Dans l’actualité le 10 avril
Le personnel de l’Université de l’Alberta parvient à une entente
Une nouvelle convention collective empoisonnée par un régime de salaires à deux vitesses pour les nouveaux chargés de cours contractuels
Le 2 mars, l’Association du personnel universitaire de l’Université de l’Alberta (AASUA) a annoncé que la majorité de ses 3 925 membres ont voté en faveur d’une entente par arbitrage, mettant fin à la possibilité d’une grève. Dans un esprit de solidarité, les éducateurs du postsecondaire félicitent l’AASUA pour être parvenue à une entente. Cependant, comme le reconnaît publiquement l’association elle-même, un élément particulier de l’entente du 2 mars a fait beaucoup de mécontents dans le secteur postsecondaire, y compris parmi les membres de l’AASUA.
L’aspect litigieux est le fait que le nouveau contrat crée un régime de salaires à deux vitesses pour les membres du personnel enseignant (ATS) de l’AASUA, qui compte actuellement 880 chargés de cours contractuels. Tous les chargés de cours qui ont travaillé ou qui travaillent actuellement pour l’Université de l’Alberta continueront d’être rémunérés selon l’ancienne échelle salariale. Ils bénéficieront de la « clause grand-père ». Mais toute personne embauchée après l’entente de mars 2022 sera rémunérée en fonction de la nouvelle échelle dont les salaires sont moins élevés que ceux de l’échelle actuelle.
La lutte sur la question des salaires à deux vitesses a été et continue d’être menée partout où les conventions collectives sont négociées au Canada et au Québec (où il est question de « clause orphelin »). Éventuellement, tous les travailleurs de l’unité de négociation y perdront, y compris ceux qui travaillent toujours et sont rémunérés en fonction de l’« ancien » régime. Un régime de salaires à deux vitesses est essentiellement un recul puisqu’à long terme et par attrition tous les employés seront « nouveaux » et auront à travailler au taux inférieur, ce qui effacera des années d’efforts ardus par les membres du syndicat pour améliorer leurs conditions de travail et leurs salaires.
Un autre danger important que représentent les offres à deux vitesses est que celles-ci comprennent habituellement des concessions non seulement par rapport aux salaires mais aussi aux avantages sociaux. Le nouveau régime de salaires pour les nouvelles recrues offrira vraisemblablement un régime d’avantages sociaux inférieur qui accompagne un régime de salaire appauvri. Notons que l’Université de l’Alberta offre seulement des avantages sociaux aux chargés de cours « à temps plein » qui enseignent un minimum de quatre cours par session régulière. Les changements aux avantages sociaux pourraient inclure une baisse d’avantages médicaux, l’élimination de l’assurance dentaire, une assurance-vie et des prestations d’invalidité amoindries, moins de vacances payées, etc.
Les offres à deux vitesses comprennent aussi habituellement des concessions dans les régimes de retraite. Habituellement, les employeurs tentent de remplacer les régimes de retraite à prestations déterminées par des régimes à cotisation déterminée pour les nouvelles recrues. Un régime de retraite à prestations déterminées garantit un montant de prestations déterminé au moment de la retraite basé sur une formule qui fait en sorte que la personne sait d’avance ce qu’est cette formule et, par conséquent, ce que sera le montant. Par contre, un régime à cotisations déterminées ne garantit rien. Il n’offre aux employés que la possibilité de cotiser au cours des ans et de mettre de l’argent de côté pour leur retraite tandis que l’employeur fournit des cotisations en contrepartie à la hauteur d’un certain montant.
Un régime salarial à deux vitesses érode l’unité et la grandeur de toute l’unité de négociation, minant son pouvoir global de négociation. Il mine la solidarité syndicale en créant deux classes d’employés sur la base des salaires. Le fait que les travailleurs avec plus d’ancienneté sont payés plus que les nouveaux travailleurs peut être un facteur de division. En fait, susciter la désunion est un des objectifs de l’employeur. Un régime à deux vitesses compromet la tâche très importante de continuer d’attirer et de mobiliser de nouveaux, jeunes travailleurs avec toute leur énergie et leur activisme.
Les employeurs promettent souvent qu’un régime à deux vitesses « protégera les emplois ». L’expérience des travailleurs a constamment démontré que c’est tout à fait faux.
Une fois que le syndicat accepte des régimes à deux vitesses, lors des rondes de négociation suivantes, il tentera souvent et sans succès de faire retirer ces régimes à deux vitesses ou de trouver des moyens de dédommager les travailleurs du régime inférieur. Évidemment, le retrait sera difficile, parce que dès que le deuxième régime est en place, l’employeur voudra maintenir le nouveau statu quo et tentera aussi d’augmenter la charge de travail de ces travailleurs qui sont payés moins cher plutôt que d’assigner le travail à ceux qui bénéficient d’un meilleur salaire et de meilleurs avantages sociaux.
Toutes les personnes oeuvrant dans le secteur postsecondaire doivent s’éduquer, eux et leurs membres, sur le véritable prix à payer pour les conventions collectives à deux vitesses, que ce soit pour les nouveaux employés ou pour tous les autres. Les membres doivent comprendre que de telles ententes ne sont jamais désirables. Elles ne « créent pas des emplois » et elles ne sont pas nécessaires en raison d’une soi-disant austérité fiscale. En plus de rejeter de telles ententes à la table de négociation, les syndicats de l’éducation postsecondaire et tous les autres syndicats doivent entreprendre des campagnes combatives pour forcer les gouvernements, surtout ces gouvernements qui se disent « favorables aux syndicats », à adopter de nouvelles lois interdisant les conventions collectives à deux vitesses.
Forum ouvrier, affiché le 10 avril 2022.
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