24 juin, Fête nationale du Québec
Salut aux patriotes qui ont combattu pour la République à deux étoiles
À l’occasion de la Fête nationale du Québec et à une semaine de ce qu’on appelle la Fête du Canada, nous soulevons, comme nous l’avons fait dans le passé, le problème de l’édification nationale. Dans ce contexte, nous évoquons l’histoire de la lutte des patriotes de 1837-1838 qui ont voulu créer une République à deux étoiles, non pas basée sur la domination anglo-canadienne incarnée dans la Confédération qui allait être établie en 1867, mais comme une union républicaine égale et souveraine entre les peuples du Haut et du Bas-Canada. Ces patriotes ont entrepris, en leur temps, de s’attaquer aux problèmes posés pour les peuples du Canada et ont tenté de placer les peuples eux-mêmes à la tête des nations. C’est important parce qu’il ne s’agit pas ici d’individus détenant le pouvoir et les privilèges et faisant tout ce qui est en leur pouvoir pour les conserver, mais de ceux qui étaient opprimés par le joug colonial britannique et qui entreprenaient de définir ensemble ce que devraient être leur constitution et leur État, comment leurs gouvernements devraient être élus et ce qu’ils devraient représenter, quelles devraient être les rapports économiques dans la société, quelles devraient être les limites et les frontières nationales, etc. Nous saluons tous les patriotes de 1837-1838 du Haut et du Bas-Canada pour leur contribution à l’édification nationale, qui s’ajoute au trésor de l’humanité progressiste.
Ce n’est pas seulement ce qu’ils ont entrepris qui est important, c’est aussi la façon dont les impérialistes britanniques et leurs descendants anglo-canadiens ont réagi à une tentative aussi solide de construire une République indépendante à deux étoiles. Ils étaient et sont toujours les maîtres de l’intimidation, de la duperie, de la falsification, de la fraude et de l’éradication de la mémoire pour faire régner le silence.
Les patriotes qui se sont dressés dans la bataille et qui ont ensuite été capturés par les impérialistes britanniques ont été soumis aux traitements les plus brutaux et les plus inhumains dont l’objectif était de les priver de leur dignité. Certains ont été exécutés, comme ce fut le cas des 12 patriotes du Bas-Canada, ou de Samuel Lount et Peter Matthews dans le Haut-Canada, le premier un forgeron prolétaire, le second un fermier. Malgré une pétition demandant la clémence, signée par 35 000 citoyens du Haut-Canada, soit plus de 10 % de la population de l’époque, tous deux ont été pendus le 12 avril 1838 dans la cour de la prison de King Street à Toronto pour avoir participé à la lutte des patriotes du Haut-Canada. Dans ses derniers mots, Samuel Lount déclare fièrement qu’il n’avait pas honte de ce qu’il a fait. Il reste un héros du peuple canadien et il a été immortalisé par un monument érigé au domicile torontois de William Lyon Mackenzie, aujourd’hui transformé en musée.
D’autres patriotes du Haut et du Bas-Canada qui ont échappé à la mort n’ont pas connu un sort beaucoup plus enviable : 64 patriotes du Bas-Canada et 92 patriotes du Haut-Canada ont été envoyés à l’autre bout du monde, à la Terre de Van Diemen, le nom colonial britannique de la Tasmanie. Ils y ont été exilés aux côtés de meurtriers et de criminels de toutes sortes, en attendant leur sentence. L’un de ces hommes, Benjamin Wait, a écrit de nombreuses lettres depuis la Terre de Van Diemen qui ont ensuite été rassemblées dans un recueil. En mars 1840, il écrit à un ami résidant aux États-Unis au sujet du traitement colonial des exilés. La méthode des pouvoirs britanniques, écrit-il, consiste à « écraser toute trace d’espoir, asservir l’esprit et aggraver toute misère en consignant nos personnes dans une servitude abjecte ; et en les avilissant par une similitude et un lien avec les êtres les plus dégradés que l’esprit humain puisse concevoir, […] [ordonnée] par un despote dont les desseins barbares ne pouvaient être adéquatement exposés dans l’agonie mentale causée par une résidence forcée aux antipodes, à 16 000 milles de chez nous et de tout ce qui nous est cher. » Les faits relatés dans ces lettres montrent à quel point on a voulu détruire la dignité des patriotes qui ont osé lutter pour la liberté du peuple.
