Le Marxiste-Léniniste

Numéro 108 - 10 août 2016

Les jugements au sujet des oléoducs Northern Gateway et
Trans Mountain

À qui doit appartenir la souveraineté
dans une nation moderne?

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Rassemblement devant l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique lors de
la Journée d'action contre les oléoducs, 7 octobre 2013. (J. Castro)

Les jugements au sujet des oléoducs Northern Gateway et Trans Mountain
À qui doit appartenir la souveraineté dans une nation moderne?
- Peggy Morton

La Cour confirme le droit de monopole et nie l'intérêt public - Peggy Askin

À titre d'information
La Cour fédérale renverse l'approbation de l'oléoduc Northern Gateway
Les «consultations approfondies» du gouvernement fédéral sur
l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain



Les jugements au sujet de Northern Gateway et Trans Mountain

À qui doit appartenir la souveraineté dans une nation moderne?

Le 23 juin 2016, la Cour d'appel fédérale a annnulé l'approbation de l'oléoduc Northern Gateway dans un jugement sur la contestation judiciaire des nations autochtones de l'autorisation fédérale accordée en juin 2014. Toutefois, la décision majoritaire de la Cour sur l'obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones ne laisse aucun doute que les arrangements constitutionnelles actuels violent le principe des relations de nation à nation. Dans ce jugement, la Cour affirme que la souveraineté est exercée par la Couronne et la Couronne, en affirmant sa souveraineté sur les nations autochtones, nie leur souveraineté et les prive de leurs droits.

La Cour a conclu que le critère d'examen approprié était celui du caractère raisonnable. Le ministère public doit s'engager dans un véritable processus de consultation avec les peuples autochtones. Les deux parties doivent agir de bonne foi et être raisonnables, à déclaré la Cour.

« Les deux parties sont tenues de faire preuve de bonne foi dans le processus de consultation », lit-on dans le jugement. De plus, la Cour affirme : « Par ailleurs, les demandeurs autochtones ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne doivent pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d'agir dans des cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s'entendre : Nation haïda , au paragraphe 42. » [1]

La Couronne représentée par le gouverneur en conseil (le Cabinet) possède de vastes pouvoirs discrétionnaires pour décider ce qui est dans l'intérêt national et affirmer son droit souverain de le faire. Littéralement, le Cabinet peut déclarer tout ce qu'il veut comme étant d'intérêt national. Le consentement des nations autochtones n'est pas nécessaire, car elles ne sont pas considérées comme souveraines, et lorsque l'accord est conclu, elles doivent se soumettre à la décision prise par la Couronne, le Cabinet souverain. Les gouvernés, les nations autochtones et les Canadiens, sont privés de leur souveraineté et de leur droit de décider. Ceux qui ne se soumettent pas à la souveraineté de la Couronne représentée par le gouverneur en conseil et, au contraire, décident d'affirmer leur droit souverain de décider sont alors diffamés comme étant « déraisonnables » et ne partageant pas les valeurs canadiennes définies par la Couronne et le Cabinet.

Le pouvoir absolu au nom de l'« unification des divers intérêts »

La Cour d'appel fédérale cite des références pour faire valoir que le pouvoir du Cabinet est un moyen d'unifier les divers intérêts au Canada et de satisfaire ces intérêts.

« Dans l'arrêt Odynsky, [2] la Cour a décrit comme suit la nature pratique du gouverneur en conseil (au paragraphe 77) : Selon le paragraphe 35(1) de la Loi d'interprétation , L.R.C., ch. I-23, le gouverneur en conseil est le ' gouverneur général du Canada agissant sur l'avis ou sur l'avis et avec le consentement du Conseil privé de la Reine pour le Canada ou conjointement avec celui-ci. Voir également la Loi constitutionnelle de 1867, articles 11 et 13. Tous les ministres fédéraux, et non seulement le ministre de la Citoyenneté sont membres en exercice du Conseil privé de la Reine pour le Canada'. Ils siègent au sein d'un organisme connu sous le nom de Cabinet. Le Cabinet est ' dans une mesure hors du commun, l'organe supérieur de coordination des intérêts provinciaux, régionaux, religieux, raciaux et autres propres à l'ensemble de la nation' et par convention, cet organisme tente d'assurer la représentation des divers groupes géographiques, linguistiques, religieux et ethniques [...] » [3]

