Dans l’actualité
« Le convoi de la liberté »
Une explication de la raison pour laquelle le « Convoi de la liberté » d’Ottawa est traité avec ménagement
Une grande partie d’Ottawa, la capitale nationale, continue d’être perturbée par l’occupation du « Convoi de la liberté » qui exige la fin de tous les mandats, masques, tests rapides et autres mesures contre la pandémie de COVID-19. De plus, les passages frontaliers entre le Canada et les États-Unis au pont Ambassador à Windsor, à Coutts, en Alberta, et à Emerson, au Manitoba, ont été bloqués par les organisateurs du Convoi, qui ont interrompu le commerce de marchandises d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars par jour.
Tout au long, les trois niveaux de gouvernement – fédéral, provincial et municipal – ont été manifestement déjoués. Ainsi, l’occupation se poursuit, tout comme les blocages de frontières. L’autre chose qui est devenue très évidente est que le convoi, l’occupation et les blocus portent la marque d’une organisation de type militaire. On a appris que certains des principaux organisateurs ont une connaissance des tactiques militaires et des procédures policières.
Michael Kempa, professeur de criminologie à l’Université d’Ottawa, souligne que les manifestants ont une sorte « d’entraînement militaire ou policier ou du moins survivaliste. Regardez la complexité, dit-il, de ce qu’ils mettent en place en termes de campement dans le centre-ville d’Ottawa. » Il souligne également le camp logistique que les manifestants ont installé à six kilomètres du centre-ville, avec des vivres, de l’eau et du carburant, ainsi que l’organisation de tentes, de toilettes, de collectes de fonds, de chaînes d’approvisionnement, et ainsi de suite.
Le groupe à la tête des manifestants comprend Daniel Bulford, un ancien officier de la GRC, Tom Quiggin, un ancien officier du renseignement militaire qui a travaillé pour l’agence d’espionnage du Canada, le SCRS, et Tom Marazzo, également un ancien officier militaire. Selon des reportages, Daniel Bulford s’est vanté « de sa relation étroite avec la GRC, le Service de protection du parlementaire, la police d’Ottawa et la police de Gatineau ».
Il y a d’autres exemples des relations étroites entre les manifestants et certains policiers et militaires. Le groupe Mounties For Freedom, composé d’agents actifs et retraités de la GRC, ainsi que de membres d’autres forces de police, de services d’incendie et d’organismes gouvernementaux de tout le Canada, est un fervent partisan du convoi. Dans une lettre ouverte adressée au gouverneur général du Canada, le groupe affirme que le premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement sont « source de division, de tromperie et de criminalité », et que la gouverneure générale devrait « exercer ses pouvoirs et dissoudre le Parlement » pour envoyer un message aux dirigeants politiques « que le comportement antagoniste affiché par Trudeau et son gouvernement ne sera pas toléré au Canada ». Fait intéressant, ce dernier point est semblable à celui avancé par une organisation d’extrême droite impliquée dans le convoi (appelée Canada Unity), qui a appelé au renversement du gouvernement.
Dans une autre lettre ouverte, adressée cette fois à la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, Mounties For Freedom déclare : « Nous ne sommes pas contre les vaccinations, mais en tant qu’agents de la force publique, nous ne pouvons pas, en toute conscience, participer volontairement à l’application de mandats qui, selon nous, vont à l’encontre des meilleurs intérêts des personnes que nous protégeons. »
Pour sa part, le groupe policier national « Police on Guard For Thee », qui compte également parmi ses membres des agents actifs et retraités, a soutenu l’occupation d’Ottawa et affirme qu’un certain nombre de ses membres ont participé à la manifestation. Le groupe compte plus de 150 policiers et 50 anciens soldats canadiens dans ses rangs. Dans un communiqué de presse, il déclare : « Si le Canada est une nation démocratique, alors nous demandons à nos membres du gouvernement dûment élus d’engager un dialogue constructif conforme à la Charte des droits et libertés. Qualifier injustement de terroristes, de racistes et de misogynes les personnes qui protestent contre les ordonnances de santé publique anticonstitutionnelles est inacceptable et crée davantage de divisions. »
Par ailleurs, le réseau de renseignement militaire canadien, qui est responsable d’identifier les menaces à la sécurité des infrastructures du pays et les activités visant à renverser le gouvernement du Canada, a rejeté les appels à enquêter sur la manifestation du convoi à Ottawa. Il a déclaré que l’Unité nationale de contre-ingérence des Forces canadiennes (UNCIFC) ne « surveille pas la manifestation en cours du convoi de camionneurs et ne mène aucune enquête connexe, car il n’y a aucune menace pour la sécurité ».
À cet égard, un grand nombre d’observateurs ont remarqué que les manifestants du convoi sont beaucoup mieux traités par la police que les manifestants autochtones ou les travailleurs en grève ne l’ont été dans le passé. Le chef Allan Adam, de la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, a déclaré que « si ce blocus avait été organisé par les peuples autochtones, il ne fait aucun doute que les autorités réagiraient rapidement pour lever le blocus et utiliser la loi qui a été créée à cette fin ».
Cette attitude de laisser-faire contraste avec l’activité de l’UNCIFC, qui espionne depuis de nombreuses années les manifestations et les organisations autochtones, notamment Idle No More – Jamais plus l’inaction et les manifestations à Caledonia. Le professeur de criminologie Jeffrey Monaghan soutient que « les organisations policières du pays, et le DND [ministère de la Défense nationale] fait partie de cette caractérisation, ont pendant des années sous-estimé et ignoré la violence des groupes néo-nazis et des suprémacistes blancs ».
Compte tenu de l’ampleur de l’action des manifestants du convoi, à savoir la fermeture d’une grande partie de la capitale et de plusieurs des principaux postes frontaliers du pays, il est assez étonnant de constater le traitement de faveur dont ils ont fait l’objet jusqu’à présent. Le fait que les principaux organisateurs du convoi comprennent des policiers et des militaires est non seulement très inquiétant pour les Canadiens, mais fournit également au moins une explication quant à la raison pour laquelle les manifestations ont pu se poursuivre comme elles l’ont fait.
Note de la rédaction : Le chef Allan Adam faisait référence à la Loi sur la défense des infrastructures essentielles- le projet de loi 1 – qui a été promulguée en Alberta en 2020 et qui constitue une attaque directe contre les peuples autochtones qui ne font qu’un avec les Wet’suwet’en. En présentant le projet de loi 1, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a clairement indiqué que ce projet de loi répondait spécifiquement aux actions menées ce mois-là dans tout le pays pour soutenir la lutte des défenseurs de la terre wet’suwet’en contre le pipeline du monopole énergétique Coastal GasLink qui traverse leur territoire traditionnel dans le nord de la Colombie-Britannique, sans le consentement des chefs héréditaires. Le chef Allan Adam a déclaré que ces lois, qui ne doivent être utilisées que contre les peuples autochtones, devraient être abrogées.
(LML Quotidien, affiché le 12 février 2022. Avec des informations de Radio-Canada, Mounties for freedom, Police on Guard for Thee, APTN)