Dans l’actualité
Le recours aux pouvoirs d’urgence
Des comptes rendus intéressés pour justifier
les mesures d’urgence
Le dimanche 20 février, le premier ministre Justin Trudeau a convoqué la huitième réunion du « Groupe d’intervention en cas d’incident », au cours de laquelle des « ministres et des hauts fonctionnaires » sont censés faire « le point sur la situation actuelle et présenter une évaluation des progrès réalisés » dans l’application du Règlement sur les mesures d’urgence et du Décret sur les mesures économiques d’urgence en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence.
Le compte rendu de la réunion indique que « le groupe a été informé des efforts en cours déployés par les services de police à Ottawa, où des organismes d’application de la loi de partout au Canada ont travaillé ensemble pour rétablir l’ordre dans la Cité parlementaire et le centre-ville ». On y précise ensuite que les « services de police à Ottawa » sont la Gendarmerie royale du Canada, la Police provinciale de l’Ontario et le Service de police d’Ottawa qui, selon le compte rendu, ont mené un « effort méthodique et complexe d’application de la loi ».
Montrant que le compte rendu est un exercice de justification intéressée, on peut lire : « Le groupe a souligné les commentaires formulés par les services de police aujourd’hui, selon lesquels le recours à la Loi sur les mesures d’urgence a directement profité à l’opération menée à Ottawa. Les dispositions de la Loi leur ont permis de maintenir le périmètre, de restreindre les déplacements et de s’assurer qu’ils continuent de limiter le soutien financier et les autres formes d’aide offerts aux manifestants. » Cela sert vraisemblablement à répondre à la question soulevée à plusieurs reprises lors du débat parlementaire sur les mesures d’urgence, à savoir si le seuil pour invoquer les mesures d’urgence a été atteint.
Le « groupe » informe également : « Au cours des derniers jours, près de 200 arrestations ont été effectuées, 389 accusations criminelles ont été portées et 76 véhicules ont été remorqués. La tâche n’est pas encore terminée. Les travaux devraient se poursuivre pour mettre fin aux occupations et barrages illégaux. »
Le compte rendu indique que le « groupe » a été informé des « efforts d’application de la loi déployés ailleurs au Canada » et réitère l’affirmation intéressée selon laquelle l’objectif est d’« éviter d’autres barrages et pour protéger les emplois et l’économie ». Le compte rendu indique que ces mesures ont « réaffirmé que l’objectif est de rétablir l’ordre dès que possible pour assurer la sécurité des Canadiens et de continuer à évaluer les mesures prises en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence pour s’assurer qu’elles sont limitées dans le temps, raisonnables et proportionnelles aux menaces qu’elles visent à contrer ».
Le compte rendu de la septième réunion, qui s’est tenue le 19 février, a également félicité le gouvernement pour l’excellent travail qu’il accomplit. Il « a été souligné à nouveau que les mesures prises seront limitées dans le temps, raisonnables et proportionnelles aux menaces qu’elles visent à régler ». Il souligne que le « groupe a reconnu le travail important que font les parlementaires à la Chambre des communes, laquelle a repris aujourd’hui le débat sur la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence alors que d’importants efforts d’application de la loi étaient déployés devant la Colline du Parlement. »
Sans le dire, cela laisse entendre que les mesures ont le soutien du Parlement. En fait, il est maintenant question de faire du vote à la Chambre des communes sur les mesures d’urgence un « vote de confiance ». Cela signifie que les partis cartellisés doivent se douter qu’il est difficile de maintenir l’unité de leurs rangs lorsqu’il s’agit de voter selon ce qui a été décidé par leur chef.
L’un des objectifs des comptes rendus de ces réunions semble être de plaider en faveur de la pérennisation de certaines mesures d’urgence en affirmant que le coût pour les « contribuables » du maintien de la loi et l’ordre et des pertes attribuables aux perturbations est très élevé. Le compte rendu indique que le « groupe a discuté de l’annonce faite plus tôt aujourd’hui selon laquelle le gouvernement allait investir jusqu’à 20 millions de dollars pour fournir des contributions non remboursables aux entreprises d’Ottawa qui ont subi des pertes en raison des occupations et des barrages illégaux. Le groupe a souligné les coûts importants que ces barrages illégaux entraînent pour les Canadiens, y compris les coûts liés au maintien de l’ordre et ceux attribuables à la perturbation de nos chaînes d’approvisionnement causée par des barrages aux points d’entrée. » Qu’est-ce qu’ils veulent dire ?