« En l'espèce, en confiant le pouvoir décisionnel au gouverneur en conseil, le législateur a impliqué le pouvoir décisionnel du Cabinet, une entité au sein de laquelle la politique générale de l'État est débattue de multiples points de vue représentant les divers intérêts des groupes qui composent le gouvernement. Et en définissant de façon large ce qui peut être inséré dans le rapport sur lequel le gouverneur en conseil se fondera pour prendre sa décision, c'est-à-dire carrément tout ce qui a des conséquences sur l'intérêt public, le législateur est présumé avoir voulu que la décision en cause en l'espèce repose sur le fondement le plus large possible, un fondement qui peut comprendre les considérations d'intérêt public les plus larges possible. »

Décrire le Cabinet comme « une entité au sein de laquelle la politique générale de l'État est débattue de multiples points de vue » et qui représente les divers intérêts des groupes qui composent le gouvernement est une conclusion qui convient à ceux qui ne partagent pas les problèmes ou les aspirations des autochtones qui tous les jours luttent pour la survie ou ceux de la classe ouvrière, qui résiste à l'offensive néolibérale antisociale et de tous ceux qui organisent et luttent pour défendre les droits de tous.

Dans les « intérêts divers » cités, sont ignorées les classes, les préoccupations de la classe ouvrière et la contradiction constante à laquelle fait face la classe ouvrière dans les rapports sociaux qu'elle entretient avec ceux qui possèdent et contrôlent les forces productives socialisés.

Aujourd'hui, le Parti libéral, le Parti conservateur et les autres partis du système de gouvernance des partis cartellisés définissent l'intérêt public comme étant tout ce qui rend les monopoles plus compétitifs au niveau international. L'autorité publique dans toutes ses institutions, en particulier le gouvernement et le Cabinet, a été directement usurpée par les monopoles privés.

Aucun gouvernement de droit moderne ne peut être qualifié de démocratique s'il ne garantit pas que les citoyens sont en mesure de participer directement aux décisions sur l'orientation de l'économie et toutes les questions qui les concernent. Les gens doivent pouvoir participer directement, pas par l'entremise de représentants de partis politiques qu'ils n'ont pas choisis, pas élus et qu'il ne peuvent tenir responsables. Rien dans le jugement de la Cour d'appel fédérale n'est digne d'une démocratie moderne, digne d'un Canada moderne. La Cour ne fournit pas aux citoyens du Canada, du Québec et aux nations autochtones les moyens d'exercer le contrôle sur leur vie et d'exercer leur droit de décider mais s'appuie au contraire sur une constitution et des règles de droit qui confient l'exercice de la souveraineté à la Couronne et son gouverneur en conseil.

La Cour d'appel confirme une forme de pouvoir arbitraire et absolu d'une Couronne souveraine et de son gouverneur en conseil (Cabinet). Ceux qui ne se soumettent pas au pouvoir souverain du Cabinet peuvent être diffamés, criminalisés et déclarés anti-canadiens parce qu'ils ne partagent pas les valeurs définies par les libéraux et les autres partis cartellisés.

