La plus récente motion contre la Chine à la Chambre des communes

Le 22 février 2021, une motion contre la Chine a été présentée à la Chambre des communes accusant celle-ci de « génocide »[1]. La motion a été proposée par le député conservateur de l'opposition Michael Chong (Wellington - Halton Hills, Ont.) et elle dit : « (a) de l'avis de la Chambre, la République populaire de Chine s'est livrée à des actions correspondant à ce que prévoit la résolution 260 de l'Assemblée générale des Nations unies, couramment appelée ‘convention sur le génocide', dont la mise en place de camps de détention et de mesures visant à prévenir les naissances à l'égard des Ouïgours et d'autres musulmans turciques; b) étant donné que (i) dans la mesure du possible, le gouvernement a comme politique d'agir de concert avec ses alliés lorsqu'il s'agit de reconnaître un génocide, (ii) il existe un consensus aux États-Unis, où deux administrations consécutives sont d'avis que les Ouïgours et d'autres musulmans turciques font l'objet d'un génocide organisé par le gouvernement de la République populaire de Chine, la Chambre reconnaisse qu'un génocide est actuellement perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïgours et d'autres musulmans turciques, demande au Comité international olympique de relocaliser la tenue des Jeux olympiques de 2022 si la République populaire de Chine continue ce génocide et demande au gouvernement d'adopter officiellement cette position. »

La motion a été adoptée à 266 voix contre 0. Les membres du cabinet Trudeau étaient tous absents au moment du vote à l'exception du ministre des Affaires étrangères Marc Garneau qui s'est levé pour préciser : « Je m'abstiens au nom du gouvernement du Canada. » L'amendement du Bloc québécois a aussi été adopté appelant le Comité olympique international à relocaliser les Olympiques d'hiver de 2022 si « le gouvernement chinois continue ce génocide ».

Trudeau a fait du vote sur la résolution non contraignante un vote libre pour les députés libéraux. Selon une déclaration publiée par le ministre Garneau le jour du vote, il s'agissait d'un exercice de démocratie parlementaire, permettant à chaque membre de se faire une idée sur la base des preuves disponibles. En fait, en appuyant la motion et en évitant de prendre position, on dirait davantage une manoeuvre pragmatique crasse du gouvernement libéral qui veut le beurre et l'argent du beurre. C'est ce que laissait clairement entendre la déclaration du ministre. Selon celui-ci, le gouvernement était profondément troublé par les « terribles rapports de violations des droits humains à Xinjiang » et prend toute allégation de génocide extrêmement au sérieux. Il a dit que le Canada a la responsabilité de travailler avec d'autres membres de la communauté internationale pour veiller à ce que de telles allégations fassent l'objet d'une enquête par un organisme international et indépendant composé d'experts juridiques. Quatre jours plus tard, lui et le secrétaire d'État américain Antony Blinken ont eu leur première réunion bilatérale pour « l'avancement du travail de la Feuille de route d'un partenariat renouvelé États-Unis-Canada lancé par le premier ministre Justin Trudeau et le président Joe Biden lors de leur réunion virtuelle le 23 février 2021 ». Selon un rapport de leur réunion, les deux ont discuté des moyens de mieux coordonner et harmoniser leurs approches concernant la Chine.

Cette motion fait suite à une autre motion contre la République populaire de Chine qui a été présentée à la Chambre en novembre 2020, comme quoi la Chine « menace les intérêts nationaux du Canada et les valeurs de la population canadienne » et appelant le gouvernement « à lutter contre l'ingérence de plus en plus forte de la Chine au Canada[2]». Elle a été adoptée avec l'appui des quatre partis d'opposition et d'une poignée de députés libéraux, quelques jours seulement après que le sous-comité de la Chambre des communes sur les droits de la personne ait publié un rapport condamnant la Chine pour la commission d'« actes de génocide » contre la minorité musulmane ouïghoure. Ce comité est connu pour ses nombreuses concoctions de « contextes » pour justifier la politique étrangère canadienne, surtout lorsque le recours aux « droits humains » comme prétexte pour s'ingérer dans les affaires d'autres pays et peuples est à l'ordre du jour. Dans ce cas-ci, comme pour toutes les « études sur la situation au Venezuela » visant à justifier le rôle du Canada dans les activités de changement de régime des États-Unis dans ce pays, le rapport du comité est conforme aux « preuves » mises de l'avant par le porte-parole de « témoins » partiaux appelé à témoigner. Parmi eux, il y a les ONG financées par les États-Unis et d'autres personnages résolument antichinois prétendant être les défenseurs de la démocratie et des droits humains, tandis que les personnes dont les enquêtes et l'expérience viennent contrer le mythe du « génocide ouïghour » ne sont jamais invitées à venir expliquer le résultat de leurs enquêtes[3].

