Dans l’actualité le 16 mars
Développements préoccupants dans l’hystérie guerrière
des États-Unis et de l’OTAN
La diaspora ukrainienne au Canada
Le gouvernement du Canada et les partis cartellisés qui ont des députés à la Chambre des communes font souvent référence à la population ukrainienne du Canada, forte de 1,4 million de personnes, qui est considéré comme la plus importante au monde en dehors de l’Ukraine et de la Russie. Les députés font souvent référence à leurs électeurs ukrainiens en affirmant qu’ils parlent en leur nom, tout comme le gouvernement lui-même. Malgré cela, alors qu’ils sont traités comme une banque de votes, il est rare de voir des informations sur qui compose précisément la population d’origine ukrainienne au Canada, quand et pourquoi les Ukrainiens sont venus au Canada en premier lieu et quelles contributions ils ont apportées à la vie canadienne et leur traitement par les autorités fédérales au fil des ans.
Les premiers immigrants ukrainiens sont arrivés au Canada à la fin du XIXe siècle en provenance de l’Ukraine occidentale, connue à l’époque sous le nom de Galicie et de la Bucovine, qui faisaient partie de l’empire austro-hongrois. Décrits comme des « robustes paysans », ils ont été recrutés par le gouvernement pour « peupler les Prairies ». Ils ne faisaient pas partie de la catégorie d’immigrants privilégiée, composée des Anglo-Saxons et des Européens du Nord. Ils entraient dans la deuxième catégorie, composée des Slaves et des peuples du sud de la Méditerranée. Venaient ensuite les catégories d’« indésirables » qui regroupent les Chinois, les Indiens et les Japonais sous le terme d’« Orientaux », soumis à des taxes d’entrée et à des lois d’exclusion de toutes sortes. Les Noirs d’Afrique et des Caraïbes ont été totalement interdits jusqu’au milieu des années soixante, aujourd’hui qualifiés de « personnes de couleur » pour confondre pays d’origine, nationalité, citoyenneté et race et perpétuer les stéréotypes racistes.
Appauvris, endettés envers la classe des propriétaires fonciers, accablés par de lourds impôts et confrontés à la conscription dans l’armée austro-hongroise, de 1891 à 1914, plus de 10 % de la population de l’Ukraine occidentale émigre aux États-Unis, au Canada et en Amérique latine. Au début de la Première Guerre mondiale, 170 000 Ukrainiens étaient arrivés au Canada, s’installant d’abord dans les provinces des Prairies, puis bientôt dans les villes minières du nord de l’Ontario ainsi qu’à Toronto, Montréal et d’autres villes.
Un grand nombre de ceux qui s’installent travaillent également dans les mines, dans l’exploitation forestière ou dans la construction et l’entretien des chemins de fer. Les informations sur leurs conditions indiquent que celles-ci étaient misérables ; ils étaient victimes de surexploitation, d’un racisme violent, d’humiliation et de brutalité de la part de leurs employeurs et de ceux qui ont arrangé leurs contrats d’émigration et de travail.
Les historiens soulignent que bon nombre de cette « première vague d’immigrants ukrainiens » avaient participé à des luttes politiques et économiques contre l’aristocratie foncière dans leur pays. Ils étaient connus pour organiser des clubs de lecture en vue de l’alphabétisation, mené des grèves agraires, créé des coopératives agricoles et mené des activités politiques pour défendre leurs intérêts. Au Canada, ils sont devenus un contingent combattant de la classe ouvrière sans pareil, organisant et rejoignant des syndicats, et de nombreux dirigeants syndicaux sont issus de leurs rangs.
En 1901, des immigrants nouvellement arrivés d’Ukraine ont refusé de briser une grève de la Fraternité des préposés à l’entretien des voies ferrées à Winnipeg et à Calgary, malgré les ordres des autorités de l’immigration. Ils étaient au coeur de la grève de 1905 des agents de triage du CP à Winnipeg, des creuseurs d’égouts et des manoeuvres à Edmonton, et des manutentionnaires de fret et de charbon dans la région des Grands Lacs qui ont fait grève en 1906, 1909 et 1912. Osyp Stefaniuk a été le premier travailleur ukrainien à être tué par la police sur un piquet de grève lorsqu’elle a tiré sur une foule de travailleurs appuyant la grève des conducteurs de tramway à Lakehead (alors Fort William) en 1913. Deux travailleurs ukrainiens ont été abattus de sang-froid par la GRC pendant la grève générale de Winnipeg de 1919.
