Forum ouvrier

Numéro 48 - 24 mai 2021

La subversion de l'autorité et du financement
des arts dans l'éducation

L'éducation artistique est une nécessité!

C'est une question mystérieuse, si vous avez l'esprit boutiquier : « Pourquoi les arts sont-ils importants ? ». Vous pensez peut-être que les arts ne manqueront à personne si vous subvertissez l'autorité et le financement des arts dans l'éducation. Si c'est le cas, vous serez surpris d'apprendre qu'un grand nombre de travailleurs canadiens dépendent des arts pour leur subsistance économique : la littérature, la poésie, l'écriture de romans et de nouvelles, la musique, l'art dramatique, les arts du théâtre, la conception, l'éclairage et les technologies du son, la danse, le cinéma et les arts visuels : l'architecture, le design industriel, l'animation, la photographie, l'illustration, la gravure, le dessin, la peinture et la sculpture.

En juin 2016, le site Canadian Art a publié quelques faits économiques concernant les arts et l'économie tirés d'un bulletin de Hill Strategies : « ...les retombées économiques directes des industries culturelles (aussi appelées la valeur ajoutée ou le produit intérieur brut) s'élevaient à 61,7 milliards de dollars au Canada en 2014, soit 3,3 % du PIB du pays.

« Au niveau national, indique le bulletin, le PIB des industries culturelles est très supérieur à la valeur ajoutée de l'agriculture, de la pêche et de la chasse (29 milliards $), des services d'hébergement et d'alimentation (38 milliards $), et des services publics (43 milliards $).

« Hill Strategies souligne également que les estimations des retombées économiques directes de la culture (61,7 milliards $) sont dix fois plus élevées que l'estimation du sport (6,1 milliards $). De façon semblable, l'estimation des emplois dans le secteur culturel (700 100) est presque sept fois plus élevée que celle du secteur des sports (103 700). (La donnée sur les emplois comprend les emplois à temps plein et à temps partiel, les emplois pour une partie de l'année étant inclus au prorata.) Toutes les conclusions de Hill Stratégies sont fondées sur les Indicateurs provinciaux et territoriaux de la culture, 2010 à 2014 de Statistique Canada. »

La créativité est devenue une qualité requise dans de nombreux emplois, qu'ils soient de haute technologie ou non. Mais la véritable raison de l'importance de l'art s'est révélée au cours de cette pandémie, alors que les rencontres avec l'art dans la vie réelle étaient impossibles : elle est due au besoin humain de célébrer notre humanité collective et individuelle, notre besoin de relations entre humains et d'examiner des solutions aux problèmes urgents des rapports de l'humain avec la nature. Il s'agit du coeur, de l'aspiration humaine, de la protection de l'environnement. Comment pouvons-nous bâtir un monde meilleur ?

Comme la créativité peut être nourrie et développée grâce à une éducation appropriée, l'objectif minimal de tout programme d'études en arts adapté à l'âge doit être d'amener les jeunes à une littératie et une technique visuelles actuelles et à ressentir les réalisations culturelles de l'humanité. Il doit leur inculquer la capacité conceptuelle et l'ambition sincère de faire progresser la richesse culturelle de l'humanité.

Le tollé que suscite le nouveau programme d'enseignement de la maternelle à la 6e année proposé par le gouvernement du Parti conservateur unifié (PCU) de Jason Kenney en Alberta est un signe que quelque chose a terriblement mal tourné.

De l'Association des enseignants de l'Alberta (ATA),au Lethbridge Herald, en passant par l' Alberta Native News, la Red Deer Urban Aboriginal Voices Society, le ministère de l'Éducation, de la Culture et de l'Emploi des Territoires du Nord-Ouest, le Nouveau Parti démocratique de l'Alberta, l'organisation « We're Together Ending Poverty » et des dizaines de milliers de commentateurs individuels, la consternation, l'indignation, la peur et la colère règnent au sujet du programme d'études du PCU. Carla Peck, professeure en enseignement des études sociales à l'Université de l'Alberta, qualifie la section des études sociales de « répulsive, régressive et raciste ». Au plus récent décompte, 56 conseils scolaires de la province, représentant 93 % des élèves, refusent de piloter ce programme. L'ATA demande son retrait complet, et cette position bénéficie d'un très large soutien.

http://www.pmlq.qc.ca/images/2016/secteurpublic/160116-Montrea-ManifFAE-18.jpgLes gens souhaitent que leurs enfants s'épanouissent à l'école. Ce programme rendra l'apprentissage difficile pour la plupart, impossible pour beaucoup. Pourquoi ? Il ignore les pratiques pédagogiques exemplaires qui consistent à adapter les étapes de l'apprentissage au développement de l'enfant, chaque étape s'appuyant sur la précédente pour aboutir à un apprentissage adapté à l'âge et au développement. Ce programme amènera le cheval à l'abreuvoir, mais ne le fera pas boire.

