Le Marxiste-Léniniste

Numéro 19 - 13 mai 2017

150e anniversaire de la Confédération

Le besoin urgent de donner au Canada une constitution moderne et une définition moderne des droits 

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150e anniversaire de la Confédération
Le besoin urgent de donner au Canada une constitution moderne et une définition moderne des droits

180e anniversaire des rébellions de 1837-1838 dans le Haut et le Bas-Canada
Conférence à Montréal sur la conception des droits dans les constitutions canadiennes de 1840 et de 1867

Présentations
Les choses et les phénomènes se révèlent - Centre d'études sur les idéologies
Le besoin d'institutions modernes basées sur la défense des droits de tous et toutes - Le Collectif Joseph Montferrand


150e anniversaire de la Confédération

Le besoin urgent de donner au Canada une constitution moderne et une définition
moderne des droits

Le 1er juillet sera le 150e anniversaire de la Confédération, la date à laquelle l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 est entré en vigueur. Cette loi du parlement britannique unissait les provinces du Canada-Ouest et du Canada-Est (appelées Haut-Canada et Bas-Canada avant l'Acte d'union de 1841), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse pour former le Dominion du Canada. L'AANB de 1867 a été « rapatrié » au Canada en 1982 en y ajoutant la Charte canadienne des droits et libertés et il demeure à ce jour le cadre constitutionnel du Canada bien qu'il soit devenu complètement anachronique. Non seulement maintient-il que la reine d'Angleterre est la souveraine et chef d'État du Canada mais il n'offre pas de garantie pour les droits des citoyens et résidents. Les arrangements de partage des pouvoirs qu'il établit entre le fédéral et les provinces sont aussi fondés sur une époque depuis longtemps révolue. Puis ces vieux arrangements continuent de nier le droit du Québec à l'autodétermination et à imposer des rapports coloniaux aux peuples autochtones.

Cela en soi nécessite une réflexion sérieuse. Après près de 150 ans, deux guerres mondiales et la fin de la division bipolaire du monde, la constitution et la définition des droits qui en découle doivent être modernisées pour répondre aux exigences de l'époque. Au lieu de reconnaître cette réalité, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a lancé un programme pour le 150e anniversaire de la Confédération en 2017 pour « célébrer nos valeurs communes, nos réalisations, la richesse de notre environnement et notre place dans le monde ». Les thèmes officiels proclamés par le gouvernement pour les célébrations sont « la diversité et l'inclusion, la réconciliation avec les peuples autochtones, l'environnement et la jeunesse ». Un organisme privé appelé Celebrations Ottawa Inc. est responsable d'organiser les manifestations officielles et a reçu 210 millions $ en fonds publics du gouvernement.[1] Par l'entremise de cet organisme, le gouvernement « investira de façon stratégique dans des activités qui soutiennent la vision du 150e anniversaire et encouragent la participation des Canadiens ». Autrement dit, ceux qui soutiennent la « vision » préconisée par les institutions de l'État de 1867 recevront un soutien officiel.

Qui a décidé de cette vision ? Que deviennent les activités de ceux qui ont une autre vision ? Ces derniers ne sont-ils pas en droit de recevoir un soutien gouvernemental ? Le gouvernement a décidé que ceux qui partagent sa vision défendent les « valeurs canadiennes ». Cela laisse entendre que ceux qui épousent une vision différente ne partagent pas les « valeurs canadiennes ». Cela n'a aucun sens. S'il y a une valeur commune que les Canadiens partagent, c'est le droit de tous les êtres humains à leur conscience, à la vision du Canada qu'ils jugent bon d'épouser. Le gouvernement dit que notre force réside dans notre diversité, par laquelle il distingue différentes caractéristiques basées sur la langue, la religion, l'apparence, la couleur de la peau, la race, l'origine ethnique, les capacités, etc. Dans tout cela, le droit de conscience -- ce qui nous distingue en tant qu'êtres humains -- n 'est pas considéré comme une « valeur commune ». Si c'est le cas, qu'est-ce que cela nous dit de la base sur laquelle les droits de citoyenneté sont conférés aujourd'hui ? Le droit d'être de chacun doit être le fondement même de la définition des droits au XXIe siècle, mais le gouvernement n'en tient aucun compte.

Depuis l'an dernier, le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) tient des réunions, des séminaires et des discussions sur les questions importantes posées par Canada 150 pour engager les citoyens et résidents de tous les milieux dans le travail pour le renouveau démocratique et pour moderniser la Constitution sur la base du principe que les droits nous appartiennent du fait que nous sommes des êtres humains et de la nécessité d'une union libre et égale du Québec, des nations autochtones et du reste du Canada.

Le PCC(M-L) souligne qu'il s'agit d'une tâche historique, pas une question de choix de politique. Cela est nécessaire pour que les travailleurs qui produisent toute la richesse puissent occuper la place qui leur revient au centre de l'histoire et apporter les changements nécessaires pour surmonter les problèmes auxquels la société est confrontée aujourd'hui dans les domaines de l'économie et de l'environnement naturel et social.

Pour contribuer à cette discussion, LML publie un rapport de la Conférence organisée à Montréal le 7 mai par le Parti marxiste-léniniste du Québec à l'occasion du 180e anniversaire des rébellions de 1837-1838 dans le Haut-Canada et le Bas-Canada. La conférence avait pour thème: Pour une Constitution moderne qui investit le peuple et non la couronne du pouvoir décisionnel ! » Suivent ensuite les interventions principales à la conférence.

Note

1. Le gouvernement fédéral a mis de côté 210 millions $ pour les célébrations de Canada 150, dont 20 millions $ pour le financement de grands événements comme les festivités sur la colline du Parlement à Ottawa. Selon les communiqués du gouvernement, le reste de l'argent sera affecté à des « Projets Signature pancanadiens » (des projets pancanadiens de grande envergure) et des activités « communautaires ». Il y a deux catégories d'événements qui n'auront pas droit au financement de l'État: ceux qui portent sur la Constitution et ceux qui portent sur l'histoire du Canada, deux sujets considérés comme « porteurs de divisions ».

Au début de mai, Patrimoine Canada a annoncé les destinataires de 113 millions $ pour ces catégories de projets acceptables. D'autres annonces seront faites dans les prochaines semaines, à l'approche de l'anniversaire officiel du 1er juillet.

Le financement fédéral destiné à des projets approuvés varie de 30 000 $ à 416 000 $ et inclut la transformation du centre-ville de Calgary en jeu de serpents et échelles (416 000 $), un spectacle de marionnettes géantes à Kootenays Ouest (30 000 $) et l'installation d'un immense drapeau au sommet d'un mât de 15 étages à Windsor pour un coût de 150 000 $. Le grand projet du drapeau canadien devait être inauguré en février devant 300 000 personnes à Windsor selon le gouvernement. L'événement est maintenant prévu pour le 20 mai. Un autre 4,8 millions $ a été alloué au voyage de 150 jours d'un brise-glace entre Toronto, en Ontario, et Victoria, en Colombie-Britannique, en empruntant le passage du Nord-Ouest avec la promesse de faire participer 20 millions de Canadiens à ce périple. Les projets plus coûteux, de 10,5 millions $, sont la visite d'une quarantaine de grands voiliers à Québec et un spectacle multimédia nommé Sesqui qui mettra en vedette une coupole interactive et un film de 360 degrés en tournée à travers l'Ontario.

Parmi les autres événements prévus il y aura le défi du Tri-Conic à Port Alberni, en Colombie-Britannique, qui a reçu 80 000 $ pour une compétition entre des coureurs et une machine à vapeur et entre des cyclistes et un navire. Il y aura la Tournée du sofa rouge, au cours de laquelle les Canadiens sont invités à s'asseoir sur le sofa en cuir et à partager ce que le Canada signifie pour eux. La société de production derrière la tour a reçu 198 000 $ en financement fédéral. Les petits projets communautaires comprennent des mosaïques et des courtepointes dans lesquels les personnes mettront en commun leurs efforts pour créer de grandes oeuvres d'art. Les villes de Selkirk et de Steinbach, au Manitoba, ont reçu 6 000 $ chacune pour des murales Canada 150 composées de centaines de petites tuiles.