Cette campagne acharnée visant à diaboliser la Chine est inspirée des intérêts impérialistes américains pour isoler la Chine et l'éliminer en tant que concurrent économique mondial. L'opposition économique et politique à la Chine est alimentée par de puissants intérêts privés qui alimentent aussi les soi-disant soulèvements démocratiques à Hong Kong, la négation de la politique d'une seule Chine par Taïwan et la machine de guerre américaine. Fabriquer des histoires au sujet de ce qui se passe en Chine n'a rien à voir avec la création de systèmes démocratiques modernes mais a plutôt tout à voir avec la promotion de politiques identitaires afin de diviser et régner. Croire pour un instant que les États-Unis et le Canada ont à coeur le sort des Ouïghours dépasse les limites de l'imagination, même la plus tordue. La promotion intéressée de questions soulevées dans ces résolutions et visant à susciter des craintes d'ingérence étrangère et de puissances étrangères qui se serviraient de Canadiens comme d'agents agissant pour leur compte a pour but de justifier la consolidation des pouvoirs de police au Canada afin de limiter la parole, la soi-disant propagande haineuse et plus encore. Maintenant ils ont ajouté le crime haineux de génocide à leur lexique de mots à la mode qui banalise la signification des mots, déforme l'histoire, passée et présente, et justifie les crimes du présent.

Le 24 février était le 133e anniversaire de la première attaque à grande échelle contre les travailleurs d'origine chinoise à Vancouver en 1887 inspirée par la propagande antichinoise. Une attaque n'attendait pas l'autre contre les Chinois. Le gouvernement fédéral a recueilli plus de 23 millions de dollars en taxes d'entrée de citoyens chinois, jusqu'à ce que la Loi de l'immigration chinoise de 1923 stoppe totalement leur arrivée. En 1925, l'employé de maison Wong Foon Sing a été enlevé et torturé sous les ordres du procureur général provincial, qui prétendait que l'homme était soupçonné d'avoir tué une femme de chambre de Shaughnessy, une subdivision de Vancouver.

Le Canada a été fondé sur la base du génocide contre les nations autochtones et le traitement raciste des Chinois, des Japonais et des Indiens et la déclaration de la supériorité des soi-disant « nations fondatrices », l'une anglaise et l'autre française, au détriment de tous les autres. Prétendre, à la lumière de tout ce que l'État canadien a fait pendant plus de cent ans, que certains Canadiens pourraient agir pour le compte d'une puissance étrangère, consciemment ou inconsciemment, et que l'État doit nous défendre, défie toute logique. C'est d'emprunter aux scénarios qui ont mené à l'internement non seulement des Japonais – dont les maisons, les terres et les flottilles de pêche sont passées aux mains des défenseurs de Keep Canada White – mais aussi des Allemands, Ukrainiens, Japonais, Italiens, communistes et d'autres durant la Deuxième Guerre mondiale, sous prétexte qu'ils étaient des ennemis étrangers.

Munir les services de sécurité secrets d'impunité pour surveiller, restreindre et criminaliser les activités de ces gens que l'État a étiquetés d'ennemis réels ou potentiels, d'espions et extrémistes idéologiques ne vise pas à résoudre le moindre problème auquel les Canadiens sont confrontés. Ce sont des gestes qui sèment le vent et aucune quantité de propagande visant à détruire la cohésion politique et à désinformer les efforts du peuple pour s'investir du pouvoir ne permettra à ceux qui s'y prêtent d'éviter la tempête. Aussi longtemps que les critères sont gardés sous clé au nom de la sécurité nationale, ce qui est promu autorise les services de sécurité comme le Service canadien de renseignement de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications Canada à surveiller toutes les opinions liées à la politique et les affaires internationales sans aucune considération pour ce que les Canadiens sentent, pensent et veulent. Les sondages intéressés financés par les mêmes forces qui agissent en ce sens contribuent au problème et non à la solution.

