Numéro 94 - 13 octobre 2021
Le gouvernement ontarien
permettra à la Commission d'indemnisation de
distribuer tout « surplus » aux employeurs
Tout en oeuvre pour s'opposer aux
attaques contre les travailleurs accidentés!
• Nous
devons tous travailler ensemble contre ces
changements radicaux qui touchent les
travailleurs et leurs prestations partout au
Canada
- Entrevue avec Steve Mantis
Le gouvernement ontarien permettra
à la Commission d'indemnisation de distribuer tout
« surplus » aux employeurs
Le 6 octobre, le ministre ontarien du
Travail, de la Formation et du Développement des
compétences, Monte McNaughton, a annoncé qu'il
allait déposer un projet de loi avant la fin du
mois d'octobre qui autoriserait la Commission de
la sécurité professionnelle et de l'assurance
contre les accidents du travail (CSPAAT) à
distribuer les
fonds en surplus aux employeurs. Le projet de loi
prévoira de leur faire parvenir l'argent
directement ou encore de réduire leurs taux de
cotisation.
Cette annonce arrive au
lendemain d'une consultation bidon organisée
derrière des portes closes par la CSPAAT auprès
d'intérêts privés pendant l'été. Aucune
information sur la consultation et aucune
invitation à y participer n'ont été envoyées aux
organisations de travailleurs accidentés. Ce n'est
qu'en raison de leur travail acharné pour la
justice
et contre la suppression de leurs voix que ceux-ci
ont eu vent de la consultation et ont insisté pour
qu'ils puissent y présenter des mémoires. Ils ont
aussi organisé des réunions virtuelles pour
informer les gens du projet du gouvernement et
pour dénoncer toute mention de « surplus »
sans que les décennies de compressions dans
l'indemnisation des travailleurs accidentés par
les gouvernements qui se sont succédé ne soient
renversées.
Comme c'est le cas du régime de
l'assurance-emploi, ce soi-disant surplus a été
créé sous le prétexte d'assurer la viabilité du
régime d'indemnisation. En réalité, il a été
obtenu par des coupures massives dans les
prestations des travailleurs accidentés, ce qui
les a plongés dans une extrême pauvreté, tout en
réduisant les cotisations des
employeurs. La distribution des surplus aux
employeurs par le biais d'une loi va donner
exactement le même résultat.
Les travailleurs accidentés ont dit très
clairement que la CSPAAT doit répondre à leurs
revendications et que l'objectif du système
d'indemnisation ne peut être que la justice pour
les travailleurs accidentés. Ils s'opposent
fermement à ce que le système devienne un autre
stratagème pour payer les riches aux dépens des
travailleurs et du peuple,et,
dans ce cas, des plus vulnérables.
Défendons tous la dignité et les
droits des travailleurs accidentés !
- Entrevue avec Steve Mantis -
Steve Mantis est le président du Comité
d'action pour la recherche du Réseau ontarien
des groupes de travailleurs accidentés (ONIWG).
Forum ouvrier : Que
penses-tu de l'annonce récente du gouvernement
Ford au sujet de la loi à venir qui permettra à la
CSPAAT (Commission de la sécurité professionnelle
et de l'assurance contre les accidents du travail)
de distribuer ce qu'elle appelle les « fonds
excédentaires » aux employeurs ?
Steve Mantis : Le
gouvernement de l'Ontario refuse aux travailleurs
des soins médicaux et des prestations et envoie
l'argent qu'il épargne aux grandes entreprises.
C'est exactement le contraire de ce que notre
système public a été conçu pour faire. Il a été
conçu pour aider les travailleurs lorsqu'ils se
blessent ou tombent
malades au travail. Le système est maintenant
conçu pour être un générateur de revenus pour les
entreprises.
Nous devons comprendre que c'est une attaque
contre nous tous. Certains travailleurs peuvent
penser que tout va aller bien pour eux s'ils ne
sont pas blessés, mais ce n'est qu'une des
nombreuses attaques auxquelles les travailleurs
font face, non seulement en ce qui concerne leur
santé et leur sécurité, mais aussi leur revenu,
leurs avantages
sociaux, leur capacité à mener une vie décente
dans un environnement sécuritaire.