Les arts et la culture sont au centre de plusieurs projets. Le gouvernement finance au coût de 500 000 $ le projet Dansons Ensemble Canada 2017 de l'École nationale de ballet du Canada, qui préparera une chorégraphie qui sera interprétée par un million de Canadiens le 2 juin. Le Ross Creek Centre for the Arts en Nouvelle-Écosse mettra en scène une comédie musicale retraçant le mouvement des suffragettes au Canada avec une subvention de 50 000 $. L'Orchestre symphonique de l'Île-du-Prince-Édouard a reçu une subvention de 115 000 $ pour organiser un concours de poésie et les oeuvres gagnantes seront mises en musique.

D'autres projets sont centrés autour de sites Web et d'applications (tels que Passeport 2017, qui utilisera une subvention de 1,3 million $ pour aider les utilisateurs à trouver des événements de Canada 150).

Les 180 millions $ en fonds fédéraux ne reflètent pas le coût total des projets, qui nécessitent aussi des fonds d'autres sources comme les subventions des municipalités et les dons privés.

Environ 300 millions $ supplémentaires ont été budgétisés par le gouvernement Trudeau pour réparer les infrastructures culturelles et récréatives, comme les complexes sportifs, dans le cadre d'un programme de financement de Canada 150.

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180e anniversaire des rébellions de 1837-1838 dans le Haut et le Bas-Canada

Conférence à Montréal sur la conception
des droits dans les constitutions canadiennes de 1840 et de 1867

Cette année nous soulignons le 180e anniversaire des rébellions de 1837-1838 dans le Bas-Canada et le Haut-Canada. Ces rébellions avaient comme objectif d'engendrer des arrangements par lesquels le peuple serait investi de la souveraineté et non la couronne britannique. Le Parti marxiste-léniniste du Québec (PMLQ) a tenu une importante conférence à Montréal le 7 mai pour examiner la cause des Patriotes de 1837-1838 dans la Bas-Canada et comment cette lutte a été réprimée de façon brutale par les Britanniques. Une attention particulière a été apportée à la conception des droits mise de l'avant par les Patriotes, ainsi qu'à la conception des droits imposée par les Britanniques par le biais des constitutions de 1840 et de 1867. La conférence a surtout examiné l'histoire en prenant le présent comme point de départ — en se basant sur les conditions d'aujourd'hui et sur ce qu'elles révèlent — popur revenir sur le passé afin d'enrichir notre capacité à résoudre les problèmes et à ouvrir la voie du progrès de la société aujourd'hui.

À cet égard, la conférence a commencé par traiter des questions d'historiographie, la façon d'étudier l'histoire, et de théorie politique, qui traite des relations entre les gens et de la société que ces relations engendrent. Elle a lancé un appel militant à combattre les tentatives de diviser le peuple dans le but de maintenir le statu quo, une pratique introduite par les colonialistes britanniques et soutenue par l'État anglo-canadien sur la base de la suppression de la jeune nation du Québec et sur l'expropriation des peuples autochtones et les tentatives de génocide contre eux. Elle part d'une conception des droits dans laquelle les droits sont des privilèges et sont accordés et retirés selon le bon vouloir de « la couronne ».

Plusieurs travailleurs et jeunes ainsi que des gens de tous les milieux ont participé à cette conférence. La discussion a été très animée. Il y a eu une intervention très intéressante sur la crise que vit la France aujourd'hui à cause du refus de renouveler son projet d'État-nation qui est en crise. Il y a également eu une intervention sur les relations entre les patriotes du Haut-Canada et du Bas-Canada et sur l'aide qu'ils ont reçue des révolutionnaires américains de l'époque. Une autre intervention de grand intérêt a été celle d'un organisateur des travailleurs de la construction du Québec sur l'État des droits aujourd'hui. Il a expliqué comment l'État utilise ses institutions pour s'assurer que les travailleurs ne puissent pas agir à la défense de leurs droits tels la santé et la sécurité sur les chantiers.

La lutte des Patriotes épousait les idéaux les plus avancés de l'époque. C'était un projet d'édification nationale basé sur la cause anticoloniale, sur l'abolition du système seigneurial féodal, sur l'accès aux droits de citoyenneté de façon égale et sans distinction fondée sur les origines ou les croyances -- et sur l'établissement d'une constitution qui enchâsse ces idéaux en tant que loi du pays sous forme de république. Cette cause était comparable aux grandes guerres d'indépendance en Amérique latine et dans les Caraïbes qui faisaient rage au cours de cette période ainsi qu'au mouvement national en Italie et à des développements semblables dans d'autres pays. Les mouvements de l'époque ont mené à la formation de l'Association internationale des travailleurs par Marx et Engels en 1864 et, en 1871, à la Commune de Paris. Les Patriotes ont lutté pour des institutions conformes aux besoins de l'époque et par conséquent leur rébellion a été écrasée par les Britanniques par la force des armes, la suspension des libertés civiles, les arrestations de masse, l'incendie de maisons, la pendaison de douze Patriotes et l'exil forcé de 64 autres.

En traitant de la façon dont les travailleurs et la société sont attaqués aujourd'hui, la conférence a clairement montré la nécessité que les mouvements politiques du peuple prennent en main le travail pour une constitution moderne qui enchâsse les droits qui appartiennent à tous en vertu de leur être. Il est donc urgent d'établir une cohésion au sein du corps politique fondée sur la politique indépendante de la classe ouvrière pour ouvrir la voie au progrès et pour conjurer les dangers de guerre.

Dans ce numéro, LML publie les deux principales présentations de la conférence du 7 mai, celle sur l'historiographie et celle sur la conception des droits contenue dans les constitutions de 1840 et de 1867. Des réunions locales sur ces sujets sont présentement organisées par les branches du PCC(M-L) partout au pays à l'occasion de Canada 150. Pour de plus amples informations ou pour vous joindre au travail, faites parvenir un courriel à bureau@cpcml.ca.

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Présentations

Les choses et les phénomènes se révèlent

Cette conférence se tient à l'occasion du 180e anniversaire des rébellions de 1837-1838 dans le Haut-Canada et le Bas-Canada ainsi que dans le contexte des célébrations organisées par le gouvernement du Canada pour le 150e anniversaire de la création de la Confédération par proclamation royale en 1867. Il est intéressant de voir que le Canada accorde des millions de dollars aux organisations, groupes communautaires et individus qui veulent organiser des célébrations mais seulement en autant qu'ils n'abordent pas deux sujets en particulier : la Constitution et l'histoire.

Nous ne venons pas à cette conférence en tant qu'historiens, ce que nous ne prétendons pas être, bien qu'il y ait des historiens parmi nous. Cela ne veut pas dire cependant que nous n'avons pas notre propre historiographie. Nous avons notre historiographie et elle est partisane. Nous regardons l'histoire à partir du présent, nous allons dans le passé pour pouvoir mieux préparer un avenir pour tous. En partant du présent, en partant de ce qui se révèle en ce moment et de ce que le présent demande, nous retournons dans le passé seulement pour enrichir la révélation du présent et pour être mieux en mesure de nous attaquer au présent.

Tout le monde est invité à contribuer à cette discussion mais soyons clairs sur une chose. Le but de la discussion n'est pas de donner une autre interprétation de telle ou telle notion, telle ou telle période de la préhistoire de la société humaine. Le but de la discussion est de contribuer au développement de la théorie politique moderne, surtout la théorie politique moderne qui est basée sur notre propre pensée, celle que nous créons nous-mêmes.