Face à ce pouvoir archaïque et antidémocratique, il faut de nouveaux arrangements constitutionnels pour priver le Cabinet et son gouverneur en conseil de la souveraineté et ainsi :

- investir le peuple du pouvoir souverain ;
- mettre fin à l'injustice coloniale ;
- établir des relations de nation à nation avec les peuples autochtones ;
- reconnaître le droit du Québec à l'autodétermination ; et
- établir des mécanismes d'équilibre dans les rapports sociaux, les rapports de production entre la classe ouvrière et ceux qui possèdent et contrôlent les forces productives socialisées qui reconnaissent et garantissent les droits de la classe ouvrière, notamment le droit fondamental d'éliminer les privilèges de classe par la résolution de la contradiction des rapports sociaux archaïques et la création de rapports de production socialisés modernes en accord avec les forces productives modernes socialisées.

Notes

 1. Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts),  2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.

 2. Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada c. Odynsky , 2010 CAF 307.

 3. Norman Ward, Dawson's « The Government of Canada » 6e éd., Toronto, Presses de l'Université de Toronto, 1987, pages 203 et 204 ; Richard French, « The Privy Council Office : Support for Cabinet Decision Making » dans Richard Schultz, Orest M. Kruhlak et John C. Terry, dir., « The Canadian Political Process », 3e éd., Toronto, Holt Rinehart et Winston of Canada, 1979, aux pages 363 et 394.

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La Cour confirme le droit de monopole et
nie l'intérêt public

Le jugement de 100 pages de la Cour d'appel fédérale renversant l'approbation de l'oléoduc Northern Gateway s'applique à détailler les pouvoirs arbitraires ou discrétionnaires considérables du « gouverneur en conseil », qui est le premier ministre et le Cabinet.

La décision fait référence à l'autorité donnée au « gouverneur en conseil » par le Parlement dans la Loi sur l'Office national de l'énergie . La Loi déclare que « celui-ci [l'intérêt public] englobe les intérêts de tous les Canadiens et Canadiennes et consiste en un équilibre entre les intérêts économiques, environnementaux et sociaux qui change en fonction de l'évolution des valeurs et des préférences de la société ». La Cour commente :

« Mais, en l'espèce (l'approbation de l'oléoduc Northern Gateway), la décision discrétionnaire du gouverneur en conseil était fondée sur des considérations de politique et d'intérêt public très larges appréciés en fonction de critères polycentriques, subjectifs ou vagues et était influencée par ses opinions sur les considérations d'ordre économique, culturel et environnemental et par l'intérêt public général.» (notre souligné)

« Les retombées économiques associées à la construction et à l'exploitation d'un système de transport qui permettra d'exploiter les ressources pétrolières de l'Alberta et de les rendre plus facilement accessibles partout dans le monde l'emportent-t-elles sur les effets néfastes, réels ou possibles, y compris les effets sur l'environnement et, plus particulièrement, sur les éléments mentionnés sous la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (2012 ) ? Dans quelle mesure les conditions auxquelles Northern Gateway doit satisfaire, dont plusieurs concernent des questions techniques qui ne peuvent être évaluées et soupesées que par des experts, allègent ces inquiétudes ? Et compte tenu de l'ensemble de ces considérations, disposait-on de suffisamment de renseignements de haute qualité pour que le gouverneur en conseil puisse soupeser l'ensemble des considérations et évaluer correctement l'affaire ? C'est le genre de questions que le régime législatif en cause en l'espèce envoie au gouverneur en conseil. Selon la jurisprudence susmentionnée qui nous lie, nous devons accorder au gouverneur en conseil, quant à ces questions, la marge d'appréciation la plus large possible. »

À quoi ce jargon juridique se résume-t-il ? L'intérêt public est tout ce que le gouvernement déclare être l'intérêt public. Sous la mondialisation néolibérale, on a déclaré que l'intérêt public est de rendre les monopoles de l'Amérique du Nord compétitifs internationalement, spécifiquement les monopoles de l'énergie et des oléoducs faisant affaire au Canada.

