Opposons-nous à tous les prétextes pour militariser l'Arctique ! Défendons le droit des peuples de l'Arctique à établir des relations fraternelles favorables à eux-mêmes et à la paix mondiale !

– Enver Villamizar –

La visite d'un site d'alerte avancée du NORAD à Cambridge Bay, au Nunavut, et de la base des Forces canadiennes de Cold Lake, en Alberta, par le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, accompagné du premier ministre Justin Trudeau, les 25 et 26 août, est un sujet de grave préoccupation pour les Canadiens. Cette tournée a été utilisée comme une occasion de promouvoir les 42 milliards de dollars de fonds publics que le gouvernement fédéral dépense pour renforcer le contrôle des États-Unis sur le territoire canadien et intégrer davantage les forces armées canadiennes à celles des États-Unis au nom du renforcement de la sécurité de NORAD et même de l'Europe[1].

Le NORAD, qui signifie Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, est toujours dirigé par un général américain et relève du Commandement du Nord des États-Unis. Cela place le territoire canadien sous le commandement des États-Unis.

Pour camoufler cet arrangement, le premier ministre Trudeau a répété la désinformation que le NORAD est une défense « conjointe » de l'Amérique du Nord, et sous « commandement binational ». L'argument donné par Jens Stoltenberg et Justin Trudeau pour les investissements dans NORAD et une plus grande présence de l'OTAN dans l'Arctique était que les investissements pour militariser l'Arctique par le biais de NORAD profiteront à l'alliance militaire et à son « milliard de citoyens ».

La visite de Jens Stoltenberg a été utilisée pour attiser l'hystérie selon laquelle la Russie et la Chine sont des menaces pour le Canada et que, par conséquent, le Canada devrait renforcer l'OTAN et NORAD dans l'Arctique. Avec l'adhésion probable de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, sept des huit nations arctiques seront membres de l'OTAN, à l'exception de la Russie, et donc l'OTAN, par extension, devrait pouvoir militariser davantage l'Arctique au nom de la protection de son « milliard de citoyens ».

Ironiquement, les affirmations de Jens Stoltenberg selon lesquelles la trajectoire la plus courte pour les missiles russes vers les États-Unis passe par l'Arctique, présentent le Canada comme une menace pour la sécurité des États-Unis. Il a également déclaré que les plans de la Chine pour une « Route polaire de la soie », une route commerciale qui relierait la Chine et l'Europe via l'Arctique, ainsi que ses projets de construction du plus grand brise-glace du monde et ses investissements dans les infrastructures énergétiques dans l'Arctique constituent une menace « qui porte atteinte à nos valeurs et à nos intérêts »[2].

Autrement dit, même le commerce international de la Chine qui nécessite le passage dans les eaux arctiques est une menace qui doit être contrée par la militarisation. Cela soulève la question de savoir si la simple existence de la Chine doit désormais être considérée comme une menace pour l'OTAN et ses membres. Combien, parmi le milliard de citoyens que l'OTAN prétend représenter, pourraient accepter cet argument irrationnel, sans parler du presque 1,5 milliard de citoyens de la Chine ? Le fait est que le peuple canadien et les peuples autochtones du Nord se sont toujours opposés à l'OTAN et aux efforts des États-Unis qui s'efforcent d'accroître leur présence et leur contrôle dans l'Arctique.

Pour sa part, Justin Trudeau s'est joint à l'hystérie, en faisant référence à plusieurs reprises à l'Arctique, non pas comme une terre peuplée par les Inuits depuis des temps immémoriaux, mais comme les « approches nord et ouest de l'Europe ». En d'autres termes, la militarisation de l'Arctique est liée à la militarisation de l'Europe.

La présence de l'OTAN a également été justifiée au nom de la réponse au changement climatique, qu'elle qualifie de « multiplicateur de menaces » et considère comme étant avant tout une menace sécuritaire et militaire, plutôt qu'une menace pour les peuples du monde et leur bien-être. La visite a été utilisée pour présenter l'expansion de l'OTAN dans l'Arctique comme liée à la science et même à la protection de l'environnement, avec la promotion du nouveau « Centre d'excellence OTAN pour le changement climatique et la sécurité » que le Canada accueille dans l'Arctique canadien. En somme, toutes les raisons irrationnelles et fallacieuses ont été invoquées pour tenter de justifier quelque chose qui ne peut l'être : la militarisation d'un Arctique déjà fragile au nom de la paix et de la sécurité.

Les jeunes d'Iqaluit, au Nunavut, défendent leur avenir et leur droit à avoir leur mot à dire sur ce qui se passe sur leurs territoires lors d'une marche pour le climat, 5 juin 2019.