Dans la région du Col du Nid de Corbeau, les mineurs, dont beaucoup étaient ukrainiens, ont lutté avec courage et dignité pour s’organiser et défendre les droits et la dignité du travail. Entre 1901 et 1926, il y a eu 181 grèves en Alberta et en Colombie-Britannique seulement, qui ont impliqué 117 907 hommes et près de 7 millions de jours de travail perdus.
Les travailleurs d’origine ukrainienne ont également créé leurs propres organisations sociales, culturelles et politiques. Une section ukrainienne du Parti socialiste du Canada est organisée en 1907, ouverte à tous les travailleurs, quelle que soit leur origine nationale. Elle publie un journal hebdomadaire, Red Flag. En 1909, le chef du Parti socialiste est élu à l’assemblée législative de l’Alberta, où il représente la circonscription de Rocky Mountain, qui s’étend le long des Rocheuses, à la frontière entre l’Alberta et la Colombie-Britannique. À l’époque, la circonscription était principalement composée de mineurs de charbon, dont beaucoup étaient originaires d’Ukraine. Ils ont rejoint le Parti communiste en grand nombre.
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L’immigration en provenance d’Europe de l’Est a été réduite au début de la Première Guerre mondiale en 1914 et n’a pas repris avant 1923. Les immigrants ukrainiens ont été persécutés et internés pendant la Première Guerre mondiale. En vertu des pouvoirs de guerre d’urgence, 80 000 personnes originaires des territoires de l’empire austro-hongrois ont été déclarées « étrangers ennemis ». La plupart d’entre elles étaient ukrainiennes, mais il y avait aussi des citoyens nés au Canada et des citoyens naturalisés. Elles sont obligées de se présenter régulièrement à la police, et leurs organisations et journaux sont interdits. Sur les plus de 8 579 personnes internées, plus de 5 000 étaient des Ukrainiens. Ils ont été utilisés comme travailleurs forcés pour construire l’infrastructure du parc national de Banff.
Comme la pénurie de main-d’oeuvre s’accentuait pendant la guerre et qu’un grand nombre de personnes étaient envoyés comme chair à canon pour la gloire de l’empire, certaines des personnes internées ont été « libérées sur parole », bien qu’elles n’aient jamais été reconnues coupables d’aucun crime, et envoyées travailler à l’entretien des chemins de fer, dans les camps de bûcherons, les mines et les usines. Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) reçoit un grand nombre de travailleurs provenant des camps. Lorsque ces travailleurs ont fait grève pour protester contre les conditions de travail brutales et dangereuses, ils ont été condamnés à six mois de travaux forcés pour« rupture de contrat ». La victoire de la Grande Révolution d’Octobre a entraîné une répression accrue de la part de l’État canadien qui a utilisé la Loi sur les mesures de guerre pour criminaliser davantage le droit d’expression et d’association, interdire la publication de journaux et d’organisations progressistes et syndicales.
Lorsque l’immigration reprend en 1923, les immigrants de Volhynie, qui font partie de la Pologne recréée en vertu du traité de Versailles, se joignent à la « deuxième vague » d’immigrants ukrainiens de Galicie et de la Bukovine ; environ 70 000 Ukrainiens sont venus au Canada entre les deux guerres mondiales.
La Grande Dépression a vu une escalade des attaques organisées par l’État contre les communistes, les dirigeants syndicaux et les organisations de minorités nationales pro-communistes. Les tactiques de division et de domination organisées par l’État rendaient les immigrants responsables du chômage. Entre 1930 et 1935, le gouvernement Bennett, utilisant l’article 41 de la Loi sur l’immigration, expulse 26 000 personnes du Canada pour activités syndicales ou politiques ou simplement parce qu’elles sont pauvres et sans emploi, dont de nombreux Ukrainiens. Au début des années 1930, des mesures spécifiques sont prises pour décourager l’immigration de ce que l’on considère comme des classes indésirables d’Européens, en particulier les Finlandais, les Ukrainiens et les Juifs, pointés du doigt pour leur participation active à la politique indépendante de la classe ouvrière. La ville de Toronto interdit l’utilisation de langues autres que l’anglais dans les réunions publiques.
L’article 98 du Code criminel est promulgué en 1919. Il érige en infraction le fait d’être membre d’une « association illégale » [1], ou de « vendre, dire, écrire ou publier quoi que ce soit à titre de représentant ou représentant déclaré d’une association illégale ». La peine maximale pour une infraction était de 20 ans d’emprisonnement. Huit dirigeants du Parti communiste ont été condamnés à cinq ans de prison en vertu de la section 98 en 1931. Cet article a été abrogé en 1936 après que près d’un demi-million de Canadiens aient signé une pétition demandant son abrogation.
