Rencontre historique des Internationalistes
à Montréal le 25 mai 1968
Réminiscences de Hardial Bains sur la réorganisation des Internationalistes
Nous sommes arrivés à Montréal le 1er mai 1968. Inconfortable est le mot qui décrit sans doute le mieux la situation de celui qui arrive dans une ville avec un handicap, une obstruction dans la forme d’un proche collaborateur qui à ce moment particulier n’était pas totalement engagé envers l’objectif pour lequel nous étions venus. Cet inconfort sur l’objectif allait devenir une source continuelle d’agacement et de perturbation durant les années à venir. Il est important de bien choisir les personnes avec qui on va au combat, mais l’histoire ne nous a pas donné la possibilité de choisir à ce moment-là.
La ville nous sembla inhospitalière en cet après-midi sur le trajet de l’aéroport de Dorval vers Le Reine-Élizabeth au centre-ville et la lente marche vers le ghetto de l’Université McGill. Chargés comme des mulets de tout ce que nous possédions, nous sentions comme si tout le monde nous regardait, comme si tous se demandaient pourquoi nous étions venus à Montréal. Certains diront que je suis trop sensible ou soucieux des apparences, mais j’espère ne jamais revivre cette expérience. Après une nuit difficile chez des émigrés transplantés de Vancouver, nous nous mîmes au travail.
Les rues qui nous avaient semblé si inhospitalières la veille nous semblaient maintenant accueillantes. Un appel retentissait dans les rues caverneuses : « Les Internationalistes sont là ! Les Internationalistes sont là ! » Notre organisation se mit à grossir en quelques jours. Des individus venus d’aussi loin que Vancouver se joignirent à nous, mais la meilleure réponse vint des Montréalais.
La veille maison sur la rue Jeanne-Mance bourdonnait d’activités le jour de notre première réunion publique, le 25 mai 1968. Il n’y avait plus de place dans la salle à manger et salon et le long corridor et beaucoup ne purent entrer. Le vieux cliché « rien ne réussit comme la réussite » s’appliquait très bien dans ce cas, mais, comme la plupart des clichés, il omet une certaine réalité, à savoir que notre succès dépendait, entre autres facteurs, du travail sérieux, honnête et conscient que nous avions fait au préalable. La réussite ne vient pas sans une planification sérieuse basée sur les conditions réelles. La réunion sur la rue Jeanne-Mance était cruciale, elle allait décider de la profondeur et du succès de notre travail d’organisation initial à Montréal et au Québec. Nous étions sûrs de nous, mais on ne peut jamais présumer de rien des gens dans le feu de l’instant. Mis à part la présence de tant de nouveaux visages, la réunion fut caractérisée par l’enthousiasme pour Les Internationalistes et les très nombreuses questions que les participants voulaient nous poser.
Après l’historique rencontre de Montréal le 25 mai, le murmure se répandit dans toute la ville que Les Internationalistes sont partout, par centaines ! La deuxième réunion, tenue la semaine suivante, fut encore une fois un succès retentissant. À l’intérieur une discussion sur l’offensive idéologique menée par l’entremise d’une culture décadente, à l’extérieur une manifestation contre nous organisée par des hippies à la défense de l’offensive idéologique. Un des organisateurs de cette manifestation était non sans coïncidence un transplanté de Victoria, en Colombie-Britannique, très fâché que Les Internationalistes lui aient volé la vedette. Il voulait perturber notre réunion pour montrer qu’il était « brave » mais nous voulions éviter ce type d’altercations. Ils quittèrent après quelques bravades sans réussir à gagner les jeunes venus nous entendre. Il faut par contre noter le comportement de la police parce que cela allait devenir un trait caractéristique de ces temps-là. Les policiers n’intervinrent pas contre les manifestants et à partir de ce moment-là ils n’étaient jamais là quand des gens venaient perturber nos réunions. Ils apparaissaient seulement quand nous agissions pour mettre les perturbateurs à leur place et c’est contre nous qu’ils intervenaient.
