Des gestes qui mettent en péril la vie des travailleurs étrangers temporaires au Québec: ça ne doit pas passer!

Cette année, suite à la pandémie de la COVID-19, on estime que le Québec ne recevra qu'un maximum de 12 000 travailleurs agricoles étrangers temporaires mexicains et guatémaltèques au lieu des quelque 17 000 qui sont venus l'an dernier. Pour compenser le manque à gagner, une énorme pression est exercée par certains employeurs sur ceux qui sont déjà là, à qui l'on demande de travailler de 16 à 18 heures par jour. Ils sont épuisés et même si on leur dit qu'ils n'ont pas à le faire, « ils ont peur », explique Michel Pilon du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs agricoles migrants du Québec (RATTMAQ).

En avril, la ligne d'aide téléphonique mise en place par l'organisation, dont la mission est d'offrir une assistance aux travailleurs agricoles étrangers temporaires du Québec sur les questions d'immigration, de santé, d'éducation et de francisation, a reçu près de deux douzaines d'appels de travailleurs étrangers trop sollicités par leurs employeurs pour rattraper le retard. Et si toutes les plaintes restent anonymes, elles témoignent néanmoins de l'énorme pression exercée sur ces travailleurs par des employeurs de l'industrie agroalimentaire québécoise.

Des mesures de détention injustifiées et non autorisées sont également prises à l'encontre de travailleurs par certains employeurs, ce qui ne fait qu'exacerber le stress intolérable que subissent ces travailleurs.

À leur arrivée à l'aéroport, le RATTMAQ a distribué des tracts à ces travailleurs étrangers temporaires mexicains et guatémaltèques sur la COVID-19, la période de quarantaine de 14 jours sous laquelle ils doivent être placés immédiatement, ainsi que de l'information sur leurs droits pendant cette période de la pandémie.

En avril, le RATTMAQ a reçu plus de vingt appels concernant des mesures disciplinaires qui avaient été prises contre des travailleurs pour avoir quitté la ferme après la fin de leur quarantaine de 14 jours. Par exemple, un de ces travailleurs avait décidé de sortir le jour de son congé pour acheter de la nourriture. Bien qu'il ait suivi les mesures de distanciation sociale requises, des mesures disciplinaires ont été prises contre lui parce qu'il avait quitté la ferme. « Les producteurs disent qu'ils ont peur que la COVID-19 se rende dans leurs fermes, alors ils contrôlent leurs mouvements. Ce n'est pas correct », a déclaré aux médias le porte-parole du RATTMAQ, Michel Pilon.

L'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) note dans une de ses infolettres qu'après leur mise en quarantaine, les travailleurs sont soumis aux mêmes règles que tout le monde lorsqu'ils sortent. Elle ajoute qu'ils ont le droit de quitter la ferme s'ils le souhaitent. La responsabilité de l'employeur, précise-t-il, est de s'assurer qu'il les sensibilise aux règles de distanciation sociale et des risques d'infection. Les empêcher de quitter le site, prévient-elle, contreviendrait à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC Québec), qui représentent certains de ces travailleurs, ont également été informés que des travailleurs se sont vu interdire de quitter les terrains de leur employeur. Le représentant des TUAC Québec Julio Lara a été contraint d'intervenir auprès d'un employeur, après que des travailleurs ont été suspendus pour avoir quitté les fermes de leur employeur.

Tout comme les nombreux autres migrants étrangers temporaires ici, y compris les demandeurs d'asile et les étudiants internationaux qui travaillent dans le secteur de la santé au Québec, les abattoirs, les entrepôts et dans les champs, ces droits des travailleurs sont gravement violés. Non seulement ils font face au déni de leurs droits par leur employeur, mais le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral portent également une énorme responsabilité quant à leurs conditions de vie et de travail et continuent de fermer les yeux sur leur sort. Bien qu'ils soient souvent attirés ici par la possibilité de s'installer de façon permanente, tout joue contre eux par des changements arbitraires constants de la politique d'immigration apportés par le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral.

En ce qui concerne le stress insupportable auquel ils sont soumis, un exemple est la lettre datée du 1er avril 2020, signée par la ministre fédérale de la Santé Patty Hajdu et la ministre de l'Emploi Carla Qualtrough, qui informe les employeurs qu'« il est important que vous sachiez que des sanctions pouvant atteindre 750 000 $ peuvent être infligées à des TET (travailleurs étrangers temporaires) qui ne se conformeraient pas à l'article 58 [de la Loi sur la mise en quarantaine][1]. » 

Le 22 avril, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il supprimait la restriction permettant aux étudiants internationaux de travailler un maximum de 20 heures par semaine alors qu'ils suivent leurs cours, « à condition qu'ils travaillent dans un service essentiel ou une fonction essentielle, comme le domaine des soins de santé, de l'infrastructure critique ou de la fourniture des aliments ou d'autres biens essentiels ». Cette mesure augmente considérablement le risque pour eux de contracter le coronavirus.

Au Québec, les nouvelles mesures introduites par le gouvernement Legault dans le cadre de son programme québécois d'expérience réformé (PEQ) qui doit entrer en vigueur à la fin du mois de juin, empêcheront de plus en plus de travailleurs temporaires peu qualifiés et étudiants internationaux de pouvoir s'installer définitivement au Québec.

Les Québécois et les Canadiens de tous les horizons continuent de se rallier à la cause de ces travailleurs et d'autres travailleurs essentiels pour la pleine reconnaissance de leurs droits, y compris la résidence permanente à leur arrivée. Les emplois que ces travailleurs occupent ne sont pas temporaires, ils sont récurrents, sans preneurs sur le marché intérieur québécois et canadien, en raison des conditions de main-d'oeuvre asservie qui leur sont attachées.

Les travailleurs qui occupent ces emplois récurrents année après année doivent se voir accorder la résidence permanente à leur arrivée s'ils le souhaitent, et il en est de même pour tous les travailleurs essentiels vivant ici et dont le statut n'a pas été régularisé. Leurs droits en tant qu'êtres humains, ainsi qu'en tant que travailleurs, à des conditions de travail et de vie décentes et dignes, doivent être reconnus dès maintenant. Ce n'est qu'en travaillant ensemble et en s'organisant pour défendre les droits de tous que nous réussirons, côte à côte, à renverser la situation. S'ils sont assez bons pour travailler, ils sont certainement assez bons pour rester et méritent les mêmes droits que les autres travailleurs québécois. En tant que travailleurs essentiels, ce sont eux qui assurent les soins et veillent à ce que la nourriture arrive sur nos tables. En nous exprimant et en organisant avec eux pour la défense de leurs droits, nous luttons également pour la reconnaissance et la garantie des nôtres.

Note

1. « Les travailleurs étrangers temporaires méritent la résidence permanente, pas des menaces ! - Diane Johnston », LML, 2 mai 2020

(Sources : Le Devoir, RATTMAQ, LML, Gouvernement du Canada. Photos : FO, Debout pour la dignité)


Cet article est paru dans

Numéro 46 - Numéro 46 - 2 juillet 2020

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Des gestes qui mettent en péril la vie des travailleurs étrangers temporaires au Québec: ça ne doit pas passer! - Diane Johnston


    

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