In Memoriam
L’aîné Secwepemc Wolverine
William Jones Ignace
– 16 février 1932 – 22 mars 2016 –
La défense de Ts’Peten en 1995 (Wolverine est au centre)
« Le mardi 22 mars 2016, notre héros de guerre et aîné Secwepemc, Wolverine William Jones Ignace, est allé rejoindre le monde des esprits, chez lui, en territoire Secwepemc. Wolverine a remporté ses honneurs de combattant à Ts’Peten, lors du siège de Gustafsen Lake en 1995, où lui et d’autres Guerriers ont tenu tête à l’attaque militaire lancée par le gouvernement canadien, alors qu’ils défendaient les terres Secwepemc non abandonnées. Il nous laisse un legs précieux de résistance, de lutte et de victoire autochtones. Il est profondément respecté et aimé, non seulement par sa famille, sa communauté et la nation Secwepemc, mais dans le monde également. Wolverine a allumé le feu de la liberté dans les coeurs et les esprits de peuples innombrables qui luttent pour les vies, les terres et les droits autochtones. Wolverine sera profondément regretté par les Guerriers autochtones des lignes de front de l’Alaska à l’Amérique du Sud.
« Wolverine a personnifié avec grande sincérité la volonté profonde des peuples de poursuivre ce travail important et vital en combattant pour notre territoire Secwepemc non cédé, une lutte qui comprend la revendication d’une enquête nationale sur le siège de Gustafsen Lake. Nous sommes appelés aussi à poursuivre son oeuvre visant à cultiver le Jardin de la Nation, à approvisionner les lignes de front. » – Comité de défense Ts’Peten [1]
Wolverine est devenu une personnalité historique dans la lutte contre le colonialisme, le racisme et le mépris de la loi par l’État canadien lorsqu’il s’est porté à la défense physique et juridique des revendications des Secwepemc à la souveraineté, au titre sur la terre et à la juridiction sur leurs terres pendant le siège de Gustafsen Lake en 1995, et, plus tard, lors des procès et procédures d’appel criminels qui ont résulté de l’assaut illégal, raciste et colonial de l’État canadien contre les défenseurs de Ts’Peten. Pendant plusieurs années avant les événements de 1995, Wolverine a étudié en profondeur les droits légaux des peuples autochtones et est allé partout dans les Amériques pour parler de cette question aux peuples autochtones et est même allé aux Nations unies. Il a répudié les assertions coloniales illégales européennes du « droit de la découverte » et de la « terra nullius » qui ont servi à exterminer les populations et à annexer les terres des pays autochtones des « Amériques ». Il a soutenu et plaidé vigoureusement pour la souveraineté de tous les peuples autochtones, pour leur titre sur la terre et la pleine autorité juridique sur leurs terres.
Lorsqu’en 1995 le gouvernement NPD du premier ministre Michael Harcourt en Colombie-Britannique et le procureur général Ujjal Dosanjh ont donné l’ordre à quelque 400 agents de la GRC d’encercler la cérémonie de Sundance tenue par 17 personnes autochtones, dont des enfants, et quatre personnes non-autochtones, sur une prairie à proximité de Gustafsen Lake, Wolverine avait déjà déposé des réclamations au tribunal sur la question du titre, de la souveraineté et de la juridiction, lesquelles allaient encore plus loin que la cause Delgamuukw (Cour suprême 1997). L’éleveur de bétail qui réclamait le droit de propriété de la terre où se tenait la cérémonie de Sundance n’avait jamais soulevé quoi que ce soit par le passé au sujet de la présence des danseurs. Cette présence a été considérée comme un problème uniquement après que Wolverine eut déposé sa réclamation et que l’État soit intervenu pour la défaire. Le cours des événements n’a fait que démontrer qu’une provocation a été montée pour que la lutte juridique sur la question de la souveraineté et de la juridiction soit criminalisée.
