres hommes du même
genre.
Parce que dans le Che, nous n'admirons pas seulement le
guerrier, l'homme capable de grandes prouesses. Et ce qu'il
était en train de faire, le fait même de se mesurer seul,
avec une poignée d'hommes, contre toute une armée
oligarchique instruite par des conseillers soumis à
l'impérialisme yankee
et soutenue par les oligarchies de tous les pays voisins, constitue
déjà, en soi, une prouesse extraordinaire.
Si l'on cherche dans les pages de l'histoire, l'on ne
trouvera peut-être aucun exemple où, avec un nombre
d'hommes si réduit, quelqu'un soit entré en lice contre
des forces aussi considérables. C'est une preuve de confiance en
soi, une preuve de confiance dans les peuples, cette
démonstration de foi
dans la capacité des hommes à combattre, qui n'a pas
d'égale dans l'histoire ! Les ennemis croient avoir battu
sa conception générale de la guérilla, avoir
défait ses opinions sur la lutte révolutionnaire
armée. Mais ils ont réussi seulement, aidés par un
coup
de chance, à éliminer sa vie physique ; ils n'ont
rien obtenu d'autre que ce que les fortunes occasionnelles de la guerre
peuvent attribuer à l'ennemi. Et nous ne savons pas
jusqu'à quel point ce coup de chance a été
aidé justement par cette témérité excessive
du
Che, à laquelle je faisais allusion à l'instant. Au
reste, c'est arrivé si souvent, même pendant notre guerre
d'indépendance !
Dans le combat à Dos Rios fut tué
l'apôtre de notre indépendance, José Marti. Dans le
combat de Punta Brava fut tué Antonio Maceo,
vétéran de cent batailles. Dans des faits d'armes de ce
genre sont morts une infinité de chefs, une infinité de
patriotes de notre guerre
d'indépendance. Et pourtant cela n'a pas signifié la
défaite de la cause cubaine. La mort du Che, comme je l'ai dit
il y a quelques jours, est un coup dur, un coup terrible pour le
mouvement révolutionnaire, parce qu'elle le prive, sans aucun
doute, de son chef le plus expérimenté, le plus habile.
Mais
ceux qui chantent victoire se trompent. Ils se trompent, ceux qui
croient que sa mort est la défaite des idées, la
défaite de ses conceptions tactiques, la défaite de ses
théories sur la guérilla, la défaite de ses
thèses. Parce que l'homme qui est tombé comme un homme
mortel,
comme un homme qui s'exposait si souvent aux balles, a
été un militaire, un chef mille fois plus habile que ceux
qui, par un coup de chance, l'ont tué.
Alors, comment les révolutionnaires doivent-ils
affronter ce coup du sort ? Comment doivent-ils affronter cette
perte ? Quelle serait l'opinion du Che s'il devait exprimer son
propre jugement sur cette question ? Il l'a dit lui-même,
fort clairement, dans son message à la Conférence de
solidarité latino-américaine : que si dans quelque
partie du monde la mort devait le surprendre, qu'elle soit la bienvenue
pourvu que son cri de guerre puisse arriver à une oreille qui le
recueille, qu'une autre main se tende pour empoigner l'arme. Ce
cri-là n'arrivera pas à une seule oreille, mais à
des millions, prêtes à le recevoir ! Et ce n'est pas
une, mais des millions de mains, inspirées de son exemple, qui
se tendront pour saisir les armes ! De nouveaux chefs surgiront.
Et les hommes, oreilles attentives, mains prêtes, auront besoin
de chefs. Et ceux-ci surgiront des rangs du peuple, comme ont
surgi les chefs de toutes les révolutions. Ils ne pourront pas
compter, c'est vrai, sur un chef doté de l'expérience
extraordinaire et de l'énorme capacité du Che. Mais les
nouveaux chefs se formeront dans le vif de la lutte, les nouveaux chefs
viendront justement de ces millions d'oreilles attentives, de ces
millions de mains qui tôt ou tard se tendront pour saisir les
armes.
Nous ne voulons pas dire par là que, dans
l'ordre pratique de la lutte révolutionnaire, sa mort doive ou
puisse avoir une répercussion immédiate. Mais pas
même le Che, quand il retourna prendre les armes, ne pensait
à une victoire immédiate, à un succès
rapide contre les
forces des oligarchies et de l'impérialisme. Son esprit de
combattant expérimenté était préparé
à une lutte longue, de cinq, dix, quinze, vingt ans si
nécessaire. Et c'est dans cette perspective temporelle que sa
mort, son exemple — disons-le — auront une terrible
répercussion, une force invincible.
