Forum ouvrier

Numéro 63 - 30 juin 2021

Le «droit» à la mobilité de la main-d'oeuvre en vertu de la Charte canadienne traite les travailleurs comme jetables

L'édification nationale doit assurer le droit à un moyen de subsistance là où les gens vivent et un statut pour toutes et tous

• Note aux lecteurs 


Le «droit» à la mobilité de la main-d'oeuvre en vertu de la Charte canadienne traite les travailleurs comme jetables

L'édification nationale doit assurer le droit
à un moyen de subsistance là où les gens vivent et un statut pour toutes et tous

Une des principales réalisations du gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau a été d'enchâsser ce qui est appelé la mobilité de la main-d'oeuvre comme un droit garanti par la Charte. Cela a eu comme résultat que la mobilité de la main-d'oeuvre est un de nos droits fondamentaux au Canada en vertu duquel une personne a le droit de se déplacer partout pour trouver un emploi. Elle a finalement été inscrite dans la Charte des droits et libertés en 1982.

Les travailleurs ont le « droit » de se déplacer partout dans le monde pour travailler, comme s'ils voulaient quitter leur maison pour gagner leur vie au lieu d'avoir le droit protégé à un moyen de subsistance, de la nourriture, un logement, des soins de santé et une éducation dans leur pays et leur lieu d'origine. Puis, après avoir inscrit la mobilité de la main-d'oeuvre dans la charte comme un droit, les cercles officiels traitent le travail au Canada comme un privilège. Selon eux, le Canada est le meilleur pays au monde où vivre et travailler, alors les gens devraient être reconnaissants, suivre les règles et se taire.

La question n'est pas de savoir si le Canada est ou n'est pas le meilleur pays où vivre et travailler, ni de le comparer à des pays déchirés par la guerre ou à des pays en proie à la pauvreté et à la misère à cause de l'exploitation et de l'oppression impérialistes. Ces comparaisons sont une diversion parce qu'elles ne vont pas au coeur du problème de quelque façon qui puisse être à l'avantage de quelqu'un. Le côté intéressé des programmes mis sur pied par le gouvernement du Canada est tel qu'ils servent les plus grandes entreprises au détriment du peuple. En forçant tout le monde à se débrouiller eux-mêmes, ils visent aussi à détourner les travailleurs de la lutte pour les droits de tous dans toutes les conditions et circonstances et pour établir une nouvelle direction pour l'économie.

Depuis que l'offensive néolibérale antisociale a été lancée au début des années 1990, la façon dont le travail est structuré dans le monde a changé.

Les travailleurs ont vécu l'introduction de salaires à deux paliers et de mesures différentes pour des personnes différentes, telles que les avantages sociaux et les régimes de retraite à prestations déterminées, qui sont tolérés pour les travailleurs plus âgés, mais pas pour les nouveaux engagés dans la sidérurgie, la foresterie, les transports, les communications et tous les secteurs de l'économie où le gouvernement s'assure que les entreprises sont protégées tandis que les travailleurs sont criminalisés et considérés comme jetables. On connaît la lutte courageuse menée par les travailleurs et travailleuses de Telus et de Bell Canada qui se sont opposés fermement à la fermeture d'entreprises qui se réinventent sous de nouveaux noms et réembauchent les travailleurs, en particulier les femmes, à la moitié de leur salaire. Il en est de même aux postes où les travailleurs sont embauchés pendant des années uniquement sur une base contractuelle, comme c'est également le cas dans les collèges et les universités. Alors que le travail dans le secteur public est de plus en plus privatisé, les postes restants demeurent vacants pour forcer les gens à se tourner vers le secteur privé pour obtenir des services et des emplois.

Aujourd'hui, le travail à contrat remplace de plus en plus l'emploi permanent et les syndicats font face au diktat qu'il n'y aura pas de négociations ou qu'il ne doit pas y avoir de syndicat, les travailleurs n'étant que des associés qui doivent accepter le diktat des entreprises ou perdre leur emploi.

