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Soyons préparés pour la suite des choses
Le débat parlementaire met en évidence le mode opératoire utilisé pour rendre les mesures d’urgence permanentes
On tente de nous faire croire qu’un débat a eu lieu au Parlement pour peser les deux côtés, celui du parti au pouvoir et celui des partis de l’opposition, qui, ensemble, sont censés représenter le peuple canadien. C’est sans compter que 37 % des électeurs admissibles n’ont pas voté et n’ont donc autorisé aucun des partis au pouvoir ou dans l’opposition à parler en leur nom.
Quand le problème posé et à résoudre n’est pas mis sur la table et qu’il n’y a aucun effort réel pour tenter de l’identifier, pour ensuite identifier ce qu’il faut faire pour le résoudre, toute prétention de débat se résume nécessairement à un long et pénible exercice de justification où chacun prêche pour son clocher. En fait, la pratique des grands discours sans conséquence au Parlement est une des raisons que les Canadiennes et les Canadiens citent pour expliquer leur manque confiance en la capacité des politiciens, des partis cartellisés et du Parlement de les représenter.
C’est un ballon d’essai qui permet de vérifier si le public appuiera ou non des mesures qui peuvent être considérées comme extrêmes. Si le tollé contre les mesures proposées est trop fort pour que le gouvernement puisse prétendre de manière crédible avoir le soutien « de la population », alors les pouvoirs en place font volte-face et introduisent une version dite adoucie de la même chose.
La « version adoucie » est dénuée de certains des éléments de leure mais conserve l’essentiel. C’est la même chose qui est adoptée à la fin de l’exercice. Dans le cas de la déclaration d’urgence publique, le premier ministre a clairement montré comment il entend procéder en conférence de presse le 21 février. Il a expliqué aux journalistes que la Loi sur les mesures d’urgence était importante parce qu’elle était l’occasion d’une « réflexion » sur quelles autres mesures permanentes devaient être mises en place pour faire face à ce qu’on appelle officiellement des « menaces continues », – le contrôle et la protection des infrastructures essentielles ; le financement étranger de l’opposition au gouvernement ; et « l’extrémisme idéologiquement motivé ».
Cela nous amène à l’autre caractéristique principale du mode opératoire qui est devenu la marque de commerce de Justin Trudeau : la pratique consistant à qualifier des gens d’« extrémistes » pour détourner l’attention de ce qu’il prépare vraiment et de ce qui se passe réellement. C’est la méthode éprouvée de la police politique : les victimes sont soumises à des opérations d’infiltration clandestines pour les faire passer pour des criminels et ainsi justifier les mesures contre elles. Au Canada, il est coutume de cibler d’abord les « extrémistes de droite » pour justifier la mise en place de mesures qui sont ensuite utilisées contre ceux qu’on appelle les « radicaux de gauche », les « extrémistes de gauche » ou les « éléments marginaux ». Ces derniers sont ainsi dépeints comme des membres illégitimes du corps politique dont les opinions ne méritent pas d’être respectées. La police crée elle-même des stéréotypes de personnes dites extrémistes qui réduisent la culture politique à un échange de jurons, ce qui a pour effet d’éliminer le discours politique. Par exemple, on déshumanise les gens en les qualifiant de fondamentalistes – qu’ils soient sikhs, islamistes ou évangéliques – ou de « nationalistes », d’« écoterroristes », de « rednecks », de « suprémacistes blancs », de « nationalistes noirs », de « délinquants », de « commandos indiens », de « cyberpirates », d’« agents étrangers », d’« espions », etc. Aucune discussion rationnelle n’est permise, aucun critère objectif pour parvenir à des conclusions ou à des jugements solides n’est identifié ; il n’y a que la diffamation pour justifier l’injustifiable. Il est significatif que les actes de terrorisme individuel et de terrorisme d’État soient utilisés pour apporter la « preuve » des actes criminels des personnes visées et que les autorités interviennent ensuite pour défendre « l’ordre public ».