Sa capacité de chef, son expérience,
c'est en vain que cherchent à les nier ceux qui
profitèrent d'un coup de chance. Le Che était un chef
militaire extraordinaire. Mais quand nous nous rappelons le Che, quand
je pense au Che, je ne pense pas fondamentalement à ses vertus
militaires. Non. La
guerre est un moyen, non une fin, la guerre est un instrument des
révolutionnaires. L'important est la révolution,
l'important est la cause révolutionnaire, les idées
révolutionnaires ! Et c'est justement dans ce domaine, dans
le domaine des idées, dans le domaine des sentiments, dans le
domaine
des vertus révolutionnaires, dans le domaine de l'intelligence,
en laissant à part ses vertus militaires, que nous sentons
quelle perte terrible signifie la mort du Che pour le mouvement
révolutionnaire.
Le Che réunissait, en fait, dans son
extraordinaire personnalité, des vertus qui sont rarement
réunies. Il s'était révélé un homme
d'action imbattable, mais il n'était pas seulement un grand
homme d'action ; le Che était un homme à la
pensée profonde,
à l'intelligence visionnaire, à la vaste culture. Il
réunissait en somme dans sa personne l'homme d'idées et
l'homme d'action. Mais c'est encore là une définition
restrictive.
Parce que le Che réunissait en lui des
qualités qui peuvent se définir comme les qualités
types du révolutionnaire : homme intègre totalement,
homme à la loyauté suprême, à la
sincérité absolue, homme à la vie stoïque et
spartiate,
homme dans la conduite duquel on ne trouvera pratiquement aucune tache.
Au moment de la mort d'un homme, on a coutume de prononcer des
discours, d'énumérer des qualités. Mais rarement
comme en cette occasion l'on peut justement, avec plus d'exactitude,
dire d'un homme ce que nous disons du Che : qu'il fut
un exemple véritable de vertus révolutionnaires, un vrai
modèle de révolutionnaire. Mais il avait aussi une autre
qualité, qui n'est pas une qualité de l'intelligence, qui
n'est pas une qualité de la volonté, qui n'est pas une
qualité dérivée des expériences de la
lutte, mais une qualité de coeur. C'était un homme
extraordinairement humain, extraordinairement sensible. Pour cela,
quand je pense à sa vie, quand je pense à sa conduite, je
dis que le Che a été le cas singulier d'un homme
rarissime, capable de réunir dans sa personnalité non
seulement les caractéristiques de l'homme de pensée, de
l'homme aux vertus révolutionnaires immaculées, à
l'extraordinaire sensibilité humaine, unies à un
caractère de fer, à une volonté d'acier, à
une ténacité indomptée.
Aux générations futures il a
laissé en héritage non seulement son expérience,
non seulement ses connaissances de soldat exceptionnel, mais aussi les
oeuvres de son intelligence. Il écrivait avec la
virtuosité d'un classique. Ses récits de guerre sont
insurpassables. La profondeur de sa
pensée est impressionnante. Il n'écrivait jamais quelque
chose sinon avec un sérieux extraordinaire ; et je n'ai
aucun doute sur le fait que certains de ses écrits passeront
à la postérité comme classiques de la
pensée révolutionnaire. Cette intelligence vigoureuse et
profonde
nous laisse encore une foule de souvenirs, de récits sur tant
d'événements, de faits qui sans son travail
peut-être seraient tombés dans l'oubli pour toujours.
Travailleur infatigable, dans les années qu'il
passa au service de notre patrie, il ne connut pas un seul jour de
repos. Nombreuses furent les responsabilités qu'il assuma :
président de la Banque nationale, directeur de la Junte de
planification, ministre de l'Industrie, commandant de régions
militaires, chef de
délégation dans les domaines politique, économique
ou social. Son intelligence multiforme était capable d'affronter
avec la plus grande sûreté n'importe quelle tâche,
dans chaque domaine, dans chaque sens. Il représenta brillamment
notre patrie dans de nombreuses conférences
internationales, avec la même éloquence fascinante qu'il
savait employer pour s'adresser aux soldats sous le feu de l'ennemi,
avec la même assiduité qui faisait de lui un travailleur
modèle à la tête de tout organisme qui lui
était confié. Il n'y avait pour lui ni jours de repos, ni
heures
de répit : si en passant je regardais la fenêtre de
son bureau, je voyais briller la lumière jusqu'à
très tard dans la nuit, il étudiait, ou mieux, il
travaillait et étudiait ensemble. Parce que c'était un
homme qui aimait étudier tous les problèmes ;
c'était
un lecteur infatigable.
