À la défense des conditions de
travail
des travailleurs essentiels
Les travailleurs du secteur public au Québec s'opposent au recours ministériel aux pouvoirs d'urgence pour fixer les conditions de travail de manière arbitraire
À cause de la pandémie du coronavirus, l'état
d'urgence
sanitaire a été déclaré au Québec le 13 mars.
Coup sur coup,
les 15 et 21 mars, les travailleurs et
les travailleuses de
la santé du Québec, qui sont aux premières lignes
pour prendre soin de
la population et freiner la pandémie, ont appris
par les arrêtés
ministériels 2020-04 et 2020-07 que des
pans entiers de leurs
conditions de travail, négociées et inscrites dans
leurs conventions
collectives, étaient suspendues. Cette suspension
est invoquée en vertu
des pouvoirs que la ministre de la Santé dit
posséder selon l'article
123 de la Loi sur la santé publique.
L'article 123 de la Loi sur la santé
publique
dit que le gouvernement ou le ministre, au cours
de l'urgence
sanitaire, peut ordonner toute mesure nécessaire
pour protéger la santé
de la population. À noter que nulle part dans les
mesures qui sont
spécifiées dans l'article 123, il n'y a de
référence à la suspension de
conventions collectives ou à la modification
unilatérale de conditions
de travail des employés du secteur de la santé. Le
gouvernement n'a
tenu aucune discussion avec les travailleurs de la
santé sur comment
ces mesures pourraient aider à faire face à la
crise actuelle. Aucune
explication sur comment ces mesures pourraient
protéger la santé du
public n'a été donnée non plus. Ces arrêtés
ministériels constituent un
exercice arbitraire de pouvoirs que le
gouvernement et la ministre se
sont arrogés sous prétexte de mesures d'urgence à
prendre dans le cadre
de la pandémie.
Entre autres mesures décrétées par les arrêtés
ministériels, le gouvernement (l'employeur) peut «
annuler les
libérations syndicales déjà accordées ou refuser
d'en accorder de
nouvelles ». Il peut aussi annuler des congés
ou suspendre ceux
déjà en cours.
L'employeur peut maintenant « affecter le
personnel, à
l'endroit, au moment ou à des tâches d'un autre
titre d'emploi, [...]
dans la mesure où l'employé visé répond aux
exigences normales de la
tâche, et ce, sans égard à la notion de poste, de
centre d'activités,
de service, de quart de travail ou de toute autre
disposition limitant
la mobilité du personnel. »
Un travailleur en invalidité peut être obligé de
retourner au travail « dans le but d'accomplir
certaines fonctions
correspondant à ses capacités résiduelles, avec la
recommandation du
médecin désigné par l'employeur »
Le gouvernement peut aussi imposer des journées
de
travail qui durent jusqu'à 12 heures, et «
suspendre ou annuler
les aménagements de temps de travail consentis
ainsi que refuser
l'octroi de nouveaux aménagements ».
L'employeur peut maintenant embaucher du
personnel
additionnel sans avoir à tenir compte « des taux
et des échelles de
salaire du réseau de la santé et des services
sociaux ».
Les infirmières du Québec manifestent
contre le
temps supplémentaire obligatoire, avril
2019. (FIQ)
|
Depuis plus de 30 ans, les travailleurs de
la santé
tiennent à bout de bras le système de santé contre
sa destruction par
l'austérité antisociale imposée par les
gouvernements qui se sont
succédé au Québec. Dans ces trente dernières
années, ils ont fait face
au chantage voulant que s'ils ne se surmènent pas
dans des conditions
de manque d'effectifs, n'accomplissent pas de
miracles pour veiller sur
les patients sans avoir suffisamment de lits, dans
une médecine de
corridor, face à des pratiques irrationnelles de
gestion, dans une
lutte continuelle contre les plans de
privatisation des services
d'entretien et de buanderie, et ainsi de suite,
ils seront responsables
d'avoir abandonné les patients. À présent, ils
sont censés se soumettre
à ces décrets parce qu'il faut veiller sur les
patients dans une
situation de pandémie. C'est du chantage pur et
simple.
Ces mesures sont une insulte à leur intelligence
parce que ce ne sont
pas les travailleurs de la santé qui ont abandonné
la population. Ce
sont les gouvernements qui l'ont fait, avec leur
programme antisocial
de payer les riches qui a causé des compressions
et saccagé les
établissements modernes et l'accès au Québec,
comme c'est le cas à
l'échelle du pays. Une fois de plus, le
gouvernement insulte
l'intelligence des travailleurs et des
travailleuses de la santé qui,
en toutes circonstances, affirment leur éthique
professionnelle.
