Le Marxiste-Léniniste

Numéro 103 - 22 juillet 2016

Le Venezuela combat la contre-révolution inspirée par l'impérialisme américain

Les travailleurs reprennent une usine d'une compagnie américaine
suite à 1000 licenciements

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Le ministre Vénézuélien du Travail Oswaldo Vera signe la pétition des travailleurs pour rouvrir l'usine Kimberley-Clark.

Le Venezuela combat la contre-révolution inspirée par l'impérialisme américain
Les travailleurs reprennent une usine d'une compagnie américaine suite à 1000 licenciements

Rapport spécial: la faim au Venezuela?
Au-delà de la manipulation médiatique - Christina Schiavoni et William Camacaro, Food First

Note aux lecteurs


Le Venezuela combat la contre-révolution inspirée par l'impérialisme américain

Les travailleurs reprennent une usine d'une compagnie américaine suite à 1000 licenciements

Le ministère du Travail du Venezuela a approuvé une requête de travailleurs d'occuper une usine de papier détenue précédemment par le monopole américain de produits de consommation Kimberley-Clark après que la compagnie ait licencié ses travailleurs et fermé l'usine le 9 juillet.

Le président Vénézuélien Nicolás Maduro a condamné la firme transnationale pour sa décision à la télévision d'État le 11 juillet : « Il y a quarante-huit heures, sans préavis, une compagnie américaine appelée Kimberley-Clark, violant les lois nationales et la Constitution, a licencié environ 1 000 travailleurs de son usine de production, fermé les portes et quitté le pays. »

La loi sur le travail de 2012 du Venezuela interdit strictement les licenciements massifs et les usines qui ferment illégalement leurs portes peuvent rouvrir sous le contrôle des travailleurs.


L'usine fonctionnant à plein régime sous le contrôle des travailleurs

« Kimberley est maintenant dans les mains des travailleurs [...] et nous allons investir les ressources nécessaires afin de consolider [l'usine] », a ajouté Maduro.

Selon le ministère du Travail, l'usine a une production mensuelle de 33 millions de couches, 20 millions de serviettes sanitaires, 27 millions de doublures minces et 17 millions de rouleaux de papier de toilette, une production maintenant entièrement restaurée par l'usine qui fonctionne à pleine capacité, selon le communiqué du ministère du 12 juillet.

Dans un communiqué de presse, Kimberley-Clark a imputé la fermeture à ses difficultés d'obtenir les matières premières et les dollars américains nécessaires aux importations. Plusieurs autres firmes, incluant Bridgestone, General Mills et Proctor & Gamble ont fait des déclarations semblables et réduit leurs activités au Venezuela ces derniers mois.

Le ministre vénézuélien de l'Industrie Miguel Pérez Abad a confirmé le 15 juillet que des entrepôts appartenant à Kimberley-Clark Corporation ont été trouvés remplis de matières premières, ce qui contredit les déclarations des propriétaires de l'usine qu'ils ne pouvaient pas accomplir leur production.

« La production va se poursuivre à Kimberley-Clark pour le bien de tous les Vénézuéliens et l'usine est maintenant dans les mains des travailleurs », a dit le ministre du Travail Oswaldo Vera. Le ministre de l'Industrie Miguel Pérez Abad a ajouté que l'usine avait suffisamment de matières premières pour fonctionner jusqu'à la fin de l'année.

Le président a qualifié ces activités de « sabotage économique », rappelant la grande quantité de dollars US que les firmes ont reçus de l'État vénézuélien en échange de la production ou des importations.

Maduro a dit que la guerre économique que mènent les firmes transnationales et des États étrangers contre son gouvernement comprennent le blocus financier par les grandes banques, les agences de crédit et les institutions financières internationales. Il a donné l'exemple récent de la décision de Citibank de fermer le compte de la Banque centrale du Venezuela (BCV).

« Sans avertissement, Citibank dit que dans 30 jours elle fermera les comptes de la Banque centrale et de la Banque du Venezuela », a dit Maduro dans un discours, ajoutant que le gouvernement utilise la banque américaine pour une variété de transactions internationales. Le Venezuela doit effectuer un paiement en obligations de 8,3 milliards $US plus tard cette année, que les créanciers internationaux ont refusé de renégocier.