Sa soif d'appréhender les connaissances humaines
était pratiquement insatiable et les heures qu'il volait au
sommeil, il les consacrait à l'étude, et les jours
réglementairement fériés, il les consacrait au
travail volontaire. Il fut l'inspirateur et le plus grand partisan du
travail volontaire, qui est
aujourd'hui l'activité de centaines de milliers de personnes
dans tout le pays ; ce fut lui qui donna l'impulsion à
cette activité qui de jour en jour acquiert plus de force dans
notre peuple.
Et, comme révolutionnaire communiste, vraiment
communiste, il avait une foi infinie dans les valeurs morales, il avait
une foi infinie dans la conscience des hommes. Oui, il faut le
dire : il vit avec une clarté absolue que les ressources
morales sont le levier fondamental de la construction du communisme
dans la
société humaine.
Il pensa, élabora, écrivit beaucoup. En
un jour comme celui-ci, nous devons dire une chose : les
écrits du Che auront une valeur permanente dans l'histoire de la
Révolution cubaine et dans l'histoire révolutionnaire de
l'Amérique latine. Il n'y a aucun doute : la valeur des
idées,
de celles qu'il formula en homme d'action comme de celles qui
naissaient en lui de l'homme de pensée, de l'homme aux vertus
morales resplendissantes, de l'homme aux vertus humaines
indépassables, de l'homme à la conduite sans tache, ont
et auront une valeur universelle.
Les impérialistes chantent des hymnes de
triomphe sur la mort au combat du guérillero Che ; les
impérialistes chantent victoire pour le coup de chance qui leur
a permis d'éliminer physiquement un homme d'action si
redoutable. Mais peut-être les impérialistes ignorent-ils
- ou feignent-ils
d'ignorer - que l'homme d'action n'était qu'un des nombreux
côtés de la personnalité de ce combattant. Et si
nous parlons de douleur, notre douleur n'est pas seulement d'avoir
perdu l'homme d'action, mais d'avoir perdu l'homme vertueux, d'avoir
perdu l'homme à la sensibilité humaine exquise. Notre
douleur est l'intelligence perdue. Oui, c'est cette intelligence perdue
qui nous fait mal. Il nous fait mal de penser qu'il n'avait que
trente-neuf ans quand il est mort, il nous fait mal de penser combien
de fruits, et seuls, de cette intelligence en continuelle croissante et
expansion, nous ne pourrons plus récolter.
Je sais bien l'étendue de la perte subie par le
mouvement révolutionnaire, mais je sais aussi que c'est
justement là qu'est le point faible de l'ennemi
impérialiste ; il croit avoir, avec la personne physique,
liquidé sa pensée, il croit avoir, avec la personne
physique, liquidé ses
idées, ses vertus, son exemple. Et ces ennemis le croient avec
tant d'impudence qu'ils n'hésitaient pas à publier, comme
c'était la chose la plus naturelle du monde, de quelle
façon ils l'achevèrent après l'avoir gravement
blessé au combat. Ils ne se sont pas même retenus face
à qu'il y avait de répugnant dans cette façon de
faire, ils n'ont pas même hésité devant l'impudeur
de l'admettre publiquement. Comme si c'était un droit pour les
oligarques et les mercenaires de tirer sur un combattant
révolutionnaire gravement blessé. Et le pire est qu'ils
expliquent aussi pourquoi ils l'ont fait, soutenant que ce
procès où il aurait fallu mener le Che eut fait trop de
bruit, qu'il eut été impossible à contraindre un
tel révolutionnaire à s'asseoir sur les bancs des
accusés. Et plus : ils n'ont pas hésité non
plus à
faire disparaître ses restes.
Que ce soit vrai ou faux, c'est justement le fait
qu'ils annoncent l'incinération de son cadavre qui prouve leur
peur, qui prouve qu'ils ne sont pas convaincus d'avoir, en liquidant la
vie physique du combattant, liquidé aussi ses idées et
son exemple.
Le Che n'est pas tombé en défendant
d'autres intérêts, d'autres causes que la cause des
opprimés et des exploités de ce continent : la cause
que le Che est mort en défendant est la cause des humbles de
cette terre. Et le désintéressement, la manière
exemplaire avec
lesquels il a défendu cette cause, pas même ses ennemis
les plus acharnés n'osent le mettre en discussion. Face à
l'histoire, les hommes qui se comportent comme lui, les hommes qui
donnent tout d'eux-mêmes pour la cause des humbles, grandissent
chaque jour qui passe, s'enracinent toujours plus dans le coeur
des peuples. Déjà, les ennemis impérialistes
commencent à s'en apercevoir ; il ne faudra pas beaucoup de
temps avant qu'ils comprennent que sa mort aura été,
à la longue, comme le grain d'où surgiront beaucoup
d'hommes décidés à suivre son exemple.