À cet égard, nous entendons souvent dire que l'histoire a un préjugé de genre ou de race, qu'elle établit une supériorité culturelle ou qu'il y a l'histoire noire, l'histoire autochtone, etc. À l'occasion du 150e anniversaire du Canada il y a une autre interprétation qui vient sous la rubrique « L'autre 150 ».

En ce qui concerne le préjugé de genre, il est vrai que les femmes et les hommes jouent un rôle différent dans toutes les sociétés, dans les sociétés de classes comme dans les sociétés sans classes. Cela vient du fait qu'ils jouent des rôles objectivement différents dans la production et la reproduction de la vie. Par contre, le rapport entre les hommes et les femmes, les rôles qu'ils jouent dans la vie sociale, n'ont pas d'incidence sur la théorie politique en place. Ces rapports sont le produit d'autre chose. La politique est l'expression concentrée de l'économie mais la théorie politique, si elle veut être fidèle à elle-même, ne se préoccupe pas de la différence des rôles entre hommes et femmes. On peut dire que la théorie politique est aveugle au genre. Elle est aussi aveugle à la couleur de la peau et aveugle à l'origine ethnique, à la langue, à la religion, à la richesse et aux capacités. La théorie politique fait partie de la superstructure d'une base économique donnée. Avant l'avènement de la société de classes, le processus de production était social et l'expropriation de la production était sociale également. Cette base économique est par la suite niée et s'ensuit la société de classes. La théorie politique est liée à la forme du processus de production et à la forme de la propriété des moyens de production.

L'oppression des femmes commence avec l'avènement de la société de classes, en même temps que l'exploitation de l'être humain par l'être humain. Parmi les exploités il y a des hommes et des femmes, bien que l'exploitation des femmes soit pire puisqu'elles subissent aussi la discrimination du fait qu'elles sont femmes. La théorie politique ne reconnaît que les rapports que les êtres humains établissent entre eux, lesquels rapports déterminent le caractère de la société à chaque période donnée.

On dit souvent que l'histoire est écrite par les vainqueurs, et c'est vrai. Beaucoup de facteurs ont contribué à l'interprétation des différents événements historiques, y compris le préjugé et le parti pris, même les nôtres. Mais le préjugé et le parti-pris ne sont pas la même chose. On peut comprendre les préjugés des différentes interprétations si l'on s'interroge sur le but visé. Par contre le parti-pris, c'est la fidélité à une cause, en faveur de ceux qui veulent investir le peuple du pouvoir souverain afin de pouvoir ouvrir la voie au progrès de la société. Ça c'est un parti pris envers une cause précise.

Par exemple, les Britanniques voyaient les choses par le prisme de leur pouvoir d'État et de leur objectif, qui était de maintenir ce pouvoir. Ils ont déclaré qu'au Canada il y avait deux factions en guerre l'une contre l'autre, deux supposées « races », les Anglais et le Français, et que les institutions britanniques favorisaient l'unité des factions en guerre. À ce jour, la politique basée sur l'identité vise une seule et même chose : diviser le peuple et l'empêcher d'acquérir une conception du monde qui lui sert à s'orienter et à intervenir de manière à résoudre les crises dans ses intérêts.

On ne peut pas parler des événements de 1837-1838 sans parler du pouvoir d'État, et lorsque nous parlons du pouvoir d'État, nous devons reconnaître que l'État sert à priver le peuple d'une conception du monde. C'est ce qu'ont fait les Britanniques lorsqu'ils ont supprimé la nation naissante du Québec en 1837-1838, surtout avec l'Acte d'Union adopté par le parlement britannique en 1840 et proclamé au Canada en 1841. L'Acte d'Union a donné une importante partie du territoire et de la population du Bas-Canada au Haut-Canada et leur a accordé tous deux une représentation égale à l'Assemblée législative du Canada uni. (Le Bas-Canada avait une population de 650 000 habitants et le Haut-Canada seulement 400 000.) Il fusionnait aussi leur dette, de sorte que le Bas-Canada, qui avait une dette d'à peine 370 000$, devait maintenant accepter la moitié de l'énorme dette de 5 millions $ que le Haut-Canada venait de contracter dans son projet d'empire. C'est ainsi qu'ils ont créé un « équilibre » entre deux soi-disant factions en guerre. Cet « équilibre » n'a pas créé l'harmonie, puisqu'il n'y avait aucune équivalence malgré la redistribution brutale du territoire, de la population et de la dette. L'Assemblée a été paralysée en conséquence et c'est ce qui a mené à la proclamation royale de 1867. L'important à retenir est que le pouvoir d'État privait ainsi le peuple d'une perspective favorable et ce blocage est demeuré depuis. Les efforts d'organisation du peuple continuent d'être sapés par les institutions dites démocratiques qui sont issues de cet arrangement.

L'assemblée des Six Comtés les 23 et 24 octobre 1837 a réuni quelques 6000 patriotes à Saint-Charles, dans le Bas-Canada, en défi à la proclamation interdisant les
assemblées publiques.

Le blocage qui empêche de reconnaître et de défendre les intérêts généraux, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux, affecte tout le peuple et l'ensemble des collectifs et touche à toutes les sphères d'activité. Cela comprend tous les rapports entre les humains. Non seulement les rapports mais aussi les règles régissant ces rapports et donc toutes les questions relatives à la guerre et à la paix, à la pauvreté, à l'environnement, etc.

Il est important de reconnaître que selon la bourgeoisie, les institutions qui ont vu le jour aux XIXe et XXe siècles n'ont pas besoin d'être renouvelées pour affirmer les droits aujourd'hui. Elle ne voit pas la nécessité de créer de nouvelles formes parce que le contenu qu'elle défend, les droits basés sur le privilège, demeure le même. En 1837-1838, les Britanniques ont réprimée la forme républicaine préconisée par les Patriotes du Bas-Canada qui était révolutionnaire à l'époque pour s'assurer que le contenu républicain ne voit pas le jour. La leçon que nous tirons de ces événements est que sans défendre la forme révolutionnaire, on ne peut pas défendre le contenu révolutionnaire. Cela touche au coeur du problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui.

Lénine, le grand dirigeant de la classe ouvrière de Russie, a expliqué l'existence d'une lutte entre le contenu et la forme et souligné que le rejet de la forme mène au remaniement du contenu. La république naissante de la nation du Québec a été écrasée par les Britanniques et leurs pouvoirs de police ont établi ce qu'on appelle les institutions et traditions démocratiques du Canada. Il est impossible de concevoir que ces mêmes institutions et leurs fondements idéologiques puissent servir à résoudre les problèmes d'aujourd'hui.

Les choses et les phénomènes se révèlent. Que révèlent les choses et les phénomènes sur la scène politique aujourd'hui ? N'indiquent-ils pas un besoin de moderniser la théorie politique ? Cette modernisation ne se fait pas en regardant le passé. Le travail commence par le présent. La discussion doit concentrer sur ce que révèle la situation présente et examiner le passé sous cet angle. En commençant par le présent, c'est-à-dire en commençant par ce que le présent révèle et exige, nous regardons le passé seulement pour enrichir la révélation du présent et pour être mieux en mesure de nous attaquer à la situation actuelle. L'ensemble de toutes les révélations donnera un aperçu de ce qu'une chose ou un phénomène révèle dans les conditions et circonstances données. C'est pour cela que la conscience humaine est relative. La connaissance, pour être utile à l'être humain, doit comprendre toutes les choses et tous les phénomènes que le monde révèle. Elle doit être basée sur l'expérience de tout ce qui existe en ce moment.

