50e anniversaire du coup d’État au Chili
Le Chili en 1972 dans les mots de Salvador Allende
Voici un extrait de la déclaration du président de la République du Chili, Dr. Salvador Allende G., à l’Assemblée générale des Nations unies le 4 décembre 1972.
[…]
Je viens du Chili, un petit pays où chaque citoyen est aujourd’hui libre de s’exprimer comme il l’entend, où la tolérance culturelle, religieuse et idéologique est totale et où la discrimination raciale n’a pas sa place. Un pays avec une classe ouvrière unie dans une seule organisation syndicale, où le suffrage universel et secret est le véhicule pour définir un régime multipartite, avec un Parlement qui a été actif sans interruption depuis sa création il y a 160 ans, où les Cours de justice sont indépendantes, où depuis 1833 la Charte constitutionnelle n’a été modifiée qu’une seule fois, et où elle n’a pratiquement jamais cessé d’être appliquée. Un pays de près de dix millions d’habitants qui, en une génération, a produit deux prix Nobel de littérature : Gabriela Mistral et Pablo Neruda, tous deux fils de travailleurs modestes. L’histoire, la terre et l’homme se confondent dans un grand sens national.
Mais le Chili est aussi un pays dont l’économie arriérée a été soumise, voire aliénée, à des entreprises capitalistes étrangères ; qui s’est enfoncé dans une dette extérieure de plus de quatre milliards de dollars [l’équivalent de 23,25 milliards USD en 2023 — ndlr], dont le service annuel représente plus de 30 % de la valeur de ses exportations, avec une économie extrêmement sensible à la situation extérieure, chroniquement stagnante et inflationniste ; où des millions de personnes ont été contraintes de vivre dans des conditions d’exploitation et de misère, de chômage ouvert ou déguisé.
Je viens ici aujourd’hui parce que mon pays est confronté à des problèmes qui, dans leur transcendance universelle, font l’objet de l’attention permanente de cette Assemblée des nations : la lutte pour la libération sociale, l’effort pour le bien-être et le progrès intellectuel, la défense de la personnalité et de la dignité nationales.
La perspective qui s’offrait à ma patrie, comme à tant d’autres pays du tiers monde, était un modèle de modernisation réflexive, dont les études techniques et la réalité la plus tragique coïncident pour démontrer qu’il est condamné à exclure de plus en plus de millions de personnes des possibilités de progrès, de bien-être et de libération sociale, en les reléguant à une vie infrahumaine. Un modèle qui produira de plus grandes pénuries de logements, qui condamnera un nombre toujours plus grand de citoyens au chômage, à l’analphabétisme, à l’ignorance et à la misère physiologique.
La même perspective, en somme, qui nous a maintenus dans une relation de colonisation ou de dépendance. Elle nous a exploités en temps de guerre froide, mais aussi en temps de paix. Nous, les pays sous-développés, sommes condamnés à être des réalités de seconde zone, toujours subordonnées.
C’est ce modèle que la classe ouvrière chilienne, s’imposant comme protagoniste de son propre avenir, a décidé de rejeter, recherchant au contraire un développement accéléré et autonome, en transformant révolutionnairement les structures traditionnelles.
Le peuple chilien a conquis le gouvernement après une longue trajectoire de sacrifices généreux et s’est pleinement engagé dans la tâche d’instaurer une démocratie économique, afin que l’activité productive réponde aux besoins et aux attentes de la société et non aux intérêts de profit personnel. De manière programmée et cohérente, l’ancienne structure, basée sur l’exploitation des travailleurs et la domination des principaux moyens de production par une minorité, est en train d’être dépassée. À sa place, une nouvelle structure émerge, dirigée par les travailleurs, qui, mise au service des intérêts de la majorité, jette les bases d’une croissance qui implique un véritable développement, qui concerne tous les habitants et ne marginalise pas de vastes secteurs de concitoyens dans la misère et la relégation sociale.
Les travailleurs évincent les secteurs privilégiés du pouvoir politique et économique, tant sur les lieux de travail que dans les communes et dans l’État. Tel est le contenu révolutionnaire du processus que traverse mon pays, de dépassement du système capitaliste pour ouvrir la voie au socialisme.
La nécessité de mettre toutes nos ressources économiques au service des énormes besoins du peuple va de pair avec la récupération de la dignité du Chili. Il fallait mettre fin à la situation dans laquelle nous, Chiliens, luttant contre la pauvreté et la stagnation, devions exporter d’énormes quantités de capitaux au profit de l’économie de marché la plus puissante du monde. La nationalisation des ressources de base était une revendication historique. Notre économie ne pouvait plus tolérer la subordination de plus de 80 % de ses exportations aux mains d’un petit groupe de grandes entreprises étrangères, qui ont toujours fait passer leurs intérêts avant les besoins des pays dont elles tirent profit. Nous ne pouvions pas non plus accepter le fléau des latifundia, les monopoles industriels et commerciaux, le crédit au profit de quelques-uns, les inégalités brutales dans la distribution des revenus.
