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Les conditions de travail dans les centres de la petite enfance au Québec
Les défis auxquels sont confrontées les travailleuses des services éducatifs à l’enfance du Québec
Les rapports suivants ont été présentés par Stéphanie Vachon, représentante du secteur des Centres de la petite enfance (CPE) à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et Lucie Longchamps, vice-présidente à la FSSS-CSN lors d’une réunion Zoom organisée par le Centre ouvrier à l’occasion de la nouvelle année pour discuter des défis auxquels sont confrontés les travailleurs en ce début de 2022.
Stéphanie Vachon
La lutte des CPE a été une lutte historique pour nous, une histoire de solidarité dans toute sa beauté d’un bout à l’autre du conflit des travailleuses en CPE. Le secteur des CPE est le secteur des services éducatifs à l’enfance. C’est un secteur assez jeune, et en même temps il y a un travail à long terme qui se fait pour acquérir une reconnaissance du métier d’éducation à la petite enfance. Nous avons subi beaucoup de coupures par le passé par les gouvernements précédents.
Avec les libéraux, on a connu saccage après saccage du secteur des CPE par des coupures de subventions. Il y a eu une dégradation de nos conditions de travail avec les années. Avec la pandémie, le réseau des CPE a été mis en services de garde d’urgence, les travailleuses se sont retrouvées à l’avant-plan, et la souffrance du sous-financement et des coupures des conditions de travail des années passées est venue s’amalgamer avec la pandémie, le besoin d’être là et de faire en sorte que les gens réalisent à quel point un service éducatif à l’enfance est nécessaire. Les parents ont été forcés de faire du télé-travail et réaliser qu’ils ne pouvaient pas le faire en ayant un enfant à la maison. Nous nous sommes retrouvées sur la place publique. Il y a eu un mouvement qui est parti de la base. La particularité de notre réseau c’est qu’il y a seulement à peine le tiers qui est syndiqué. Plusieurs centres sont non syndiqués mais ils bénéficient de nos luttes syndicales. Les différents syndicats mènent la lutte et le gouvernement fait un copié-collé des conditions qui sont acquises pour les non syndiqués. Tout le travail qu’on fait par les négociations a un impact sur tout le réseau des services de garde éducatifs à l’enfance.
Au début de la négociation, les travailleuses des CPE étaient à fleur de peau. Elles se sentaient utilisées et non reconnues par le gouvernement en place. Elles travaillaient en services de garde d’urgence, pas de prime COVID, pas de protection au début, une extrême proximité avec les enfants. La négociation s’est placée dans ce contexte, le besoin viscéral d’être enfin reconnues et entendues. On n’aurait pas pu passer à travers cette lutte là sans faire de grève générale illimitée parce que nos travailleuses auraient eu le sentiment de ne pas avoir tout fait ce qui est en leur pouvoir pour gagner cette lutte là. Cette négociation s’est beaucoup déroulée sur la place publique. Nous avons fait face à un gouvernement qui ne s’est pas gêné pour sortir dans les médias les offres qu’il allait nous faire. Il y eu beaucoup de désinformation. Il a fallu détricoter régulièrement ce que le gouvernement disait dans les médias car ce n’était pas ce qui se passait à la table de négociation.Le gouvernement a choisi de privilégier certaines appellations d’emploi, étant un gouvernement qui essaie d’avoir l’opinion populaire de son côté. Il a dit que les éducatrices à l’enfance devraient être mieux payées, c’est 85 % de notre membership, « alors je vais augmenter les éducatrices ». En ce qui concerne les autres appellations, comme les adjointes administratives et les responsables à l’alimentation « je n’en ai pas tellement besoin ».
En juillet 2021, le gouvernement a offert des augmentations de salaires en grande majorité pour les éducatrices qualifiées, un peu moins pour les non qualifiées et un copié-collé de ce qui avait été consenti aux employés du secteur public pour les autres appellations d’emploi. Pour nous cela ne faisait pas de sens, les CPE sont des petites familles, on travaille de très près ensemble, en équipes, on est très soudées. Les éducatrices à l’enfance sont les plus populeuses, mais la responsable à l’alimentation et les filles du bureau font partie de l’équipe. On y tient. Pour nous, c’était impensable de dire au gouvernement merci, vous avez finalement reconnu que l’éducatrice a besoin d’une augmentation mais vous ne donnez rien aux autres.
Il a fallu faire plusieurs journées de grève. Le gouvernement a pris la position d’attendre, nous disant faites vos journées de grève, ça ne change rien pour moi, je vais attendre que la mobilisation s’épuise. Cependant, avec le contexte de la mobilisation que j’ai mentionné plus haut, les travailleuses ressentaient le besoin viscéral d’être entendues, de sortir dans la rue.
