De fausses concessions et de vraies concessions

Le ministre du Travail Jean Boulet prétend qu'avec son hypothèse de règlement pour mettre fin au lockout à ABI, il demande des concessions aux deux parties. Comme l'a fait Alcoa depuis le début, le ministre Boulet prétend que des concessions demandées aux deux parties, sans les échanges de part et d'autre qui sont propres aux discussions et aux négociations, rendent son hypothèse juste, équilibrée et digne d'appui.

Les travailleurs doivent garder à l'esprit qu'aucune des concessions demandées par la compagnie ou le gouvernement, et encore moins les diverses propositions, n'ont été le résultat de négociations avec les représentants syndicaux des travailleurs d'ABI. Dans une convention collective négociée, les échanges de part et d'autre et les compromis entre les parties font partie des négociations. Le fait de simplement proclamer une solution finale et demander aux travailleurs de voter parce que les deux parties ont soi-disant fait des concessions, montre que le gouvernement et la compagnie ne veulent pas  d'échanges et encore moins de négociations qui respectent le droit des travailleurs et de leurs représentants de trouver une solution aux différends qui existent.

Radio-Canada dit avoir reçu une copie de l'hypothèse de règlement et le ministre lui-même a décrit certains de ses aspects. Le fait de rendre la proposition publique et d'encourager la spéculation est une forme de guerre d'information qui vise à faire passer quelque chose qui est inacceptable et nie la négociation et les droits des travailleurs.

En l'absence de tout forum avec les travailleurs dans le cadre de négociations sérieuses, Boulet parle publiquement de deux concessions qu'il demande aux propriétaires.

Le ministre veut d'abord que la direction d'ABI abandonne son grief en dommages de 19 millions de dollars contre la section locale 9700 et ses officiers. Elle a déposé ce grief en avril pour soi-disant sabotage des opérations dans les mois qui ont mené au lockout en janvier 2018.

Qualifier le retrait de ce grief mensonger et inventé par la direction de concession dans le cadre de négociations d'une convention collective est entièrement frauduleux. Le syndicat a souligné depuis longtemps que la compagnie n'a jamais mentionné quelque geste de sabotage que ce soit pendant la période où ils sont censés avoir été commis. Les plaintes des directions d'entreprise au sujet de la sécurité des opérations et de soi-disant menaces de sabotage pendant les négociations sont devenues une propagande constante et des prétextes pour justifier des lockouts. Le retrait du grief en dommages n'est pas une concession mais un changement de tactique. Un retrait ne change rien aux demandes de concessions d'Alcoa en ce qui concerne les conditions de travail, la sécurité des travailleurs et les droits syndicaux. Le syndicat n'a même jamais demandé le retrait du grief dans tous ses efforts pour avoir des discussions avec la compagnie. En plus, il est courant, à la fin d'une négociation, que les deux parties renoncent à leurs poursuites dans le cadre d'une convention négociée. Le ministre Boulet l'a lui-même admis quand il a dit ceci à la presse :

« Quand j'ai écrit le protocole de retour au travail, c'est l'une des concessions que j'ai demandées à la compagnie en lui disant : quand on fait un protocole de retour au travail, on fait table rase, on renonce à tous les recours qui ont été entamés avant ou pendant le conflit, reliés directement ou indirectement au conflit. »

L'autre concession demandée à la compagnie, selon le ministre, c'est la modification du protocole de retour unilatéral que le cartel a voulu imposer et que les travailleurs ont rejeté avec mépris lors de l'assemblée générale et du vote le 11 mars. Selon le ministre, la réintégration des travailleurs se fera maintenant sur 6 mois et non plus dix mois.

Le syndicat a déjà rejeté une période de 10 mois ou 6 mois avant la réintégration des travailleurs comme étant sans précédent et inacceptable. Après la grève de 2004, il a fallu seulement deux mois pour réintégrer tous les travailleurs d'ABI. En plus, l'échéancier du protocole de retour au travail proposé, qu'il soit de 10 ou 6 mois, demeure soumis à ce que les propriétaires vont définir comme conditions de sécurité du retour au travail. Également, selon Clément Masse, le président du syndicat, l'hypothèse de règlement parle d'un « objectif » de réintégration et de relance plus rapide des activités, et non d'une « obligation ». La prétention du ministre qu'un changement de 10 à 6 mois est une concession de la part de la compagnie, alors que son imposition unilatérale d'un protocole de retour au travail rétrograde avait été universellement dénoncée, est de la propagande hypocrite pour imposer le diktat de la compagnie, entériné par le gouvernement, qui s'attaque aux droits des travailleurs et à leur dignité.

Les concessions réelles qui sont demandées dans l'ici et le maintenant, depuis le début du lockout et même avant, sont celles que les oligarques exigent des travailleurs dans tous les aspects de leur vie au travail et à la retraite. En fait, toute cette période de non-négociation a été une série de diktats unilatéraux pour des concessions et des offres finales de la direction d'ABI. Les travailleurs d'ABI n'ont même pas pu présenter de demandes pour défendre leurs conditions de travail telles qu'elles existent maintenant et encore moins pour les améliorer. Tous leurs efforts ont visé à préserver ce qu'ils ont. Clément Masse a dit que le syndicat aurait même accepté que la convention collective soit simplement reconduite.

Dès le début de leurs efforts pour en arriver à une nouvelle convention collective, les travailleurs ont demandé l'élimination de certaines demandes de concessions de la compagnie ou encore la réduction de leur portée. C'est le cas par exemple des abolitions de postes syndiqués. Le gouvernement suggère que l'opposition du syndicat à des concessions est en fait une série de nouvelles demandes mises de l'avant par le syndicat, qui mettent à mal la compétitivité d'Alcoa sur les marchés mondiaux et risquent de faire fermer l'usine.

Le syndicat a mentionné qu'un professeur de relations de travail de l'Université du Québec à Trois-Rivières, qui a lu l'hypothèse de règlement, a écrit que le ministre est préoccupé de la compétitivité mondiale d'Alcoa et a même ajouté un nouveau libellé dans son hypothèse de règlement qui va faciliter encore plus le recours à la sous-traitance pour éliminer les emplois syndiqués réguliers et abaisser les conditions de travail à l'usine.

Le gouvernement poursuit sa campagne inacceptable contre les travailleurs de l'aluminium pour le compte d'une puissance mondiale. Il refuse d'accomplir son devoir en tant que gouvernement de défendre le bien-être et la sécurité de son propre peuple. Cette voie désastreuse accentue encore plus le déséquilibre entre des oligopoles comme Alcoa et leurs travailleurs, les communautés et les sociétés dans lesquelles ces géants mondiaux mènent leurs activités. Le gouvernement offre lâchement le Québec sur un plateau d'argent à ces grands intérêts privés supranationaux au lieu de défendre les travailleurs et le peuple en restreignant le pouvoir de ces oligopoles et en travaillant à établir un équilibre qui sert le peuple et est approuvé et contrôlé par lui.

(Photo : Syndicat des Métallos)


Cet article est paru dans

Numéro 15 - 2 mai 2019

Lien de l'article:
De fausses concessions et de vraies concessions


    

Site Web:  www.pccml.ca   Email:  redaction@cpcml.ca