22 juin
250e anniversaire de l’Acte de Québec de 1774
La nécessité moderne d’investir le peuple du pouvoir souverain
Le 22 juin est le 250e anniversaire de la proclamation de l’Acte à l’effet de pourvoir d’une façon plus efficace au gouvernement de la province de Québec dans l’Amérique du Nord, connu sous le nom d’Acte de Québec de 1774. Cet acte fait partie d’une série d’« actes coercitifs » adoptés par le parlement britannique en 1773 et 1775, que les révolutionnaires américains ont appelés les « lois intolérables », pour punir la révolte du Boston Tea Party et consolider la domination britannique en Amérique du Nord. Par contre, l’Angleterre craignait que les Canadiens, qui avaient été privés de tout droit par la Proclamation royale de 1763 suite à la conquête britannique, se joignent aux colons américains, alors avec l’Acte de Québec elle supprimait l’obligation de prêter le serment d’allégeance à la foi protestante, protégeait la pratique de la religion catholique et rétablissait les dîmes de l’Église catholique, entre autres choses.
Extrait de Pour faire face à l’avenir de Hardial Bains, octobre 1992 :
La Proclamation royale du 7 octobre 1763 avait placé le pouvoir politique entre les mains d’un Conseil exécutif composé d’un gouverneur et d’un Conseil nommé par le Colonial Office à Londres. C’était un pouvoir administré directement sous l’autorité souveraine du roi d’Angleterre qui se faisait conseiller par le parlement anglais du XVIIIe siècle. La proclamation prévoyait la formation d’une assemblée populaire « dès que les conditions le permettront ».
L’Acte de Québec de 1774 prévoyait le partage d’un pouvoir limité avec les membres nommés du Conseil, dont le nombre passait de 12 à 23. Cinq d’entre eux étaient nommés par le général Carleton, le gouverneur, pour former un « Privy Council ». Selon Edmund Burke, un champion des institutions établies et du pouvoir oligarchique, le rétablissement du droit civil français, le vieux droit civil de la France du Moyen-Âge, des droits de l’Église et du régime seigneurial et la nomination de représentants de la noblesse au Conseil signifia
« …la préservation de leurs vieux préjugés, de leurs vieilles coutumes […], faisant pencher la balance en faveur de la France. À la seule différence qu’ils auront George III » au lieu de Louis XVI.
L’inclusion, par nomination, de la noblesse du Québec au Conseil marquait le début, si peu de temps après la conquête militaire, de l’utilisation de la noblesse par le pouvoir britannique pour préserver et renforcer le pouvoir établi en 1763. À ce sujet, dans son livre The Constitution of Canada, 1922, le professeur W.P.M. Kennedy écrit ce qui suit :
« Le Canada doit être une base militaire, tenue en laisse par une église dotée, un vaste arrière-pays, une noblesse satisfaite, un clergé reconnu, un droit civil français et une population obéissante et docile. »
Le gouverneur Carleton ne parvint pas à obtenir l’obéissance du peuple par ces mesures et à maintes reprises dans ses correspondances il invoque sa crainte d’une insurrection, reconnaissant que la noblesse et le clergé n’avaient pas réussi à « refréner leurs compatriotes exaltés ». C’était pour lui « un peuple misérable qui ne voit rien en l’honneur », la « race la plus ingrate qui vive ». Il avait espéré qu’en leur accordant des sièges au Conseil et l’usage de leur langue, le droit civil français et la pratique de leur religion, la noblesse et le clergé seraient assez forts pour amener le peuple à soutenir la couronne britannique dans sa guerre contre les colonies en révolte. Mais la population du Québec ne s’est pas jetée à la défense de la couronne britannique. Au contraire, les habitants étaient solidaires de la rébellion dans les treize colonies du sud tout en réclamant leur propre droit à une nation indépendante. La stratégie du général Carleton avait engendré une couche de personnes ayant intérêt à défendre le pouvoir au nom de la couronne. Le professeur Kennedy fait remarquer que l’Acte de Québec
« assurait la fidélité de l’église canadienne-française et des classes supérieures, ce qui s’avéra d’une grande influence contre la désintégration. L’église et les classes supérieures se mobilisèrent non seulement contre la révolution américaine, mais aussi contre la Révolution française, les Guerres napoléoniennes, en 1812, et les rébellions de 1837. »
L’Acte de Québec fut abrogé et remplacé par l’Acte constitutionnel de 1791. Cet acte divisait le Québec en Haut-Canada et Bas-Canada et attribuait l’autorité législative au gouverneur ou lieutenant-gouverneur qui était conseillé par le Conseil législatif et l’assemblée dans chacune des deux colonies. Le Conseil législatif était nommé par le gouverneur avec sept représentants du Haut-Canada et dix-neuf du Bas-Canada. Les membres du Conseil étaient nommés à vie. Le président d’assemblée était aussi nommé par le gouverneur. En plus du Conseil législatif, la couronne introduisit une forme de processus électoral divisant les colonies en districts électoraux chargés d’élire 16 membres à l’Assemblée du Haut-Canada et 50 à l’Assemblée du Bas-Canada, avec une stipulation introduisant le système censitaire par lequel les électeurs et les élus devaient être des hommes et possédants. Ces assemblées se réunissaient une fois par année et étaient élues pour quatre ans. Le gouverneur avait le pouvoir de les révoquer. Une loi adoptée par l’assemblée législative et le Conseil législatif nommé pouvait être rejetée par le gouverneur ou ce dernier pouvait laisser la Couronne en décider. Une loi entérinée par le gouverneur pouvait être révoquée par le parlement anglais durant les deux années suivant son adoption. Le gouverneur et le Conseil exécutif étaient constitués d’une Cour d’appel, ayant le droit d’en appeler au Privy Council de Londres en dernier recours.