Je suis absolument convaincu que la cause révolutionnaire sur ce
continent se reprendra du coup qui lui a été
porté : que la cause de la révolution en
Amérique latine ne sera pas défaite par cette
adversité.
Du point de vue révolutionnaire, du point de vue
de notre peuple, comment devons-nous, nous, regarder l'exemple du
Che ? Peut-être croyons-nous l'avoir perdu ? Certes,
nous ne lirons plus de nouveaux écrits de sa main, nous
n'écouterons plus jamais sa voix. Mais le Che a laissé un
héritage au monde, un grand héritage, et de ce
patrimoine, nous qui l'avons connu de si près, nous pouvons
être les héritiers les plus favorisés. Il nous a
laissé ses vertus révolutionnaires, il nous a
laissé son caractère, sa volonté, sa
ténacité, son
goût du travail. En un mot, il nous a laissé son exemple
et l'exemple du Che doit être un modèle pour notre peuple,
le modèle idéal !
Si nous devons dire comment nous voulons que soient nos
combattants révolutionnaires, nos militants, nos hommes, nous
dirons sans aucune hésitation : qu'ils soient comme le
Che ! Si nous voulons exprimer comment nous voulons que soient les
hommes des prochaines générations, nous
disons : comme le Che ! Si nous voulons dire comment nous
désirons que nos fils soient éduqués, nous devons
dire sans hésitation : nous voulons qu'ils
s'éduquent dans l'esprit du Che ! Si nous voulons un
modèle d'homme qui n'appartienne pas à ce temps mais
à l'avenir, en vérité, je vous dis que ce
modèle sans tache dans sa conduite, dans ses attitudes, dans sa
manière d'agir, ce modèle est le Che ! Et de tout
notre coeur d'enthousiastes révolutionnaires, nous souhaitons
que nos fils soient comme le Che !
Le Che est devenu un modèle d'homme non
seulement pour notre peuple, mais pour n'importe quel peuple
d'Amérique latine. Le Che a porté à leur plus
haute expression le stoïcisme révolutionnaire, l'esprit de
sacrifice, la combativité, le goût du travail du
révolutionnaire ; il a porté les idées du
marxisme-léninisme à leur expression la plus
fraîche, la plus pure, la plus révolutionnaire. Personne
comme lui n'a, ces temps-ci, porté à un niveau plus haut
l'esprit internationaliste prolétarien ! Quand on parle
d'internationalisme prolétarien, quand on cherche un exemple
d'internationalisme prolétarien, plus que tout autre cet exemple
est le Che !
Dans son coeur et dans son esprit, il n'y avait plus de
drapeaux, de préjudices, de chauvinisme,
d'égoïsme : il était prêt à verser
son sang généreux pour le sort de n'importe quel peuple,
spontanément, sans hésiter. Et son sang fut versé
sur cette terre cubaine
quand il fut blessé au combat, son sang pour la
rédemption des exploités et des opprimés, des
humbles et des pauvres, fut versé en Bolivie, son sang fut
versé pour tous les exploités, pour tous les
opprimés, fut versé pour tous les peuples
d'Amérique, fut versé pour
le Vietnam, parce qu'en combattant contre les oligarchies en Bolivie le
Che savait bien qu'il offrait au Vietnam la plus haute expression de sa
solidarité. C'est pour cela, camarades de la révolution,
que nous devons regarder l'avenir avec fermeté, et avec
décision et optimisme. Nous chercherons toujours dans
l'exemple du Che l'inspiration à la lutte, l'inspiration
à la ténacité, l'inspiration à
l'intransigeance face à l'ennemi, l'inspiration au sentiment
internationaliste !
C'est pour cela qu'aujourd'hui, cette nuit, au terme de
cette manifestation impressionnante de cette démonstration de
masse, de reconnaissance, incroyable par son ampleur, sa discipline, sa
dévotion, preuve de ce que notre peuple est sensible et
reconnaissant, un peuple qui sait honorer la mémoire des
vaillants
tombés dans la mêlée, preuve que ce peuple sait
être reconnaissant à qui lui est utile, que ce peuple est
solidaire de la lutte révolutionnaire, preuve que ce peuple
tient et tiendra toujours plus haut les drapeaux de la
révolution, les principes de la révolution, aujourd'hui,
dans ces instants
mémorables, nous élevons notre pensée vers le Che
et avec un optimisme absolu dans la victoire définitive des
peuples nous lui disons, à lui et aux héros qui ont
combattus et sont morts à ses côtés :
Hasta la victoria siempre !
[Jusqu'à la victoire, toujours !]
Patria o
muerte ! [La patrie ou la mort !]
Venceremos ! [Nous vaincrons !]
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Marxiste-Léniniste
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