« Pensez-vous qu'ils vont nous arrêter avec un blocus financier ? ... Personne n'arrête le Venezuela » , a dit Maduro.

En février, le Venezuela a défié les attentes en faisant un paiement de 1,5 milliard $US sur les obligations de la compagnie pétrolière d'État PDVSA.

Pendant les quatre derniers mois, le prix du pétrole vénézuélien a augmenté régulièrement d'un creux historique de 24 $US le baril en février à une moyenne de presque 40 $ le baril en juin. L'économie du Venezuela est très dépendante des exportations de pétrole brut.

(Venezuelanalysis.com)

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Rapport spécial: la faim au Venezuela?

Au-delà de la manipulation médiatique

Vous avez probablement vu dans les médias les gros titres sur le Venezuela, des titres qui font allusion à la pénurie alimentaire, aux émeutes, à des gens qui mangent des animaux errants pour survivre et à un pays au bord de la famine. Ces histoires ne sont pas seulement alarmantes mais troublantes. Est-ce bien le même pays qui a été reconnu aussi récemment qu'en 2015 par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) pour avoir presqu'éradiqué la faim ?[1] S'agit-il du même pays qui a fait l'objet de visites de délégations internationales et d'une vaste couverture médiatique alternative pour ses « expériences en souveraineté alimentaire » dont font partie la réforme agraire, les programmes de distribution de nourriture et la participation directe des citoyens dans le système alimentaire ?[2] Que se passe-t-il ?


Des vendeurs d'aliments locaux au marché à Caracas au Venezuela

Au-delà des manchettes actuelles sur le Venezuela, il y a une histoire qui est plus nuancée. C'est une période difficile pour les travailleurs vénézuéliens ordinaires qui font la queue à l'épicerie et font face au manque de denrées alimentaires de base et aux prix gonflés pour nourrir leur famille.

Il n'existe pas cependant de pénurie alimentaire d'ensemble, la nourriture étant abondante mais sa distribution bloquée.

Le gouvernement et les Vénézuéliens offrent plusieurs explications. Qu'est-ce qui cause cette « rareté dans l'abondance » que vit présentement le Venezuela ? D'où vient la situation actuelle ? Quelle en est la gravité et comment répondent les communautés, les mouvements sociaux et le gouvernement ? Dans quelle mesure la situation actuelle est-elle déformée par les médias et pourquoi ? Cet article tente d'examiner ce qui se dissimule derrière les grands titres afin de répondre à ces questions.

Une économie pétrolière et un système alimentaire à
la merci de ce dernier

Depuis près d'un siècle, l'économie du Venezuela a été centrée sur le pétrole qui représente la plus grande partie de ses revenus à l'étranger, soit plus de 95 % à l'heure actuelle, et de son budget national.[3] Depuis les années 1930, l'accent sur le pétrole a signifié le délaissement de l'agriculture qui a amené son lot d'épreuves. Comme l'État et le capital privé se sont retirés de la campagne, les fermiers et les travailleurs agricoles du Venezuela se sont vus incapables de gagner leur vie. Plusieurs ont afflué à Caracas et vers d'autres centres urbains à la recherche de travail, ce qui a fait du Venezuela un des pays les plus urbanisés d'Amérique latine, ayant plus de 90 % de sa population qui vit aujourd'hui dans les villes.[4] Il est également devenu le premier pays dans la région à être un importateur net de produits alimentaires, car cela coûtait moins cher d'importer des aliments avec des pétrodollars que de les produire.[5] Ces conditions ont facilité le développement d'un puissant complexe d'importation et de distribution alimentaires, contrôlé par des conglomérats d'entreprises nationales et internationales.


Les membres d'une commune vénézuélienne apportant des produits au marché

En tant que producteur d'un produit à forte demande et un consommateur vorace de produits alimentaires importés, le Venezuela s'est inséré fermement à l'économie mondiale d'une manière qui l'a rendu particulièrement vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux du pétrole et des produits alimentaires de même qu'à l'inflation à l'intérieur du pays. Jusqu'à un certain point, les entreprises responsables de l'importation et de la distribution alimentaires ont été en mesure d'utiliser ces conditions à leur avantage. Par exemple, depuis 1983, lorsque le bolivar vénézuélien a subi une forte dévaluation par rapport au dollar américain, ce qui a entraîné une hausse de l'inflation, une pratique courante a été d'aligner les prix des produits aux taux de change sur le marché noir, par opposition aux taux officiels (réglementés) de change, ce qui a alimenté encore plus l'inflation. [6].