En même temps, nous sommes au milieu d'une
pandémie et le gouvernement de l'Ontario refuse de
reconnaître de manière significative que la
transmission se produit au travail. Pour prévenir
cela, nous devons donner aux travailleurs des
jours de congé de maladie légiférés afin qu'ils
puissent se protéger et protéger les autres
lorsqu'ils sont à
risque. Mais le gouvernement dit Non !, les
entreprises ne peuvent pas se le permettre. Donc,
une fois de plus, les travailleurs qui sont à haut
risque et qui se trouvent souvent dans des
situations précaires, ainsi que leurs familles et
leurs communautés, doivent faire face aux
conséquences les plus graves pour leur santé, à
cause de la
pandémie.
Et
cela se produit d'un océan à l'autre. Récemment,
Karen Messing s'est jointe à notre séance
régulière sur les travailleurs accidentés à
Thunder Bay. Elle est une professeure à la
retraite de l'UQAM (Université du Québec à
Montréal). Biologiste et ergonome, elle est l'une
des meilleures chercheuses en matière de santé et
de sécurité et
a beaucoup travaillé avec les syndicats et les
groupes de femmes du Québec. Elle s'intéresse
particulièrement à la santé et à la sécurité des
femmes au travail. Elle nous a fait le point sur
la loi qui vient d'être adoptée au Québec en
matière de santé et de sécurité au travail, qui va
jusqu'à attaquer les comités mixtes de santé et de
sécurité, ce qui est
tout simplement inacceptable. Forum ouvrier est
la seule publication où nous avons pu trouver de
l'information en anglais sur cette loi.
En Colombie-Britannique, l'ombudsman vient de
publier un rapport sur la façon dont les
politiques de la commission d'indemnisation de la
province mettent les travailleurs en danger,
notamment en ce
qui concerne les blessures récurrentes et la
pauvreté, et ceci se produit constamment.
Il ne se fait pas beaucoup de recherche. Mais ce
que nous avons constaté dans différentes
juridictions à travers le monde, de l'Australie à
la Colombie-Britannique, en passant par l'Ontario
et l'État de Washington, c'est qu'entre 35
et 40 % des travailleurs qui ont subi
une blessure grave et sont forcés de retourner au
travail,
se blessent à nouveau au travail et deviennent
encore plus invalides. Le rapport de l'ombudsman
de la Colombie-Britannique est très clair :
le médecin dit que le travailleur ne peut pas
retourner au travail, que ce n'est pas sécuritaire
de le faire, mais la commission d'indemnisation
dit « eh bien, nous pensons que ce travailleur
peut retourner
au travail, en lui assignant des tâches
légères », et on lui retire ses prestations.
Le travailleur doit alors envisager soit de
retourner au travail, soit de perdre son
appartement ou sa maison et de devenir un
sans-abri. Il retourne donc au travail et c'est là
que le taux d'accidents est le plus élevé.
Ensuite, une fois que cela s'est produit, vous
pouvez devenir enlisé, comme le démontre l'enquête
de l'ombusdman de la Colombie-Britannique, pendant
cinq ans, si vous pouvez l'endurer, dans un
système d'appel pour pouvoir obtenir une décision
équitable à la fin.
Pour en revenir à l'Ontario, la commission
d'indemnisation a économisé 2 milliards de
dollars par an. Elle a réduit de 50 % le
montant de ses dépenses totales. Elle dépense
aujourd'hui 2 milliards de dollars de moins qu'il
y a 10 ans. Cela s'est fait progressivement.
Depuis 2010, la commission a procédé à des
réductions de plus en plus importantes. Ils ont
suivi tout un processus pour identifier les
domaines dans lesquels ils dépensaient le plus
d'argent, puis ils ont mis en place des politiques
pour « arrêter l'hémorragie », comme ils le
diraient. Par exemple, différents groupes ont été
ciblés, comme les femmes, les francophones, les
immigrants qui,
selon eux, recevaient trop fréquemment des
prestations d'indemnisation. Ils ont élaboré des
stratégies pour réduire les prestations que ces
personnes recevaient.
Ils
ont vraiment ciblé les travailleurs ayant subi des
blessures graves comme étant les plus grandes
dépenses de ce système, parce qu'ils touchent des
prestations plus longtemps. L'impact de leur
blessure se fait sentir pendant une longue
période, pendant toute une vie.
En Ontario, il y a environ 20 000
nouveaux travailleurs qui subissent une blessure à
vie chaque année. Environ 350 000
personnes déposent une réclamation chaque année.