Le compte rendu informe que les « mesures financières prévues dans le Décret sur les mesures économiques d’urgence » comprennent « le gel de 113 produits financiers, la divulgation de renseignements sur 47 entités et la communication de 251 adresses Bitcoin à des plateformes d’échange de monnaies virtuelles. De plus, une institution financière a gelé de manière proactive le compte d’une entreprise de traitement des paiements contenant 3,8 millions de dollars ». Aucune information n’est fournie sur l’identité des personnes touchées, sur la base de quels renseignements elles ont été choisies ou sur les bénéficiaires.
Tout cela soulève le problème que la question sérieuse n’est pas la violation des droits civils en soi, mais la façon dont, au nom de la sécurité de l’État et de l’intérêt national, les gouvernements prennent leurs décisions sur la base de prérogatives qu’ils s’attribuent. Ils agissent sur la base d’informations qui sont gardées secrètes et au nom de la sécurité nationale, des objectifs qui sont également cachés au public. Quelles méthodes utilisent-ils alors pour rallier le peuple à leur cause ? Ou, s’ils ne parviennent pas à unir le peuple en leur faveur, pour maintenir le peuple divisé et, d’une manière ou d’une autre, dérouté et inorganisé ?
Répéter simplement que les mesures d’urgence et les pouvoirs de police protègent la sécurité nationale est une ruse pour tromper le public sur ce qui se passe. La meilleure façon de défendre la sécurité de l’État est d’unir le peuple dans l’action pour un objectif qu’il adopte lui-même. Ce n’est pas ainsi qu’agissent les despotes de toutes obédiences. Non seulement les comptes rendus du « Groupe d’intervention en cas d’incident », mais aussi le débat parlementaire sur les mesures d’urgence lui-même détournent insidieusement l’attention des questions de fond telles que ce qui se passe avec ce soi-disant barrage de la liberté, qui est derrière lui et comment les mesures d’urgence vont régler le problème. Il est certain que des informations sur l’argent et les comptes qui sont saisis et/ou gelés permettraient de faire la lumière sur ces questions, tout comme les renseignements sur lesquels le gouvernement et les forces de police agissent.
Le compte rendu indique que le groupe « a été informé du travail effectué par d’autres organisations du gouvernement fédéral ainsi que des efforts déployés dans tout le pays pour éviter d’autres barrages, y compris au poste frontalier de Pacific Highway, en Colombie-Britannique, et à Prescott, en Ontario. Il a réaffirmé que l’objectif est de mettre fin, en toute sécurité, à ces occupations et barrages illégaux et de rétablir l’ordre le plus rapidement possible afin d’assurer la sécurité des Canadiens et de faire cesser les perturbations économiques ».
Qu’apprend-on de ces comptes rendus ? En fin de compte, rien — sauf que l’utilisation du langage est révélatrice des justifications que le gouvernement donne pour les mesures qu’il prend. En fin de compte, il s’agira de déclarer que les mesures temporaires seront rendues permanentes à tous les points que le gouvernement définit comme des infrastructures essentielles qui touchent la sécurité du Canada. C’est le mode opératoire, que le despotisme soit libéral, social-démocrate ou conservateur.
Depuis le 11 Septembre 2001, chaque fois que des mesures d’urgence sont présentées pour adoption, il est question de la nécessité de trouver un juste équilibre entre la sécurité et les droits civils. C’est une farce, car la Charte des droits et libertés impose des « limites raisonnables » à l’exercice des droits. Cela conduit à un tumulte pour savoir si les limites imposées sont raisonnables. La justification de la sécurité nationale devient alors une diversion, car le renseignement est secret, les accords conclus par les pouvoirs de police exercés par le gouvernement sont protégés, les sales coups de la police politique et des forces spéciales dont le devoir est de maintenir « la sécurité de l’État » sont secrets.
La police justifie toutes ses actions au nom de l’exécution de son devoir de défendre la sécurité de la population en vertu de la loi, à laquelle elle ajoute qu’elle a aussi le devoir de défendre sa propre sécurité, comme l’a dit le porte-parole de la GRC à propos des opérations au poste frontalier de Coutts en Alberta. L’affirmation selon laquelle elle n’est pas influencée par les gouvernements, à quelque niveau que ce soit, tient du sophisme, étant donné que l’ensemble du système est conçu de manière à défendre les intérêts privés. Il en va de même pour le mode opératoire pour faire adopter les mesures d’urgence introduites depuis le 11 Septembre. Au bout du compte, ce que les gouvernements du jour veulent rendre permanent, ils le rendent permanent. Et ils espèrent que ce sera le cas aujourd’hui aussi.
Ce qui manque dans leurs calculs, cependant, c’est le rôle de la classe ouvrière et du peuple qui n’accepteront jamais d’être réprimés lorsque des crimes sont commis en leur nom. Et cela, l’histoire le montre, c’est l’essentiel.
(Le Renouveau, affiché le 22 février 2022)