La capacité du Venezuela à importer de la nourriture dans le passé par le biais des revenus pétroliers ne veut pas dire que sa population a été bien nourrie. En effet, les importations se faisaient le plus souvent à des prix hors de portée de la majorité pauvre du pays. En 1989, le président d'alors, Andrés Pérez, a signé un accord d'ajustement structurel avec le Fonds monétaire international qui a provoqué des hausses brusques des prix alimentaires et du carburant ; le prix du pain a augmenté de plus de 600 %. [7] Pour les plus de 60 % de la population vivant déjà dans la pauvreté, c'en était trop. Des centaines de milliers de personnes provenant des collectivités appauvries sont descendues des collines entourant Caracas, ont protesté dans les rues de la ville et pillé les magasins. Le gouvernement a répondu à cette mobilisation de masse en ordonnant à l'armée d'ouvrir le feu sur les manifestants. Le bilan officiel des personnes tuées a été de 276 civils mais on estime que le nombre réel des victimes est beaucoup plus élevé.

Les efforts de changement

En 1999, au début de la Révolution bolivarienne du Venezuela, alors que plus de la moitié de la population souffrait de la faim et de la pauvreté, le gouvernement et les Vénézuéliens ont identifié la production et l'approvisionnement alimentaires comme une priorité stratégique et des progrès significatifs ont été réalisés depuis. En ce qui concerne la production, l'État a fait des réinvestissements importants dans l'agriculture, y compris dans un processus de réforme agraire visant à redistribuer les terres des grandes exploitations agricoles et à soutenir les petits et moyens fermiers et pêcheurs. Au niveau de la distribution, on a mis en place des stratégies consistant notamment en une disponibilité accrue des produits alimentaires de base à des prix subventionnés et réglementés et en une fourniture de repas gratuits par le biais des programmes dans les écoles et les endroits de travail et dans les sites d'alimentation communautaires.

Ces efforts ont mené à des gains historiques en matière de sécurité alimentaire, qui ont été reconnus par la FAO, mais qui sont demeurés principalement des projets [isolés] plutôt que des changements systémiques. Autrement dit, même si la production nationale a été revigorée et la population mieux nourrie, les puissants complexes d'importation et de distribution de produits alimentaires du pays, qui existent depuis longtemps, sont demeurés largement en place. Aujourd'hui, l'approvisionnement en nourriture et en médicaments au Venezuela est contrôlé principalement par une vingtaine d'entreprises, [8] et l'une d'entre elles, la société Polar, contrôle huit des articles qui constituent le panier alimentaire de base au Venezuela, selon le ministre de l'Agriculture. [9] Par exemple, Polar contrôle 62 % du marché pour la farine de maïs utilisée en précuisson pour la confection des galettes de maïs, appelées arepas, qui sont une partie essentielle du régime alimentaire vénézuélien.[10]

Une pénurie dans l'abondance ?

Que se passe-t-il au Venezuela aujourd'hui ? S'il est vrai que les pénuries alimentaires périodiques ne sont pas quelque chose de nouveau, en particulier à des moments de grande tension politique, le fait demeure que depuis plus de trois ans le pays fait face à des pénuries ininterrompues de certains produits alimentaires de base et de certains médicaments et articles d'hygiène personnelle comme le savon, le papier de toilette, les tampons hygiéniques et les couches. C'est la spécificité des produits en pénurie qui est à remarquer, laquelle n'est pas mentionnée et est déformée par les médias. Il n'existe pas de pénurie généralisée de denrées alimentaires ou d'autres produits de base au Venezuela. Ce qu'on ne trouve pas dans les supermarchés ce sont des produits essentiels spécifiques alors que les autres produits de base abondent. Il y a une pénurie de lait, mais les produits laitiers comme le yogourt et le fromage sont disponibles. Il y a pénurie de farine de maïs précuit, tandis que d'autres produits à base de maïs comme le gruau sont disponibles. Il y a pénurie de café, un autre produit essentiel au Venezuela, tandis que les thés, le chocolat chaud et d'autres breuvages chauds se trouvent en abondance. Ce qui est plus difficile à comprendre, par contre, c'est que dès qu'on quitte l'épicerie on trouve du café préparé à chaque coin de rue et dans chaque café. Partout on trouve des arepas aux garnitures les plus variées.

