Numéro 63 - 30 juin 2021
Le «droit» à la mobilité de la
main-d'oeuvre en vertu de la Charte canadienne
traite les travailleurs comme jetables
L'édification nationale doit assurer le
droit à un moyen de subsistance là où les gens
vivent et un statut pour toutes et tous
- Steve Rutchinski -
• Note
aux lecteurs
Le «droit» à la mobilité de la
main-d'oeuvre en vertu de la Charte canadienne
traite les travailleurs comme jetables
- Steve Rutchinski -
Une des principales réalisations du gouvernement
de Pierre-Elliott Trudeau a été d'enchâsser ce qui
est appelé la mobilité de la main-d'oeuvre comme
un droit garanti par la Charte. Cela a eu comme
résultat que la mobilité de la main-d'oeuvre est
un de nos droits fondamentaux au Canada en vertu
duquel une personne a le droit de se déplacer
partout pour trouver un emploi. Elle a finalement
été inscrite dans la Charte des droits et
libertés en 1982.
Les travailleurs
ont le « droit » de se déplacer partout dans
le monde pour travailler, comme s'ils voulaient
quitter leur maison pour gagner leur vie au lieu
d'avoir le droit protégé à un moyen de
subsistance, de la nourriture, un logement, des
soins de santé et une éducation dans leur pays et
leur lieu d'origine. Puis, après avoir inscrit la
mobilité de la main-d'oeuvre dans la charte comme
un droit, les cercles officiels traitent le
travail au Canada comme un privilège. Selon eux,
le Canada est le meilleur pays au monde où vivre
et travailler, alors les gens devraient être
reconnaissants, suivre les règles et se taire.
La question n'est pas de savoir si le Canada est
ou n'est pas le meilleur pays où vivre et
travailler, ni de le comparer à des pays déchirés
par la guerre ou à des pays en proie à la pauvreté
et à la misère à cause de l'exploitation et de
l'oppression impérialistes. Ces comparaisons sont
une diversion parce qu'elles ne vont pas au coeur
du problème de quelque façon qui puisse être à
l'avantage de quelqu'un. Le côté intéressé des
programmes mis sur pied par le gouvernement du
Canada est tel qu'ils servent les plus grandes
entreprises au détriment du peuple. En forçant
tout le monde à se débrouiller eux-mêmes, ils
visent aussi à détourner les travailleurs de la
lutte pour les droits de tous dans toutes les
conditions et circonstances et pour établir une
nouvelle direction pour l'économie.
Depuis que l'offensive néolibérale antisociale a
été lancée au début des années 1990, la façon
dont le travail est structuré dans le monde a
changé.
Les travailleurs ont vécu l'introduction de
salaires à deux paliers et de mesures différentes
pour des personnes différentes, telles que les
avantages sociaux et les régimes de retraite à
prestations déterminées, qui sont tolérés pour les
travailleurs plus âgés, mais pas pour les nouveaux
engagés dans la sidérurgie, la foresterie, les
transports, les communications et tous les
secteurs de l'économie où le gouvernement s'assure
que les entreprises sont protégées tandis que les
travailleurs sont criminalisés et considérés comme
jetables. On connaît la lutte courageuse menée par
les travailleurs et travailleuses de Telus et de
Bell Canada qui se sont opposés fermement à la
fermeture d'entreprises qui se réinventent sous de
nouveaux noms et réembauchent les travailleurs, en
particulier les femmes, à la moitié de leur
salaire. Il en est de même aux postes où les
travailleurs sont embauchés pendant des années
uniquement sur une base contractuelle, comme c'est
également le cas dans les collèges et les
universités. Alors que le travail dans le secteur
public est de plus en plus privatisé, les postes
restants demeurent vacants pour forcer les gens à
se tourner vers le secteur privé pour obtenir des
services et des emplois.
Aujourd'hui, le travail à contrat remplace de
plus en plus l'emploi permanent et les syndicats
font face au diktat qu'il n'y aura pas de
négociations ou qu'il ne doit pas y avoir de
syndicat, les travailleurs n'étant que des
associés qui doivent accepter le diktat des
entreprises ou perdre leur emploi.
Dans ce contexte, nous assistons à d'énormes
migrations de populations à l'échelle mondiale,
dont la plupart sont le résultat de guerres
d'agression et d'occupation ou de régimes de
sanctions brutales, comme c'est le cas aujourd'hui
contre le Venezuela. Globalement, le nombre estimé
de migrants internationaux est passé de 153
millions en 1990 à 272 millions en 2019.