Les problèmes auxquels sont confrontés les producteurs réels, la classe ouvrière et l'économie socialisée ne sont pas considérés comme pertinents dans la détermination de ce qui est dans l'intérêt public. On prétend que les intérêts des monopoles et les problèmes de l'économie sont la même chose, ce qui n'est pas le cas. Par exemple, le chômage élevé est un cauchemar pour les travailleurs, alors que ce sont les monopoles qui jettent les travailleurs à la rue et pour qui un chômage élevé est une « occasion » pour abaisser les salaires et les conditions de vie et de travail des autres travailleurs. Le processus « d'approbation » basé sur ce qui est dans l'intérêt public est réduit à dire oui ou non aux décisions prises par ces mêmes monopoles. En fait, tout ce qui a trait à la recherche d'alternatives réelles à la direction actuelle de l'économie est exclu des questions qui sont prises en considération pour décider ce qui est dans l'intérêt public. On répète à satiété que le problème c'est le prix du pétrole et que la solution est l'exportation via les oléoducs du bitume non transformé parce que les entreprises vont pouvoir obtenir un prix plus élevé. En quoi le prix du pétrole peut-il être le problème ? Le problème, c'est la direction de l'économie qui est subordonnée aux objectifs de l'oligarchie financière internationale et à la prise de décision faite sur une base supranationale. L'alternative réside dans l'édification nationale, pas l'édification d'empire. Un contrôle public sur le secteur de l'énergie peut être établi. Le Canada pourrait déterminer le prix de son pétrole, arrêter l'importation de pétrole et servir son propre marché interne. Le pétrole et les autres ressources d'énergie doivent être reconnus comme des ressources stratégiques et la base du développement d'un secteur manufacturier vibrant. L'ineptie égoïste à l'effet que le choix est entre le bénéfice économique et les effets néfastes sur l'environnement doit être traitée avec le mépris qu'elle mérite. Les Canadiens et les Premières Nations doivent exercer l'autorité décisionnelle et ne pas permettre aux monopoles de l'usurper à leurs propres fins.

La décision de la Cour d'appel fédérale est une défense du droit de monopole au sein du système impérialiste d'États dominé par les États-Unis. Ce n'est pas vrai qu'en prolongeant la « consultation » dans le cadre de cette définition, comme le fait maintenant Trudeau dans le cas de l'oléoduc Trans Mountain, que les Canadiens ont maintenant leur mot à dire et que les droits des nations autochtones sont reconnus.

Une définition moderne des droits comprend le droit de décider, dont le droit de décider de la direction de l'économie, et les droits des nations autochtones et des Métis de vivre et d'être sur leurs terres ancestrales. Ces droits doivent être enchâssés dans une constitution moderne et garantis. Le renouveau démocratique signifie que c'est le peuple qui doit être souverain, pas le « gouverneur en conseil » par le biais duquel les monopoles exercent leur diktat.

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À titre d'information

La Cour fédérale renverse l'approbation de
l'oléoduc Northern Gateway

Le 23 juin, la Cour fédérale d'appel du Canada a rendu sa décision sur les contestations judiciaires des nations autochtones et des organismes canadiens au projet d'oléoduc Northern Gateway. [1] Dans une décision partagée de deux à une, le tribunal a annulé l'approbation que le gouvernement Harper avait donnée à l'oléoduc. La décision précise que le gouvernement n'a pas soutenu « l'honneur de la Couronne » et n'a pas assumé ses responsabilités constitutionnelles de consulter et d'accommoder les peuples autochtones auxquels la Cour se réfère souvent comme des « groupes autochtones ». L'oléoduc proposé par Northern Gateway expédierait le bitume de l'Alberta vers Kitimat, en Colombie-Britannique, puis vers les marchés étrangers par navires-citernes.

Les médias ont essentiellement décrit la décision comme une « annulation de l'oléoduc », mais c'est loin d'être le cas. Le tribunal a déclaré que le processus d'examen conjoint, soit une audience réunissant à la fois l'Office national de l'énergie (ONE) et l'Agence canadienne d'évaluation environnementale (ACEE), a satisfait à la norme de « caractère raisonnable » et que le Canada a agi de bonne foi dans ses consultations avec les nations autochtones. Cependant, « le gouverneur en conseil » (le Cabinet) n'a pas rempli ses obligations à la Phase IV, soit les consultations qui ont lieu avec les nations autochtones après que l'ONÉ ait approuvé un projet mais avant que le gouvernement émette des certificats d'approbation.