La tâche à laquelle nous sommes confrontés, la tâche de moderniser la théorie politique canadienne et québécoise, n'est pas une tâche universelle ; elle appartient aux Québécois et aux Canadiens qui sont engagés dans la lutte pour créer une société moderne sans exploitation de l'être humain par l'être humain et s'unir à tous ceux et celles qui font de même ailleurs dans le monde. Partout dans le monde les peuples y contribuent en développant leur propre philosophie et théorie politique, suivant leurs conditions. En dernière analyse, il y a une seule théorie, c'est la théorie du matérialisme dialectique et historique. Si tous s'attaquent à leur situation sur cette base, ils mettront à profit l'énergie colossale inhérente à cette théorie pour la modernisation de leur société et leur propre modernisation en tant que peuples et êtres humains. Nous ferons nous aussi notre contribution à cette théorie.

Nous désirons exprimer notre confiance dans notre succès parce que nous avons une riche histoire qui est basée d'abord sur la vie et sur les luttes à finir des peuples autochtones pour vivre en harmonie avec la nature et résoudre les problèmes des rapports entre humains. La Confédération iroquoise s'est guidée sur la Grande Loi de la Paix et les autres nations autochtones avaient des guides semblables avant la Conquête. Nous avons les luttes des premiers voyageurs, des colons et des métis, lorsque les lois coloniales définissaient les règles et les actes de génocide et que les droits étaient définis suivant les définitions coloniales. Et nous avons toutes les manifestations des luttes du peuple pour s'investir du pouvoir de décider pendant 500 années de contact européen.

Ajoutons à cette histoire le fait que nous-mêmes sommes les filles et les fils et les représentants d'une classe ouvrière et d'un peuple instruits et combattants, doués d'un profond sens de justice, de démocratie, de paix et de liberté. Avec tous ces éléments en notre faveur, nous allons certainement réussir !

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Le besoin d'institutions modernes basées sur la défense des droits de tous et toutes

Introduction

On mentionne souvent cette idée que Karl Marx a empruntée de Hegel selon laquelle tous les événements et personnages historiques se répètent deux fois. Marx précisait : « La première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » 

Au Québec la farce de la division du peuple sur une base linguistique et ethnoculturelle a assez duré ! La tragédie de l'Acte d'Union de 1841 basé sur les conclusions du rapport Durham qui divisait le peuple entre « canadien-français » et « canadien-anglais » se répète et prend différentes formes.

Tragédie ou farce, la crise existentielle qui subit le Canada est insurmontable tant que nous gardons la forme de l'État anglo-canadien aujourd'hui sous la mainmise des oligopoles au service de l'impérialisme américain. La cause de cette crise est que les gouvernants britanniques qui ont fondé le Canada par une proclamation royale en 1867 ont investi la Couronne de la souveraineté et le peuple depuis ce temps-là n'a jamais été capable de s'investir lui-même du pouvoir souverain. Aujourd'hui la souveraineté demeure entre les mains de la Couronne, à la disposition de grands oligopoles, y compris de leurs forces et services privés de sécurité et du renseignement. C'est la même chose pour la nation du Québec que les Britanniques ont supprimée par la force comme condition pour imposer ce qu'ils appellent leurs institutions démocratiques. Cet État anglo-canadien est aujourd'hui l'expression de la vieille politique pourrie de diviser le peuple pour le maintenir à l'écart du pouvoir souverain. Il empêche l'édification d'un État moderne et souverain basé sur la reconnaissance des droits. Il faut en finir avec l'historiographie qui divise le peuple et maintient le statu quo qui nous plonge dans des crises de plus en plus profondes, y inclus le danger de guerre mondiale.


Carte des frontières du Haut-Canada et du Bas-Canada en 1840

Aujourd'hui alors que nous célébrons le 180e anniversaires des rébellions dans le Haut-Canada et le Bas-Canada, le renouvellement des institutions et du processus politique est bloqué peu importe quel parti politique est au pouvoir. Du « fédéralisme d'ouverture » au fédéralisme de coopération, de la profession de foi libérale à la défense du multiculturalisme à l'adoption par la Chambre des communes d'une motion professant une nation ethnoculturelle du Québec ainsi que les notions de « l'autre 150 » qui pleure pour avoir des valeurs « canadiennes françaises » plutôt que des valeurs « canadiennes anglaises ». (Cette notion de « L'autre 150 » laisse entendre que les Canadiens ont peut-être raison de célébrer, « mais pas nous ». Autrement dit, pas de problème avec la constitution canadienne et la couronne, sauf que le Québec en veut une pareille, sinon une pareille à celle de la France en crise !)

Depuis la prétention des conservateurs avant ce gouvernement Trudeau de vouloir « en finir avec les vieilles querelles constitutionnelles » à la prétention de Justin Trudeau que le problème n'existe pas alors que son gouvernement insiste par contre pour que le Canada soit intervenant dans la poursuite en justice contre la loi 99 de l'Assemblée nationale, qui déclare que seul le Québec peut décider de la question à poser dans un référendum jusqu'à, finalement, la renonciation de la promesse de Trudeau de réformer le système électoral, le blocage se poursuit. Il est clair que l'État anglo-canadien et ses représentants ne veulent pas d'une constitution qui reconnaisse le droit du Québec à l'autodétermination et qui redéfinisse le partage des pouvoirs et les droits de tous sur une base moderne.

Cette subversion et ce blocage comprennent aussi l'adoption d'une politique d'intégration des immigrants qui viole le droit de conscience en imposant un serment d'allégeance aux « valeurs » qu'elles soient «canadiennes » ou « québécoises ». Cette politique ne fut pas introduite au Québec par un gouvernement dit nationaliste ou xénophobe mais par le gouvernement libéral de Jean Charest. Sa réponse au rapport de la Commission Bouchard-Taylor fut de reprendre le slogan des accommodements raisonnables des bâtisseurs d'empire à l'époque de la conquête, puis à l'époque de la Rébellion et tout au long de la création des institutions dites démocratiques au Québec. Le contenu de cette politique a toujours été les accommodements de tous les éléments qui s'opposent à la prise du pouvoir par le peuple. Voilà l'histoire des institutions démocratiques du Québec qui expriment le blocage qui refuse de répondre aux besoins réels de la société sur la base d'une définition moderne des droits. Une telle politique ne peut développer l'unité fraternelle du peuple, qui est une condition nécessaire au progrès de la société.

Cette subversion a son écho chez les partis politiques au pouvoir et dans l'opposition au Québec qui font de la langue, des « accommodements raisonnables », de la « diversité ethnoculturelle » et des « valeurs québécoises » des sujets de débat perpétuel et passionnel pendant que le peuple est dépourvu des moyens d'aborder ces problèmes et de leur trouver une solution sur une base moderne. Ainsi, les questions de la langue et des valeurs sont tout ce qu'ils ont à offrir. Au nom d'une crise identitaire, tout est offert sauf un projet d'édification nationale à l'image et avec les objectifs de la classe ouvrière, à qui l'histoire a assigné la tâche d'investir le peuple du pouvoir souverain. D'autres forces sont également emportées dans le tourbillon à cause de leur refus de prendre position, leur refus de voir que les partis politiques et le système électoral comme moyen pour le peuple de donner à d'autres un soi-disant mandat de gouverner en son nom sont désuets. Elles s'illusionnent que les partis au pouvoir peuvent ou veulent régler les problèmes sur une base moderne.

Dans le cours de la lutte à la défense des droits de tous, il est important d'analyser comment le contenu et la forme des institutions dites démocratiques qui ont été imposés avec l'écrasement de la Rébellion et de voir la définition des droits des bâtisseurs d'empire que ces institutions défendent.

Au cours de notre enquête, on s'aperçoit qu'au Canada tout est affaire de soi-disant accommodements raisonnables, plus particulièrement tout est affaire d'accommoder la classe ouvrière à ce que la bourgeoisie considère comme raisonnable et de surmonter les différends entre les factions de la classe dominante et ses agences en s'accommodant elles aussi les unes aux autres. Évidemment, aujourd'hui, à cause du néolibéralisme et de l'objectif de rendre les monopoles les plus puissants concurrentiels sur les marchés mondiaux, la crise des accommodements raisonnables sert surtout à blâmer le peuple, à l'accuser de racisme, de xénophobie, de vouloir des solutions d'extrême droite, etc.

