Dans l’actualité
Ne blâmez pas les camionneurs !
Désinformation et artifice
de la pire sorte pour diviser
Une mobilisation appelée le Convoi de la liberté a convergé vers Ottawa le 29 janvier 2022. Elle est présentée comme une initiative de camionneurs qui exigent l’annulation du mandat de vaccination visant les camionneurs entrant au Canada en provenance des États-Unis et qui est entré en vigueur le 15 janvier 2022. Mais ne vous y méprenez pas, il ne s’agit pas d’un rassemblement de camionneurs et notre conseil est : Ne blâmez pas les camionneurs !
Une organisation appelée Canada Unity prétend être l’organisateur du convoi. Elle exige la démission du gouvernement Trudeau, la levée de tous les mandats et que le Sénat et la gouverneure générale la reconnaissent comme porte-parole du « peuple du Canada ». En plus de promouvoir leurs croyances idéologiques au nom de la liberté et de la démocratie, avec l’aide de pas mal de gens qui sont ouvertement racistes et misogynes, d’une cabale de députés du Parti conservateur et d’autres qui sont là pour faire avancer leurs propres causes, comme le soi-disant Parti populaire de Maxime Bernier, ces gens ne permettent aucune discussion sur les conditions de travail et de vie des camionneurs au Canada. Appeler cela un « convoi de camionneurs » comme le font les médias est pour le moins un abus de langage.
Les demandes des promoteurs du convoi sont suspectes dès le départ. Par exemple, ils protestent contre les mandats émis par le gouvernement Trudeau, mais les gens derrière eux en Alberta soutiennent le gouvernement par décret dans cette province. Cela comprend le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, dont le taux d’approbation a toujours été parmi les plus bas, sinon le plus bas, de tous les premiers ministres du pays. Jason Kenney se trouvait d’ailleurs à Washington, à la réunion de l’Association nationale des gouverneurs, au moment où le convoi est arrivé à Ottawa. Il a demandé aux membres du Congrès et aux gouverneurs des États-Unis de mettre fin à leur mandat de vaccination pour les camionneurs qui entrent aux États-Unis et de conclure des accords favorables au secteur pétrolier et gazier que son gouvernement représente.
L’une des principales organisatrices et porte-parole du convoi est Tamara Lich, de Medicine Hat, en Alberta. Elle est secrétaire du Maverick Party, un nouveau parti fédéral qui s’est d’abord appelé Wexit Canada. Il est devenu admissible à l’enregistrement le 16 janvier 2019 sous ce nom, puis a été enregistré sous son nouveau nom, le Maverick Party, le 19 août 2021. Le chef intérimaire du parti est Jay D. Hill, qui a été député conservateur de 1993 à 2010 et qui a été leader du gouvernement à la Chambre des communes sous Stephen Harper de 2008 à 2010.
La conception de la liberté que défend le parti de Mme Lich se retrouve dans sa mission, qui est « d’assurer une plus grande équité et une plus grande autodétermination pour les Canadiens de l’Ouest par des changements fondamentaux ou la création d’une nation indépendante ». Un examen rapide de sa plateforme montre qu’elle fait la promotion, entre autres, de la construction de ce qu’elle appelle des corridors énergétiques nationaux pour développer Énergie Est, l’oléoduc Trans Mountain, l’oléoduc Keystone, Northern Gateway et de nouveaux pipelines potentiels, d’une intégration plus poussée du Canada aux États-Unis et à son économie de guerre. Le Maverick Party dit également qu’il ne soutient pas la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il favorise plutôt la « rencontre avec les peuples autochtones » qui, selon lui, ont « transmis des programmes progressistes et la nécessité de modifier la Loi sur les Indiens » et propose d’enager « un dialogue ouvert avec tous les chefs (héréditaires, traditionnels et élus), les dirigeants et leurs conseils » en vue de conclure « un nouveau pacte pour les peuples autochtones de l’Ouest canadien ». Il veut également un examen du financement canadien des Nations unies afin de limiter le soutien à ce qu’ils appellent les « initiatives de mondialisation de l’ONU liées aux changements climatiques, aux réfugiés, à l’immigration et à l’OMS ».