Pourquoi alors manque-t-il de produits essentiels dans les épiceries ? Les deux raisons principales qui sont mises de l'avant par les compagnies de distribution sont que : a) les prix réglementés fixés par le gouvernement dans le but de garantir l'accessibilité des aliments sont trop bas, ce qui a un effet dissuasif sur les distributeurs ; b) en raison des prix du pétrole à la baisse, moins de dollars sont disponibles pour importer des produits essentiels. L'économiste vénézuélienne et professeure de l'Université Simon Bolivar, Pasqualina Curcio, a mis ces allégations à l'épreuve en menant une enquête exhaustive pour faire la lumière sur la situation économique qui prévaut, et elle en a tiré des conclusions intéressantes.[11]

Premièrement, plusieurs des produits manquants n'ont pas été réglementés depuis 2010. Par contre, le gouvernement a haussé plusieurs fois récemment le prix des produits réglementés comme mesure incitative pour les distributeurs mais cela n'a rien changé à la disponibilité de ces produits. Deuxièmement, les pénuries ont commencé à s'argraver en 2013, avant la chute des prix de pétrole et lorsqu'il y avait amplement de dollars. Même lorsque les prix du pétrole ont chuté et que les dollars sont devenus plus rares, le gouvernement a continué de prioriser les dollars servant à l'importation de denrées alimentaires, et, selon les chiffres mêmes des entreprises, les niveaux de production des principales compagnies alimentaires sont demeurés stables et ont même connu une certaine hausse pendant cette période. Curcio a aussi trouvé qu'il y avait un lien directement proportionnel entre l'intensité et les moments forts de la vie politique comme les périodes menant aux élections. Les pénuries seraient-elles fabriquées de toutes pièces ? Un grand nombre d'activistes dans le domaine de la souveraineté alimentaire croient que ce n'est pas le fait du hasard si Polar, l'entreprise alimentaire la plus importante du pays, qui contrôle plusieurs des produits disparus des épiceries, appartient à un membre bien connu de l'opposition politique au gouvernement.

Même si on laisse de côté pour un moment les causes des pénuries, il reste que la population en souffre beaucoup. Pour la plupart des gens, la seule façon d'obtenir des produits de base est d'attendre dans des files interminables là où ces produits sont accessibles et il faut mentionner que la grande majorité des personnes qui le font sont des femmes. Une autre option est de se procurer les produits de base dans la rue sur le marché parallèle de la contrebande où ils sont vendus à des prix gonflés. Rappelons à nouveau que la pénurie touche des produits spécifiques alors que d'autres aliments sont toujours disponibles. Par exemple, le Venezuela est en grande partie autosuffisant en fruits, en légumes et en légumes-racines, qui sont cultivés principalement par des petits et moyens agriculteurs. Comme la distribution de ces produits se fait par le biais de réseaux décentralisés, ils ont en général été épargnés par les pénuries et abondent dans les marchés en plein air partout au pays. Cependant, comme les gens remplacent les produits non disponibles par des produits disponibles (par exemple, le cassava, la patate et le plantain plutôt que la farine de maïs, les pâtes et les autres glucides raffinés), la demande accrue de même que l'inflation galopante et la spéculation provoquent une hausse généralisée des prix des aliments dans les magasins et dans la rue. Il en résulte que nourrir sa famille devient une tâche très stressante et difficile pour la plupart des Vénézuéliens.