En étudiant la question, on s'est aperçu que cette crise était en fait la vieille politique de diviser pour régner dans une nouvelle bouteille mais avec une nouvelle étiquette, celle de se battre pour une identité qui nous est propre.

La politique identitaire fut la politique utilisée par les colonialistes et bâtisseurs d'empire britanniques depuis le XVIIIe siècle pour diviser le peuple, semer la haine et les tensions afin de briser l'unité fraternelle du peuple et ainsi le maintenir à l'écart du pouvoir souverain et de bloquer la résolution du problème de la subjugation des peuples autochtones et de la nation du Québec. Au Québec et au Canada, cette politique a depuis pris différentes formes historiques selon les besoins de l'époque, elle est au coeur de l'histoire canadienne et transpire de tous les actes constitutionnels, de l'Acte de Québec de 1774 à la Charte Canadienne des droits et libertés de 1982 en passant par l'Acte d'Amérique du Nord Britannique de 1867. En plus, c'est précisément la politique réactionnaire à la base du soi-disant bilinguisme et multiculturalisme du gouvernement de Justin Trudeau avec son slogan « unité dans la diversité ».


La modification des frontières après l'Acte de Québec de 1774 et après l'Acte
constitutionnel de 1791

Il est essentiel d'aborder cette histoire comme la science l'exige, et comme le matérialisme historique l'enseigne, c'est-à-dire en tant que développement de la lutte de classe à la lumière du besoin historique d'harmoniser l'intérêt individuel avec l'intérêt collectif dans le contexte des intérêts généraux de la société tels que définis par la classe ouvrière et le peuple eux-mêmes. Une première tâche est de reconnaître que c'est seulement en tant que membres du corps politique que tous sont égaux. Il faut se défaire de cette pratique des démocraties dites représentatives dans lesquelles le seul rôle qu'on accorde aux citoyens est de cocher une boîte sur un bulletin de vote pour remettre leur pouvoir décisionnel à des gens qui gouvernent en leur nom mais qui ne les représentent pas.

Les points saillants de l'histoire constitutionnelle canadienne au cours de laquelle se sont développées et établies les institutions dites démocratiques sont en fait des périodes de haute trahison de la part des élites.

Nous présentons ici un très bref survol de certains faits historiques qui permet de voir le développement des formes qu'a prises la politique de diviser pour régner des colonialistes britanniques au Canada et ensuite de l'Église catholique et de toutes les élites, que ce soit celles qui représentent l'État anglo-canadien ou son homologue au Québec.

La définition des droits après la Conquête

Au lendemain de la victoire contre la France en 1763, les Britanniques se rendirent compte qu'en soi la victoire militaire ne suffisait pas. Notons que la révolution américaine a commencé en 1765, à peine deux ans après l'adoption du Traité de Paris par lequel la France concédait la Nouvelle-France à l'Angleterre. À peine trois mois après la conquête, les soldats de sa Majesté faisaient face aux dangers qui suivaient aux États-Unis - un soulèvement autochtone dirigé par le chef outaouais Pontiac. Les Britanniques se retrouvaient dans une situation où il leur fallait gouverner un territoire récemment conquis alors que la révolte grondait également dans leurs colonies plus au sud. Ils avaient besoin d'une population docile au service de leurs intérêts au Québec et sur le plan mondial dans leur rivalité avec les puissances coloniales européennes.

Les oppresseurs coloniaux adoptèrent une série de mesures qui, plus tard, dans l'empire britannique en Amérique du Nord, allaient être caractérisées comme étant la politique britannique des accommodement raisonnables mais qui était au fond la politique coloniale éprouvée du « divide et impera » (diviser pour régner).

Après avoir joué un rôle de premier plan dans la conquête militaire de la Nouvelle-France, notamment sous les ordres de James Wolf, James Murray fut le premier gouverneur de la Province de Québec après l'administration militaire qui dura jusqu'en 1664. Murray comprit que la couronne britannique devait rechercher l'appui de certains seigneurs français et du clergé catholique pour pacifier le reste de la population. Bien que les conditions de la colonie en exigeassent la suppression, sa majesté imposa le « serment du teste ». Le « serment du teste » existait en Angleterre depuis la période de la reine Élisabeth et visait essentiellement l'exclusion des catholiques romains de toutes charges administratives et judiciaires. En échange du privilège d'accéder à certaines fonctions, on devait renier l'autorité du pape ainsi que certains dogmes romains comme l'Immaculée Conception et la transsubstantiation. Ce n'est que plus tard, face à l'instabilité de la situation coloniale en Amérique du Nord, à l'occasion de la proclamation de l'Acte de Québec de 1774, que sera aboli le « serment du teste ».

Guy Carleton, deuxième gouverneur de la colonie nouvellement britannique, reconnut également la nécessité de se gagner l'appui des élites seigneuriales et cléricales. Il enjoignit qu'on nomme plusieurs d'entre eux au conseil qui servait de gouvernement et que les fils de certains seigneurs soient nommés officiers de l'armée. Pour Carleton, il était nécessaire de prendre ces mesures et d'accommoder les élites francophones, particulièrement le clergé, notamment par l'intégration de cette élite au pouvoir par l'acceptation de la religion catholique, de la langue française, et de certaines coutumes, car, jugeait-il, « aussi longtemps que les Canadiens seront privés de toute position de confiance et de places profitables, ils ne pourront oublier qu'ils ne sont plus sous la domination de leur souverain naturel ».

La préservation de la langue française, de la religion catholique et du droit civil français ainsi que des droits des seigneurs féodaux était également liée au besoin qu'avaient les Britanniques de restructurer l'économie. Beaucoup de capitalistes, marchands et entrepreneurs français retournèrent en France après la conquête. Une grande partie du clergé catholique quitta également, de même que des administrateurs, des juges, etc. Les Britanniques voulaient que les entrepreneurs et propriétaires fonciers qui étaient restés dans les campagnes se constituent en une nouvelle administration. Un clergé catholique bien implanté qui prêchait l'acceptation du statu quo et qui était étroitement lié à l'aristocratie féodale n'était pas sans utilité pour la classe dominante. Ces couches supérieures de la nation du Québec étaient plus qu'heureuses d'accepter l'offre des colonialistes britanniques. C'est ainsi que sont nés les grands « accommodements » entre les élites coloniales britanniques et les élites francophones.

Cette politique prit une forme concrète avec l'Acte de Québec de 1774, sous le règne de Carleton, qui assurait la continuation du clergé catholique, du régime seigneurial, du vieux droit civil français et d'autres coutumes et traditions qui ne posaient pas de menace au pouvoir des conquérants. Cependant, l'Acte de 1774 ne garantissait pas l'établissement d'un gouvernement représentatif ni aucun droit véritable pour le peuple, ce qui allait devenir le cri de ralliement des Patriotes durant la Rébellion de 1837. En échange du droit de préserver leurs coutumes et leur religion, les habitants du Québec devaient prêter le serment d'allégeance à la couronne britannique. Deux colonialistes britanniques, York et Grey, écrivirent, en préparation de cet Acte : « ... les conquérants sages, après s'être assurés de la possession de leur conquête, agissent avec douceur et permettent à leurs sujets conquis de conserver toutes leurs coutumes locales, inoffensives de leur nature. »


Les patriotes dans les tranchées à la bataille de Saint-Charles le 25 novembre 1837

L'Article V de l'Acte de 1774 accorde aux catholiques le droit de pratiquer leur religion et déclare les pleins droits du clergé. L'Article VI fait de même en ce qui concerne la religion protestante et son clergé. L'Article VII déclare qu'en échange, tout habitant du Québec doit faire le serment suivant :