Le fait est que l'Arctique appartient aux Inuits et aux peuples autochtones qui vivent sur le territoire arctique de plusieurs États-nations, dont c'est le droit de décider ce qui s'y passe. Ce fait, ainsi que leur opposition à la militarisation de l'Arctique sous commandement des États-Unis pour les « avantages » qu'elle leur apportera prétendument, sont toujours cachés. Justin Trudeau a révélé une conscience coupable lorsqu'il a déclaré : « Nous ne pouvons jamais oublier que la souveraineté ne vient pas des soldats ou des scientifiques, elle vient des gens qui vivent ici depuis des millénaires. Tout ce que nous faisons ici doit non seulement les soutenir, mais aussi tirer parti de leur soutien dans tout ce que nous faisons. »

Qui essaie-t-il de tromper ? Peut-être pense-t-il que sa nomination d'une Inuite et ancienne présidente de la Conférence circumpolaire inuite au poste de gouverneure générale et, à ce titre, de commandante en chef des Forces armées canadiennes (un poste qui revient en réalité au président des États-Unis en raison de l'adhésion du Canada à NORAD et à l'OTAN) convaincra les Inuits que leurs préoccupations d'hier ont été prises en compte et ne sont plus d'actualité ?

En 1989, alors qu'elle était présidente de la Conférence circumpolaire inuite , l'actuelle gouverneure générale Mary Simon a plaidé en faveur d'une zone arctique de paix. « Tout renforcement militaire excessif dans le Nord, que ce soit de la part de l'Union soviétique [d'alors] ou des États-Unis, ne sert qu'à diviser l'Arctique, à perpétuer les tensions Est-Ouest et la course aux armements, et à mettre nos peuples dans des camps opposés », écrivait-elle à l'époque[3]. Il est clair que l'exigence de compromettre sa conscience est devenue la vogue dans le monde impérialiste du XXIe siècle.

La militarisation de l'Arctique et son contrôle par les États-Unis ne soutient pas les peuples du Nord et n'a pas leur appui. C'est précisément la raison pour laquelle tout cela est présenté comme une réponse aux dangers sécuritaires posés par la Russie et la Chine, plutôt que comme une demande des militaristes américains et des plus grands oligopoles pour contrôler les terres, les ressources et les routes commerciales qu'ils convoitent dans leur volonté de contrôler le monde.

Au lieu de militariser l'Arctique, ce qui ne fait qu'accroître les tensions, le Canada devrait exiger sa démilitarisation et permettre aux peuples qui y vivent d'établir des relations fraternelles et des activités durables sur l'ensemble de leurs territoires.

Notes

1. Les investissements particuliers comprendront :-de nouvelles stations radars, la modernisation des systèmes de commandement et de contrôle, des avions de ravitaillement en vol supplémentaires, des missiles air-air perfectionnés pour les chasseurs, des mises à niveau de l'infrastructure des Forces armées canadiennes dans le Nord, et un financement supplémentaire pour compléter et améliorer les projets spatiaux clés.
Les allocations spécifiques comprennent :
- 6,38 milliards de dollars pour des missiles air-air.
6.96 milliards de dollars pour :
- un système de radar transhorizon dans l'Arctique permettant « une poursuite des menaces depuis la frontière canado-américaine jusqu'au cercle arctique »;
- un système de radar transhorizon polaire permettant d'assurer une couverture radar d'alerte « au-delà des voies d'approche vers l'Amérique du Nord depuis l'extrême nord »;
- un réseau complémentaire de capteurs ayant des capacités classifiées distribués dans tout le Nord canadien que les États-Unis pourront utiliser; et
- réaliser et élargir le nouveau projet de surveillance spatiale de pointe annoncé en 2017 dans la politique de défense du Canada;
- 4,13 milliards de dollars pour :
- moderniser les capacités et les systèmes de commandement, de contrôle et de communication des Forces armées canadiennes;
- moderniser le Centre multinational d'opérations aérospatiales du Canada.;
- renouveler les capacités de communications radio à haute et basse fréquence des Forces armées canadiennes;
- renforcer les communications par satellite dans l'Arctique au moyen de fonds supplémentaires afin de réaliser et d'élargir le projet de communications Polaire annoncé dans la politique de défense « Protection, Sécurité, Engagement »;
- acheter et installer de nouvelles radios numériques et de nouvel équipement de réseau;
- collaborer avec les États-Unis afin d'élargir le soutien à l'initiative Pathfinder du NORAD, qui met à profit l'infonuagique et l'apprentissage automatique;
- 15,68 milliards de dollars pour ;
- acquérir des avions de ravitaillement en vol supplémentaires;
- moderniser l'infrastructure des Forces armées canadiennes à quatre endroits dans le Nord du Canada;
- mettre niveau l'infrastructure des chasseurs et les capacités d'alerte de réaction rapide du NORAD dans les bases du Canada;
- moderniser l'infrastructure d'entraînement opérationnel aérien des Forces armées canadiennes.
Fiche d'information : Financement pour la défense continentale et la modernisation du NORAD
2. « In the face of Russian aggression, NATO is beefing up Arctic security », Globe and Mail, 24 août 2022
3. « La lutte des Inuits pour faire de l'Arctique une Zone de paix », LML, 6 avril 2019

(Photos : E. Tranter, LML)


Cet article est paru dans
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Volume 52 Numéro 39 - 7 octobre 2022

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