Quelques répercussions

Au-delà des répercussions psychologiques et économiques des pénuries, des files d'attente et des prix élevés, quelles en sont les répercussions physiques ? Comment les niveaux de faim et de nutrition sont-ils affectés ? Il y a des choses que nous savons et d'autres que nous ne savons pas. Nous savons, par exemple, qu'en vertu des statistiques les plus récentes sur l'apport alimentaire à la fin de 2015, les Vénézuéliens consommaient une moyenne quotidienne de 3092 calories, une quantité de loin supérieure à la recommandation de l'Organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qui est de 2720 calories pour le maintien de la sécurité alimentaire, mais inférieure à la consommation moyenne de 2014 qui était de 3221 calories.[12]


Des réseaux alimentaires et de distribution locaux (CLAP) travaillent avec le gouvernement dans l'organisation de la distribution de denrées alimentaires aux personnes qui en ont besoin.

Plusieurs choses doivent être prises en compte. D'abord, de façon générale, les moyennes ne reflètent pas les impacts sur les sections les plus vulnérables de la population. Par contre, le Venezuela a mis en place de nombreux programmes sociaux pour subvenir aux besoins de ces sections, ce qui a sans doute contribué à maintenir la moyenne de consommation en calories à des niveaux élevés. Aussi, les moyennes ne nous en disent pas long sur la qualité des aliments. Certains disent que les conditions actuelles obligent les gens à opter pour des habitudes alimentaires plus limitées et moins saines tandis que d'autres soutiennent le contraire, que les aliments transformés étant moins accessibles, les gens se tournent davantage vers une alimentation plus saine et nutritive en guise de substitut. En réalité, il n'y a aucun doute que ces deux phénomènes sont à l'oeuvre mais aucune donnée n'est disponible pour que nous puissions les évaluer davantage. Enfin, dans les mois qui ont suivi la publication de ces statistiques, les pénuries et l'inflation des prix se sont intensifiées. Il n'existe pas de données nous permettant de constater si la consommation calorique moyenne a chuté davantage, mais certaines observations nous laissent entendre qu'une baisse est plus que probable. Selon l'Institut national de la Nutrition, cependant, on surveille la situation de près et, dans l'ensemble, l'apport calorique des Vénézuéliens demeure toujours supérieur aux normes minimales recommandées.

Que dire de tout cela ? Bien sûr, il est plus difficile pour les gens d'obtenir des aliments en ce moment au Venezuela. La situation est sérieuse et elle mérite qu'on s'y adresse de façon urgente. Le Venezuela est-il aux prises avec une crise humanitaire ? Selon le département de la Santé du Venezuela, la FAO et nos propres observations fondées sur d'innombrables entretiens avec des citoyens et des organisateurs communautaires, la réponse est non : il n'y a pas de crise humanitaire au Venezuela. Est-ce que les gens en sont réduits à manger des chiens ? Nous avons parlé de cette rumeur à des travailleurs vivant dans les communautés rurales et urbaines de six États différents. Étonnés de ces rumeurs, les gens répondent « oui, des chiens-chauds, certainement ». Et les émeutes ? Jusqu'à maintenant, elles ont été des incidents isolés et qui se produisent surtout dans les régions sous l'influence de l'opposition mais il faut surveiller davantage la situation.[13]

Pourquoi alors les médias déforment-ils à ce point la situation ? Pour y répondre, il faut examiner le contexte dans son ensemble. Tandis que les médias dépeignent une situation intolérable au Venezuela, l'Assemblée nationale contrôlée par l'opposition a lancé l'appel à la destitution du président Maduro et les États-Unis appellent à l'extension des sanctions. Les deux invoquent une « crise humanitaire » pour justifier ces mesures et les médias répètent ces allégations plutôt que de refléter la réalité sur le terrain qui est beaucoup plus complexe.[14]