La politique révolutionnaire prit rapidement de l’ampleur cet été-là et les rangs des Internationalistes se gonflèrent. Près de 70 délégués participèrent à notre Première Conférence nationale à la fin de décembre 1968 et nous avions des organisations établies dans toutes les provinces sauf dans les Maritimes. La plupart des forces vives s’unirent autour des Internationalistes et beaucoup d’autres allaient leur emboîter le pas. Cette progression rapide avait une base objective. Ceux et celles qui se joignirent à nous provenaient des mêmes conditions que Les Internationalistes, ils gravitaient vers une organisation qui était stable, idéologiquement et organisationnellement forte et possédant une ligne politique solide. De plus, l’organisation conviait tout le monde à s’engager sur la voie marxiste-léniniste qui nous appartenait à tous. Les Internationalistes n’étaient pas une secte mais bien une organisation de la classe ouvrière se consacrant la victoire de la révolution et du socialisme.
Les Internationalistes étaient une organisation nationale appelée « mouvement de la jeunesse et des étudiants marxistes-léninistes », mais possédait tous les attributs d’un véritable Parti communiste marxiste-léniniste. Le marxisme-léninisme était la base idéologique de l’organisation, le centralisme démocratique le principe organisationnel et l’internationalisme prolétarien le coeur de sa pratique. Les Internationalistes ne s’étaient pas encore constitués en Parti parce que nous voulions gagner à nous d’autres groupes qui se disaient marxistes-léninistes pour fonder un seul Parti de la classe ouvrière. Nous ne voulions pas déclarer le Parti unilatéralement. Cela aurait été considéré comme une entrave au mouvement et en rétrospective l’histoire a entièrement corroboré cette opinion.
Ces jours de mai à Montréal nous sont très chers. C’était une situation à la fois difficile et délicate et Les internationalistes devaient faire preuve de circonspection. Il n’y avait pas de groupe carrément marxiste-léniniste à Montréal. La pratique du dirigeant de l’une des meilleures organisations reflétait la confusion idéologique dont il souffrait. Nous devions être prudents avec ce groupe car nous savions que la plupart de ses membres avaient un bon sentiment, mais la pression de la confusion idéologique était énorme. Nous devions lever cette confusion idéologique résolument mais en faisant preuve de responsabilité et de camaraderie envers eux.
Ce groupe nous invita à une réunion de l’un de ses comités. Nous assistâmes sans trop intervenir. Les échanges confirmaient notre opinion que ce groupe souffrait de confusion idéologique. C’était particulier et c’était dû à une absence de distinction entre les intérêts personnels et les buts du mouvement, de sorte que l’intérêt personnel devient le but du mouvement. À la fin de la réunion, on m’a littéralement ordonné de donner mes impressions et mon opinion sur la réunion et sur l’organisation. Je répondis poliment et calmement qu’il fallait m’excuser parce qu’exprimer une opinion sur une autre organisation est une affaire délicate et que nous aurions l’occasion d’échanger les opinions bientôt à une rencontre entre délégués des deux organisations.
Mais certains ne voulurent rien savoir. L’atmosphère dégénéra et quelques individus m’accusèrent d’avoir peur de dire ma pensée devant eux. Je fus forcé de dire quelque chose. Et bien entendu, quand vous êtes en compagnie de gens exaltés, tout ce que vous faites ou dites se retourne contre vous. Je commençai :
« Votre sentiment est très bon et votre but est très bon… »
« Viens-en aux faits ! », s’exclama un grossier individu au fond de la salle.
Je restai calme. Très gentiment, je leur laissai savoir que leur idéologie était bourgeoise libérale mais avant que je ne termine quelqu’un s’écria : « Nous allons te tuer si tu répètes cela. »
Je me dis à moi-même : « trotskyste, typiquement petit-bourgeois » et me levant de toute ma grandeur je rétorquai à celui qui avait proféré la menace : « Ce serait tout un exploit pour un petit-bourgeois comme toi ! » Je tentai ensuite par tous les moyens de calmer la situation.
La personne qui fit preuve de tant d’arrogance à cette réunion devint plus tard un vrai carriériste, un professeur de psychologie ou autre domaine du genre, et est vite disparue de la politique progressiste. Par contre dans le feu de l’action politique cet été 1968 à Montréal, lui et tous les autres membres de cette organisation se joignirent aux Internationalistes.
D’autres à Montréal qui se disaient marxistes-léninistes étaient liés au Mouvement ouvrier progressiste de Vancouver. Ils passèrent tout 1968 à chercher en vain à détourner les gens des Internationalistes et à provoquer des divisions dans nos rangs. Par ailleurs le Front de libération nationale du Québec (FLQ) s’était dissipé tandis que les unilinguistes cherchaient à créer une hystérie raciste.