Ça a été une négociation de transparence, avec beaucoup de consultation auprès de nos membres. Nous les avons tenues au courant de tout, nous allions vérifier ce qu’elles voulaient, si elles voulaient continuer la lutte. À chaque nouvelle offre, le gouvernement augmentait de plus en plus les éducatrices qualifiées mais n’augmentait pas les travailleuses des autres appellations d’emploi. Les travailleuses ont soutenu que tout le monde méritait une augmentation de salaire acceptable, car toutes les appellations d’emploi du réseau des CPE ont souffert des mêmes diminutions des conditions de travail dans le réseau des CPE dans les 15 dernières années.
À un moment donné, le gouvernement a tenté de briser notre mobilisation, par le biais d’une mesure administrative par laquelle il augmentait le salaire des éducatrices qualifiées avant qu’on ait terminé la négociation, en contournant le comité de négociation.
Ses tactiques pour briser la mobilisation et la crédibilité de notre comité de négociation n’ont pas réussi. Les travailleuses sont restées très solidaires tout le long de la lutte.
Après 3-4 jours de grève générale illimitée, le gouvernement a commencé à débloquer. On a commencé à avoir de la matière pour avoir une entente de principe.
Comme comité de négociation, nous avons eu à accepter une formule différenciée, qu’il y en ait plus pour les éducatrices qualifiées que pour les autres appellations. Mais quand j’examine la différence entre le dépôt qu’on a eu du gouvernement et l’entente finale, je peux dire qu’on a réussi à faire augmenter appellation par appellation, à négocier, discuter et argumenter pour que chacune obtienne une augmentation de salaire qui était plus élevée que ce qui nous était offert au départ. Il reste encore beaucoup de chemin à faire mais on peut être fière de notre lutte, de la solidarité qu’on a montrée à tout le monde.
Lucie Longchamps
Dans le mouvement syndical, les luttes ne sont jamais terminées. Une se termine et il y en a une autre qui est déjà à l’horizon et est déjà en action.
Le positif de cette lutte des travailleuses des CPE, c’est la solidarité que cela a démontré et cela a inspiré la FSSS et toute la confédération de la CSN, sur la capacité à défendre nos droits. Quand cela fait une négociation ou deux où tu fais des reculs, où cela n’avance pas, les gens se demandent à quoi cela sert toutes ces luttes, « peut-être je serais mieux de faire autre chose ». Cela a donné un vent nouveau pour raviver la flamme du syndicalisme, la flamme de la défense de nos droits dans toute notre confédération et j’ose espérer même plus largement. Je dis cela parce que cela fait au moins deux fois que dans les médias j’entends des gens dire qu’« on ne laissera personne derrière ».
Cette phrase là, on l’a dite des centaines de fois, Stéphanie et moi, et toutes ses collègues de la négociation. C’était ce qui nourrissait cette négociation, qu’il n’était pas question de laisser personne derrière. Et maintenant, on retrouve cette phrase là dans les médias au Québec.
En 2022, il y a beaucoup de défis pour la FSSS. Je travaille toujours en complicité et en collaboration avec Stéphanie. Un de nos grands points positifs à la fédération c’est qu’on travaille en inter-équipes, en équipe, en transparence chacune en collaboration avec l’autre pour qu’on échappe le moins de choses possible.
À l’horizon déjà, il y a toute la négociation des paramédics, quiest la question des services ambulanciers au Québec, la négociation d’Héma Québec, où les travailleurs sont en recherche d’une convention collective depuis 33 mois, et les résidences pour personnes aînées dont j’ai aussi la charge à la fédération. On a beaucoup de chapeaux pour la santé qui vont au-delà des centres hospitaliers.
Donc beaucoup de défis en 2022, et un mot qui relie tous ces secteurs-là, et qui relie aussi celui des CPE, c’est reconnaissance : reconnaisance de ce que l’on fait, reconnaissance de ce que nous sommes et reconnaissance de ce que l’on vaut.
La reconnaissance au Québec a été beaucoup effritée pour les travailleurs au cours des dernières années et je pense que ce mot-là on ne peut plus en faire fi, on ne peut plus faire comme s’il n’existait pas.
C’est un incontournable dans beaucoup de négociations, entre autres dans les CPE où c’était la négociation de la dernière chance. On l’a dit et on l’a redit que s’ils ne faisaient rien les CPE allaient s’effriter et tomber. Le système des paramédics n’est pas tellement loin de là et on doit obtenir une reconnaissance pour eux et les payer à leur juste valeur.
On va être très actifs en 2022, vous pouvez en être assurés !
(Forum ouvrier, affiché le 2 février 2022)