Selon Mme Lich, ce soi-disant convoi de la liberté est organisé pour amener les gouvernements fédéral et provinciaux à mettre fin aux passeports vaccinaux, à toutes les exigences de vaccination obligatoire et de dépistage des contacts partout au Canada et à respecter les droits des personnes qui souhaitent ne pas être vaccinées. Elle prétend défendre la liberté et la démocratie contre ce qu’elle appelle la rhétorique de division et les mesures coercitives des gouvernements pour censurer ceux qui ont des opinions différentes.
Il est devenu évident que cette mobilisation est une manoeuvre pour accentuer les rivalités entre factions dans la lutte pour le contrôle du pouvoir politique suprême dans ce pays qui, à l’heure actuelle, est détenu par l’exécutif fédéral. Quoi qu’elle pense avoir accompli, un objectif semble avoir déjà été atteint : l’éviction du chef du Parti conservateur fédéral, Erin O’Toole. O’Toole a été démis de ses fonctions mercredi par le caucus conservateur à la suite d’un examen du leadership qui était un coup monté. Entretemps, le premier ministre Trudeau et son gouvernement se sont surpassés dans leur habilité à accuser leurs rivaux d’être « arriérés » et d’être la cause de tous les problèmes imaginables auxquels eux-mêmes refusent de s’attaquer.
Selon les médias, Justin Trudeau a dit que le convoi était composé d’une « petite minorité marginale ». Il a dit qu’il ne fallait pas tenir compte des opinions provenant des participants parce qu’elles sont « contre la science, contre le gouvernement et contre la société », ce qui représente « un risque pour eux-mêmes et pour les autres »[1]. Alors que les médias font grand cas du fait que Trudeau a refusé de rencontrer « les camionneurs », tout est fait pour donner l’impression que son gouvernement, qui s’est distingué par sa politique de tout privatiser, y compris le gouvernement lui-même, et par une offensive antisociale par décrets, est scientifique, n’est pas antisocial et n’est pas une « minorité marginale ».
S’inspirant de l’idéologie néolibérale et des positions des factions au sein de la classe dirigeante, les médias font la promotion de la mobilisation comme étant un convoi de camionneurs, malgré le fait que toute discussion véritable sur les conditions de vie et de travail effroyables des camionneurs est taboue.
Tout cela — ces coups d’éclat qui sèment la discorde et la dépense de vastes sommes d’argent pour payer les services de police et les algorithmes conçus pour donner l’impression de « milliers » de camions en marche — s’ajoute à une campagne de désinformation massive pour cacher le fait qu’il appartient aux Canadiens, par leur action pour défendre les droits de toutes et tous, de définir ce qui est démocratique et ce qui ne l’est pas, ce qui est prosocial et ce qui ne l’est pas, ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas. Tout ce tapage semble être conçu pour donner l’impression d’une suite du coup d’État raté au Capitole à Washington le 6 janvier 2021 afin d’étouffer la voix les travailleurs qui parlent en leur propre nom concernant leurs conditions de vie et de travail[2].
Le soi-disant convoi de la liberté avait essentiellement le même objectif que le convoi « United We Roll » de Red Deer, Alberta, à Ottawa de février 2019, dont Jason Kenney était un de ses principaux promoteurs. Leur plan est tombé à l’eau quand de nombreux participants ont quitté le convoi parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec la façon dont l’argent recueilli était utilisé et parce qu’ils se rendaient compte que le convoi s’inscrivait dans une lutte pour le pouvoir et les privilèges entre les conservateurs et les libéraux. Ce convoi n’avait rien à voir avec la discussion et la résolution des problèmes de l’économie, en particulier du secteur pétrolier et gazier, et encore moins avec les problèmes auxquels sont confrontés les camionneurs et les autres travailleurs dans les conditions actuelles.
