Dans l’actualité le 22 avril
Jour de la Terre 2022
Le problème des plastiques
Pour la première fois, des microparticules de plastique ont été détectées dans le sang humain. Tels sont les résultats inquiétants d’une récente étude scientifique menée aux Pays-Bas[1]. Il s’agit de la dernière d’une série d’études qui montrent que les plastiques s’accumulent dans les tissus et organes humains tels que les poumons, le foie et les reins[2]. Ces microparticules, qui proviennent de produits en plastique dégradés ou broyés, se retrouvent aujourd’hui partout dans notre nourriture, notre eau, notre sol et notre air. Selon un article récent, les gens mangent aujourd’hui l’équivalent d’une carte de crédit (c’est-à-dire 5 grammes) de microparticules par semaine[3]. L’American Chemical Society a estimé qu’à l’âge de 70 ans, un adulte moyen pourrait avoir plus de 50 000 microparticules logées dans ses tissus[4].
D’autres études, encore plus inquiétantes, montrent que les bébés ont au moins quinze fois plus de particules de plastique dans leurs matières fécales que les adultes[5] et que ces particules peuvent même pénétrer dans le placenta des femmes enceintes et avoir un impact sur le foetus[6]. L’une des explications de ce taux élevé chez les bébés est qu’ils mâchouillent souvent des jouets et des sucettes en plastique et qu’ils rampent sur des tapis qui contiennent des microplastiques.
Pour les adultes comme pour les enfants, il faut ajouter à cela le problème des particules incrustées dans la chair des produits de la pêche. D’autres recherches récentes ont montré que même les fruits et légumes ne sont pas à l’abri, et que des produits comme les carottes, la laitue, le brocoli, les pommes de terre, les pommes et les poires contiennent des microplastiques aspirés par leurs racines[7].
Alors, quelle est cette substance polyvalente qui s’est répandue un peu partout sur la planète ? Les plastiques sont des composés constitués de longues chaînes d’atomes et de molécules appelées polymères qui sont principalement dérivés du pétrole et d’autres combustibles fossiles, bien qu’on les trouve également dans la nature. Ce sont ces longues chaînes et les assemblages qu’elles forment qui rendent les polymères solides, légers, bon marché et faciles à façonner.
L’invention des plastiques a constitué un développement important dans la révolution scientifique des derniers siècles. Pendant des milliers d’années, les êtres humains se sont limités aux matériaux que la nature leur fournissait, tels que le bois, le métal, la pierre, l’os, la défense et la corne. En l’espace de quelques décennies, tout a changé grâce à la capacité des plastiques à être moulés, pressés et façonnés en une gamme infinie de produits pouvant être facilement fabriqués en série.
C’est à Alexander Parkes, un inventeur anglais, que l’on doit le développement du premier plastique fabriqué par l’homme en 1855, appelé Parkesine. Il voulait ainsi offrir une alternative à l’ivoire, car de nombreux éléphants étaient abattus pour leurs défenses afin de fabriquer des boules de billard pour la haute société anglaise[8]. En 1907, Leo Baekeland a inventé la bakélite, le premier plastique entièrement synthétique. D’autres avancées scientifiques majeures dans la production de plastique ont suivi. Grâce à ces avancées, des sociétés et des conglomérats géants, tels que I.G. Farben en Allemagne et Union Carbide aux États-Unis, se sont développés pour dominer l’industrie, réquisitionnant des centaines de milliers de scientifiques, de techniciens et d’ouvriers.
La Deuxième Guerre mondiale s’est avérée être une grande aubaine pour les oligarques de l’industrie plastique aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Le nylon est utilisé pour les parachutes et les cordes, le plexiglas pour les hublots d’avion et le caoutchouc synthétique pour les pneus, les bandes de roulement des chars d’assaut et les bottes des soldats[9], et bien d’autres choses encore, car le plastique a donné naissance à un éventail ahurissant de produits. Surtout après la guerre, marché après marché, « les plastiques ont défié les matériaux traditionnels et ont gagné, prenant la place de l’acier dans les voitures, du papier et du verre dans les emballages, et du bois dans les meubles ». [10]
Aujourd’hui, nous vivons dans une société où les nombreuses variétés de plastique sont devenues un élément essentiel de la vie et de l’industrie modernes. Cette substance joue un rôle clé dans les équipements médicaux, les technologies de communication (ordinateurs, télévisions et téléphones cellulaires), les matériaux de construction, les machines pour la fabrication et les véhicules. Le plastique est littéralement omniprésent dans nos foyers : microbilles dans notre dentifrice et nos cosmétiques, bouteilles et gobelets jetables, sacs d’épicerie, matériaux d’emballage, revêtements de boîtes de conserve, vêtements synthétiques, tapis, meubles, carreaux, stylos et des centaines d’autres produits.
