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La défense des travailleurs migrants est plus importante que jamais
Le trafic des êtres humains : un symptôme, pas une cause profonde
Le décès récent de la famille Patel – une mère, un père et leurs deux enfants – originaires de Gujarat, en Inde, retrouvés le 19 janvier 2022 morts gelés près d’un passage irrégulier entre le Manitoba et le Minnesota, illustre les dangers auxquels sont confrontés les demandeurs d’asile tant aux États-Unis qu’au Canada. La plupart des demandeurs d’asile sont contraints de traverser du Canada et aux États-Unis de manière irrégulière, car l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) les empêche d’entrer aux postes frontaliers officiels.
La tragédie de la famille Patel a suscité la rédaction d’un article intitulé « Asylum-seeker smuggling is a symptom, not a root cause », publié dans le Globe and Mail du 31 janvier 2022, cosigné par Robert Falconer, associé de recherche à la School of Public Policy de l’Université de Calgary, et Craig Damian Smith, chargé de recherche principal de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la migration et l’intégration de l’Université Ryerson.
Les auteurs notent qu’au lieu d’examiner comment les politiques « encouragent » la migration irrégulière et « produisent de telles tragédies, les politiciens et les médias canadiens se sont empressés de répéter la rhétorique d’autres pays riches, spéculant sur la responsabilité des passeurs criminels et de réseaux plus larges d’acteurs malfaisants ».
Les auteurs donnent l’exemple suivant : trois mois avant la tragédie de la famille Patel, la ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni a imputé aux passeurs la responsabilité de la mort de 31 personnes lorsqu’un bateau a chaviré dans la Manche et elle a également promis d’adopter des lois rendant illégale de demander l’asile.
En ce qui concerne le « trafic des êtres humains », un homme de Floride a été arrêté en lien avec la tragédie de la famille Patel et le passage d’autres personnes originaires du Gujarat qui traversent la frontière de manière irrégulière vers les États-Unis.
« Nous sommes très préoccupés […] par le fait que ces personnes […] ont été laissées seules dans une tempête de neige alors que la température oscillait autour de -35 degrés Celsius », a déclaré la commissaire adjointe de la GRC Jane MacLatchy lors d’une conférence de presse peu après la découverte des corps.
« Vous remarquerez également que j’utilise le terme de victimes – et c’est à dessein », a-t-elle ajouté.
« Ce que la rhétorique politique autour de la migration irrégulière oublie, affirment Robert Falconer et Craig Damian Smith, c’est que le trafic de migrants est un symptôme du conflit entre le désir d’émigrer ou de trouver une protection, et l’absence de voies sécuritaires et légales pour le faire. La prohibition face à une forte demande ne fait que favoriser le marché illicite, et la ‘répression’ des petits criminels s’attaque aux symptômes, pas aux causes »
« Depuis 2004, le Canada et les États-Unis se renvoient mutuellement les demandeurs d’asile en vertu d’une Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS), qui ne s’applique qu’aux points d’entrée officiels, ce qui entraîne ce qu’on appelle souvent une ‘ faille’ dans l’entente. En fait, les discussions gouvernementales de 2001 ont reconnu que la fermeture de la frontière signifierait davantage de trafic illicite et une plus grande population de sans-papiers », écrivent-ils.
« De nombreux demandeurs d’asile ont traversé entre les postes frontaliers pour éviter d’être renvoyés aux États-Unis, où ils risqueraient probablement d’être emprisonnés et expulsés. » Et même si cette fois-ci, la famille Patel tentait d’entrer aux États-Unis, les auteurs notent que « l’itinéraire que les Patel utilisaient est venu à exister précisément parce que l’ETPS incitait aux traversées irrégulières ».
Entre mars 2020 et novembre 2021, lorsque la frontière irrégulière entre le Canada et les États-Unis a finalement rouvert, le Canada « a refoulé presque tous les demandeurs d’asile pour des raisons de santé publique. Les demandes d’asile à l’intérieur du pays ont augmenté de manière significative. La plupart proviendront de personnes munies d’un visa, mais beaucoup ont été forcés de contourner les nouvelles restrictions par des passages clandestins », soulignent les auteurs.
Pour les deux universitaires concernés, le passage clandestin de personnes n’est qu’un symptôme, et non une cause profonde, de ces tragédies, qui relève selon eux de l’exploitation pour un profit maximum.
En décembre dernier, la Cour suprême du Canada a accepté d’entendre l’appel du Conseil canadien des Églises, d’Amnistie Internationale et du Conseil canadien pour les réfugiés au nom des familles de réfugiés qui veulent un moyen légal de demander l’asile aux frontières terrestres du Canada.
Cependant, la question ne doit pas être laissée à la seule décision des tribunaux, ni aux politiciens qui sont responsables de l’adoption de lois et de politiques qui criminalisent et font des victimes de ces personnes vulnérables, et bafouent leurs droits.
Ce n’est qu’en intensifiant la lutte pour mettre fin à l’ETPS et en élaborant nous-mêmes ce qui constitue une politique d’immigration véritablement humaine que l’on pourra enfin renverser la situation en ce qui concerne les détentions, les emprisonnements, les expulsions et toutes les tragédies qui s’y rattachent et auxquelles nous assistons aujourd’hui.
(Forum ouvrier, affiché le 2 mars 2022. Avec des informations du Globe and Mail, Toronto Star, Montreal Gazette)