Rassemblés pour marquer le 20e anniversaire de la défense de leurs terres par les défenseurs Ts’Peten, le 15 septembre 2015
Ce qui s’est passé à Gustafsen Lake devrait être mieux connu en Colombie-Britannique, dans tout le Canada et dans le monde. Quatre-cents agents de la GRC ont utilisé plus de 70 000 cartouches de munitions sur le campement pendant plusieurs jours, et c’est une chance qu’une seule personne ait été blessée. Ils ont planté une mine qui a fait sauter une camionnette utilisée par les participants au campement pour aller chercher de l’eau. La Deuxième force opérationnelle interarmées a participé au siège suite à un arrangement illégal entre Dosanjh et le gouvernement libéral de Jean Chrétien. Les médias, de connivence avec le sergent de la GRC Peter Monague, notoire pour son commentaire saisi sur vidéo à l’effet que « les campagnes de salissage sont notre spécialité », n’ont cessé de répandre des mensonges et de la désinformation. L’armée a prêté quatre véhicules blindés « Buffalo » à la GRC et a utilisé des hélicoptères contre les défenseurs de la terre au nom de la « lutte au terrorisme », aux frais du public. Wolverine a plus tard été traîné, pieds et poings liés, devant un tribunal sous garde lourdement armée, et placé derrière une vitre pare-balles comme s’il était un terroriste. Dans ce qui a été un des plus grands travestis de justice que le Canada ait connus, le tribunal a ignoré la preuve et condamné Wolverine à huit ans de prison. [2]
Voilà pourquoi, même à la fin de sa vie et souffrant de cancer, Wolverine a lancé l’appel, à l’occasion du 20e anniversaire des événements de Gustafsen Lake, à une enquête officielle sur la violation par la GRC et le gouvernement des lois fédérales, constitutionnelles et internationales dans le traitement de la position conforme au droit de Wolverine et de ses camarades qui défendaient les terres non cédées des Secwepemc. [3]
En fait, ce qui ressort avec le plus de force de la vie et de l’oeuvre de Wolverine est sa position inébranlable et de principe à l’effet que l’annexion des pays, des terres et des peuples autochtones par l’État anglo-canadien constitue une violation de la primauté du droit, canadien et international. Il a défendu sa position courageuse en 1997 devant le juge de la Cour d’appel Allan McEachern, qui a tenté de persuader Wolverine et son codéfendeur James « OJ » Pitawanakwat, d’abandonner leur appel qui reposait sur la primauté du droit, la juridiction et la souveraineté, et d’adopter plutôt des arguments d’auto-défense et « d’apparence de droit », lesquels, a laissé entendre McEachern, pourraient annuler la sentence de huit années d’emprisonnement.
Wolverine n’a pas plié et a maintenu son argument juridique basé sur la juridiction. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a rejeté et la Cour suprême du Canada a refusé de l’examiner. Wolverine est retourné en prison. OJ s’est enfui aux États-Unis où il a demandé le statut de réfugié politique. Grâce au travail méticuleux de Dacajeweiah (Splitting the Sky) et de son collègue, Anthony Hall, la juge d’Oregon, Janice Stewart, a statué qu’OJ était un réfugié politique du Canada. L’État canadien n’a jamais porté en appel cette gifle cinglante. Le droit de retour d’OJ au Canada demeure jusqu’à ce jour l’une des questions non résolues de la lutte de 1995.
La vie de Wolverine consacrée à la défense indéfectible et de principe des droits des nations autochtones à la souveraineté, au titre sur la terre et à la juridiction nous rappelle la tâche historique à accomplir, la destruction jusque dans ses racines du colonialisme anglo-canadien. Cela demeure une des tâches politiques pratiques principales alors que nous prenons en main le renouveau du processus politique et l’édification nationale moderne. Peu importe le ratio que les peuples autochtones représentent par rapport aux colons non autochtones vivant maintenant au Canada en terme de population, une constitution moderne doit réserver une place d’honneur aux principes pour lesquels Wolverine s’est battu toute sa vie.
Woverine était un aîné bienaimé de la nation Secwepemc, dont la patrie au sud longe la rivière Thompson sud, le site de la plus importante remonte de saumon rouge de la Colombie-Britannique. En tant qu’agriculteur organique et combattant pour la souveraineté et la juridiction des peuples autochtones sur leurs terres non cédées, lui et sa conjointe, Flo, ont toujours approvisionné les activistes luttant pour leurs terres,contre les monopoles d’extraction de ressources et les gouvernements, de grandes quantités d’aliments provenant de leurs jardins organiques. Ils ont souvent fait longue route, comme en 1992, pour apporter de la nourriture aux activistes de la nation Crie à Wiggins Bay, en Saskatchewan, qui avaient dressé un barrage pour empêcher la coupe à blanc de leurs forêts.
L’oeuvre accomplie par Wolverine et plusieurs autres de sa génération à la défense de la souveraineté, du titre et de la juridiction autochtones est une contribution importante à la nouvelle génération qui a aussi ouvert les yeux des Canadiens sur les tâches auxquelles nous faisons face. Le Canada ancien, représenté par la GRC, ses parlements racistes et son système juridique eurocentrique doit céder la place au nouveau.
La vie et l’oeuvre de Wolverine sont une contribution à cette lutte pour le nouveau. Puisse son esprit se joindre à celui de son camarade et partenaire de lutte Dacajeweiah (Splitting the Sky) et de tous les autres combattants passés de la liberté autochtones. Puisse son esprit inspirer des générations de nouveaux combattants pour le Canada centré sur l’humain qui demande à naître.
Notes
1. https://www.facebook.com/tspeten/
2. On trouvera une description détaillée de ces événements historiques dans The Autobiography of Dacajeweiah, Splitting the Sky, John Boncore Hill, from Attica to Gustafen Lake, écrit avec She Keeps the Door, Sandra Bruderer ainsi qu’au site web suivant.
3. Voir LML du 13 janvier 2016