Mais il y a des inconvénients aux plastiques, la prolifération des microparticules dans l’environnement n’en étant qu’un. Pour de nombreuses critiques, le monde croule sous toutes sortes de déchets plastiques jetables. Environ 400 millions de tonnes de ces déchets sont créés chaque année, les États-Unis étant le pays qui en produit le plus. Entre 1950 et 2017, 9,2 milliards de tonnes de déchets ont été accumulés, la plupart étant déversés dans les océans, déposés dans les sites d’enfouissement d’ordures, ou laissés à découvert sur les sols[11].
Aujourd’hui, on trouve des déchets plastiques partout, des hauteurs du mont Everest aux profondeurs les plus profondes de l’océan. Même l’Arctique vierge accumule toutes sortes de déchets qui ont été transportés d’ailleurs par les courants océaniques, le vent et la navigation[12]. Les « vortex d’ordures » composés de déchets ont formé des tourbillons géants dans les océans, la grande zone d’ordures du Pacifique étant considérée par certains comme faisant deux fois la taille du Texas. La situation a tellement empiré que, dans une résolution adoptée le 2 mars 2022, l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement a demandé la création d’un instrument juridiquement contraignant sur la pollution par les plastiques, y compris dans l’environnement marin.
Le problème est que le plastique « vit pour toujours » ou du moins pour très longtemps. Par exemple, un gobelet en styromousse existera pendant 50 ans, un porte-boisson pendant 400 ans et une couche jetable pendant 450 ans (Wikipedia). D’autres produits en plastique peuvent durer littéralement des milliers d’années. En outre, la plupart des produits en plastique ne se dégradent pas, mais se désintègrent en microparticules qui peuvent ensuite persister indéfiniment dans l’eau, le sol et l’air. En ce qui concerne l’environnement dans son ensemble, les plastiques sont l’une des « nouvelles entités » qui, selon certains scientifiques, dépassent les limites planétaires et « menacent l’intégrité des processus du système terrestre » et la sécurité des êtres humains[13].
On pense que les plastiques purs sont biochimiquement inertes et peu toxiques, bien que certains experts soupçonnent qu’ils pourraient avoir un effet similaire à celui de l’amiante en provoquant des maladies. En outre, 10 000 additifs et produits chimiques sont utilisés pour créer les différentes variétés de plastique et ceux-ci peuvent s’infiltrer des objets en plastique dans l’environnement au fil du temps[14]. Un certain nombre de ces additifs sont hautement toxiques pour les humains, les animaux et les autres formes de vie. À cet égard, les problèmes de santé associés aux microplastiques comprennent le cancer, les troubles endocriniens et métaboliques, l’obésité, le diabète, les maladies du foie, les inflammations chroniques, l’asthme et une foule d’autres affections. Non seulement le grand public est mis en danger par la surexposition aux plastiques et aux produits chimiques associés, mais aussi les millions d’ouvriers, de techniciens et de scientifiques qui travaillent dans l’industrie.
C’est ainsi qu’un produit qui présente tant d’avantages réels et potentiels pour les êtres humains est devenu une sorte de malédiction. C’est un exemple de la manière dont les forces productives de l’économie ont été déformées et réquisitionnées pour servir les intérêts privés d’un petit nombre d’oligarques milliardaires mondiaux qui dominent l’industrie. Un exemple éloquent de cette distorsion de l’intérêt privé par rapport à l’intérêt public a été la montée en puissance de l’industrie des déchets jetables, qui a commencé surtout dans les années 1950 et qui n’a cessé d’augmenter depuis en quantités énormes.
Dans les années 1950 et 1960, les oligarques milliardaires de l’industrie ont réalisé que les produits en plastique jetables étaient beaucoup plus rentables. En utilisant des techniques publicitaires manipulatrices et d’autres moyens, ils ont écarté les produits réutilisables et recyclables comme le papier et le verre. Comme l’a déclaré un initié de l’industrie dans un discours prononcé lors d’une conférence de l’industrie du plastique aux États-Unis en 1963, « l’avenir du plastique est la poubelle ». Il voulait dire par là qu’il était temps pour l’industrie d’arrêter de penser aux emballages réutilisables et de se concentrer sur les emballages à usage unique qui devraient être achetés encore et encore, augmentant ainsi les ventes et les profits. Il a même reconnu que cela aurait pour conséquence que l’industrie « remplirait les poubelles, les sites d’enfouissement et les incinérateurs avec littéralement des milliards de bouteilles en plastique, de bidons en plastique, de sacs en plastique et même de canettes en plastique ». Mais pour lui, c’était un « jour heureux » où les gens n’envisageraient plus les emballages réutilisables et opteraient plutôt pour les jetables[15].