« Je, A.B, promet sincèrement et affirme par serment, que je serai fidèle, et que je porterai vraie foi et fidélité à Sa Majesté le roi Georges... et que je ferai tous mes efforts pour découvrir et donner connaissance à Sa Majesté... de toutes trahisons, perfides conspirations, et de tous attentats, que je pourrai apprendre se tramer contre lui. »

L'Acte de 1791 maintiendra le même serment pour toute personne désirant être élue à l'Assemblée législative nouvellement créée. Très accommodante, sa Majesté autorise que le serment « soit prêté en anglais ou en français suivant le cas ». Aussi, l'Acte de 1791 assure la protection des titres des propriétés seigneuriaux au Bas-Canada et crée ce que l'on appellera les réserves du clergé dans le Haut-Canada. C'est en effet l'Acte de 1791 qui divisera pour la première fois le Canada entre Haut et Bas Canada. L'objectif est d'ouvrir le territoire aux Loyalistes ayant déserté les 13 colonies après la révolution américaine. Mais surtout, l'Acte de 1791 vise à consolider le pouvoir colonial en restructurant l'administration de la colonie. On crée une Assemblée législative élue sans aucun pouvoir réel. On renforce le rôle et le pouvoir du Gouverneur et du Conseil législatif nommé par le gouverneur au détriment de l'Assemblée législative élue dont l'ensemble des lois doit être approuvé par le gouverneur et son conseil.

Ainsi, « la Clique du Château » -- une référence au château Saint-Louis, résidence du gouverneur et siège du gouvernement -- réunira la bourgeoisie marchande anglaise du Bas-Canada et dominera les affaires politiques, judiciaires et commerciales jusqu'aux années 1830, début du mouvement patriote.

Il importe de noter que les Britanniques ne se sont pas sentis obligés d'abolir le français. C'était en effet une des « coutumes inoffensives » qu'ils permirent à la population de conserver. Par exemple, le Conseil législatif avait le droit de tenir ses délibérations en français, bien que les procès-verbaux fussent rédigés en anglais. Les proclamations et les arrêtés étaient rédigés en anglais et en français. Les Britanniques se satisfaisaient parfaitement d'exercer leur pouvoir dans l'une ou l'autre des deux langues, en autant que leurs fins soient servies. Malgré tout, la question de la langue ne fut pas spécifiquement débattue à l'époque. Elle demeura sans solution. Formée sous les soins des colonialistes britanniques, la nouvelle élite dirigeante du Québec devint vite une partie de la famille royale. La question est que lorsqu'il s'agit de profits, la langue et la religion n'ont plus la même importance. Les classes dominantes dans tous les pays du monde parlent le langage de l'argent, de la loi de la jungle et ont foi dans le statu quo. Voilà leur seule langue et leur seule religion véritables.

La définition des droits donnée par la lutte des Patriotes dans leur projet d'édification nationale


Un officier britannique lit l'ordre d'expulsion après la défaite de la rébellion des Patriotes,
ce à quoi les Patriotes répondent le point levé : « Trahison ! »

Encore aujourd'hui, l'establishment et ses historiens suivent la voie tracée par Lord Durham en réduisant la lutte menée par les Patriotes à un conflit interethnique entre francophones et anglophones. Ce sont précisément les institutions de la couronne ne répondant pas aux aspirations du peuple et aux exigences de l'époque que refusèrent les Patriotes.

Voici une citation du fameux Rapport Durham qui déclarait, après l'écrasement sanglant de la rébellion des Patriotes de 1837-38 contre le pouvoir de la couronne britannique dans le Haut-Canada et le Bas-Canada, que c'était une affaire de « races » :

« Je m'attendais à trouver un conflit entre un gouvernement et un peuple ; je trouvai deux nations en guerre au sein d'un même État : je trouvai une lutte, non de principes, mais de races. Je m'en aperçus : il serait vain de vouloir améliorer les lois et les institutions avant que d'avoir réussi à exterminer la haine mortelle qui maintenant divise les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles : Français et Anglais. »

Pourtant, deux choses sautent aux yeux lorsque l'on étudie cette période de l'histoire. Premièrement, il est frappant de voir comment les Patriotes ont su identifier le blocage par les formes sociales de l'époque et avancer un projet d'édification nationale basé sur les idéaux les plus avancés de l'époque et répondant aux problèmes tels qu'ils se posaient alors. Deuxièmement, on remarque qu'aujourd'hui, les formes sociales et les institutions soi-disant démocratiques qui bloquent l'avancement de la société sont celles directement héritées de ces bâtisseurs d'empires qui ont combattu les Patriotes et qui ont construit le Canada en niant la nation québécoise -- et toutes les nations autochtones -- et en attisant le racisme et en semant la division.

Les Patriotes ont su identifier le blocage par les formes sociales de l'époque. Il s'agissait essentiellement de vaincre le colonialisme et d'abolir le système seigneurial pour construire sur ces ruines un État-nation répondant aux aspirations de l'époque. Les Patriotes d'ici, comme partout en Amérique au XIXe siècle, étaient des républicains contre un régime colonial. Cela se voit dans les 92 résolutions de 1834 qui affirmaient entre autres que le but était de créer les arrangements conformes aux intérêts de chaque habitant « sans distinction d'origine ni de croyance ». On le voit également dans toutes les résolutions adoptées lors de la vague d'assemblées publiques de l'été 1837 et dans la Déclaration d'indépendance de la République du Bas-Canada proclamée à l'hiver 1838.

Ainsi, au coeur de cette grande expression de la volonté populaire, les Patriotes proclamèrent « par ordre du gouvernement provisoire » un important manifeste appelé « Déclaration d'indépendance de la République du Bas-Canada ». Ils y énoncèrent les principes et les droits démocratiques propres à une république. L'article 3 appelle à la défense des droits de tous : « 3. Que sous le gouvernement libre du Bas-Canada, tous les individus jouiront des mêmes droits : les sauvages ne seront plus soumis à aucune disqualification civile, mais jouiront des mêmes droits que tous les autres citoyens du Bas-Canada. » L'article 15 proclame que c'est le peuple qui rédigera sa constitution : « Que dans le plus court délai possible, le peuple choisisse des délégués, suivant la présente division du pays en comtés, villes et bourgs, lesquels formeront une convention ou corps législatif pour formuler une constitution suivant les besoins du pays, conforme aux dispositions de cette déclaration, sujette à être modifiée suivant la volonté du peuple. »

Cette lutte n'avait rien d'une lutte interethnique. On le voit dans les symboles patriotes, le drapeau patriote symbolisant l'unité du peuple du Bas-Canada. On le voit aussi dans différentes batailles menées par le parti patriote qui, par exemple, s'était porté à la défense de la pleine reconnaissance des droits civiques de la communauté juive du Bas-Canada. En 1807, Ezekiel Hart, un juif élu dans la circonscription francophone de Trois-Rivières, s'est fait refuser son siège à l'Assemblée législative. Le tout se termina en 1832 par l'adoption d'un projet de loi déposé par John Nielson du parti patriote qui abolissait toute discrimination, en termes de droits civiques, à l'endroit des Juifs.

La haine du peuple du Bas-Canada n'était pas dirigée contre les Canadiens anglophones ni contre le peuple britannique. Au contraire, le peuple du Bas-Canada et le peuple anglais partageaient la même haine contre les impérialistes et les exploiteurs britanniques. Les échanges entre les organisations ouvrières londoniennes et les comités patriotes en témoignent. Après avoir tenu une assemblée de protestation contre les résolutions Russell et avoir soumis à la Chambre des Communes une pétition soutenant les revendications des Canadiens, la London Workingmen's Association fondée par Karl Marx avait envoyé un message au Comité central des Patriotes dans lequel on peut lire : « Puissiez-vous voir le soleil de l'indépendance luire sur vos cités croissantes, sur vos foyers joyeux, vos épaisses forêts et vos lacs glacés ! » La réponse du Comité central des Patriotes affirme pour sa part : « Nous n'avons aucune querelle avec le peuple d'Angleterre. Nous faisons la guerre uniquement aux agressions d'oppresseurs tyranniques qui vous oppriment aussi bien que nous. »

Il est même tout à fait anachronique de parler de lutte entre Canadiens-français et Canadiens-anglais, puisqu'à l'époque, tous étaient Canadiens tout court ! Un porte-parole patriote s'expliquait ainsi lors de sa parution devant un comité de la Chambre des Communes : « Dans les documents écrits, tous sont appelés Canadiens qui sont du côté du Canada, et tous sont appelés non Canadiens qui sont contre le peuple canadien. » Encore une fois, la division entre Canadiens-français et Canadiens-anglais est une invention des colonialistes exploiteurs et sert leur politique de diviser pour régner.

