Beaucoup de blessures et de décès
liés au travail demeurent non signalés
- Nick Lin -
Mobilisation pour le
1er
juin, la Journée
des travailleurs accidentés en Ontario
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Les données annuelles officielles sur les
décès liés au travail au Canada se situent
généralement entre 900 et 1 000, des
chiffres qui sont compilés à partir des données
des agences d'indemnisation des accidentés du travail. Le nombre
réel est sans aucun doute plus élevé car les
chiffres de ces agences d'indemnisation ignorent de nombreux
décès de travailleurs.
Une étude récente souligne ces lacunes et montre plus que
jamais la nécessité que les travailleurs s'investissent
de pouvoir afin que leur droit à des conditions de travail
saines et sécuritaires puisse se réaliser de
manière significative.
Les auteurs de l'étude écrivent que leur
objectif est d'élargir la discussion sur les problèmes
auxquels les travailleurs sont confrontés, qui contribuent aux
maladies et au décès. L'étude, intitulée
« Work-Related Deaths in Canada », publiée en
novembre 2018 dans Labour, the Journal of Canadian Labour
Studies, mentionne
ceci dans son résumé :
« Ce document examine de manière critique
les statistiques officielles sur les décès au travail au
Canada. Chaque année, l'Association des commissions des
accidents du travail du Canada fait rapport sur le nombre de
travailleurs décédés des suites d'une blessure ou
d'une maladie liées au travail. Le problème est que ces
données indiquent le
nombre de décès acceptés comme sujets à une
indemnisation et ne constituent pas un système de suivi de tous
les décès liés au travail. Nous nous sommes
inspirés de diverses sources et nous avons employé une
définition large de ce qui constitue un décès au
travail afin de tenter de produire une estimation plus précise
du nombre des décès liés au
travail. Notre objectif n'est pas de produire un nombre
définitif de décès annuels au travail, ce qui est
impossible à cause de la pauvreté des sources de
données, mais plutôt de contester les méthodes
dominantes de conceptualisation de ce qui constitue un
décès lié au travail et de contribuer aux efforts
en cours pour sensibiliser les universitaires, les
responsables politiques et le grand public à cette question
importante. Dans ce sens, notre objectif est de nous demander si les
statistiques officielles sur les décès au travail sont
complètes lorsqu'elles sont confrontées à une
compréhension plus large de ce qui constitue un
décès au travail. »[1]
L'étude souligne qu'en raison de cette source
d'information limitée, des milliers de décès ne
figurent pas dans les statistiques sur la santé et la
sécurité au travail, notamment en ce qui concerne les
travailleurs non couverts par un système public d'indemnisation
des accidents du travail, ou les décès par suicide
causé par le stress, ou les décès
survenus lors des trajets vers les endroits de travail ou au retour du
travail et les maladies professionnelles. Selon les provinces,
seulement 70 à 98 % de la main-d'oeuvre est
couverte par un système public d'indemnisation des travailleurs,
ce qui représente plus de deux millions de travailleurs au
Canada dont les blessures ou les
décès au travail ne seraient pas inclus dans les
statistiques officielles. Cela comprend les travailleurs autonomes, les
aides domestiques, les employés de banque et les agriculteurs,
ainsi que les secteurs les plus vulnérables de la classe
ouvrière dont les conditions de travail sont parmi les plus
dangereuses, les travailleurs migrants et sans papiers.
« Cette situation s'apparente aux statistiques
criminelles ne comprenant que des homicides résolus, ce qui
donne l'impression que les tentatives de meurtre, les meurtres non
résolus ou les morts suspectes ne sont pas un sujet de
préoccupation », écrivent les auteurs de
l'étude. Steven Bittle, professeur agrégé de
criminologie à l'Université
d'Ottawa et responsable de la recherche, a expliqué au
réseau CBC : « Notre notion de ce qui constitue un
accident mortel en milieu de travail est trop étroite et c'est
une erreur de comptabiliser les accidents mortels liés au
travail à partir de nos régimes
d'indemnisation. » Bittle et les autres auteurs estiment
qu'un chiffre plus précis
serait d'entre 10 000 et 13 000 décès
par année.
Les auteurs de l'étude proposent que les
décès lors des déplacements entre le domicile et
le travail fassent partie des statistiques sur les décès
liés aux endroits de travail, un chiffre qu'ils évaluent
à environ 460 par année. « Nous vivons dans
une culture de présentéisme, où on s'attend
à ce que les gens soient au travail, en vertu de cette
culture ou par des pressions sur la main-d'oeuvre, peu importe s'ils
sont malades ou si les conditions météorologiques sont
telles qu'ils ne devraient pas être au volant à ce moment
précis », a dit Bittle à CBC.
