Une série de lois anti-travailleurs adoptées au Québec

Les plans de restructuration et privatisation du gouvernement Legault en opposition à l'édification nationale moderne

– Fernand Deschamps –

Le gouvernement Legault poursuit l'adoption de mesures et de lois qui remettent les ressources humaines et naturelles pratiquement directement entre les mains de grands intérêts privés. Cela ne va pas sans une grande opposition du peuple au Québec face à un gouvernement dont la définition d'autonomie et de nationalisme est celle de se défaire de tout ce qui l'empêche de répondre aux exigences des intérêts privés étroits et de l'économie de guerre des États-Unis.

C'est dans ce contexte qu'il faut examiner les récentes activités du gouvernement Legault. Le 23 mai, l'Assemblée nationale adoptait la Loi 51, Loi visant à moderniser l'industrie de la construction. Le 9 mai, il déposait le projet de loi 61 Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif et le projet de loi 62 Loi visant principalement à diversifier les stratégies d'acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d'agilité dans la réalisation de leurs projets d'infrastructure.

Avec la Loi 51, le gouvernement s'attaque de front aux travailleurs de la construction pour imposer une plus grande mobilité de la main-d' uvre, permettre aux employeurs d'exiger des compagnons dans de nombreux métiers qu'ils effectuent des travaux qui ne figurent pas dans leur certificat de compétence, et augmenter l'embauche de travailleurs non formés sur les chantiers de construction, mettant en danger la sécurité des travailleurs qu'ils prétendent aider, et sapant les normes de sécurité qui touchent tous les travailleurs et potentiellement le public aussi, et affaiblissant encore plus les organisations de défense des travailleurs. Tout cela se fait au nom de l'augmentation de la productivité et de l'efficacité dans l'organisation du travail pour répondre aux exigences des entreprises privées.

Avec les projets de loi 61 et 62 sur les projets d'infrastructure, le gouvernement ouvre les portes toutes grandes à la privatisation accrue pour l'octroi des projets d'infrastructure publics.

Le projet de loi 61 établit Mobilité Infra Québec qui est la seule à avoir la compétence à l'égard d'un projet complexe de transport dont le gouvernement lui a confié la planification ou la réalisation. Le projet de loi permet entre autres à Mobilité Infra Québec d'acquérir, de gré à gré ou par expropriation, les immeubles qu'elle juge nécessaires dans le cadre de sa mission pour son propre compte ou pour le compte du gouvernement, d'une municipalité locale, d'une société de transport en commun, du Réseau de transport métropolitain ou de l'Autorité régionale de transport métropolitain. Tout cela dans le contexte de l'intégration des corridors de transport, de communication, d'énergie et de sécurité à travers l'Amérique du Nord, c'est-à-dire l'intégration du Mexique et du Canada dans l'économie de guerre des États-Unis.

Dans son projet de loi 62, le gouvernement a introduit le concept de « contrat de partenariat dans une approche collaborative » et supprimé avec l'article 4 le terme « public-privé » de la Loi sur les contrats des organismes publics. Dans les faits, le gouvernement n'abolit pas les contrats public-privé. Il les élargit en devenant lui-même uniquement un distributeur de capitaux aux entreprises privées qui pourront maintenant participer à la conception, à la réalisation, au financement, à l'entretien et à l'exploitation d'une infrastructure publique en plus d'établir un partage de risques et de responsabilités entre le gouvernement et le privé pour le financement, l'entretien et l'exploitation. La mantra quant à cette approche collaborative est le partage du savoir-faire, le partage de solutions novatrices et des meilleurs approches.

Cette « nouvelle façon de faire » existe déjà lorsqu'il a été démontré que le cabinet conseil multinational privé McKinsey a participé à mettre sur pied la Banque de l'Infrastructure du Canada alors qu'un ancien partenaire de McKinsey s'est retrouvé comme PDG de cette banque, pour offrir des contrats à McKinsey[1].

De même, McKinsey a déjà une oreille attentive auprès de certaines sociétés d'État dont Hydro-Québec qui a déjà versé des millions de dollars à McKinsey pour l'aider à gérer ses barrages[2]. Le ministère de la Santé du Québec a utilisé leur service lors de la pandémie de COVID de même que le ministère de l'Économie du Québec [3][4][5].

Le projet de loi 62 prévoit le partage des risques, des gains et des pertes, les contrats possibles avec des consortiums, les contrats de gré à gré. Selon les données produites par le Secrétariat du Conseil du trésor, le recours au gré à gré a augmenté de 30 % ces trois dernières années. En comparaison, le recours à l'appel d'offres public n'a augmenté que de 8 % pendant la même période. Cela crée des situations où des entreprises peuvent décider de ne pas participer à des appels d'offre en attendant le recours au gré à gré.

Ces contrats permettent aux intérêts privés de conclure des ententes, sans publication d'avis d'intention, dans les cas où aucune soumission conforme n'a été déposée en réponse à un appel d'offres, que le contrat réponde ou non au besoin exprimé dans le cadre de l'appel d'offres et que l'attributaire satisfasse ou non aux exigences de l'appel d'offres.