Les travailleurs immigrants, notamment les Ukrainiens qui constituaient la plus grande communauté d’immigrants, ont continué à mener des grèves militantes, à bâtir leurs organisations sociales et culturelles et à participer à l’action politique. En 1933, le conseil municipal de Blairmore, en Alberta, une ville minière située dans la région du Col du Nid du Corbeau, a déclaré un jour férié à l’occasion de l’anniversaire de la Grande Révolution d’Octobre.
Les Ukrainiens ont honorablement constitué presqu’un tiers des plus de 1 500 volontaires antifascistes du Canada qui ont combattu avec les forces populaires en Espagne dans le Bataillon Mackenzie-Papineau de la XVe Brigade internationale de l’Armée républicaine espagnole. Près de 40 000 Canadiens d’origine ukrainienne se sont joints aux Forces armées canadiennes lors de la Deuxième Guerre mondiale.
La Deuxième Guerre mondiale a elle aussi été une période de répression et de résistance. Une fois de plus, la guerre a servi de prétexte pour lancer des attaques anticommunistes et antiouvrières partout au pays. Avant que la guerre n’éclate, la GRC avait dressé une liste de 641 internés possibles. On y retrouvait le nom de communistes, de dirigeants des organisations progressistes des minorités nationales et de syndicalistes. C’est bien connu qu’aucun fasciste au Canada ni de sympathisant du Troisième Reich ne se trouvait sur cette liste, sans quoi il aurait fallu mettre en tête de liste le nom du premier ministre du Canada lui-même, William Lyon McKenzie King.
Avec le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, les travailleurs progressistes d’origine ukrainienne ont une fois de plus été persécutés, arrêtés et internés. En juin 1940, le Parti communiste et 14 autres organisations ont été interdits, y compris l’Association ukrainienne du temple des ouvriers et des fermiers (ULFTA), et 113 antifascistes ont été internés, dont un tiers étaient d’origine ukrainienne. Les arrestations se sont poursuivies jusqu’en mai 1942.
Rappelons qu’alors qu’au Canada les Ukrainiens sympathiques à la cause antifasciste étaient internés et expropriés, plus de 4,5 millions d’Ukrainiens se joignaient à l’Armée Rouge pour combattre l’Allemagne nazie, et plus de 250 000 d’entre eux ont combattu dans les unités armées partisanes soviétiques, de loin un nombre supérieur à celui des volontaires qui s’étaient joints, de force ou par choix, aux rangs des nazis.
Au Canada, le gouvernement a saisi 201 propriétés de l’ULFTA, notamment leurs imprimeries et 108 temples du travail. Même sous le coup de cette interdiction, l’ULFTA a continué d’organiser pour exiger que l’interdiction soit levée, que les internés soient libérés et que ses salles et ses imprimeries soient restituées. Mais le gouvernement les a vendues à des prix dérisoires, souvent aux groupes ultra-nationalistes réactionnaires. Leurs bibliothèques ont été brûlées ou leurs livres vendus pour être recyclés. Leurs propriétaires n’ont jamais reçu d’indemnisation appropriée ni même d’excuses, qui sont devenues pourtant la marque de commerce du gouvernement du Canada.
La « troisième vague » d’immigration ukrainienne a eu lieu entre 1946 et 1961. Cette vague était principalement constituée de « personnes déplacées » provenant des camps créés en Europe dans les zones britanniques et américaines pour servir de refuge aux personnes rescapées des camps de travail forcé et aux autres réfugiés de la guerre. Il y avait approximativement six millions de « personnes déplacées » dans les zones d’occupation américaines et britanniques à la fin de la guerre, et la majorité était des victimes des nazis qui avaient déplacé de force des millions de Polonais, d’Ukrainiens, de Juifs et d’autres des territoires occupés vers l’Allemagne pour les faire travailler comme esclaves dans les fermes et pour les monopoles comme Thyssen, Krupp, IG Farben, Volkswagen, Fordwerke, Deutsche Bank, Siemens et beaucoup d’autres. Nombre d’entre eux n’avaient que 12 ou 14 ans lorsqu’ils ont été arrachés à leur pays d’origine et beaucoup ont été tués par le travail, sont morts de faim ou ont été exécutés.
Ces « camps de personnes déplacées » étaient aussi infiltrés par des collaborateurs nazis, notamment des criminels de guerre. Parmi eux étaient les membres dirigeants de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) ainsi que les membres de la Division SS Galicie, tous ceux dont les survivants ont reçu le feu vert pour immigrer en Grande-Bretagne et au Canada en tant que « personnes déplacées », ou « réfugiées politiques fuyant le communisme ».