Les recherches montrent qu'un grand nombre de
personnes ne déposeront jamais de réclamation, en
particulier les travailleurs précaires qui n'ont
aucune sécurité d'emploi, qui vivent au jour le
jour et qui n'ont pas une bonne situation
professionnelle. Ils craignent que s'ils déposent
une réclamation, leur emploi soit menacé.
Ainsi, chaque année, ils ont eu un excédent. Ils
avaient l'habitude de dépenser environ 4,3 ou
4,5 milliards de dollars par an. Maintenant, ils
dépensent la moitié de ce montant. Ils ont des
revenus excédentaires qui entrent, et cela devient
leur fonds de réserve. Et maintenant, leur fonds
de réserve est d'environ 40 milliards de
dollars. Et d'après leurs calculs, avec leur
propre vérificateur interne et actuaire, ils ont
déterminé qu'ils ont environ 33 milliards de
dollars de passif futur. Cela signifie que pour
des gens comme moi et tous les autres travailleurs
accidentés qui touchent des prestations à long
terme, s'ils devaient tous nous payer aujourd'hui,
cela
coûterait 33 milliards de dollars. Ils ont
environ 7 milliards de plus que ce dont ils
ont besoin.
Ils jouent avec ces chiffres, qui changent
beaucoup car une grande partie de cet argent se
trouve sur les marchés boursiers. Donc, quand les
actions montent et descendent, les montants qu'ils
ont en réserve montent et descendent. C'est ce qui
a causé la crise en Ontario qui s'est produite il
y a 10 ans lorsque le gouvernement a
dit :
« Vous devez vous assurer d'avoir tout l'argent en
banque et ce n'est pas le cas en ce moment. »
C'était juste après le krach boursier
de 2008-2009. Tout l'argent est revenu depuis
que les actions ont chuté de près
de 50 % après le grand effondrement
économique. L'argent est donc revenu, mais
l'évaluation qui a été faite
en 2010 était que la situation financière
était très mauvaise, qu'il s'agissait d'une crise.
Toute personne qui connaît le fonctionnement du
marché boursier sait que l'argent va revenir. Une
partie de l'excédent dont ils disposent,
ces 7 milliards de dollars, est due au fait
que le marché boursier se porte bien. Cela aussi
crée des
revenus.
FO : Quelles sont les
principales demandes de l'ONIWG en rapport à cette
distribution des « surplus » aux
employeurs ?
SM : ONIWG a soumis un
mémoire, tout comme un certain nombre d'activistes
locaux et des organisations telles que la
Fédération du travail et la Clinique juridique
communautaire des travailleurs accidentés (IWC).
De nombreuses soumissions ont été envoyées au
gouvernement qui a organisé une courte
consultation.
Ce que nous avons dit, c'est que nous devons nous
occuper des travailleurs accidentés avant de
commencer à envoyer de l'argent aux entreprises et
aux employeurs. Nous exigeons qu'ils remplissent
leurs obligations envers les travailleurs pour
lesquels le système a été mis en place.
Nous sommes revenus sur nos trois principales
revendications, car c'est là que vous les voyez
utiliser ces politiques bidon pour réduire les
indemnisations.
La première est d'écouter le médecin traitant au
lieu de l'ignorer et de passer outre, ce qui
compromet la santé des travailleurs. Le médecin
traitant doit être écouté.
Deuxièmement, il faut cesser de déclarer que des
personnes ont un emploi alors qu'elles n'en ont
pas. Font partie de cela des déclarations selon
lesquelles les travailleurs accidentés sont
employables et alors on met fin à leurs
prestations. En Ontario, on appelle souvent cette
pratique le « deeming » (la présomption).
Le troisième point est de cesser d'utiliser les
conditions préexistantes comme moyen de supprimer
les prestations. Cela se produit assez souvent,
une fois que le travailleur a atteint une sorte de
plateau où il s'est rétabli autant qu'on pouvait
s'y attendre. S'il y a une incapacité résiduelle,
on prétend que c'est parce que quelque chose
d'autre est
arrivé qui n'est pas lié à l'accident au travail.
FO : Que voudrais-tu dire en
conclusion ?
SM : Nous devons tous
travailler ensemble nous opposer à ces changements
radicaux qui touchent les travailleurs et leurs
prestations partout au Canada.
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