On lit dans la décision : « Les faiblesses — plus qu'une simple poignée et plus que de simples imperfections — ont laissé des sujets entiers liés à des questions centrales aux Premières Nations concernées, des sujets affectant leur moyens de subsistance et de bien-être parfois totalement ignorés. Plusieurs impacts du projet [...] n'ont pas été divulgués, discutés et considérés. »[2]

En outre, il est dit : « Il aurait suffi de peu de temps et de peu d'efforts d'organisation pour le Canada afin d'entamer un dialogue véritable sur ces sujets de première importance pour les peuples autochtones. Mais cela ne s'est pas produit. »

L'allusion est évidente : la consultation « significative » n'aurait pas modifié la décision finale et son approbation mais elle aurait pu donner lieu à conditions supplémentaires devant être satisfaites par Enbridge et Northern Gateway. La Cour rejette explicitement la position des Haisla et d'autres nations que la consultation significative exige un dialogue à deux voies, alors que le processus de la Commission d'examen conjoint a été un processus quasi-judiciaire dans laquelle la Couronne et les nations autochtones n'avaient pas d'échanges directs entre elles. La décision de la Cour suggère qu'un échange direct est nécessaire seulement après que l'ONÉ et l'ACEE aient rendu leur décision.

Dans le sillage de la décision, le gouvernement Trudeau a mis en attente la demande d'Enbridge pour une prolongation de la date limite de 2016 pour le début de la construction de l'oléoduc. La Cour, dans sa décision, n'exige pas que le gouvernement relance le processus d'approbation de Northern Gateway et il pourrait simplement décider de reprendre la phase IV à une date ultérieure. Les consultations de la phase IV de l'oléoduc Trans Mountain, qui a reçu l'approbation de l'ONÉ le 19 mai dernier, sont maintenant en cours. La décision de la Cour d'appel est un modèle pour le gouvernement Trudeau quant à la façon de procéder avec ces consultations d'une manière qui va résister à une contestation judiciaire.

Dans son jugement, la Cour rejette tous les arguments sauf un qui ont été présentés par les nations autochtones. Toutes les objections au processus d'examen conjoint, dont son non respect de l'obligation du Canada de consultation et d'accommodement en ce qui a trait aux droits et aux titres autochtones, le fait que les intervenants ont été privés d'informations cruciales, et les objections en vertu du droit de participer à l'établissement des conditions et de la portée de l'examen, sont rejetées . « Du point de vue du droit, la Couronne a toute latitude pour définir la structure du processus de consultation et pour s'acquitter de son obligation de consulter », déclare la Cour.

La Cour entérine également que l'ONÉ et la législation habilitante n'aient pas établi les critères sur lesquels un examen rigoureux pourrait être fondé pour déterminer ce qui est dans l'intérêt public, en réitérant que ces décisions relèvent des pouvoirs discrétionnaires ou arbitraires du Cabinet. Elle rejette l'argument selon lequel les audiences ont été une fraude parce que le gouvernement Harper a annoncé sa décision avant même le début des audiences.

Les juges sont d'accord avec l'affirmation du gouvernement selon laquelle il n'est pas tenu de communiquer son évaluation de la solidité de la revendication et de l'ampleur de la consultation parce que les tribunaux ont déjà établi que cette information est « visée par la relation confidentielle entre un avocat et son client ». Le gouvernement doit seulement fournir une description de son évaluation.

La Cour affirme que le Canada est obligé de tenir une « consultation approfondie » avec les Premières nations touchées, ce qui est considéré comme le plus haut niveau de consultation possible, mais n'a pas besoin du consentement. Cependant, cette « consultation approfondie » peut être effectuée une fois le processus de prise de décision complété, à l'exception de l'approbation finale par le Cabinet.