La voie révolutionnaire que suit le Chili
Le changement de la structure du pouvoir que nous sommes en train de réaliser, le rôle progressif de direction que les travailleurs y assument, la récupération nationale des richesses de base, la libération de notre pays de la subordination à des puissances étrangères, sont l’aboutissement d’un long processus historique. De l’effort pour imposer les libertés politiques et sociales, de la lutte héroïque de plusieurs générations d’ouvriers et de paysans pour s’organiser en force sociale afin de conquérir le pouvoir politique et d’évincer les capitalistes du pouvoir économique.
Sa tradition, sa personnalité, sa conscience révolutionnaire permettent au peuple chilien de faire avancer le processus vers le socialisme, en renforçant les libertés civiques, collectives et individuelles, dans le respect du pluralisme culturel et idéologique. Il s’agit d’une lutte permanente pour l’instauration des libertés sociales, de la démocratie économique, par le plein exercice des libertés politiques.
La volonté démocratique de notre peuple a relevé le défi de promouvoir le processus révolutionnaire dans le cadre d’un État de droit hautement institutionnalisé, qui a su s’adapter aux changements et qui est aujourd’hui confronté à la nécessité de s’adapter à la nouvelle réalité socio-économique.
Nous avons nationalisé les richesses de base.
Nous avons nationalisé le cuivre.
Nous l’avons fait par décision unanime du Parlement, alors que les partis gouvernementaux sont minoritaires.
Nous voulons que tout le monde comprenne bien : nous n’avons pas confisqué les entreprises étrangères qui exploitent le cuivre à grande échelle. Nous avons cependant, conformément aux dispositions constitutionnelles, réparé une injustice historique en déduisant de la compensation les bénéfices qu’elles ont réalisés au-delà de 12 % par an, à partir de 1955.
Les bénéfices réalisés par certaines des entreprises nationalisées au cours des quinze dernières années étaient tellement exorbitants que, lorsque 12 % par an ont été appliqués comme limite raisonnable de bénéfices, ces entreprises ont été affectées par d’importantes déductions. C’est le cas, par exemple, de la société Anaconda qui, entre 1955 et 1970, a obtenu au Chili un bénéfice annuel moyen de 21,5 % de sa valeur comptable, alors que les bénéfices d’Anaconda dans d’autres pays ne s’élevaient qu’à 3,6 % par an.
C’est la situation d’une filiale de Kennecott Copper Corporation qui, au cours de la même période, a obtenu au Chili un bénéfice moyen de 52 % par an, atteignant certaines années des bénéfices incroyables tels que 106 % en 1967, 113 % en 1968, et plus de 205 % en 1969. Les bénéfices moyens de Kennecott dans les autres pays à la même époque s’élevaient à moins de 10 % par an. Cependant, l’application de la règle constitutionnelle a fait que d’autres entreprises de cuivre n’ont pas été soumises à des remises pour bénéfices excessifs, puisque leurs bénéfices ne dépassaient pas la limite raisonnable de 12 % par an.
Il convient de noter que dans les années précédant immédiatement la nationalisation, les grandes entreprises de cuivre avaient lancé des plans d’expansion qui, dans une large mesure, ont échoué et pour lesquels elles n’ont pas fourni de ressources propres, malgré les bénéfices importants qu’elles ont perçus et qu’elles ont financés par des crédits externes.
Conformément aux dispositions légales, l’État chilien a dû reprendre ces dettes, qui s’élèvent au chiffre énorme de 727 millions de dollars. Nous avons même commencé à payer les dettes que l’une de ces entreprises avait contractées auprès de Kennecott, sa société mère aux États-Unis.
Ces mêmes entreprises, qui ont exploité le cuivre chilien pendant de nombreuses années, rien qu’au cours des quarante-deux dernières années, ont engrangé plus de quatre milliards de dollars [23,25 milliards USD de 2023 – ndlr] de bénéfices au cours de cette période, alors que leur investissement initial ne dépassait pas trente millions de dollars [219,4 millions USD en 2023 – ndlr]. Un exemple simple et douloureux : dans mon pays, sept cent mille enfants ne pourront jamais jouir d’une vie normalement humaine parce qu’ils n’ont pas reçu la quantité de protéines de base au cours des huit premiers mois de leur vie. Quatre milliards de dollars transformeraient totalement mon pays. Seule une partie de cette somme garantirait des protéines pour toujours à tous les enfants de mon pays.
