Les conditions de travail des pompiers forestiers
Une équipe de pompiers forestiers au Québec prépare le travail du lendemain
Les pompiers forestiers se sont avérés être une ressource inestimable, allant au-delà de ce qui est exigé d'eux pour contenir les feux de forêt qui brûlent partout au Canada. Tout comme pour les travailleurs dans le domaine de la santé qui, après avoir été encensés en tant qu'« anges gardiens », ont été traités comme des choses jetables, les gouvernements sont indifférents aux conditions des pompiers et à leur inestimable expérience et leur savoir-faire dans la lutte contre les feux de forêt au XXIe siècle.
Les pompiers forestiers et leurs syndicats, les peuples autochtones et les autres communautés les plus frappées par les feux de forêt, ainsi que les chercheurs et les scientifiques se font tous entendre sur ce qu'il faut faire. Ils mettent de l'avant plusieurs recommandations et solutions et demandent que les services de feux de forêt soient restaurés après avoir été charcutés et détruits par l'offensive antisociale menée par les gouvernements partout au pays et ils exigent une démarche digne du XXIe siècle pour contrôler les feux de forêt.
Les conditions de travail, qui ont toujours été difficiles, sont maintenant insoutenables. Une des premières mesures requises est de résoudre le problème de recrutement et de rétention en prenant en compte l'énorme valeur créée par les travailleurs, les dangers qu'ils doivent affronter et le travail difficile qu'ils font.
La saison a débuté dans un contexte de pénurie aigüe de pompiers forestiers. Selon le balado Hotshot Wakeup, plus de 40 % des pompiers forestiers au Canada ont quitté le secteur en raison des conditions de travail insoutenables. Par conséquent, le Canada doit compter sur des milliers de pompiers venant de partout dans le monde. Malgré l'aide appréciée des plus de 5 000 pompiers provenant de divers pays cette année, il y a toujours une importante pénurie. La vie de ces pompiers est à risque en raison du manque de ressources humaines et d'autres ressources au Canada.
Des pompiers d'Afrique du Sud, du Costa
Rica et du Chili (de haut en bas) arrivent au Canada pour
combattre les incendies de forêt.
Le travail des services de feux de forêt est en grande partie saisonnier ou temporaire. Les salaires sont bas, les taux de base pour les équipes de pompiers étant entre 21 et 24 dollars d'heure partout au pays. Pour gagner assez d'argent pour survivre pendant la saison morte, il faut faire beaucoup de temps supplémentaire et les revenus varient énormément d'une année à l'autre, selon le niveau d'activité des feux. Il n'y a pas de formation professionnelle. En Alberta, les pompiers ont dénoncé le gouvernement pour avoir publié des offres d'emploi de travail saisonnier comme pompier moins d'un mois avant le début de la saison. Par conséquence, le roulement du personnel a été de 25 % à 50 %, rapporte Mike Dempsey du Syndicat des employés provinciaux de l'Alberta (AUPE).
Contrairement à la situation des pompiers dans les zones urbaines, il n'y a pas de possibilité de retraite précoce ni la reconnaissance des impacts de l'exposition soutenue à la fumée intense. Même dans les zones urbaines, le service d'incendie est de plus en plus réduit à un service volontaire. Un grand nombre d'emplois dépendent de la sous-traitance avec des entreprises privées, et même les personnes qui travaillent dans le secteur public et qui ont des régimes de retraite ne peuvent survivre à la retraite en raison du travail saisonnier et des salaires de misère. Les heures supplémentaires ne sont pas comptabilisées en tant qu'heures donnant droit à une pension.
La situation est à peu près la même aux États-Unis où en juin le directeur adjoint du Service forestier a dit au Congrès que si une solution salariale n'était pas adoptée, le service forestier pourrait perdre de 30 à 50 % de sa main-d'oeuvre.
Le Syndicat de la fonction publique de la Colombie-Britannique (BCGEU) revendique des équipes de pompiers à temps plein et à l'année longue. « Afin de pouvoir élargir et augmenter notre capacité de combattre les feux de forêt, nous avons besoin d'un service dévoué avec un recrutement et une rétention qui permettront à une autorité dévouée de combattre les feux de forêt et de vivre et de travailler à l'année longue dans ces communautés », dit Paul Finch, vice-président du BCGEU en 2022, dans le magazine d'information Pique. La réponse du gouvernement de la Colombie-Britannique a été d'embaucher une équipe permanente de 100 personnes, une mesure nettement insuffisante.