La Cour écrit : « Comme nous l'avons expliqué ci-dessus, l'obligation de consulter est une obligation procédurale qui découle de l'honneur de la Couronne. Le fil conducteur du côté de la Couronne doit être ' l'intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones] ' à mesure qu'elles sont exprimées [...] dans le cadre d'un véritable processus de consultation » [3] [...] La ' question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l'honneur de la Couronne pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones ' [4] [...].

« À notre avis, il n'était pas compatible avec l'obligation de consultation et l'obligation de négociation honorable que le Canada se contente d'affirmer que les répercussions du projet seraient atténuées sans d'abord discuter de la nature et de la portée des droits qui seraient touchés. Pour que les demandeurs/appelants Premières nations puissent se consulter et évaluer les répercussions du projet sur leurs droits, un dialogue respectueux sur les droits revendiqués doit d'abord avoir eu lieu. Une fois que l'obligation de consulter est reconnue, une omission de consulter ne peut être justifiée en passant directement à l'étape des accommodements. Le fait de procéder ainsi est incompatible avec le principe de négociation honorable et de réconciliation. »

Un « dialogue respectueux » n'a rien à voir avec la reconnaissance des droits et leur garantie, encore moins avec la nécessité constitutionnelle moderne voulant que le Canada établisse des relations de nation à nation avec les nations autochtones. Les peuples autochtones ne sont pas des peuples conquis et ils n'ont jamais abandonné leurs droits en tant que peuples indépendants qui ont le droit de décider des questions qui affectent leur territoire. Le gouvernement canadien ne devrait pas et ne peut pas les priver de leurs droits.

Si l'obligation de consultation est réduite à un accommodement après que les décisions aient été prises, qu'en est-il alors du droit de décider ou de l'affirmation de l'indépendance ? Pour mettre un terme à l'injustice coloniale, des relations de nation à nation doivent être établies de façon concrète, de sorte que les nations autochtones puissent s'épanouir.

Notes

1. La nation Gitxaala, la nation Gitga'at, la nation Haisla, la nation Kitasoo Xai'Xais, la nation Heiltsuk, la bande de Nadleh Whut'en, ainsi qu'UNIFOR, ForestEthics, Living Oceans Society, Raincoast Conservation Foundation et la Fédération des naturalistes de la Colombie-Britannique ont intenté une poursuite contre Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada, le ministre de l'Environnement et Northern Gateway Pipelines inc.

 2. La Cour a pris note des questions très précises formulées par les premières nations Haisla, Kitaso et Heiltsuk y compris le temps de réponse en cas de déversement, la récupération des déversements et l'étude scientifique sur la façon dont le bitume se comporte dans l'eau. Il n'y avait en fait aucune consultation, si ce n'est la collecte de l'information qui a été résumée, souvent de façon erronée, et envoyée au Cabinet. Des erreurs dans le résumé n'ont jamais été corrigées. Le représentant du gouvernement a reconnu qu'un déversement de pétrole pourrait avoir un effet catastrophique sur les intérêts des Gitxaala et sur l'industrie du hareng dont les Heiltsuk dépendent. Pourtant, aucune réponse n'a jamais été reçue à des questions spécifiques concernant le rapport du groupe d'experts sur la sécurité des navires-citernes au Canada et le rapport sur les questions de navigation. Des questions spécifiques sur l'impact d'un déversement de bitume, le temps de réponse en cas de déversement et la récupération du bitume déversé n'ont reçu aucune réponse. N'ayant aucune autorité de faire quoi que ce soit sinon recueillir de l'information, les représentants du gouvernement à la table ne pouvaient que répondre : « Si c'est possible d'avoir plus de réponses, nous allons essayer de les obtenir. »

 3. Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts),  2004 CSC 7, 3 RCS 511, au paragraphe 42.