Comme mon domaine d'expertise personnel est l'art visuel et l'éducation des arts je jette un regard éclairé sur la section de l'ébauche du programme d'études maternelle à la 6e année (élémentaire) où l'art est une matière obligatoire. Un programme d'études doit répondre à des questions importantes, la manière de produire de l'art et comment l'art est un témoignage social unique à sa propre époque historique.

Au début des années 1980, des groupes de professeurs d'art, de consultants et de superviseurs travaillant ensemble ont produit un programme d'enseignement des arts albertain complet et bien construit pour les niveaux élémentaire et secondaire. Les « experts » du PCU se sont emparés de ce programme et « les viandes rôties des funérailles ont été servies froides au repas du mariage » selon leur propre plan désordonné. En d'autres termes, ce programme d'études de l'élémentaire pompeusement appelé « principes fondamentaux », éreinte et détruit un nombre dérisoire d'idées et de méthodes considérées comme essentielles dans les années 1980. Des restes, du réchauffé. Une absence de plan. Rien de nouveau ou de pertinent pour les enjeux actuels. Lourd en terminologie abstraite, inadapté aux niveaux de développement des élèves du primaire, manquant terriblement de cohérence, traitant le matériel de pensée des nations autochtones comme non pertinent, à la fois en ce qui concerne leur propre culture et leurs relations avec la culture dominante et dominatrice.

Ce programme d'études transgresse l'attrait de la curiosité, du plaisir de la découverte, de la volonté naturelle d'équité. En faisant l'expérience d'un désintérêt répété, un enfant conclura rapidement que l'éducation artistique n'est pas pour lui. C'est la crainte des parents, de quiconque aime un enfant, que l'approche PCU ne tue la joie de faire de l'art, fasse que l'enfant déteste les arts.

Le dessin, la peinture, le perlage, le modelage, la sculpture, la construction, pour la simple joie de le faire, n'est pas mentionné. L'objectif d'améliorer la technique par une pratique guidée n'est pas mentionné. L'utilisation correcte des matériaux n'est pas mentionnée. A-t-il été question de la nécessité d'avoir un enseignant qui possède une bonne formation artistique ?

L'éducation artistique par les rencontres artistiques

Le programme des années 1980 imposait des « rencontres » avec des oeuvres d'art de l'histoire liées à des concepts à tous les niveaux d'enseignement. En observant des oeuvres connues, les élèves s'exercent à utiliser le vocabulaire de l'art pour comprendre ce qui se passe. Pourquoi les gens ont-ils conservé et rendu l'objet célèbre ?

Les élèves qui s'intéressent principalement à la création artistique observeront des détails comme le type de trait de pinceau, les teintes, les nuances, les valeurs des couleurs, l'épaisseur de la peinture, la qualité de la surface, la présence éventuelle d'un glacis. Les étudiants intéressés par la philosophie observeront les liens entre la pensée d'une certaine période et le style de l'art de cette période. S'ils s'intéressent à l'histoire sociale, ils prendront note des événements clés à l'origine du sujet d'oeuvres importantes.

Une grande partie des idées abstraites de l'histoire humaine peut être rendue vivante par les oeuvres d'art de toutes les périodes : sculptures, fresques murales et tableaux de chevalet, films, etc. Le professeur d'art doit donc avoir une connaissance approfondie de l'histoire sociale, des philosophies sous-jacentes, des raisons pour lesquelles les changements se produisent. Les humains aspirent sans cesse à un monde meilleur ! Pour que cette richesse du travail culturel humain ait un sens et soit utile à l'enseignant et à l'élève, un programme d'études doit l'exposer de manière cohérente, séquentielle et rationnelle.

Malheureusement, une telle structure est absente de la pensée du PCU. Le désir de cimenter le statu quo de l'autorité des partis cartellisés pour diriger la société au nom des oligopolistes les plus riches conduit à des absurdités de moralisme hypocrite, à des voeux pieux à la place de la vérité et de complaisance combinés à des choix absurdement chaotiques et ineptes de concepts artistiques et de rencontres. Difficile de ne pas être d'accord avec l'observation de l'ATA : « Le gouvernement a largué un nouveau programme d'études de la maternelle à la 6e année, il est attaqué de toutes parts et splash ! »

(Photos : FO, ATA)

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