De toute évidence, cette dernière motion contre la Chine a été inspirée par les accusations portées par les administrations Trump et Biden. La motion est explicite : « Il existe un consensus aux États-Unis, où deux administrations consécutives sont d'avis que les Ouïgours et d'autres musulmans turciques font l'objet d'un génocide organisé par le gouvernement de la République populaire de Chine. » Après enquête, il est clair que la toute première accusation en ce sens du secrétaire d'État de Trump, Mike Pompeo, qui est virulemment antichinois, accusant la Chine de commettre le génocide, et la reprise éventuelle de cette accusation par le secrétaire d'État de Biden, Anthony Blinken, proviennent d'une seule source : un article publié en juin 2020 par un chercheur allemand, Adrian Zenz. Loin d'être « un des plus éminents spécialistes du monde sur la République populaire de Chine » comme il le prétend, Zenz est en fait un chrétien fondamentaliste de droite avoué dont le travail consiste essentiellement à attaquer le Parti communiste de Chine. Il est affilié à la Fondation à la mémoire des victimes du communisme et la Fondation néoconservatrice Jamestown à Washington. Une étude minutieuse de sa recherche révèle un abus flagrant de données et des faussetés pures et simples[3].

Honte aux conservateurs d'avoir proposé cette motion et à tous les partis de cartel à la Chambre des communes qui, sans hésiter, ont exprimé leur accord. Pour ce qui est du gouvernement du Parti libéral et ce qu'il nous réserve en restant silencieux et en s'abstenant, son jeu finira par être exposé alors qu'il poursuivra ses conspirations avec l'administration américaine visant à attaquer la Chine, justifier les mesures d'extradition falsifiée contre la directrice de Huawei, Meng Wanzhou, sans oublier toutes les manigances pour faire libérer les deux Canadiens emprisonnés en Chine. C'est le genre de discours qui prétend parler au nom des Canadiens tout en déterminant les « intérêts nationaux » du Canada.

Un récent article de LML au sujet de la propagande antichinoise souligne : « Ces intérêts privés se sont emparés de l'État des États-Unis, auquel ils ont également subordonné l'État canadien. Ils utilisent leur appareil de désinformation et leurs budgets pour mettre tout le poids de l'État à contribution dans leur effort pour éliminer les concurrents. Les peuples des pays qui composent le système impérialiste d'États sont censés prendre parti. »

Dans un article de 1996 à ce sujet, LML soulignait : « Les groupes de défense des droits humains devraient réfléchir à ces questions très sérieusement. En ce qui concerne la République populaire de Chine, elle a raison de s'opposer à cette ingérence dans les affaires intérieures de pays étrangers sous prétexte d'y défendre les droits humains. Les groupes de défense des droits humains, les partis politiques, toutes les personnes éprises de justice et de paix du monde se doivent de dénoncer l'impérialisme américain et tous les autres impérialistes et réactionnaires qui cherchent à justifier l'intervention, l'agression et la guerre. Ils doivent en même temps combattre pour les droits humains chacun dans son pays, et cela nécessite des transformations en profondeur sur les plans constitutionnel, juridique, économique, politique et culturel. Seuls les pays et les peuples qui garantissent les droits de tous les membres de la société, y compris les droits humains, des droits politiques égaux, les droits des femmes, etc. auront le droit moral de prêcher la même chose ailleurs. Sinon, qu'on ait les meilleures intentions du monde, on aboutit inévitablement à se faire le porte-parole des ambitions de l'impérialisme américain et des autres impérialistes et réactionnaires. Ces derniers comptent sur la confusion totale concernant les droits de leurs propres citoyens et des peuples du monde pour trouver des prétextes pour continuer de porter atteinte aux droits civils et aux droits politiques de leurs citoyens et les écarter de toute discussion sur une définition moderne des droits humains. Personne ne doit accepter de devenir l'instrument de leur intervention dans les affaires intérieures de pays étrangers et de leurs tentatives de justifier leurs agressions. C'est un bien mauvais présage pour les peuples du monde et cela conduit directement à une guerre inter-impérialiste mondiale. La classe ouvrière et les larges masses du peuple doivent être les premiers à s'assurer que cela ne se produise pas[5]. »

Notes

1. La définition juridique du génocide en vertu de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) est : « l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

« a. Meurtre de membres du groupe ;

« b. Atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

« c. Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

« d. Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

« e. Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »

2. Voir « Le retour de l'hystérie du péril jaune », Pauline Easton, LML, 21 décembre 2020

3. Voir « Subcommittee report declaring 'Uighur Genocide' dominated by researchers and groups funded by CIA cut-out, National Endowment for Democracy », Aidan Johah, www.thecanadafiles.com, 22 février 2021

4. Voir « U.S. State Department accusation of China 'genocide' relied on data abuse and baseless claims by far-right ideologue », Gareth Porter et Max Blumenthal, thegrayzone.com, 18 février 2021

5. « L'impérialisme américain et les droits humains », Le Marxiste-Léniniste quotidien, 15 mars 1996


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 6 - 28 février 2021

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