Le convoi « United We Roll » avait eu lieu deux mois avant les élections générales de l’Alberta du 16 avril 2019. À l’époque, le Parti conservateur unifié (PCU) de Jason Kenney était dans l’opposition et Rachel Notley et le NPD étaient au pouvoir. L’élection du 16 avril s’est soldée par une victoire du PCU grâce à différentes manoeuvres du même genre.
Comme pour le convoi de 2019, les faits montrent qu’en grande partie les camionneurs n’ont pas embarqué dans ce train non plus. Des doutes sur les provenances et l’utilisation de l’argent recueilli laissent croire à la nécessité d’une enquête policière. Il ne fait aucun doute que les fonds sont utilisés pour promouvoir des croyances idéologiques qui n’ont rien à voir avec les camionneurs du Canada et ne proviennent pas d’eux.
Le 2 février 2022, en quelques semaines seulement, plus de 10 millions de dollars avaient été recueillis sans comptes publics. Quelques jours plus tôt, la page GoFundMe du Convoi de la liberté 2022 indiquait que le don le plus important était de 25 000 dollars et provenait d’un donateur anonyme. Il y avait plusieurs autres dons du même ordre de grandeur. Une note sur la page à cette date disait seulement que « les fonds seront dépensés pour aider à couvrir le coût du carburant pour nos camionneurs d’abord et avant tout, seront utilisés pour aider à les nourrir si nécessaire et contribuer à l’hébergement si nécessaire ». Il ne serait pas exagéré de croire que l’industrie hôtelière d’Ottawa ait eu quelque chose à voir avec l’organisation de cette concentration des gens dans la ville au milieu d’une pandémie, alors que les affaires sont au ralenti.
Le fait que les organisateurs de ce soi-disant convoi de la liberté ne permettent même pas une discussion sur les conditions de vie et de travail des camionneurs, qui sont très difficiles, est une considération importante si nous voulons aller au fond des choses et savoir qui est derrière ce convoi et qui il représente. Les instigateurs se sont agressivement opposés à la juste cause des camionneurs de Vancouver qui, avant le début de ce soi-disant convoi de la liberté, ont organisé un rassemblement et un convoi de 350 camions de Surrey à Vancouver le 22 janvier pour attirer l’attention sur leurs conditions de travail. Ces camionneurs ont demandé au gouvernement de la Colombie-Britannique d’assumer sa responsabilité concernant l’état des routes de la province, qui sont extrêmement dangereuses. L’administration des routes a été confiée à des entrepreneurs privées qui ne sont pas du tout enclins à dépenser pour l’entretien des routes. L’irresponsabilité sociale du gouvernement met en danger la vie des camionneurs, mais aussi de tous les voyageurs.
C’est justement cette privatisation des services que revendiquent les organisateurs du soi-disant Convoi de la liberté, et c’est pourquoi il a l’appui de l’archi-réactionnaire Jason Kenney et pourquoi Maxime Bernier du Parti populaire, les députés du Parti conservateur fédéral et leurs principaux dirigeants les appuient.
À cet égard, les médias monopolisés, y compris sur les médias sociaux, se livrent à une désinformation tout à fait irresponsable. De fausses photographies sont offertes pour créer l’impression d’un immense rassemblement de convoi de camions. Sur une de ces photos, on voit une file de camions traversant le pont Ambassador entre Détroit et Windsor – un événement quotidien – mais le tout est présenté comme s’il s’agissait du soi-disant Convoi de la liberté. Combien de médias ont jugé bon de souligner l’appui à cette manifestation des néonazis du Québec et d’autres de leur espèce, connus pour leur promotion de points de vue racistes et anti-immigrants ? C’est vraiment quelque chose que de voir les médias officiels, y compris la « très responsable » Radio-Canada, prétendre que la cause des organisateurs du convoi prend de l’ampleur comme s’il s’agissait d’un mouvement populaire, alors qu’on sait très bien comment les médias sociaux sont utilisés pour créer de telles impressions pour des raisons intéressées.