 4. Nation Haïda , au paragraphe 45

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Les «consultations approfondies» du
gouvernement fédéral sur l'expansion
de l'oléoduc Trans Mountain


Manifestation à Burnaby Mountain le 13 septembre 2014 (S. Collis)

Depuis soixante ans, l'oléoduc de Trans Mountain de Kinder Morgan est le seul à transporter des produits pétroliers vers son terminal de la côte ouest à Burnaby, en Colombie-Britannique. En décembre 2013, Trans Mountain a soumis un projet auprès de l'Office national de l'Énergie (ONÉ) visant à prolonger de façon significative son réseau, ce qui devrait tripler sa capacité. Le projet a suscité une vive opposition de la part des Premières Nations, des gouvernements municipaux et des communautés vivant le long de la route de l'oléoduc et tout particulièrement dans les basses terres du fleuve Fraser où est situé le terminal de l'oléoduc de même que le port à partir duquel le pétrole serait expédié outre-mer. Pas une goutte de cette nouvelle capacité ne sera raffinée en Colombie-Britannique. Le trafic des pétroliers dans le port de Vancouver serait accru de 600 %.

L'Office national de l'Énergie a publié son rapport suite à cette requête le 19 mai 2016. On y lit : « L'Office national de l'Énergie (ONÉ) conclut que le projet d'agrandissement du réseau de Trans Mountain (le projet) est dans l'intérêt public du Canada et recommande au gouverneur en conseil d'approuver le projet sous réserve de 157 conditions ».

En évaluant si le projet est dans l'intérêt public, l'Office a conclu qu'il comporterait de nombreux avantages pour le Canada. Ceux-ci seraient considérables et comprendraient, entre autres :

- un accès accru aux divers marchés pour le pétrole canadien ; - la création de milliers d'emplois dans le domaine de la construction et de centaines d'emplois à long terme, qui seraient directement reliés au projet, et ce, partout au Canada ; - le renforcement de la capacité des entreprises, des collectivités et des résidents locaux et autochtones ; - des avantages considérables dus aux dépenses directes engagées relativement aux matériaux pour les pipelines au Canada. - des revenus importants pour les gouvernements.

Les Libéraux de Justin Trudeau avaient pourtant soutenu en 2015 que le processus de révision entrepris par le gouvernement Harper était déficient. Ils s'étaient engagés à « restaurer la confiance dans les évaluations environnementales ». Le 27 janvier, ils ont créé un Comité ministériel pour mener des « consultations plus approfondies ». Malgré tout, ils n'ont rien fait pour retenir le rapport de l'ONÉ qui recommande le projet et a été publié seulement deux jours après l'annonce de la formation du Comité ministériel.

Le communiqué de presse émis le 27 janvier par le comité avait créé quelque espoir dans certains milieux. Catherine McKenna, la ministre de l'Environnement et du Changement climatique, et Jim Carr, le ministre des Ressources naturelles, avaient annoncé une « démarche provisoire qui comprend des principes et des mesures pour les grands projets ». On avait réitéré l'engagement à l'effet que « le gouvernement introduira de nouveaux processus d'évaluation environnementale afin de rétablir la confiance du public dans ceux-ci. Il sollicitera et prendra en compte les vues des citoyens. La prise de décision reposera sur des données scientifiques probantes. Les peuples autochtones seront davantage impliqués dans l'examen et la surveillance des grands projets d'exploitation des ressources. Le processus aura une transparence accrue ».