Des équipes à temps plein, rémunérées comme il se doit, pourraient recruter et retenir les travailleurs, les former comme il faut pour qu'ils soient prêts à intervenir dès le début de la saison, qui commence de plus en plus tôt selon les travailleurs et leurs syndicats. Présentement, la formation de nouvelles équipes est minimale. Elle peut être de 40 heures en Ontario et de 8 jours de 10 à 12 heures en Colombie-Britannique. Le fait de perdre des équipes ayant de l'expérience augmente les risques pour les pompiers dans un contexte où les incendies sont plus intenses et difficiles à contrôler.
Le Syndicat des employés provinciaux de l'Alberta (AUPE), qui représente les pompiers forestiers, revendiquent de mettre fin à la sous-traitance dans le privé et que les sommes perdues en raison des compressions faites par le gouvernement du Parti conservateur uni (PCU) soient restituées. L'AUPE affirme qu'elle n'a pas arrêté d'exiger du gouvernement qu'il embauche les pompiers forestiers nécessaires et que ceux-ci soient affectés en tout temps sur le terrain. Le gouvernement a plutôt réduit le financement de ce travail essentiel et confié certains services en sous-traitance à des entreprises privées. En mai, la Commission de la fonction publique de l'Alberta a lancé un appel désespéré à tous les employés du gouvernement provincial ayant de l'expérience à combattre les feux de forêt de se porter volontaires, ce qui confirmait, selon l'AUPE, que le gouvernement était en effet désespéré.
Trina Moyles, qui a travaillé dans une tour d'observation de feux de forêt dans le nord-ouest de l'Alberta, a expliqué dans le balado du Narwhal « Let's talk about wildfires » (« Discutons des feux de forêt ») pourquoi la question d'avoir des équipes permanentes à l'année longue est importante. Des brûlages contrôlés dans des conditions idéales alors qu'il y a encore de la neige sur le sol, et que le vent et la température sont faibles, sont d'excellentes mesures permettant aux pompiers de gagner en connaissances et en expérience et de contrôler l'ampleur et la propagation des feux de forêt[1].
En outre, les pompiers soulignent que parce que l'intensité des incendies a changé, et parce que les nuits sont plus douces, les incendies ne s'estompent pas la nuit comme ils le faisaient par le passé. Par conséquent, les équipes doivent travailler toute la nuit et continuer de travailler jusqu'au lendemain. Il est donc nécessaire d'avoir deux ou plus de quarts de travail plutôt que l'approche actuelle qui est de confier à une équipe la tâche de combattre à elle seule un incendie.
Les gardiens du feu dirigés par des autochtones
De nombreux pompiers forestiers sont membres de nations autochtones. Amy Cardinal Christianson, chercheuse métisse en incendie au Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada, indique que la plupart des pompiers autochtones sont saisonniers, même si nombre d'entre eux travaillent dans ce domaine depuis 30 ou 40 ans. Les peuples autochtones réclament depuis longtemps un programme de gardiens du feu dirigé par les autochtones, qui inclurait des pratiques culturelles, explique Amy Cardinal[2].
Les peuples autochtones de l'île de la Tortue vivent avec le feu depuis des temps immémoriaux et ont développé des pratiques culturelles telles que les brûlages contrôlés pour maintenir l'équilibre des écosystèmes. Les brûlages étaient effectués de manière cyclique, en fonction des conditions, et reposaient sur les connaissances approfondies des gardiens du feu. Les gouvernements qui ont suivi ont rendu ces pratiques illégales et, aujourd'hui encore, elles ne peuvent être mises en oeuvre sans permis, qui sont difficiles à obtenir. Par exemple, la conservation des prairies ouvertes grâce à des brûlages contrôlés d'herbes sèches au printemps rend le sol noir, réchauffe le sol et produit de l'herbe nouvelle plus tôt, réduisant ainsi la quantité d'herbe sèche où le feu peut facilement s'allumer. Les gardiens du feu expliquent que cette pratique a créé des conditions favorables aux plantes médicinales et alimentaires, au retour d'animaux tels que les élans, les bisons et les mouflons, ainsi qu'à la création de coupe-feu. Ils expliquent que lorsque le sous-bois et les jeunes arbres sont brûlés, les arbres restants deviennent plus grands et plus résistants aux incendies de surface, tandis que la canopée est plus étalée, ce qui profite à la faune et à la flore, mais réduit également la propagation du feu dans la canopée. Ils soulignent également que le reboisement effectué par les monopoles en plantant une seule espèce après une coupe à blanc ne rétablit pas l'équilibre de l'écosystème dont les forêts ont besoin. Il s'agit d'une démarche purement intéressée visant à faciliter la demande pour l'exportation de grumes.