De même, la définition de la police d’Ottawa de ce qui constitue une perturbation de la paix est très intéressée car elle se plie en quatre pour accommoder les présumés camionneurs au nom de la liberté de manifester et de s’exprimer.
L’intervention de Justin Trudeau divise davantage le corps politique quand il prétend que la liberté d’expression de chacun est protégée tant que la personne ne se livre pas à des actes violents. Il cherche à se présenter comme le défenseur de la vraie liberté et de la vraie démocratie. Derrière ce débat à savoir qui est pour et qui est contre la « vraie » démocratie, la vérité est que les deux camps souviennent l’intégration du Canada à l’économie et à la machine de guerre des États-Unis. Le contrôle des corridors énergétiques, la construction de pipelines sur les territoires autochtones sans leur consentement et la manipulation des réglementations sur la protection de l’environnement pour en fin de compte sacrifier l’environnement humain et naturel sont la norme pour les deux camps dans cette lutte de factions pour le contrôle du pouvoir fédéral.
Pour les riches et les puissants, il y a d’énormes profits en jeu dans une rivalité mondiale d’intérêts privés pour le contrôle et pour l’obtention des contrats lucratifs de construction d’infrastructures. Les gouvernements offrent une panoplie de stratagèmes pour payer les riches sous prétexte de « reconstruire en mieux » après la pandémie. L’enjeu pour la classe ouvrière et le peuple au Canada est de s’investir eux-mêmes du pouvoir de décider et ils le font d’abord en parlant en leur propre nom. La raison d’être de ces manoeuvres pour semer la discorde et la désinformation est de taire ces voix qui se font entendre partout au pays.
Cela ne doit pas passer !
Notes
1. Le 26 janvier, lors d’une conférence de presse, Justin Trudeau a dit : « La petite minorité marginale de gens qui se rendent à Ottawa, qui expriment des opinions inacceptables, ne représentent pas l’opinion des Canadiens qui ont été là les uns pour les autres, qui savent que suivre la science et être là pour se protéger entre eux sont la meilleure façon de continuer de défendre nos libertés, nos droits, nos valeurs en tant que pays. »
Lors d’une émission sur les réseaux québécois en septembre, Justin Trudeau a dit : « Mais il y a aussi des gens qui sont farouchement opposés à la vaccination, qui ne croient pas en la science, qui sont souvent misogynes, souvent racistes. C’est un petit groupe mais qui prend de la place. Et là, il faut faire un choix, en tant que leader, en tant que pays : est-ce qu’on tolère ces gens-là ? »
2. Un article dans le Globe and Mail intitulé « Près d’un camionneur canadien sur cinq est sud-asiatique, mais plusieurs considèrent qu’ils ne sont pas représentés dans le Convoi des camionneurs » cite des camionneurs et des personnes liées au camionnage d’origine sud-asiatique. Un chauffeur longue-distance de Brampton a dit qu’il n’avait aucune intention de participer au convoi parce qu’il ne croyait pas aux enjeux soulevés par le convoi. Un autre, le président de l’Ontario Aggregate Trucking Association, a dit que personne ne l’avait invité, ni lui ni aucun camionneur sud-asiatique qu’il connaissait, et qu’on ne leur avait pas demandé s’ils étaient d’accord avec leurs revendications. Une troisième personne qui publie une revue pour les camionneurs a dit qu’il n’y avait aucun sentiment antivaccin parmi les camionneurs sud-asiatiques, mais plutôt une tendance à vouloir se faire vacciner et recevoir la dose de rappel le plus tôt possible. Plusieurs d’entre eux vivent dans des endroits comme Mississauga et Brampton, dans des familles multigénérationnelles, a-t-il dit, et ils ne veulent pas être infectés par la COVID et retourner à la maison pour y infecter leurs grands-parents.
Pour plus d’information et de points de vue sur le soi-disant Convoi de la liberté, lire le LML mensuel du 6 février.
(LML Quotidien, affiché le 4 février 2022)