Depuis lors, des milliards de tonnes de plastique ont été jetées partout dans le monde, certains pays en développement sont devenus d’immenses dépotoirs pour les déchets plastiques provenant d’Europe et d’Amérique du Nord. Cette situation perdure malgré le fait que la technologie et la science existent pour atténuer de manière significative le problème du plastique dans les pays plus riches.
Au fil des ans, les oligarques de l’industrie du plastique se sont battus bec et ongles contre toute taxe, réglementation ou restriction limitant leurs profits ou leurs niveaux et types de production, ce qui a entraîné une prolifération toujours plus importante des déchets plastiques. Dans une tentative d’« écoblanchiment », l’industrie s’est faite la championne du recyclage des bouteilles et autres déchets plastiques, faisant porter aux individus et aux communautés la responsabilité de régler le problème. Cette « solution » s’est révélée être un échec spectaculaire, étant donné que, selon les estimations, seuls 8 % environ des déchets plastiques sont recyclés dans le monde[16], et qu’une grande partie de ce prétendu recyclage finit dans des sies d’enfouissement ou des incinérateurs. En outre, malgré toutes sortes de subventions, l’industrie refuse d’assumer la moindre responsabilité pour l’héritage toxique de milliards de tonnes de déchets qui se sont accumulés au fil des ans dans les décharges et les océans.
Les amas écrasants de déchets plastiques dans le monde sont un exemple de forces productives hors de contrôle où l’intérêt privé supplante l’intérêt public. Le concept d’« économie circulaire » est une solution proposée par certains écologistes, scientifiques, politiciens et même des grandes entreprises. Une économie circulaire est une économie qui fonctionne en circuit fermé, ce qui implique « le partage, la location, la réutilisation, la réparation, la remise à neuf et le recyclage » des matériaux et des produits existants aussi longtemps que possible[17], par opposition au modèle actuel d’ « économie linéaire », dans lequel les produits se déplacent dans une seule direction et sont conçus pour finir en déchets dans des sites d’enfouissement.
Le concept d’économie circulaire est attrayant pour beaucoup qui pensent qu’il pourrait résoudre le problème des déchets plastiques ainsi que d’autres défis environnementaux. Mais est-il réalisable dans le cadre de la structure politique et économique existante, qui privilégie le profit maximum et les intérêts privés des oligarques milliardaires ? Ou bien, pour parvenir à une véritable économie circulaire où les plastiques pourraient être utilisés de manière rationnelle, n’avons-nous pas besoin de nouveaux mécanismes et systèmes où l’intérêt public prime et où les gens sont habilités à prendre des décisions concernant l’environnement et les autres problèmes auxquels ils sont confrontés ?
Ce sont tous des sujets de discussion opportuns pour le Jour de la Terre.
Notes
1. « Scientists Find Microplastics in Blood for First Time », Phys.Org, 25 mars 2022.
2. Thompson, Dennis, « Autopsies Show Microplastics in All Major Human Organs. », Healthday, 17 août 2020.
3. Katanich, Doloresz, « How Much Plastic Do You Eat ? It Could Be As Much as a Credit Card a Week. », Euronews.green, 11 avril 2022.
4. American Chemical Society, « Estimating Lifetime Microplastic Exposure », Science Daily, 31 mars 2021.
5. Walfisz, Jonny, « Babies Are Full of Microplastics, New Research Shows. », Euronews.green, 1er octobre 2021.
6. Limb, Lottie, « Foetuses Can Be Affected by Microplastics, Scientists Find », Euronews.green, 27 octobre 2021.
7. Toussaint, Kristin, « Our Fruits and Veggies Are Sucking Up Microplastics Through Their Roots », Fast Company, 25 juin 2021
8. Science History Institute, « The History and Future of Plastics », accédé le 27 mars 2022.
9. Altman, Rebecca, « How Bad Are Plastics, Really ? », The Atlantic, 3 janvier 2022.
10. Freinkel, Susan, « Plastics : A Toxic Love Story », New York, Houghton Mifflin Harcourt, 2011.
11. « Plastic », Wikipedia., accédé le 27 mars 2022.
12. Ettinger, Jill, « A Plastic Garbage Patch Is Likely Forming in the Arctic, Researchers Say », Green Queen, 15 avril 2022.
13. Persson, Linn, et al, « Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities », Environmental science & technology, 2022.
14. Wiesinger, Helene, et al, « Deep Dive into Plastic Monomers, Additives, and Processing Aids », Environmental Science Technology, 21 juin 2021.
15. Stouffer, Lloyd, « Plastics Packaging : Today and Tomorrow », 1963, National Plastics Conference. The Society of the Plastics Industry, inc. 19 novembre 1963.
16. Hefferman, Marissa, « Google Identifies ‘Interventions’ to Boost Plastics Circularity », Resource Recycling, 22 mars 2022.
17. « Circular Economy », Wikipedia, accédé le 17 avril 2022.
(LML Quotidien, affiché le 21 avril 2022)
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