Les « plans et principes » de cette « approche provisoire » devaient s'appliquer à deux projets spécifiques, soit l'expansion de Trans Mountain et l'oléoduc Énergie Est. Pour ce qui est du projet d'expansion de Trans Mountain, le plan devait être le suivant :

« ...le gouvernement du Canada entend :

- mener des consultations plus approfondies auprès des peuples autochtones et débloquer des fonds pour encourager la participation aux consultations ; - évaluer les émissions de gaz à effet de serre en amont imputables au projet et rendre cette information publique ; - nommer un porte-parole ministériel qui sollicitera les points de vue des populations susceptibles d'être touchées par le projet, y compris les communautés autochtones, et qui rendra compte au ministre des Ressources naturelles. »

Le gouvernement a annoncé en même temps que le délai prescrit pour la décision du gouverneur en conseil sur le projet Trans Mountain était prolongé jusqu'en décembre 2016. Le 16 mai, le ministre Carr annonçait que le Comité ministériel du projet d'agrandissement du réseau de Trans Mountain serait composé de Kim Baird (présidente), Tony Penikett et Annette Trimbee.

Ce comité a été chargé d' « entrer en relation avec les collectivités et les groupements autochtones locaux, en même temps que d'étudier les observations qui seront formulées en ligne, au sujet du projet et des questions qui s'y rattachent. Il commencera son travail en juin pour le conclure en novembre par un rapport au ministre Carr, qui sera rendu public. »

Des assemblées publiques sont prévues en août à Vancouver, Burnaby et Victoria (voir l'horaire). Des assemblées ont déjà eu lieu en juillet dans plusieurs villes de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. L'approche provisoire repose sur les cinq principes énoncés en janvier :

1. Aucun promoteur n'aura à retourner au point de départ - l'examen des projets se poursuivra dans le cadre législatif actuel et en conformité avec les traités, sous les auspices des autorités responsables et des organismes de réglementation du Nord ;

 2. Les décisions se fonderont sur des données scientifiques, le savoir traditionnel des Autochtones et d'autres données pertinentes ;

 3. Les vues du public et des populations concernées seront recueillies et prises en compte ;

 4. Les peuples autochtones seront consultés sérieusement et, s'il y a lieu, il sera tenu compte des répercussions eu égard à leurs droits et intérêts ;

 5. Les émissions de gaz à effet de serre directes et en amont attribuables aux projets à l'examen seront évaluées.

Restaurer la confiance

Le vernis de légitimité de ce processus est très mince. Dès le début, la légitimité de la démarche a été ternie par le fait que Trudeau a déjà annoncé qu'il appuyait l'extension de Trans Mountain, d'autant plus que l'ONÉ avait déjà émis, avant le début des présentes consultations, son rapport qui recommande l'approbation du projet. Les assemblées qui se sont tenues jusqu'à présent ne sont pas différentes de celles organisées par le gouvernement Harper, avec des restrictions sur qui peut intervenir, un manque d'information publique sur les heures et les lieux des assemblées et peu d'efforts pour faire participer le public. Plusieurs personnes ont aussi parlé d'un conflit d'intérêt puisque le président du Comité est lié depuis longtemps à Kinder Morgan.

Il n'est donc pas surprenant que les Libéraux reconnaissent que la confiance du public est ébranlée, d'autant plus qu'en 2015 des manifestants de Burnaby Mountain ont été arrêtés alors qu'ils revendiquaient que Kinder Morgan cesse d'abattre des arbres et de mener des activités de forage dans un secteur protégé de Burnaby Mountain. Il y a eu un tollé général lorsqu'en janvier 2016 le public n'a pas été autorisé à participer aux audiences de l'ONÉ, ne serait-ce qu'à titre d'observateur. Tout avait été mis en place pour empêcher la participation du public dans la démarche de l'ONÉ et le public n'a eu, à toutes fins pratiques, aucune influence sur la décision de l'office. La majorité des contributions aux audiences de l'ONÉ ont soulevé de sérieuses préoccupations environnementales et d'autres sortes mais celles-ci n'ont pas pesé lourd dans la balance puisque l'ONÉ a conclu que le projet était dans « l'intérêt public ».

Tout indique que les « consultations approfondies » entreprises par le Comité ministériel n'offriront rien de substantiellement différent de ce qui a été fait jusqu'à maintenant.

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