Ce n’est pas une théorie du complot. C’est la méthode éprouvée de la police politique pour accomplir son « devoir » de défendre la sécurité de l’État. Les personnes ne sont pas considérées comme des êtres humains, mais placées dans ces catégories de « choses » qui peuvent ensuite être méprisées ou louées, selon les calculs de ceux qui exercent les pouvoirs de police. C’est ainsi que la diffamation est devenue la méthode de la politique dite « identitaire » utilisée par les gouvernements, les partis cartellisés et les agences gouvernementales pour diviser le corps politique dans tous les domaines de la vie. Elle alimente le climat d’anarchie et de violence en accusant les uns et les autres de racisme, d’homophobie, de sexisme et de toutes ces catégories qui attisent les passions et divisent le corps politique. C’est la désinformation organisée par l’État et son rôle est d’empêcher les citoyens de s’organiser et de s’investir du pouvoir par le renouveau des processus démocratiques et de la constitution qui font d’eux des citoyens de deuxième rang. La Constitution du Canada elle-même consacre des conceptions des droits qui sont anti-travailleurs, racistes et anti-communistes. L’objectif est de maintenir les membres du corps politique divisés, incapables de s’exprimer librement pour étudier et identifier les problèmes et leur apporter des solutions. Les mesures de maintien de l’ordre qui existent pour obliger les auteurs de crimes à rendre des comptes ne sont pas utilisées lorsqu’il s’agit de rendre justice aux différentes catégories jugées indignes ou visées par des attaques, tandis que ceux qui ont des liens directs avec le pouvoir et les privilèges sont traités avec déférence.
La stratégie libérale de lancer des ballons d’essai donne un rôle important à ce qu’on appelle l’opposition parlementaire, ainsi qu’aux médias et aux experts. Leur rôle est de créer le tollé contre tout ce qui est « déraisonnable » dans les mesures que l’État propose au nom de la sécurité nationale, de l’intérêt national et de la défense des institutions dites démocratiques. L’objectif est ensuite de dire que, moyennant certaines corrections, ces mesures pourraient être « raisonnables ».
Entre autres, on dira qu’il suffit de soumettre les pouvoirs de police à une « surveillance civile » pour que les limites imposées aux libertés civiles deviennent « raisonnables », et donc constitutionnelles. Le parti au pouvoir et les forces de l’opposition peuvent ensuite crier victoire pour les libertés civiles et l’État de droit, tandis que les pouvoirs exécutifs sont de facto davantage concentrés entre les mains de quelques-uns, ce qui était l’intention au départ. À partir de là, tout passe dans le domaine du mystère d’État, duquel est exclu le hoi polloi – le peuple, la majorité, « la plèbe », « la populace », « la multitude », « les souillés », « la racaille », « les prolos ».
Ce dont les Canadiens doivent se méfier dans le cas de l’utilisation actuelle de la Loi sur les mesures d’urgence, c’est qu’on les empêche de prendre note de ce qui se passe réellement et de ce que tout cela révèle concernant le rôle qu’ils peuvent jouer pour changer la situation d’une manière qui leur soit favorable. Les institutions démocratiques libérales qu’on dit vouloir protéger sont des pièges car leur rôle est de maintenir la personne de l’État hors de portée. À notre époque, c’est encore la reine d’Angleterre qui est la personne d’État au Canada et elle est censée être intouchable. En réalité, aujourd’hui elle sert de paravent pour les intérêts privés supranationaux étroits qui se sont emparés de toutes les fonctions de l’État et ont concentré les pouvoirs de décision entre leurs mains. Ces intérêts se battent entre eux pour le contrôle de tout ce qui appartient de droit au peuple et cela donne lieu à des scénarios d’anarchie, de violence et de guerre civile. Ces intérêts sont servis par la désinformation – tout ce qui est nécessaire pour que les gens ne s’unissent pas dans l’action face à l’offensive antisociale brutale au pays et aux guerres d’agression et d’occupation à l’étranger. Dans les conditions de l’hystérie pour préparer la guerre en Ukraine et en Europe de l’Est, il est pratique d’inciter les gens à s’entre-déchirer pour ainsi sécuriser ce qu’on définit comme « infrastructures critiques » du Canada contre les dangers que représentent pour la sécurité nationale du pays des catégories de personnes dites extrémistes. En rendant les mesures spéciales permanentes, c’est la résistance à l’exploitation et à l’oppression qui est rendue illégale au nom de grands idéaux. Ce n’est pas un hasard si la plupart des endroits jugés essentiels à la défense de la sécurité et de l’intérêt national du Canada alimentent également la machine de guerre américaine.