Dans ce contexte, nous assistons à d'énormes migrations de populations à l'échelle mondiale, dont la plupart sont le résultat de guerres d'agression et d'occupation ou de régimes de sanctions brutales, comme c'est le cas aujourd'hui contre le Venezuela. Globalement, le nombre estimé de migrants internationaux est passé de 153 millions en 1990 à 272 millions en 2019. Sur ces 272 millions, 70 % sont des travailleurs migrants.

http://cpcml.ca/images2020/Rights/200822-Mtl-StatutMigrantRefugie08-LML.jpgDes secteurs clés de notre économie dépendent des travailleurs migrants, et le produit de leur travail n'est même pas nécessairement destiné à la consommation canadienne, elle est surtout destinée à l'exportation, ce qui procure d'immenses profits à de gigantesques entreprises. La production de fruits et légumes, qui est concentrée en Ontario et au Québec, en est un exemple. Les travailleurs migrants étrangers temporaires représentent 41,6 % de la main-d'oeuvre en Ontario et 30 % au Québec. Ils produisent 1,047 milliard de dollars de légumes de champ, dont 729,3 millions de dollars sont destinés à l'exportation vers les États-Unis. Ils produisent 1,53 milliard de dollars de légumes de serre en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec, dont 1,18 milliard est exporté vers les États-Unis. Il en va de même pour la production canadienne de fruits, dont 64,8 % est exportée vers les États-Unis pour une valeur de 546,1 millions de dollars.

Le Canada a créé un système complexe d'arrangements avec les gouvernements de pays appauvris pour lui fournir une main-d'oeuvre bon marché. Tout cela est déclaré légal, mais est sujet aux manoeuvres de parasites et d'éléments corrompus engagés dans ce qu'on ne peut appeler autrement que la traite d'êtres humains, sans compter les conditions créées pour les trafiquants d'êtres humains impliqués dans des systèmes corrompus qui s'en prennent aux personnes vulnérables. Même les services consulaires du Canada à l'étranger sont engagés dans le recrutement de main-d'oeuvre et d'étudiants qui paient des sommes considérables pour les visas. Cela engendre toutes sortes de recruteurs et d'agents qui prennent leur argent pour des services rendus pour leur obtenir ces visas. Ils opèrent en toute impunité à l'intérieur et au-delà des marges légales de ces programmes pendant que le gouvernement regarde ailleurs. Celui-ci prétend que cette situation n'existe pas et ferme les yeux pendant que les intérêts privés étroits qu'il sert s'enrichissent des contrats que le gouvernement accorde aux agences de placement temporaire ou aux services de recrutement. Le gouvernement du Canada tire lui-même profit de la traite des humains tout en maintenant dans les positions les plus vulnérables les travailleurs contractuels, les travailleurs sous visa, les travailleurs invités en visite et les nouveaux immigrants ainsi que les travailleurs sans papiers.

Le Réseau des droits des migrants a publié un rapport basé sur des entretiens avec plus de 450 travailleurs agricoles migrants en Ontario. Le gouvernement est censé surveiller leurs conditions de vie et de travail, mais ne le fait pas.

Il n'agit pas face à des faits concrets, ou il trouve le moyen de dire que la loi ne le concerne pas et qu'il n'est pas responsable. Les travailleurs ont cité le manque d'eau potable, le manque de salles de bain intérieures, l'absence d'eau chaude pour les douches, l'entassement dans les logements qui favorise la propagation des infections, des conditions de travail dangereuses et le fait d'être victimisés pour avoir défendu leurs droits. Un travailleur a dit qu'il s'agit de l'esclavage des temps modernes.

Le gouvernement du Canada s'inspire des États-Unis où la Cour suprême a récemment rendu une décision contre le droit des travailleurs agricoles de s'organiser en statuant que les syndicats ne peuvent pas avoir accès aux fermes privées, car cela « empiète sur les droits de propriété privée ». C'est un autre exemple de l'offensive de l'industrie agroalimentaire contre les travailleurs.