Sur ces 272 millions, 70 % sont des
travailleurs migrants.
Des secteurs clés de
notre économie dépendent des travailleurs
migrants, et le produit de leur travail n'est même
pas nécessairement destiné à la consommation
canadienne, elle est surtout destinée à
l'exportation, ce qui procure d'immenses profits à
de gigantesques entreprises. La production de
fruits et légumes, qui est concentrée en Ontario
et au Québec, en est un exemple. Les travailleurs
migrants étrangers temporaires
représentent 41,6 % de la main-d'oeuvre
en Ontario et 30 % au Québec. Ils
produisent 1,047 milliard de dollars de
légumes de champ, dont 729,3 millions de
dollars sont destinés à l'exportation vers les
États-Unis. Ils produisent 1,53 milliard de
dollars de légumes de serre en Ontario, en
Colombie-Britannique et au Québec, dont 1,18
milliard est exporté vers les États-Unis. Il en va
de même pour la production canadienne de fruits,
dont 64,8 % est exportée vers les
États-Unis pour une valeur de 546,1 millions
de dollars.
Le Canada a créé un système complexe
d'arrangements avec les gouvernements de pays
appauvris pour lui fournir une main-d'oeuvre bon
marché. Tout cela est déclaré légal, mais est
sujet aux manoeuvres de parasites et d'éléments
corrompus engagés dans ce qu'on ne peut appeler
autrement que la traite d'êtres humains, sans
compter les conditions créées pour les trafiquants
d'êtres humains impliqués dans des systèmes
corrompus qui s'en prennent aux personnes
vulnérables. Même les services consulaires du
Canada à l'étranger sont engagés dans le
recrutement de main-d'oeuvre et d'étudiants qui
paient des sommes considérables pour les visas.
Cela engendre toutes sortes de recruteurs et
d'agents qui prennent leur argent pour des
services rendus pour leur obtenir ces visas. Ils
opèrent en toute impunité à l'intérieur et au-delà
des marges légales de ces programmes pendant que
le gouvernement regarde ailleurs. Celui-ci prétend
que cette situation n'existe pas et ferme les yeux
pendant que les intérêts privés étroits qu'il sert
s'enrichissent des contrats que le gouvernement
accorde aux agences de placement temporaire ou aux
services de recrutement. Le gouvernement du Canada
tire lui-même profit de la traite des humains tout
en maintenant dans les positions les plus
vulnérables les travailleurs contractuels, les
travailleurs sous visa, les travailleurs invités
en visite et les nouveaux immigrants ainsi que les
travailleurs sans papiers.
Le Réseau des droits des migrants a publié un
rapport basé sur des entretiens avec plus
de 450 travailleurs agricoles migrants en
Ontario. Le gouvernement est censé surveiller
leurs conditions de vie et de travail, mais ne le
fait pas.
Il n'agit pas face à des faits concrets, ou il
trouve le moyen de dire que la loi ne le concerne
pas et qu'il n'est pas responsable. Les
travailleurs ont cité le manque d'eau potable, le
manque de salles de bain intérieures, l'absence
d'eau chaude pour les douches, l'entassement dans
les logements qui favorise la propagation des
infections, des conditions de travail dangereuses
et le fait d'être victimisés pour avoir défendu
leurs droits. Un travailleur a dit qu'il s'agit de
l'esclavage des temps modernes.
Le gouvernement du Canada s'inspire des
États-Unis où la Cour suprême a récemment rendu
une décision contre le droit des travailleurs
agricoles de s'organiser en statuant que les
syndicats ne peuvent pas avoir accès aux fermes
privées, car cela « empiète sur les droits de
propriété privée ». C'est un autre exemple de
l'offensive de l'industrie agroalimentaire contre
les travailleurs.
Le Canada « importe » chaque
année 213 700 migrants étrangers
temporaires comme ces travailleurs agricoles que
le Réseau des droits des migrants a interviewés
l'an dernier et qui ont des permis de travail liés
à un seul employeur. Ce système crée les
conditions qui laissent bien des travailleurs en
proie au travail forcé.