Malgré ces évidences, on continue de colporter, avec Lord Durham, que 1837-38 était une lutte des francophones contre les anglophones. Ces calomnies perpétuent la politique de diviser pour régner des bâtisseurs d'empire du XIXe siècle et servent à occulter le coeur du problème. Comme aujourd'hui, le coeur du problème était les institutions dites démocratiques désuètes et le blocage par les formes sociales. Plutôt que de répondre aux exigences de l'époque et de renouveler ces institutions, les colonialistes se sont accrochés au statu quo en réprimant dans le sang la révolte de 1837-38. La Rébellion fut écrasée par la force des armes, avec la suspension des libertés civiles, des arrestations massives, l'incendie de demeures, la pendaison de 12 patriotes et l'exil forcé de 64 autres. Plus de 1 700 personnes furent jetées en prison. Rien qu'à Montréal, 816 personnes furent arrêtées en 1838, sur une population de 30 000 personnes. Par rapport à la population de Montréal aujourd'hui, ce serait l'équivalent de 40 000 personnes. De ce nombre, 108 furent traduits en cour martiale. C'est sans compter les centaines qui durent fuir aux États-Unis pour éviter la persécution, y compris dix accusés de « meurtre » qui faisaient face à la peine de mort s'ils revenaient au pays. Et tout cela sans parler des villages de la vallée du Richelieu qui ont été rasés, complètement brûlés. Ces événements marquèrent la suppression de la nation naissante du Québec dont l'existence continue d'être niée jusqu'à ce jour en la privant de son droit à l'autodétermination en tant qu'entité légale indépendante, libre de former une union avec le reste du Canada si tel est son propre désir.

Les définitions des droits dans l'Acte d'Union de 1840

La réponse aux aspirations démocratiques des peuples du Haut-Canada et du Bas-Canada en 1837-38, après leur répression militaire et la pendaison des patriotes qui ont refusé de s'accommoder aux institutions britanniques, fut l'envoi du Lord Durham pour étudier la situation et faire ses recommandations à Londres. On a fait de Durham un symbole de la volonté d'assimiler les francophones. L'ensemble de son rapport est effectivement rempli de passages haineux à l'égard des habitants du Bas-Canada parlant français. Mais l'esprit du rapport traduit plutôt un profond chauvinisme et un mépris désolant pour tout ce qui n'est pas britannique au service des intérêts fonciers et commerciaux britanniques. Au-delà de ce racisme patent, il y a une volonté de faire de la jeune nation une colonie véritablement britannique, de langue anglaise certes, mais de culture britannique surtout, afin d'en assurer la stabilité pour leurs intérêts financiers.

Le passage suivant met en lumière les véritables motivations de la politique de Durham qui n'est pas tant une question de faire disparaître une langue, mais bien une affaire de domination et de maintien du pouvoir colonial :

« En vérité, je serais étonné si, dans les circonstances, les plus réfléchis des Canadiens français entretenaient à présent l'espoir de conserver leur nationalité. Quelques efforts qu'ils fassent, il est évident que l'assimilation aux usages anglais a déjà commencé. La langue anglaise gagne du terrain comme la langue des riches et de ceux qui distribuent les emplois aux travailleurs. [...] Il s'écoulera beaucoup de temps, bien entendu, avant que le changement de langage s'étende à tout le peuple. [...] Mais je répète qu'il faudrait commencer par changer tout de suite le caractère de la province, et poursuivre cette fin avec vigueur, mais non sans prudence que le premier objectif du plan quelconque qui sera adopté pour le gouvernement futur du Bas-Canada devrait être d'en faire une province anglaise ; et à cet effet que la suprématie ne soit jamais placée dans d'autres mains que celles des Anglais. [...] Dans l'état où j'ai décrit la mentalité de la population canadienne-française, non seulement comme elle est aujourd'hui, mais pour longtemps à venir, ce ne serait de fait que faciliter un soulèvement que de lui confier toute autorité dans la province. Le Bas-Canada, maintenant et toujours, doit être gouverné par la population anglaise. Ainsi, la politique que les exigences de l'heure nous obligent à appliquer est d'accord avec celle que suggère une perspective du progrès éventuel et durable de la province. »

Aussi clairement que cela : pour assurer le « progrès éventuel et durable de la province » il faut empêcher que soit « confiée toute autorité dans la province » à sa « population ».

C'est dans cet esprit, et selon les recommandations de Durham, que fut adopté l'Acte d'Union de 1840 à l'occasion duquel on donna une partie du territoire du Québec à l'Ontario et une partie de la dette de l'Ontario au Québec ! C'est chez Lord Durham et dans l'Acte d'Union que l'on trouve les germes de la division du peuple sur une base ethnoculturelle.

L'évolution de la définition des droits dans la période 1840-1867

La période 1841-1867 est très intéressante : on nous la présente comme étant une période de grande victoire pour la démocratie au Canada, c'est effectivement une période très importante d'implantation des institutions que l'on dit démocratiques, mais en même temps, c'est en fait une période de haute trahison et de capitulation. Tous les hauts faits de l'implantation de ce qu'on présente comme étant la démocratie canadienne sont en fait des hauts faits de la trahison nationale de la part des élites du Québec. C'est pour cela que les institutions dites démocratiques sont des accommodements raisonnables qu'on a institués sur la base de la négation du Québec.

Durant cette période, l'idée du « bon sujet » était mise de l'avant par les élites accommodées. Le bon sujet est celui qui est en marge de la conduite des affaires politiques, celui qui s'en remet à la monarchie pour se faire guider et s'accommode des institutions dites démocratique de l'Empire.

Toute cette idée de bon sujet est mise de l'avant par Papineau lors du débat sur le rappel de l'Union en 1849. Ce dernier clame que les canadiens-français sont tranquilles et loyaux à la couronne et que sur cette base l'Union est un désaveu envers les libertés des francophones. Cette idée est reprise plus tard par George-Étienne Cartier qui d'une part, défend le huis clos des conférences sur le projet de Confédération et d'autre part estime que le bon sujet s'en remet à la volonté des parlementaires. Les « Canadiens-français » sont des bons sujets selon Cartier puisqu'ils ont permis de développer les institutions britanniques en Amérique.

Parmi ces élites accommodées, le représentant le plus illustre est sans doute Louis-Hippolyte Lafontaine. Anobli en 1854 pour ses bons services envers la couronne, ce dernier à été l'un des plus grands capitulards et le principal promoteur de la conciliation avec l'Union de 1840. Lafontaine y voyait même une opportunité, « un beau risque » dira-t-on beaucoup plus tard...