* * *
De nos jours, l’Acte de Québec de 1774 est cité par certains qui prétendent qu’il a jeté les bases d’une Constitution québécoise. C’est assez révélateur comme affirmation, surtout lorsqu’on dit que le projet de loi 21, la Loi sur la laïcité de l’État, adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en 2019 qui, entre autres, interdit le port de signes religieux à différentes catégories d’employés de l’État, est la continuation du développement d’une constitution québécoise amorcée en 1774. Lorsqu’il a annoncé la création du Comité sur les questions constitutionnelles le 7 juin, chargé « de renforcer l’autonomie du Québec, de préserver ses droits et d’obtenir plus de pouvoirs dans des domaines fondamentaux, comme l’immigration », le premier ministre du Québec François Legault a déclaré que la Loi sur la laïcité de l’État, le projet de loi 96 consolidant le statut du français comme langue commune et officielle du Québec et l’affirmation du droit du Québec par l’utilisation de la disposition dérogatoire de la Constitution canadienne – que tout cela constitue « des gains » et un renforcement « des assises constitutionnelles » du Québec.
La pratique des marchandages et de la conclusion d’ententes entre les élites dirigeantes du Canada ne pourra jamais mener « éventuellement » à une Constitution québécoise moderne comme on le prétend. Elle fait partie des arrangements archaïques de partage des pouvoirs mis en place par les colonialistes britanniques pour consolider leur domination sur leurs colonies, et non pour les émanciper.
Lorsque les décisions sont prises d’en haut et que le peuple est exclu de l’équation, rien de bon ne peut en résulter. Qu’il s’agisse de l’Acte de Québec de 1774, du Traité de Paris de 1763, des modifications de 1791, de 1841-1848, de 1867, de 1930 et de 1982 à nos jours, les décisions ont été prises d’en haut, et l’État n’a jamais été une forme d’organisation et le citoyen n’a jamais été le point de départ d’un accord ou d’une proclamation. Des proclamations sur la forme du pouvoir exécutif et sur le partage des pouvoirs ont été émises, mais il n’y a jamais eu de traitement explicite de la démocratie. Si nous ne veillons pas aujourd’hui à ce que la démocratie soit traitée de manière explicite, nous répéterons les mêmes expériences et réflexes négatifs qui existent actuellement aux niveaux fédéral et provincial. Les marchandages entre les classes dirigeantes ne font que perpétuer et consolider les arrangements archaïques imposées aux Canadiens et aux Québécois par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867 et encore en 1982.
Aujourd’hui, le renouveau démocratique passe avant tout par la résolution de la question de savoir qui décide avant de décider quoi que ce soit d’autre. Ceux qui parlent de « nouveaux » arrangements de partage des pouvoirs tout en prétendant que la question de savoir qui est le siège du pouvoir décisionnel souverain n’est pas importante, ou qu’elle n’existe même pas, nourrissent nécessairement d’autres ambitions. François Legault donne également l’exemple de la motion adoptée par l’Assemblée nationale du Québec stipulant que les députés peuvent désormais prêter serment d’allégeance au peuple québécois plutôt qu’au roi d’Angleterre, comme une autre preuve de « progression » vers une Constitution québécoise. En fait, la motion, qui représente un pas en avant, signifie seulement qu’il faut maintenant mettre en place des mécanismes permettant de tenir redevables les députés qui jurent allégeance au peuple. Elle pose toute la question du renouveau démocratique pour investir le peuple du pouvoir décisionnel souverain.
En 1992, Hardial Bains a écrit sur ces questions dans l’important article « Renouveau démocratique » :
« C’est cet acte de devenir superflu qui oblige ceux qui veulent encore rester à l’avant-scène de l’histoire, même si le moment de la quitter est venu, à parler de renouveau démocratique dans le but explicite de maintenir le statu quo. Les définitions de ce qu’est le renouveau démocratique, de qui devrait occuper le centre de la scène et de la forme que tout cela doit prendre sont devenues l’objet d’un affrontement entre opposés. Lorsqu’une étape du développement est franchie, on a l’impression qu’elle le restera pour toujours et que la suivante n’arrivera jamais. Or, le fait même que cette impression existe est le signe qu’une nouvelle étape du développement de la société est sur le point d’être franchie.
« Outre les importantes questions de pouvoir économique et politique, il y a aussi le besoin des personnes d’origines nationales diverses et de milieux différents, ainsi que des femmes, de vivre dans la dignité et l’unité fraternelle, sans que personne ne les soumettre à la discrimination ou ne les assujettisse. Il y a aussi les problèmes de l’environnement et bien d’autres sujets très importants. Lorsque tous les problèmes sont pris en considération, il devient tout à fait clair qu’en cette période de renouveau démocratique, l’ingrédient le plus essentiel pour la solution de tous les problèmes est que le peuple occupe lui-même le devant de la scène. Loin d’exclure les luttes immédiates, cela présuppose qu’il doit immédiatement s’employer à défendre ses intérêts, à faire en sorte que ses positions avancées soient celles qui l’emportent. Et chemin faisant, il voit que c’est lui qui doit être investi du pouvoir de décider. »
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