Un cas a été révélé
en 2019, où quarante-trois victimes, pour la
plupart des hommes originaires du Mexique âgés
de 20 à 46 ans, qui vivaient dans des
conditions sordides à Barrie (Ontario), ont été
victimes de la traite des êtres humains pour
travailler dans une entreprise de nettoyage. Avec
la tendance à faire de la sous-traitance auprès
des agences de recrutement, les employeurs des
travailleurs victimes de la traite peuvent en bout
de ligne être les institutions les plus «
respectables » et « civilisées » :
des galeries d'art, des musées et d'autres
institutions gouvernementales qui font aujourd'hui
appel à des agences de recrutement pour de
nombreux services, comme l'entreprise de nettoyage
de Barrie. Des cas similaires ont été dévoilés en
Nouvelle-Écosse et ailleurs.
Il n'existe aucune protection des droits humains
des travailleurs. Dans la Loi sur
l'immigration et la protection des réfugiés,
le trafic de personnes est soulevé uniquement sous
l'angle qu'une victime de ce trafic peut être
détenue par les services d'immigration. Moins d'un
tiers des affaires de traite des êtres humains
sont portées devant les tribunaux. Les
condamnations des trafiquants sont très rares. En
revanche, l'expulsion des victimes est certaine.
Par leurs actions à la défense des droits de
tous, les travailleurs peuvent faire la lumière
sur leurs expériences et les combats menés pour la
défense des droits. Ils constatent l'urgence de
mobiliser les Canadiens et les Québécois pour
exiger un statut pour tous et toutes.
Aujourd'hui, lorsque le gouvernement de Justin
Trudeau parle de flexibilité maximale et de
mobilité maximale de la main-d'oeuvre, pour lui
cela veut dire que rien ne doit entraver la course
à la domination des oligopoles mondiaux dans la
sphère d'influence du système impérialiste d'États
dominé par les États-Unis, pour être le numéro un
sur les marchés mondiaux. Rien ne doit y faire
obstacle; aucune loi, aucun règlement ne doit
entraver l'édification d'empire de ces monopoles
ou leurs traités de libre-échange néolibéraux
comme l'ALÉNA néolibéral réorganisé ou le
Partenariat transpacifique ou l'Accord de
libre-échange avec l'Union européenne ou les
alliances de guerre dirigées par les États-Unis.
La mobilité maximale de la main-d'oeuvre est un
élément essentiel de cette flexibilité maximale,
et la prétention est que les règles qui attachent
encore les travailleurs à un secteur économique ou
à une région doivent être abolies en tant
qu'obstacles à la croissance de l'économie.
Le capitalisme à l'échelle mondiale a toujours
exigé l'abolition de tous les obstacles à son
expansion et à son pouvoir. Toutefois, avec la
mondialisation néolibérale, cette exigence s'est
imposée comme jamais auparavant à cause de
l'explosion des forces productives que les riches
ne peuvent contrôler. Toute forme de programmes
sociaux et d'entraves à la mobilité de la
main-d'oeuvre et du capital doit être supprimée.
Mais cela signifie également que la classe
ouvrière à l'échelle mondiale est littéralement
devenue une seule classe, les travailleurs
apprenant des luttes les uns des autres,
s'unissant dans l'action pour humaniser
l'environnement naturel et social. Les conditions
ont changé, mais la question est de résoudre les
problèmes d'une manière qui favorise la classe
ouvrière et non les super-riches qui représentent
le 1 % et les gouvernements à leur
service dont le rôle principal est de perpétuer
leur domination.
C'est grâce aux luttes des travailleurs et des
compatriotes, de ceux qui viennent d'autres pays,
et au soutien des Canadiens de tous horizons
qu'une approche humaine est prise pour assurer le
bien-être des travailleurs les plus vulnérables.
Ils ne sont pas d'accord que chacun doive se
débrouiller seul. Dans des conditions de pandémie,
de nombreuses personnes sont mortes, mais même
sans pandémie, les conditions de vie et de travail
sont inhumaines, intenables et insoutenables. Les
répercussions qu'elles ont sur les travailleurs et
leur famille en termes de stress et de pression
sur leur santé mentale et physique et celle de
leur famille sont inacceptables. Cette lutte vient
juste de recommencer du début. Les efforts de tous
celles et ceux qui se battent avec acharnement
pour redresser ces torts historiques sont
inestimables.
Le prochain numéro de Forum ouvrier sera
publié le 2 août. Pendant le mois de juillet,
les sujets de préoccupation seront traités dans la
section « Dans l'actualité » du site Web du
PCC(M-L) et le calendrier d'événements va
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30 juin 2021
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