Dans son mémoire, l'Autorité des marchés publics souligne : « [...] cette façon de faire pourrait avoir le caractère insidieux où des entreprises ne soumissionneraient pas sur des contrats en attendant de recevoir une invitation à conclure un contrat de gré à gré, et ce, particulièrement pour les régions où il y a déjà peu de concurrence. Les coûts de réalisation pourraient ainsi être plus élevés qu'anticipés lors du lancement de l'appel d'offres ». Des consortiums peuvent être créés pour profiter de cette situation.

D'autre part, il faut rappeler qu'il y a neuf ans la Commission Charbonneau, une commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, créée en 2011, qui a révélé entre autres l'existence de systèmes de corruption et de collusion parmi ceux qui contrôlent ce secteur, publiait son rapport. Son mandat officiel était d'éradiquer la collusion et la corruption dans l'octroi des contrats publics dans la construction, de révéler les liens possibles entre cette corruption et le financement des partis politiques et l'infiltration possible de l'industrie de la construction par le crime organisé. Une des recommandations du rapport était d'assurer un meilleur développement de l'expertise interne en construction, ce qui, entre autres, est totalement écarté. Tout cela est jeté maintenant à la poubelle. Loin d'éliminer la corruption, les partis cartellisés, le gouvernement et ses ministres ont pris le relais en agissant comme le crime organisé, utilisant leurs positions de pouvoir et de privilège pour agir en toute impunité afin de payer les riches et d'intégrer le Québec aux objectifs de guerre des États-Unis.

On se rappellera les ententes secrètes entourant SNC-Lavalin qui a montré que ce sont les travailleurs du Québec et du Canada qui font les frais de la corruption et la collaboration des grandes entreprises et de l'État.

Pour s'en tirer avec ses stratagèmes corrompus pour payer les riches, le gouvernement présente la thèse simpliste selon laquelle les problèmes des projets d'infrastructure sont dus aux retards et aux coûts élevés causés par l'insistance des travailleurs pour que les salaires, les conditions de travail et les mesures de sécurité, y compris la formation, soient maintenus. La solution, selon lui, est de collaborer pour le plus grand bien et d'éliminer ces problèmes. D'une part, il faut plus de souplesse, mobilité et polyvalence des travailleurs qui sont jetables de toute façon, et d'autre part, il faut dorénavant des contrats de partenariat avec une approche collaborative qui régleront les problèmes de lenteur et de coûts élevés.

Il est clair que le gouvernement pousse plus loin son plan néolibéral de mettre toutes les ressources humaines, matérielles et naturelles de la société à la disposition des grands intérêts privés au nom de la rapidité nécessaire à moindre coût, qui est censée donner lieu à des retombées bénéfiques pour le peuple.

Les Québécoises et les Québécois ne sont pas dupes face aux sagas de nombreux projets d'infrastructure publiques, avec les études, les urgences, les non urgences, les renvois de balles, les consultations auprès de grands experts, qui finissent par leur coûter le double ou le triple de l'évaluation initiale. La destruction de tout le potentiel humain et l'expertise humaine au Québec du secteur public est son ordre du jour pour servir les ambitions des oligarques les plus puissants, en contradiction avec les intérêts du peuple.

Ils s'opposent systématiquement à la privatisation en santé, en éducation et dans tous les secteurs publics de l'économie, car cela est fait pour détruire tout ce qui concerne le domaine public et le remettre sur un plateau d'argent aux intérêts privés étroits. Quand le gouvernement parle de soucis de rapidité et de diminution des coûts, il ne leurre personne. Ce qui le préoccupe avant tout est la rapidité avec laquelle il veut répondre aux exigences de l'oligarchie financière pour s'accaparer des richesses du Québec : notre électricité, nos mines, nos routes, nos sols. Les récents projets de loi et lois qui touchent Hydro-Québec, l'énergie, les mines et ces trois derniers, confirment cet empressement.

Notes

1. Voir « Des liens étroits entre McKinsey et la Banque de l'infrastructure du Canada », Thomas Gerbet, Radio-Canada, 3 février 2023

2. Voir « Hydro-Québec a versé des millions de dollars à McKinsey pour l'aider à gérer ses barrages», Thomas Gerbet, Radio-Canada, 26 octobre 2022 [https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1927738/mckinsey-hydro-quebec-consultants-barrages-affaires]

3. Voir « Dans l'ombre, la firme McKinsey était au coeur de la gestion de la pandémie au Québec », Thomas Gerbet, Radio-Canada, 30 septembre 2022

4. « Un survol de l'emprise des firmes de consultation et des gestionnaires de fonds d'investissement sur la gouvernance », Pierre Soublière, Le Marxiste-léniniste mensuel, octobre 2022

5. Voir « Un mystérieux contrat avec McKinsey au ministère de l'Économie du Québec », Thomas Gerbet et Daniel Boily, 25 avril 2023


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Volume 54 Numéro 7 - Juillet 2024

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