La « quatrième vague » d’immigration en provenance d’Ukraine a eu lieu après l’effondrement de l’ancienne Union soviétique. Près de 60 000 Ukrainiens ont immigré au Canada depuis 1991. En proie à la mondialisation néolibérale et à une corruption endémique, l’Ukraine est devenue l’un des pays les plus pauvres de l’Europe, une réserve de main-d’oeuvre migrante. La population était de près de 52 millions lorsque l’Union soviétique s’est effondrée et aujourd’hui, avant l’exode causé par la guerre actuelle, elle est estimée à entre 41 et 44 millions.
En somme, les premiers immigrants de l’Ukraine venaient des territoires de l’empire austro-hongrois et fuyaient une vie de pauvreté et d’exploitation aux mains de l’aristocratie foncière. Après la Deuxième Guerre mondiale, la vaste majorité d’entre eux étaient des victimes du fascisme. Aujourd’hui, c’est l’offensive néolibérale et antisociale, la corruption et la prise de contrôle de l’Ukraine par des intérêts privés étroits, notamment par des gens comme George Soros, qui ont transformé à nouveau l’Ukraine en une réserve de main-d’oeuvre migrante sur le marché mondial.
La communauté ukrainienne au Canada a une fière tradition d’être un contingent combattant de la classe ouvrière et du peuple canadiens, comme elle l’a été dans la lutte pour vaincre le fascisme. Elle n’est pas représentée par les nationalistes réactionnaires ni par les collaborateurs nazis dits « combattants de la liberté » qui sont venus au Canada après la Deuxième Guerre mondiale avec l’appui de l’État et des partis cartellisés. En tant que vestiges de l’aristocratie féodale qui a perdu le pouvoir après la Grande Révolution d’Octobre, ce sont des anticommunistes virulents. Ils se sont alliés à l’Allemagne nazie dans sa tentative ratée de vaincre l’Union soviétique et lutter pour une Ukraine indépendante où seraient restaurés leurs terres et leurs titres. Leur liberté et leur démocratie ne sont pas celles du peuple ukrainien et elles ne visent qu’à rétablir leurs propriétés et leurs titres perdus. C’est là l’origine de leur haine viscérale envers tout ce qui est russe et du revanchisme qui suinte de tous leurs pores alors qu’ils jurent de tuer le président Poutine, d’écraser la Russie et de l’effacer de la carte du monde.
Devant toute opposition à ces ultra-réactionnaires qui ont infiltré et même pris en charge certaines universités ainsi que des ministères gouvernementaux, l’État canadien et ses gouvernements et représentants l’accuse d’être « anti-ukrainienne » et de faire de la propagande haineuse. Pendant ce temps, les gouvernements ont versé des millions de dollars pour bâtir des monuments en hommage aux collaborateurs nazis et aux soi-disant victimes du communisme. Le chauvinisme, la haine violente envers la Russie, la glorification des collaborateurs nazis d’hier et des néo-nazis d’aujourd’hui entache la prétention du Canada à être démocratique et pacifique. Cela ne représente et n’a jamais représenté la classe ouvrière et le peuple d’origine ukrainienne au Canada. L’emprise de la réaction la plus sombre est telle que le salut des collaborateurs nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale, « Gloire à l’Ukraine, Gloire aux héros ! » – semblable au salut nazi « Heil Hitler ! » – a été adopté par la vice-première ministre, le premier ministre et d’ autres comme politique canadienne officielle. Déclarer que de tels slogans n’ont pas aujourd’hui la même signification que pendant la guerre est une excuse méprisable.
Note
1. L’article 98 interdisait les organisations, y compris les partis politiques, dont l’ « objectif déclaré » est de produire « un changement ministériel, industriel ou économique au Canada par la force, par la violence, blessures corporelles contre la personne ou dégâts matériels contre la propriété, ou la menace de ces blessures ou dégâts, ou qui enseigne, préconise, conseille ou défend l’emploi de force, violence, terrorisme, blessures corporelles contre la personne ou dégâts matériels contre la propriété, ou de menace de ces blessures ou dégâts, dans le but d’accomplir ce changement, ou pour tout autre fait, ou qui par un moyen quelconque poursuit cet objet ou ce but avoué, ou enseigne, préconise, conseille ou défend, comme susdit ».
(LML Quotidien, affiché le 16 mars 2022. Bibliothèque et archives du Centre de ressources Hardial Bains. Photos : radtek67)
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