Dans une adresse du 25 août 1840, au lendemain même de l'Union, c'est en ces termes qu'il en parlait aux électeurs de son comté : « Elle [l'Union] est un acte d'injustice et de despotisme, en ce qu'elle nous est imposée sans notre consentement [...]. S'ensuit-il que les Représentants du Bas-Canada doivent s'engager d'avance, et sans garanties, à demander le rappel de l'union ? Non, ils ne doivent pas le faire. »

Dans le même discours, Lafontaine se rallie aux institutions politiques des bâtisseurs d'empire en prenant soin de souligner la justesse de la solution Durham. Lafontaine rejetait « l'opposition à outrance ». Il disait qu'il valait mieux faire des compromis et accepter de jouer le jeu pour participer au pouvoir. Bref, concilier et abandonner le projet d'édification nationale en échange de miettes d'influences. C'est ainsi qu'en 1842, Lafontaine acceptait de participer au gouvernement et à l'administration de la colonie de sa majesté. Il déclarait fièrement : « Oui sans notre coopération active, sans notre participation au pouvoir, le gouvernement ne peut fonctionner de manière à rétablir la paix et la confiance qui sont essentielles au succès de toute administration. »

En 1849, alors qu'il s'opposait à l'abrogation de l'Union de 1840, il vantait les mérites de sa politique de conciliation et de sa participation au pouvoir colonial : « Mais si vous et moi, M. l'orateur n'avions pas accepté la part qui nous fut faite en 1842, dans l'administration des affaires du pays, où en serait aujourd'hui nos compatriotes ? Où en serait notre langue que, contre la foi des traités, un gouverneur avait fait proscrire par une clause de l'acte d'Union ? Cette langue, la langue de nos pères, serait-elle aujourd'hui réhabilitée, comme elle vient de l'être dans la manière la plus solennelle, dans l'enceinte et dans les actes de la Législature ? »

Cette politique de conciliation avec les institutions politiques qui ont pour but de maintenir le peuple à l'écart du pouvoir souverain pèse lourd sur le Québec encore aujourd'hui.

Conclusion


La bataille de Saint-Charles le 25 novembre 1837 (tableau de Lord Charles Beauclerk)

La Rébellion de 1837-1838 est un événement important dans l'histoire du Québec et du Canada et il faut en saisir la signification pour comprendre la situation aujourd'hui et ne pas se laisser détourner par le chantage des forces de l'establishment selon qui la souveraineté du Québec équivaut à « la destruction du Canada ». Au contraire, l'établissement de l'État moderne du Québec sur sa propre base demeure nécessaire pour résoudre la crise constitutionnelle en faveur du peuple en mettant fin à l'emprise des institutions établies issues de la répression du projet d'édification nationale des patriotes de 1837-1838. Ce sont les institutions dites démocratiques basées sur les « accommodements raisonnables », les arrangements que les oligarques britanniques ont jugés « raisonnables » pour renforcer la domination coloniale britannique établie après la défaite de la France sur les plaines d'Abraham en 1759 et après que le Québec soit passé de colonie française à colonie anglaise. Le pouvoir britannique a divisé le peuple sur une base ethnoculturelle et enchâssé cette division dans l'Acte d'Union de 1840.

Depuis, la stratégie de diviser pour régner a servi, d'abord à l'État britannique et maintenant à l'État canadien, à imposer le diktat des élites dominantes au peuple du Québec et au peuple du Canada. Il est clair qu'après la Rébellion de 1837-1838, tous les patriotes qui refusaient de se concilier avec ces soi-disant accommodements raisonnables ont été soit pendus, soit exilés et que les institutions démocratiques actuelles du soi-disant gouvernement responsable, sorties de l'infâme Acte d'Union , ont comme but d'écarter le peuple de tout arrangement de partage du pouvoir. La situation actuelle montre que la cause pour laquelle les patriotes ont combattu en 1837-1838 appelle aujourd'hui la classe ouvrière à se constituer en la nation et à investir le peuple du pouvoir souverain de décider de ses affaires politiques, économiques, sociales et culturelles et de celles de la nation.

C'est d'autant plus urgent à l'heure où les gouvernements du Québec et du Canada intensifient la braderie des ressources naturelles et humaines, cherchent à établir de nouveaux arrangements qui facilitent l'annexion politique, économique et militaire du Canada et du Québec aux États-Unis des monopoles d'Amérique du Nord et restructurent l'État au service des monopoles les plus puissants dans le cadre du projet d'empire américain. Plus ils refusent de partager le pouvoir, plus ils parlent d'« accommodements raisonnables ».

Le résultat de ces politiques de destruction de la nation est que les élites dominantes ont plongé le Québec et le Canada dans une crise politique et constitutionnelle sans précédent. Leur refus d'ouvrir la voie au progrès de la société se voit dans leurs tentatives croissantes d'imposer la politique de division en fonction de la langue, de l'origine nationale, de la culture, des croyances, de la couleur de la peau, du sexe et autres considérations. Nous assistons quotidiennement aux querelles de factions qui rivalisent pour savoir qui est le meilleur représentant des valeurs du Québec, qui réduisent l'identité du peuple québécois à l'aspect linguistique et divisent le corps politique en fonction de l'appartenance ethnoculturelle pour arriver à imposer un nouvel « accommodement raisonnable » pour continuer de nier au peuple son droit d'être et son droit de décider des arrangements dont il a besoin pour s'épanouir.

Devant ces assauts contre la conscience, les travailleurs et le peuple du Québec ont un choix à faire : ou bien continuer sur la voie tracée par les colonialistes britanniques il y a deux cents ans avec la politique consciente et meurtrière de diviser pour régner perpétuée par les élites au nom de « l'unité dans la diversité », ou bien trouver les moyens de mettre fin à cette situation et de bâtir l'unité fraternelle des peuples sur la base de la reconnaissance et de la défense des droits de tous. Seule la classe ouvrière peut parvenir à résoudre cette question par la voie du renouveau et du progrès contre la subversion et le blocage du renouvellement des institutions promu par les cercles dominants.

L'incitation aux passions sur la question de la langue, des différences ethnoculturelles et des valeurs ne vise pas le renouveau démocratique, elle fait partie de la vieille stratégie britannique de diviser pour régner, qui est à la base des institutions dites démocratiques qui privent toujours le peuple de son droit de se gouverner. Alors la tâche de la classe ouvrière et du peuple du Québec et du Canada est de briser toute tentative de prétendu « consensus social » pour diviser le peuple sur des bases racistes. Le renouveau démocratique est la solution à ce problème qui dure depuis deux cents ans, la subjugation de la nation du Québec par les institutions dites démocratiques qui privent le peuple du pouvoir souverain.

Au sujet de Joseph Montferrand


Sculpture de Jos Montferrand à Mattawa

Le Collectif Jos Montferrand, basé en Outaouais, prend son nom de Joseph Montferrand (1802-1864) qui a travaillé comme draveur et bûcheron dans le Haut-Canada et le Bas-Canada, surtout dans la vallée de l'Outaouais. Aussi appelé Joe Mufferaw, il est considéré comme un héros des travailleurs par sa force et son courage légendaires, surtout en opposition au traitement brutal des travailleurs canadiens par les employeurs britanniques. Ses exploits ont lieu en grande partie durant la période précédant la Rébellion de 1837-1838, durant ces années de protestations où l'insurrection grondait. Selon les récits que les gens en ont fait, il est devenu célèbre à l'âge de 16 ans, en 1818, alors qu,il mesurait déjà six pieds quatre pouces. À l'époque, la marine britannique organisait des tournois de boxe sur ses navires de guerre dans différents coins du monde et déclarait un « champion mondial de la boxe». Au Canada, les soldats sur les navires britanniques dans le port de Montréal raillaient et provoquaient la foule de Canadiens rassemblés, ridiculisaient leur impuissance devant leur «Champion mondial de la boxe». Cette année-là, le jeune Jos Montferrand releva le défi. Il monta sur le ring et jeta au tapis le « champion du monde » d'un seul coup de poing. Jos fut déclaré « champion du monde » à son tour, avec une bourse en prix, mais il refusa le titre et donna l'argent aux pauvres gens dans le besoin. Il est immortalisé entre autres dans les chansons Johnny Monfarleau de La Bolduc, Jos Montferrand de Gilles Vigneault et Big Joe Mufferaw de Stompin' Tom Connors.

(Les illustrations sont tirées de L'esprit révoluitonnaire dans l'art québécois, Robert-Lionel Séguin, 1972.)

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