Le territoire des Tsilhqot'in, situé à l'intérieur de la province, a connu en 2017 certains des pires incendies de l'histoire de la province. Le chef Joe Alphonse du gouvernement national des Tsilhqot'in a qualifié l'incapacité des gouvernements fédéral et provincial à reconnaître les connaissances autochtones de la plus grande menace pour la Première Nation que les feux de forêt eux-mêmes.
Joe Alphonse a expliqué que les connaissances locales des membres de la Première Nation Tsilhqot'in et leur attachement à leurs terres leur ont donné un avantage lorsqu'ils sont restés sur place pour les protéger en 2017. « Nous avons réussi à tout sauver, nous avons arrêté le feu juste à notre porte et nous l'avons fait sans que personne ne perde la vie ou ne soit blessé. »
Joe Alphonse a déclaré qu'après les incendies de 2017 qui ont touché les terres des Tsilhqot'in, la Première Nation est devenue la première communauté à signer un accord formel de réponse aux incendies de forêt avec les gouvernements fédéral et de la Colombie-Britannique, à la suite duquel 400 personnes de la communauté ont été formées à la lutte contre les incendies. Ne pas prêter attention à la nature changeante des incendies du XXIe siècle n'est pas une option, en raison des conséquences énormes pour la vie humaine et l'écosystème dans son ensemble, a-t-il souligné.
La nécessité d'adopter des mesures « anti-feux » pour protéger les villes et les communautés des Premières Nations et des Métis est évidente, surtout depuis l'incendie de Slave Lake en 2011 et celui de Fort McMurray en 2016, où des milliers de personnes ont perdu leur maison et tout ce qu'elles possédaient. Il a également montré que les gouvernements refusaient de prendre au sérieux les mesures nécessaires pour protéger les communautés, en particulier celles qui n'ont qu'une seule ou même aucune route d'accès[3].
Les mesures visant à répondre aux incendies de forêt du XXIe siècle font partie du travail pour surmonter les effets destructeurs des changements climatiques et les pratiques imprudentes des monopoles et oligopoles et des gouvernements à leur service qui exercent aujourd'hui le pouvoir de décision. Les peuples autochtones et les communautés locales ne perdent pas seulement leurs maisons, elles perdent aussi leurs territoires traditionnels, qui jouent tous un rôle décisif dans la gestion des incendies.
De nombreuses pratiques industrielles qui ont un impact négatif sur la gravité et la propagation des incendies doivent également être éliminées. Outre la plantation de monocultures, ces pratiques comprennent la pulvérisation d'herbicides pour tuer les espèces de moindre valeur commerciale mais moins susceptibles de brûler, ainsi que la plantation de peuplements d'arbres qui ont tous le même âge[4].
Toutes les personnes engagées dans la prévention, la lutte contre les incendies, la recherche et l'éducation constituent une ressource extrêmement précieuse. Elles sont dévouées et savent ce qu'il faut faire maintenant pour atténuer l'impact des incendies du XXIe siècle. Ceux qui ont montré par leur travail qu'on peut leur faire confiance pour protéger nos communautés et prendre soin de notre mère la Terre doivent avoir un pouvoir de décision. Ils savent que les demandes qu'ils adressent à la société sont justes. Cela inclut ce dont ils ont besoin pour leur propre santé, leur sécurité et leur bien-être, y compris la fin de la précarité et des salaires et conditions de travail adéquats.
Notes
1. Trina Moyles est l'auteur de Lookout : Love, Solitude, and Searching for Wildfire in the Boreal Forest. (Heather Van Haren)
2. Voir « Canada needs Indigenous-led fire stewardship, new research finds, UBC News and Centering Indigenous Voices : The Role of Fire in the Boreal Forest of North America »
3. Voir aussi « The Fires Awakened Us – Tsilhqot'in Report – 2017 Wildfires »
4. Voir « Pas de retour en arrière- un changement de paradigme en gestion forestière – Peter Ewart », Forum ouvrier, 19 mars 2021
Cet article a été publié dans
Numéro 45 - 23 août 2023
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