Le Canada « importe » chaque année 213 700 migrants étrangers temporaires comme ces travailleurs agricoles que le Réseau des droits des migrants a interviewés l'an dernier et qui ont des permis de travail liés à un seul employeur. Ce système crée les conditions qui laissent bien des travailleurs en proie au travail forcé.

http://www.cpcml.ca/francais/Images2019/Slogans/NonAuTraficDEtresHumains2.JPGUn cas a été révélé en 2019, où quarante-trois victimes, pour la plupart des hommes originaires du Mexique âgés de 20 à 46 ans, qui vivaient dans des conditions sordides à Barrie (Ontario), ont été victimes de la traite des êtres humains pour travailler dans une entreprise de nettoyage. Avec la tendance à faire de la sous-traitance auprès des agences de recrutement, les employeurs des travailleurs victimes de la traite peuvent en bout de ligne être les institutions les plus « respectables » et « civilisées » : des galeries d'art, des musées et d'autres institutions gouvernementales qui font aujourd'hui appel à des agences de recrutement pour de nombreux services, comme l'entreprise de nettoyage de Barrie. Des cas similaires ont été dévoilés en Nouvelle-Écosse et ailleurs.

Il n'existe aucune protection des droits humains des travailleurs. Dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le trafic de personnes est soulevé uniquement sous l'angle qu'une victime de ce trafic peut être détenue par les services d'immigration. Moins d'un tiers des affaires de traite des êtres humains sont portées devant les tribunaux. Les condamnations des trafiquants sont très rares. En revanche, l'expulsion des victimes est certaine.

Par leurs actions à la défense des droits de tous, les travailleurs peuvent faire la lumière sur leurs expériences et les combats menés pour la défense des droits. Ils constatent l'urgence de mobiliser les Canadiens et les Québécois pour exiger un statut pour tous et toutes.

Aujourd'hui, lorsque le gouvernement de Justin Trudeau parle de flexibilité maximale et de mobilité maximale de la main-d'oeuvre, pour lui cela veut dire que rien ne doit entraver la course à la domination des oligopoles mondiaux dans la sphère d'influence du système impérialiste d'États dominé par les États-Unis, pour être le numéro un sur les marchés mondiaux. Rien ne doit y faire obstacle; aucune loi, aucun règlement ne doit entraver l'édification d'empire de ces monopoles ou leurs traités de libre-échange néolibéraux comme l'ALÉNA néolibéral réorganisé ou le Partenariat transpacifique ou l'Accord de libre-échange avec l'Union européenne ou les alliances de guerre dirigées par les États-Unis. La mobilité maximale de la main-d'oeuvre est un élément essentiel de cette flexibilité maximale, et la prétention est que les règles qui attachent encore les travailleurs à un secteur économique ou à une région doivent être abolies en tant qu'obstacles à la croissance de l'économie.

Le capitalisme à l'échelle mondiale a toujours exigé l'abolition de tous les obstacles à son expansion et à son pouvoir. Toutefois, avec la mondialisation néolibérale, cette exigence s'est imposée comme jamais auparavant à cause de l'explosion des forces productives que les riches ne peuvent contrôler. Toute forme de programmes sociaux et d'entraves à la mobilité de la main-d'oeuvre et du capital doit être supprimée. Mais cela signifie également que la classe ouvrière à l'échelle mondiale est littéralement devenue une seule classe, les travailleurs apprenant des luttes les uns des autres, s'unissant dans l'action pour humaniser l'environnement naturel et social. Les conditions ont changé, mais la question est de résoudre les problèmes d'une manière qui favorise la classe ouvrière et non les super-riches qui représentent le 1 % et les gouvernements à leur service dont le rôle principal est de perpétuer leur domination.

C'est grâce aux luttes des travailleurs et des compatriotes, de ceux qui viennent d'autres pays, et au soutien des Canadiens de tous horizons qu'une approche humaine est prise pour assurer le bien-être des travailleurs les plus vulnérables. Ils ne sont pas d'accord que chacun doive se débrouiller seul. Dans des conditions de pandémie, de nombreuses personnes sont mortes, mais même sans pandémie, les conditions de vie et de travail sont inhumaines, intenables et insoutenables. Les répercussions qu'elles ont sur les travailleurs et leur famille en termes de stress et de pression sur leur santé mentale et physique et celle de leur famille sont inacceptables. Cette lutte vient juste de recommencer du début. Les efforts de tous celles et ceux qui se battent avec acharnement pour redresser ces torts historiques sont inestimables.

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(Photos: FO, Migrant Rights Network)

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30 juin 2021

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