À ce propos, Benjamin Wait écrit dans la même lettre : « Je n’accède pas à votre demande tant pour faire connaître mes souffrances individuelles que pour exposer le système de trahison et de barbarie consommée, tel qu’il est pratiqué à l’égard des ‘délinquants politiques’ reconnus, lorsqu’ils sont en leur pouvoir sans moyens de recours, par le ‘soi-disant’ généreux, libéral et humain gouvernement britannique. » En d’autres termes, il demande à son ami de ne pas faire connaître son cas à lui, mais de faire connaître la barbarie dont étaient victimes les patriotes du Haut et du Bas-Canada et de dénoncer la fausse générosité de la monarchie britannique qui persécute, pour des motifs politiques, les meilleurs éléments parmi les Canadiens.
Au lendemain de ces luttes des patriotes a régné la criminalisation de la conscience. Dans le Haut-Canada, plus de 800 personnes ont été arrêtées pour avoir sympathisé avec la cause patriote ou pour avoir simplement appuyé la réforme du système colonial britannique imposé aux Canadas. Dans le Bas-Canada, c’est plus de 1 700 personnes qui ont été emprisonnées pour le même crime présumé.
Cette répression brutale du peuple est omise dans l’histoire officielle, ce qui met en évidence l’essence du traitement réservé aux patriotes dans l’historiographie bourgeoise, en particulier par les dirigeants anglo-canadiens avec leurs méthodes de fraude et de désinformation. Les patriotes du Haut-Canada sont traités comme des brutes dont les doléances exprimées à la taverne Montgomery de Toronto se sont transformées en une rébellion malavisée. Les patriotes du Bas-Canada sont traités comme des partisans d’une « guerre des races » entre le « Canada anglais » et le « Canada français », sur la base de l’origine linguistique. Dans les deux cas, l’historiographie bourgeoise présente le despotisme britannique comme le garant de la raison, de l’ordre public et des valeurs modernes. On présente le premier comme une menace pour l’ordre public et l’anarchie et le second comme un moyen de stabiliser la cohésion des Canadas et de mettre fin à la « guerre des races » du Bas-Canada. Ce point de vue présente les patriotes comme rétrogrades et les forces de l’oppression comme modernes.
Notre traitement de l’histoire rejette avec mépris ces affirmations qui servent à rabaisser les patriotes et leur lutte pour l’édification nationale. Dans les conditions qui étaient les leurs, ces patriotes ont mené une lutte résolue pour résoudre les problèmes d’une manière qui favorise les habitants du Haut et du Bas-Canada. Nous affirmons catégoriquement que cette lutte et les forces qui l’ont menée étaient modernes non seulement pour leur époque, mais aussi au-delà de leur temps, tandis que ceux qui ont tué, emprisonné et déporté les patriotes à la Terre de Van Diemen peuvent être considérés comme l’antithèse historique du progrès moderne.
Ce que l’historiographie officielle anglo-canadienne tente désespérément d’occulter en éradiquant la lutte des patriotes, c’est que l’histoire obéit à des lois précises du développement de la société et que celui qui les maîtrise peut réaliser le désir de l’humain de vivre en harmonie avec la nature. À tout moment, les forces qui exigent le progrès de la société peuvent et doivent maîtriser ces lois ; à tout moment, les entraves à ce progrès entraînent la destruction de la société et de la planète à la vanité des dirigeants. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui : les impérialistes détruisent tout ce qu’ils ne peuvent pas contrôler, et c’est ce qu’ont fait les impérialistes britanniques avec les pendaisons, les emprisonnements et l’exil forcé des meilleurs représentants des deux Canadas.
Plus nous en savons sur l’histoire des patriotes, plus nous découvrons un esprit héroïque qui nous inspire. Nous apprenons que dans ce pays, des personnes de conscience ont saisi l’occasion de se lever, ont fait ce qu’il faut pour faire aboutir les demandes du peuple, ont pris l’initiative entre leurs mains. Il y a des flux et des reflux sur ce chemin, mais ni la force, ni les armes, ni la tromperie, ni l’intimidation ne peuvent éliminer la capacité d’un peuple de concevoir ce qui est dans son intérêt, de formuler des demandes et de les réaliser en maîtrisant les lois de l’histoire et de la société. C’est ce qui est important dans la lutte des patriotes, c’est pourquoi ils sont pertinents pour nous aujourd’hui et pourquoi nous continuons d’évoquer leur mémoire.
C’est dans ce contexte que je conclus, en affirmant notre salut aux patriotes de 1837-1838 du Haut et du Bas-Canada, qui se sont efforcés de construire une société digne des êtres qui l’habitent. Nous n’avons pas permis et nous ne permettrons pas aux gouvernants de soumettre cette lutte héroïque à la fraude historique.
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