Le fait est que ce qui se passe à Ottawa et partout au pays est encore très obscur. Par exemple, la ministre des Finances n’a jamais expliqué qui est visé par les mesures financières contenues dans la Loi sur les mesures d’urgence et sur la base de quels critères, décidés par qui ? Le ministre de la Sécurité publique n’a jamais expliqué pourquoi certains « dirigeants » ont été arrêtés et d’autres pas, pourquoi certains sont accusés et d’autres pas, pourquoi certains sont libérés sous caution et d’autres pas, quelles sanctions sont envisagées, et ainsi de suite. Le 22 février, le maire d’Ottawa Jim Watson est allé jusqu’à dire que les camions mis en fourrière pourraient être vendus pour, entre autres, couvrir les coûts des services de police.
Avec l’entrée en vigueur du Règlement sur les mesures d’urgence, le gouvernement Trudeau a désigné les « infrastructures essentielles » comme un « lieu protégé ». Les infrastructures essentielles signifient les lieux ci-après, y compris le terrain sur lequel ils sont situés : « a) les aéroports, aérodromes, héliports, havres, ports, gares maritimes, jetées, phares, canaux, gares ferroviaires et chemins de fer, terminus d’autobus et garages d’autobus ou de camions ; b) les infrastructures servant à la fourniture de services publics tels que l’eau, le gaz, l’assainissement et les télécommunications ; c) les ponts et les ouvrages de franchissement internationaux et interprovinciaux ; d) les installations de production et de transmission d’énergie ; e) les hôpitaux et les endroits où sont administrés les vaccins contre la COVID-19 ; f) les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux, y compris les points d’entrée, les bureaux de douanes, les entrepôts de stockage et les entrepôts d’attente. » Il interdit de participer « à une assemblée publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aurait pour effet de troubler la paix […] en entravant le fonctionnement d’infrastructures essentielles. »
Depuis le 11 septembre 2001, des nombreuses mesures et lois ont été adoptées pour « protéger les infrastructures essentielles ». Ce sont ces mesures, entre autres, que les Canadiens doivent surveiller. Quelle que soit les infrastructures que le Canada s’efforce de protéger, il le fait au nom des intérêts de guerre des États-Unis qui, en ce moment, se concentrent sur l’Ukraine et l’Europe pour isoler la Russie.
Au lieu d’argumenter sur les limites raisonnables aux droits civils ou de se laisser limiter par une discussion à savoir si le seuil a été atteint pour le recours aux mesures d’urgence, préparons-nous à la suite des choses en appelant à un gouvernement anti-guerre et à faire du Canada une zone de paix. Les Canadiens, les Québécois et les nations autochtones peuvent être unis dans l’action pour atteindre cet objectif louable en défendant les droits qui appartiennent du fait de son humanité et de sa réalité objective. Pour ce faire, il faut s’opposer à l’idéologie qui permet la diffamation et la division sur la base de notions perverses de ce qui est « extrémiste » pour cacher que les véritables extrémistes, ce sont les gouvernements qui mettent en oeuvre l’offensive antisociale pour défendre une minorité riche extrême. Il faut pour cela s’opposer à l’adoption de lois et de mesures qui servent à payer les riches, à démanteler les programmes sociaux et à attaquer les peuples autochtones qui affirment leurs droits ancestraux. Il faut s’opposer aux mesures qui alimentent la machine de guerre en permettant aux fauteurs de guerre de s’emparer « légalement » de toujours plus de pouvoirs exécutifs.
Les Canadiens, les Québécois et les peuples autochtones ne peuvent permettre la criminalisation et la répression de leur mouvement de résistance. La lutte des travailleurs dans les usines, des transports, dans les secteurs de l’énergie et des communications, des services dans tous les domaines de la vie et de tous ceux qui sont liés aux programmes sociaux est cruciale. Ils n’acceptent pas que soient déclarées illégales et étouffées les réclamations qu’ils sont en droit de faire à la société sous prétexte de sécurité nationale ou de défense de l’intérêt national. C’est à nous de définir ce qui relève de l’intérêt national. Élevons-nous contre les définitions intéressées données par les intérêts supranationaux privés étroits qui ont usurpé les pouvoirs décisionnels avec leur suite de flagorneurs au Parlement, dans les médias, les universités et les groupes de réflexion à leur disposition.
(Le Renouveau, affiché le 23 février 2022)
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