Le droit de diffamer, ça n'existe pas

L'expansion troublante des pouvoirs pour contrôler la conscience des enseignants

Un des programmes des différents gouvernements provinciaux au Canada a consisté à limiter le jugement professionnel des éducateurs de diverses manières tout en augmentant la capacité du gouvernement de décider ce que les enseignants peuvent et ne peuvent pas dire ou faire en classe ou à l'extérieur de la classe. Cela se produit à un moment où les gouvernements tentent d'imposer des changements régressifs au contenu de l'éducation, comme c'est le cas en Alberta avec le nouveau programme de la maternelle à la 6e année ou en Ontario avec de nouveaux programmes d'éducation physique et santé et de mathématiques. Ces gouvernements tentent de détourner l'attention de leur restructuration antisociale de l'État, de l'éducation dans ce cas-ci, en affirmant que le plus gros problème du système d'éducation vient des enseignants et de leurs syndicats afin de justifier leurs efforts de les forcer au silence ou d'ignorer leur expertise. Ainsi, parallèlement aux changements apportés à l'éducation, il y a eu une campagne pour diaboliser et menacer les éducateurs qui s'expriment en général sur des sujets de préoccupation tels que les droits des peuples autochtones, les pipelines ou les questions relatives à la guerre et à la paix.

En Ontario, une décision récente consiste à tenter de renforcer la capacité de l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario (OEE0), l'organisme professionnel qui supervise la profession enseignante, à provoquer des suspensions et enquêter sur les enseignants.

http://www.cpcml.ca/francais/Images2018/Droits/100717-MontrealG20Repressiondelopinionregression.JPGLe 6 novembre 2020, peu après la réouverture des écoles dans le contexte de la pandémie, l'OEEO a ajouté « exprimer de la haine par des actions ou des remarques » comme nouveau critère de faute professionnelle, sans discussion ou consultation publique sur la signification d'un tel changement. Les nouveaux motifs spécifiques d'une enquête pour faute professionnelle éventuelle sont : « le fait de faire des remarques ou d'adopter des comportements qui exposent une personne ou des catégories de personnes à la haine fondée sur un motif de discrimination interdit par la partie I du Code des droits de la personne ». La partie I du Code des droits de la personne stipule que « Toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d'installations, sans discrimination fondée sur la race, l'ascendance, le lieu d'origine, la couleur, l'origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité sexuelle, l'expression de l'identité sexuelle, l'âge, l'état matrimonial, l'état familial ou un handicap. »

Le changement s'adresse à tous les membres de la profession enseignante de l'Ontario, y compris aux enseignantes et enseignants, aux conseillères et conseillers, aux directions d'école et directions adjointes, aux agentes et agents de supervision, aux directrices et directeurs de l'éducation, aux membres qui occupent un poste ailleurs qu'au sein d'un conseil scolaire ou qui travaillent dans une école privée ou indépendante, ainsi qu'à toute personne qui occupe un poste exigeant d'être titulaire d'un certificat de qualification et d'inscription.

Il faut noter que ces nouveaux critères de faute professionnelle s'appliquent de manière explicite à « une conduite ou à des remarques visant quelqu'un à l'intérieur ou à l'extérieur de la classe, en personne ou par voie électronique, que la conduite ou les remarques aient lieu durant les heures de service ou non » [notre souligné]. Les enseignants ont toujours été soumis à un examen minutieux de leurs actions « en dehors des heures de service ». Il faut donc se demander de quoi il s'agit, pourquoi maintenant et quel est le but ?

L'OEEO, au moment d'apporter cet ajout à ses critères de faute professionnelle, affirme qu'il s'agit de lutter contre le racisme dans l'éducation et même le racisme systémique. De cette manière, la lutte contre le racisme dans l'éducation devient entièrement une question de sanctionner les enseignants prétendument racistes ou haineux.