Des réponses

S'il est vrai que le gouvernement pourrait en faire davantage dans sa campagne visant à contrecarrer la corruption dans les secteurs public et privé et qu'il pourrait mettre en place de nouvelles réformes pour le système de change de devises, il est vrai également qu'il n'a épargné aucun effort face aux pénuries. Au contraire, le gouvernement aussi bien que les communautés ont pris la situation très au sérieux, améliorant les protections sociales actuelles tout en innovant dans le domaine. Pensons aux Comités locaux de production et d'approvisionnement, les CLAP, qui ont été formés partout au pays ces derniers mois. Les CLAP sont des partenariats entre les organisations à la base et les gouvernements qui offrent une alternative aux réseaux de distribution dans les 24 États du pays. Les CLAP ont un double objectif : à court terme, ils cherchent à réduire les files d'attente, les pénuries et la spéculation en livrant des produits alimentaires de base directement au peuple. Le gouvernement achète des produits directement d'entreprises privées et publiques et les CLAP les distribuent à domicile selon des recensements communautaires. Le projet est conçu comme solution provisoire aux pénuries courantes et vise à venir en aide aux 20 % les plus vulnérables de la population. À plus long terme, les CLAP visent à encourager la production et la transformation alimentaires locales.

Parallèlement, un immense effort est déployé pour développer l'agriculture urbaine, sous la direction du nouveau ministère de l'Agriculture urbaine. A débuté récemment une campagne menée dans 29 000 espaces urbains productifs qui vise à accroître la quantité de produits frais, des oeufs, des poissons, des protéines animales disponibles localement.[15] Ces efforts vont de pair avec un essor renouvelé de la production dans les régions rurales.

Pendant ce temps, les mouvements sociaux saisissent l'occasion pour aller de l'avant avec une transformation plus complète en direction de la souveraineté alimentaire. Répondant à la nécessité, un nombre sans précédent de personnes font leurs premiers pas en agriculture ou bien y retournent, construisant des fermes communautaires et des jardins de patios, échangeant des semences, troquant des produits, et mettant sur pied de nouvelles entreprises locales. La rareté des produits d'agriculture industrielle incite les gens à aller vers des pratiques plus organiques et vers l'agroécologie, si bien que cette période de transition évoque la période spéciale cubaine. Les pénuries font en sorte qu'on s'éloigne des aliments transformés pour aller vers les aliments locaux et les habitudes alimentaires traditionnelles. Plusieurs activistes voient dans ces nouveaux développements les éléments d'un nouveau système alimentaire, un projet qu'ils cherchent à mettre en place depuis de nombreuses années.

Cette vision transformatrice se reflète dans la nouvelle loi des semences du pays, mise de l'avant par les mouvements sociaux, qui interdit les OMG et protège les semences produites localement par les communautés paysannes, indigènes et de descendance africaine.[16] Elle est aussi vivante dans le Feria Conuqera, un marché alternatif mensuel très couru à Caracas, qui offre des alternatives agroécologiques et artisanales aux produits qu'on ne trouve plus dans les épiceries, que ce soit les mélanges pour arepas faits de plantain, de cassava et de maïs frais, ou les savons artisanaux, les déodorants et d'autres produits de base. Le Plan Pueblo a Pueblo, un projet à la base qui vise à tisser des liens interpersonnels directs entre les communautés urbaines et rurales, connaît aussi du succès : depuis un peu plus d'un an, cette initiative a permis à plus de 40 000 familles urbaines d'obtenir des aliments frais abordables et contribue en même temps à mettre en place un nouveau système alimentaire qui dépasse la division urbaine-rurale. Le mécanisme déjà en place qui facilite l'essor rapide de cette initiative, ce sont les comunas, des institutions sociales dirigées par les citoyens. Selon l'activiste alimentaire Gabriel Gil, « la crise actuelle nous incite à nous organiser - et les comunas sont les véhicules idéaux pour le faire ».

Les grands titres des médias remis en cause

S'il est vrai que la faim où qu'elle soit mérite une couverture médiatique importante, il faut se demander pourquoi le Venezuela, un pays qui, selon un grand nombre d'indicateurs, a fait d'importants progrès dans la lutte contre la faim et la pauvreté, est le point de mire d'une couverture médiatique qui ne reflète aucunement ce qui se passe vraiment sur le terrain. Aussi, pourquoi y a-t-il une couverture médiatique (souvent déformée) des défis qui se posent au pays, mais un silence total sur les nombreuses initiatives innovatrices qui connaissent du succès : l'éclosion d'une agriculture urbaine, la transition agroécologique et le niveau élevé d'organisation citoyenne en matière de production et d'approvisionnement alimentaires ? Les réponses à cette question ne sont pas simples, et peuvent varier selon les différentes perspectives et interprétations. Néanmoins, nous espérons avoir suffisamment piqué la curiosité de nos lecteurs pour qu'ils cherchent à s'informer encore davantage, ce qui leur permettra assurément d'aller au-delà des apparences entretenues par les reportages actuels.