L’opposition principale aux Internationalistes durant l’été était centrée à l’Université McGill. Le groupe Étudiants pour une université démocratique (SDU) se décomposait après une vague d’occupations à l’automne 1967. S’il y avait une certaine nostalgie pour les événements de l’automne, le groupe était en proie à des récriminations et les éléments positifs gravitaient autour de nous. De cette organisation à l’agonie surgit un groupe « socialiste ». Le mot « socialiste » était devenu l’apanage de tous ceux qui ne voulaient pas vraiment s’attaquer à la question du socialisme ou organiser pour le réaliser par la révolution. Cette opposition anti-léniniste aboutit avec la diversion que fut la campagne « McGill français », dont un des leaders disparut après la Loi des mesures de guerre d’octobre 1970.
Ces journées de 1968 à Montréal furent cruciales pour la construction du Parti. On ne peut imaginer un Parti communiste marxiste-léniniste canadien sans les travailleurs du Québec. En plus d’unir les différents groupes, l’élément manquant pour bâtir le Parti lorsque nous sommes arrivés à Montréal était précisément les travailleurs québécois. L’été semblait avoir un air de grands événements en préparation et si le temps s’écoulait au compte-goutte, les événements se succédaient rapidement. Un jour, un après-midi ou même une heure pouvait faire la différence, pouvait faire pivoter la situation d’une façon significative. Il s’écoula à peine six jours entre notre arrivée le 1er mai et la réorganisation des Internationalistes le 7 mai. La bataille éclata sur le principe organisationnel du centralisme démocratique. Le débat centrait sur le point essentiel, à savoir la subordination de l’individu au collectif. Nous étions solidement en faveur de la subordination de l’individu à l’organisation, un principe que nous appliquions en pratique. Bien que nous fussions une petite organisation à l’époque, nous savions qu’il était crucial de défendre nos principes. Cette défense des principes allait plus tard devenir essentielle à la construction et l’expansion de l’organisation.
La réunion du 25 mai eut lieu à peine 24 jours après notre arrivée. Les Internationalistes avaient déjà un attrait de masse. Ils étaient un sujet de discussion dans tous les cercles, un point de ralliement de tous les marxistes-léninistes au Canada pour fonder le nouveau Parti. Le 26 juillet fut une autre date importante : des centaines de personnes participèrent à notre conférence de fin de semaine à l’Université Sir-George-Williams (qui s’est depuis fusionnée au Collège Loyola pour former l’Université Concordia), où notre programme politique et idéologique reçut l’approbation populaire.
Cet été tumultueux de 1968 entraîna beaucoup d’autres événements et pour ceux et celles qui en ont fait directement l’expérience, leur parfum reste toujours frais dans la mémoire. Si on nous demandait ce que cet été en particulier a de si important, il faudrait invoquer toutes les facettes. Les Internationalistes furent renforcés dans tous les sens : idéologiquement, organisationnellement, politiquement et quantitativement. Ils étaient un attrait irrésistible pour tous ceux et celles qui jonglaient avec la décision de se joindre aux marxistes-léninistes révolutionnaires. Ils semblaient n’attendre rien d’autre que Les Internationalistes. C’était la solution mère qui se cristallise dès qu’elle se fusionne à l’élément manquant. Telle était la fraîcheur et la pureté des événements de l’été 1968. Notre direction en fut consolidée et notre conviction renforcée. Il confirmait la voie que nous travaillions à formuler depuis plus de cinq ans, la conclusion d’une période transformée en un progrès réel, la réorganisation et la consolidation des Internationalistes en une organisation marxiste-léniniste dans tous les sens du mot.
L’été 1968 eut un tel impact qu’encore aujourd’hui, celui qui veut trahir doit d’aborder violer les décisions et l’esprit de cette période. On a pu observer avec le temps que les individus qui deviennent passifs ou qui trahissent l’organisation vont d’abord tenter de diffamer cette période et la période précédente et deviennent émotionnellement instables en conséquence à cause de cela. Il n’est pas possible de se purger de la vérité et se remplir de faussetés sans en subir de graves séquelles émotivement.
(Extrait d’un texte inédit de 1989. Paru dans LML du 27 mai 2013.)