Une autre catégorie de décès qui,
selon les auteurs, devraient faire partie des données sont les
personnes qui ne sont pas des travailleurs mais qui meurent de
façon collatérale, et dont le décès peut
être directement attribué à un endroit de travail.
C'est le cas par exemple lorsque la conjointe d'un travailleur meurt de
mésothéliome après avoir été
exposée à l'amiante à chaque fois qu'elle lavait
l'uniforme de travail de son partenaire, ou que des passants sont
tués par une grue ou à la suite de l'écrasement
d'un
échafaudage à proximité d'un site de construction.
Les auteurs examinent aussi les situations de stress
extrême engendrées par des conditions de travail qui ont
peu de chance d'être couvertes par les arrangements actuels. Ils
donnent l'exemple d'un homme en Saskatchewan qui travaillait pour une
petite municipalité et qui en 2017 a mis fin à ses jours,
aux prises avec des problèmes de santé
mentale aggravés par son travail. Dans ce cas particulier, la
Commission des accidentés du travail de la province a reconnu
que son décès était en grande partie liée
à son employeur. Cependant, on souligne dans l'étude que
les réclamations liées à des suicides
sont grandement sous-estimées. Bittle évalue qu'à
chaque année
entre 10 et 17 % des suicides au Canada pourraient
être classés comme étant liés au travail, ce
qui représente entre 400 et 800 décès
par année.
En guise de conclusion, les auteurs de l'étude
affirment que la catégorie de décès la plus
sous-estimée est celle liée aux maladies
professionnelles. Présentement, alors qu'entre 500 et 600
décès attribués aux maladies industrielles sont
signalés par les régimes d'indemnisation des
accidentés du travail
à l'échelle nationale, Bittle estime que le nombre
réel serait plus près de 8 000. De telles situations
sont bien connues des travailleurs, de leurs familles et de leurs
organisations, qui depuis des décennies se battent bec et ongle
pour que les cancers liés au travail et d'autres maladies soient
reconnus par les régimes d'indemnisation.
Pour ce qui est de certains emplois, les organisations
de défense des travailleurs ont réussi à changer
la situation. Selon CBC, l'Île-du-Prince-Édouard a
adopté en janvier la Loi sur les indemnisations des
travailleurs qui a accordé aux pompiers la
présomption de maladie professionnelle pour certains types de
cancer et d'autres maladies.
L'Île-du-Prince-Édouard est la dernière province
à prévoir de telles dispositions.
Un autre exemple que connaissent les lecteurs de Forum
ouvrier est la lutte des travailleurs de General Electric
à
Peterborough, en Ontario, pour la reconnaissance des demandes
d'indemnisation des travailleurs exposés aux produits chimiques
toxiques pendant des années, pour eux et leurs survivants.[2] Un autre exemple est le McIntyre Power
Project dans le Nord de l'Ontario, qui réclame justice pour les
mineurs des mines d'or et d'uranium de l'Ontario qui, dans
années 1950, ont été forcés de
respirer une poudre d'aluminium avant chaque quart de travail
prétendument pour se protéger de la silicose. Un grand
nombre
d'entre eux ont plus tard souffert d'importants troubles neurologiques,
dont la maladie de Parkinson et l'Alzheimer.[3]
L'étude souligne le caractère juste de la
campagne du Réseau ontarien des groupes de travailleurs
accidentés, « L'indemnisation des travailleurs
accidentés est un droit » et de sa lutte pour un
système d'indemnisation qui est vraiment universel, afin
qu'aucun accident ou décès ne soit dissimulé, et
pour que les causes de ces accidents et
décès soient identifiées et
éliminées et que les victimes reçoivent une
indemnisation. L'étude confirme la justesse de la lutte de la
classe ouvrière pour la dignité du travail, en
commençant par la lutte pour mettre fin aux conditions de
travail qui mettent en péril la vie et la santé des
travailleurs.
Notes
1. « Work-Related
Deaths
in
Canada »,
Steven Bittle, Ashley Chen, Jasmine Hébert, Labour, Journal
of Canadian Labour Studies, Vol. 82 (2018)
2. Voir : « Les
travailleurs
de
General
Electric
à
Peterborough
en butte à des
injustices »,
entrevue avec Sue James, présidente du Comité consultatif
en santé au travail des retraités de GE, Ontario
Political Forum, le 10
mai 2018
Voir aussi « Les
propositions des retraités de General Electric de Peterborough
pour une réforme de l'indemnisation des travailleurs »,
Forum ouvrier, 5
juin 2018
3.Voir : « À
la
défense
des
travailleurs
accidentés
dans le Nord de
l'Ontario - Quatre journées d'action réussies en appui
aux droits des travailleurs accidentés », Ontario
Political
Forum, le 31 mai 2018
Cet article est paru dans
Numéro 15
- 2 mai 2019
Lien de l'article:
Beaucoup
de blessures et de décès liés au travail demeurent
non signalés - Nick Lin
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