« Depuis de nombreuses années, les infirmières,
les
infirmières auxiliaires, les inhalothérapeutes, et
les perfusionnistes
cliniques travaillent dans des conditions
inacceptables », a dit
la Fédération interprofessionnelle de la santé du
Québec (FIQ) qui
représente près de 76 000 travailleurs
et travailleuses de la
santé. « Cette possibilité d'assouplir et de
changer les règles aura
pour effet de démobiliser les membres de la FIQ
qui ne peuvent plus en
prendre. Elles ont besoin de reconnaissance et non
d'un coup de fouet
de plus. Nous attendons de la part de la ministre
McCann que cette
dernière s'adresse publiquement à nos membres afin
de leur assurer
qu'on ne les exploitera pas
davantage ! »
La Fédération de la santé et des services sociaux
(FSSS-CSN), qui représente 110 000
membres du secteur de la
santé et des services sociaux, a souligné
l'expérience qu'a le secteur
de la santé des mesures dites exceptionnelles qui
deviennent la norme.
Elle dit :
« Plutôt que d'envoyer le signal que les parties
locales
doivent respecter les directives de la santé
publique et qu'elles
doivent se mettre au travail conjointement pour
faire face à la crise,
le gouvernement se donne les moyens de
complètement chambouler les
conditions de travail. Nous comprenons que le
gouvernement doit se
donner des moyens pour faire face à la crise, mais
il doit s'en servir
exceptionnellement et pas comme une façon de gérer
le réseau. Nous
savons déjà que lorsque des mesures
exceptionnelles comme le temps
supplémentaire obligatoire deviennent un mode de
gestion, ça pose un
sérieux problème pour le personnel.
« Depuis le début de cette crise, nous nous
sommes mis
au travail pour aider le réseau à traverser la
pandémie. Dans les
derniers jours, nous avons interpellé le ministère
pour faire valoir
nos préoccupations. Il faut éviter à tout prix une
dérive autoritaire
dans le réseau. Nous faisons un appel au dialogue
dans les
établissements. Les directions doivent éviter
d'appliquer cet arrêté
mur à mur. Les syndicats locaux sont bien placés
pour soumettre des
solutions pour améliorer les choses face à cette
crise et nous devons
être mis dans le coup. »
La Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ),
qui a
plus de 7000 membres oeuvrant dans le
secteur, maintient aussi
qu'on ne peut écarter les travailleurs de la santé
des décisions qui
les concernent en tant que personnes de premières
lignes si on veut
résoudre la crise. Elle dit :
« Depuis le début de la crise, le premier
ministre,
François Legault, et la ministre de la Santé et
des Services sociaux,
Danielle McCann, répètent partout qu'il faut
prendre soin du personnel
de la santé, nos anges gardiens. Et cela se
traduit maintenant par la
suspension de toutes les clauses qui nous
garantissaient un minimum de
décence dans nos conditions de travail. Ce
gouvernement a une drôle de
façon de prendre soin de nous.
« [...] ces femmes et ces hommes qui doivent se
battre
aux premières lignes, depuis le début de la crise,
malgré les risques
pour leur propre santé, sont maintenant remerciés
en se faisant imposer
des horaires de travail de 12 heures, une
flexibilité sans
limites, l'abolition de tout congé et de toutes
vacances, ainsi que des
pertes de salaires assurées.
« Finalement, force est de constater qu'en dépit
de son
discours sur les anges gardiens, le gouvernement
Legault nous traite
avec le même manque de reconnaissance qu'avant la
crise. Heureusement,
malgré cela, je tiens à assurer la population
qu'elle pourra toujours
compter sur le professionnalisme et l'engagement
sans faille du
personnel de la santé et j'invite le gouvernement
à discuter
d'aménagements respectueux pour le
personnel. »
Les conditions de travail des travailleurs de la
santé
sont les conditions de vie de la population.
Laissez les travailleurs
de la santé fixer leurs propres conditions de
travail. Ils sont tout à
fait capables de déterminer le personnel
nécessaire selon les besoins
de chaque situation et chaque circonstance. Le
devoir du gouvernement
est de leur fournir ce dont ils ont besoin et ce
qu'ils expriment comme
besoins. Non aux mesures exceptionnelles !
Non au diktat
ministériel policier !
Cet article est paru dans
Numéro 19 - 7 avril 2020
Lien de l'article:
À la défense des conditions de
travail
des travailleurs essentiels : Les travailleurs du secteur public au Québec s'opposent au recours ministériel aux pouvoirs d'urgence pour fixer les conditions de travail de manière arbitraire
Site Web: www.pccml.ca
Email: redaction@cpcml.ca
|