Notes

1. FAO (2015) « Le Venezuela et la FAO mettent sur pied SANA, un nouveau programme de coopération qui vise à éradiquer la faim. »

 2. Schiavoni, C. (2015) « The Venezuelan Food Sovereignty Experiment. »

 3. Lander, E. (2014) « Venezuela : Terminal crisis of the rentier petro-state model ? »

 4. Wilpert, G. (2006) « 'Land for People Not for Profit in Venezuela » Rosset, P. Patel, R. et M. Courville, eds., Promised Land, 249-264. Oakland, CA : Food First Books.

 5. Ibid.

 6. Boza, T. (2014) « La Guerra contra el Pueblo : Reflexiones para el Contraataque Popular. » Maracaibo : Fundación Construyendo Ciudadanía.

 7. Hardy, C. (2007). « Cowboy in Caracas : A North American's Memoir of Venezuela's Democratic Revolution. » Willimantic, CT : Curbstone Books.

 8. Curcio, P. (2016). « Apenas 20 empresas controlan la oferta de alimentos y medicinas en el país. »

 9. Edgard, R. (2016) « Los Clap : El resuelve de los pobres. »

 10. Curcio, P. (2016). « Apenas 20 empresas controlan la oferta de alimentos y medicinas en el país. »

 11. Communication personnelle avec Pasqualina Curcio le 23 juin 2016. Voir aussi : Curcio, P. (2016) « Los CLAP'S : ¿camino para la paz económica ? »

 12. Communication personnelle avec des représentants de l'Institut national de la nutrition le 7 juin 2015. Voir aussi « Memoria y Cuenta 2015, Ministerio del Poder Popular para la Alimentación (MINPPAL) -- Tomo I. »

 13. Misión Verdad (2016) « Cartografía de los saqueos : actores, tácticas y métodos. »

 14. Cliquer ici. Aussi, pour visionner un clip vidéo (en espagnol) de l'ancien commandant du Commandement du Sud étasunien, John Kelly, où il déclare qu'il pourrait intervenir au Venezuela pour éviter une « crise humanitaire » due à une pénurie d'eau et d'aliments, voir la troisième minute de cette vidéo de CNN.

15. Cliquer ici.

16. Camacaro, W., Mills, F. Et C. Schiavoni (2016) « Venezuela Passes Law Banning GMOs, by Popular Demand. »

*Food First, aussi appelé l'Institut pour une politique alimentaire et de développement, est une organisation à but non lucratif d'Oakland, en Californie, aux États-Unis. Fondée en 1975 par Frances Moore Lappé et Joseph Collins, elle se décrit comme étant un « groupe de réflexion et un centre d'éducation à l'action ».

Food First croit que la faim dans le monde n'est pas un phénomène inévitable qui se produit tout simplement parce qu'il n'y a pas suffisamment de produits alimentaires à l'échelle mondiale. Elle soutient plutôt qu'il existe un énorme surplus de denrées alimentaires qui sont produites par des compagnies agro-alimentaires dont les maisons-mères sont dans les pays riches et développés. Essentiellement, cet énorme surplus d'aliments est un reflet d'inégalités mondiales plus profondes qui affectent négativement et profondément les pays marginalisés du tiers-monde à l'échelle mondiale. D'une part, Food First rejette le mythe à l'effet que la faim dans le monde existe parce qu'il y a un manque au niveau de la production ou de l'accessibilité des aliments. Le directeur général de Food First, Eric Holz-Gimenez, et l'expert en matière du système alimentaire mondial, Raj Patel, explique que : « Selon la FAO, en raison des récoltes céréalières record en 2007, il y avait assez de produits alimentaires dans le monde pour nourrir tous les habitants de la planète - au moins 1,5 fois plus élevés que la demande actuelle. »

Food First s'oppose férocement aux politiques d'institutions telles l'Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Elle a aussi joué un rôle actif dans la campagne contre le projet de Zone de libre-échange des Amériques.

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