Les éducateurs, les étudiants, les parents et le public en général sont très préoccupés par la façon dont le racisme organisé par l'État s'exprime dans les écoles. Qu'il s'agisse de l'opposition au placement permanent d'agents de police dans les écoles par le biais des Programmes d'agents ressources dans les écoles, ou de l'opposition à la vision coloniale et édificatrice d'empire qui imprègne le programme, particulièrement en études sociales, les éducateurs sont aux premières lignes de la lutte pour une éducation antiraciste et font souvent face à une opposition active de la part des gouvernements à leurs revendications de changement. Il est donc préoccupant qu'au nom de la lutte contre la haine et le racisme, le gouvernement et les institutions qu'il contrôle comme l'OEEO disent que le problème provient des enseignants. Il faut examiner de quoi il s'agit.

Il convient de noter que les nouveaux motifs d'enquête de l'OEEO ont été rendus publics moins d'un mois après que le gouvernement Ford a glissé en douce une définition controversée et très contestée de l'antisémitisme connue sous le nom de définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), largement considérée comme tentant de confondre la critique de l'antisémitisme d'Israël avec l'antisémitisme. [1] Le gouvernement a agi unilatéralement de manière préventive au moyen d'un décret, au moment même où des audiences publiques devaient commencer sur un projet de loi émanant d'un député qui aurait requis un débat et un vote à l'Assemblée législative pour que la définition de l'IHRA soit adoptée. Le gouvernement Trudeau a fait la même chose un an plus tôt, glissant la définition sans faire de bruit, sans discussion ni débat au Parlement, annonçant simplement qu'elle avait été intégrée à sa stratégie antiraciste.

L'adoption de la définition par le gouvernement ontarien est très significative, parce que l'avoir rendue officielle pave la voie à son utilisation pour déclarer que ceux qui s'opposent à l'occupation israélienne de la Palestine sont des antisémites et par conséquent coupables d'incitation à la haine contre les personnes de foi juive. Cela rend les éducateurs sujets aux pouvoirs arbitraires qui peuvent les priver de leur emploi ou utiliser d'autres moyens pour les forcer au silence pour leurs opinions politiques légitimes.

Les événements récents en Palestine et en Israël et la récente flambée de résistance à l'occupation a conduit de nombreuses personnes, dont des éducateurs, à prendre position et à s'exprimer. Certains se retrouvent maintenant la cible d'une chasse aux sorcières par ceux qui ont été enhardis par l'adoption par les gouvernements, derrière des portes closes et sans discussion publique, de la définition de l'IHRA. De cette façon, les gens sont diffamés puis criminalisés sans même savoir à quelles nouvelles lois et quelles politiques ils sont soumis, sans parler du fait qu'ils sont privés de toute application régulière de la loi.

Quel genre de démocratie est-ce là, dans laquelle les gouvernements et leurs institutions mettent délibérément les enjeux sérieux liés au droit à la conscience et à la liberté d'expression à l'abri de la discussion et du débat public, puis mettent en place des outils à huis clos pour criminaliser ceux avec lesquels ils ne sont pas d'accord, pour les qualifier d'individus haineux et pire encore ?

C'est pourquoi les changements aux pouvoirs de l'OEEO pour qu'elle enquête sur les fautes professionnelles sont un enjeu sérieux. Ceux-ci donnent au gouvernement et aux autres entités politiques un mécanisme pour faire taire les éducateurs en tant que citoyens privés et en tant que professionnels et pour violer leur droit à la conscience sur des questions de sérieuse préoccupation nationale et internationale. Le gouvernement Ford a déjà tenté de mettre en place une ligne téléphonique de délation pour encourager les parents à appeler pour signaler les enseignants s'ils pensaient qu'ils ignoraient le nouveau programme de santé et d'éducation physique qu'il a introduit rapidement juste après avoir été élu en 2018. Les parents n'avaient pas mordu à l'hameçon. Cependant, les changements aux pouvoirs de l'OEEO semblent être une nouvelle tentative de dépeindre les éducateurs comme étant le problème en éducation et d'aller plus loin en donnant au gouvernement et à ceux qui sont enhardis par ces pouvoirs la possibilité de persécuter ceux qui expriment des opinions avec lesquelles ils sont en désaccord, et qui osent prendre la parole. C'est inacceptable et cela doit être combattu par tous ceux qui soutiennent le droit de conscience et la liberté de parole.

Note

1. « Des voix juives et des universitaires juifs s'opposent à l'adoption de la définition sioniste », Le Marxiste-léniniste, 4 avril 2021.


Cet article est paru dans

Numéro 49 - 26 mai 2021

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