La nationalisation du cuivre s’est faite dans le respect scrupuleux de l’ordre juridique interne et dans le respect des règles du droit international, qui n’a pas à être identifié aux intérêts des grandes entreprises capitalistes.
Voilà, en résumé, le processus dans lequel mon pays est engagé et que j’ai jugé opportun de présenter à cette Assemblée, avec l’autorité que confère le fait de respecter rigoureusement les recommandations des Nations unies et de miser sur les efforts internes comme base du développement économique et social. Ici, dans ce forum, on nous a conseillé de changer les institutions et les structures rétrogrades, de mobiliser les ressources nationales — naturelles et humaines —, de redistribuer les revenus, de donner la priorité à l’éducation et à la santé, ainsi que de prendre soin des secteurs les plus pauvres de la population. Tout cela constitue une partie essentielle de notre politique et est en train d’être pleinement mis en oeuvre.
Le blocus financier
C’est pourquoi il est d’autant plus douloureux de devoir monter à cette tribune pour dénoncer le fait que mon pays est victime d’une grave agression.
Nous avions prévu des difficultés et des résistances extérieures pour mener à bien notre processus de changement, notamment en ce qui concerne la nationalisation de nos ressources naturelles. L’impérialisme et sa cruauté ont une longue et inquiétante histoire en Amérique latine, et l’expérience dramatique et héroïque de Cuba est très proche. Il en va de même pour le Pérou, qui a dû subir les conséquences de sa décision de disposer souverainement de son pétrole.
Au milieu des années 1970, après tant d’accords et de résolutions de la communauté internationale reconnaissant le droit souverain de chaque pays à disposer de ses ressources naturelles au bénéfice de son peuple, après l’adoption des pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et de la stratégie pour la deuxième décennie du développement, qui ont solennisé ces accords, nous sommes victimes d’une nouvelle manifestation de l’impérialisme. Plus subtile, plus habile et terriblement efficace pour empêcher l’exercice de nos droits en tant qu’État souverain.
Dès notre triomphe électoral du 4 septembre 1970, nous avons été affectés par le développement de pressions extérieures de grande ampleur, qui ont cherché à empêcher l’installation d’un gouvernement librement élu par le peuple et à le renverser depuis lors. Elle a cherché à nous isoler du monde, à étrangler l’économie et à paralyser le commerce de notre principal produit d’exportation : le cuivre.
Nous sommes conscients que lorsque nous dénonçons le blocus financier et économique dont nous faisons l’objet, cette situation est difficile à comprendre pour l’opinion publique internationale, et même pour certains de nos compatriotes. Car il ne s’agit pas d’une agression ouverte, déclarée ouvertement à la face du monde. Au contraire, il s’agit d’une attaque toujours oblique, souterraine, sinueuse, mais qui n’en est pas moins dommageable pour le Chili.
Nous sommes confrontés à des forces qui agissent dans l’ombre, sans drapeau, avec des armes puissantes, stationnées dans les lieux d’influence les plus divers.
Nous ne faisons l’objet d’aucune interdiction commerciale. Personne n’a déclaré qu’une confrontation avec notre nation était envisagée. Il semblerait que nous n’ayons pas d’autres ennemis que nos adversaires politiques internes naturels. Ce n’est pas le cas. Nous sommes victimes d’actions presque imperceptibles, généralement déguisées par des phrases et des déclarations prônant le respect de la souveraineté et de la dignité de notre pays. Mais nous connaissons de première main l’énorme écart entre ces déclarations et les actions concrètes que nous devons endurer.
Je ne parle pas de questions vagues. Je fais référence à des problèmes plus concrets qui affectent mon peuple aujourd’hui et qui auront des répercussions économiques encore plus graves dans les mois à venir.
Le Chili, comme la plupart des pays du tiers monde, est très vulnérable à la situation du secteur extérieur de son économie. Au cours des douze derniers mois, la chute des prix internationaux du cuivre a fait que les exportations du pays se sont élevées à un peu plus d’un milliard de dollars. Pendant ce temps, les produits industriels et agricoles que nous devons importer ont connu de fortes hausses, certaines allant jusqu’à 60 %.
Comme c’est presque toujours le cas, le Chili achète à des prix élevés et vend à des prix bas.
C’est précisément en ces temps difficiles pour notre balance des paiements que nous avons dû faire face, entre autres, aux actions simultanées suivantes, apparemment destinées à se venger du peuple chilien pour sa décision de nationaliser le cuivre.
Jusqu’au début de mon gouvernement, le Chili recevait des prêts d’organisations financières internationales, telles que la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement, pour un montant d’environ 80 millions de dollars [585 millions USD de 2023 ndlr] par an. Ce financement a été violemment interrompu.
Au cours de la dernière décennie, le Chili a reçu des prêts de l’Agence américaine pour le développement international (AID) pour un montant de 50 millions de dollars [365 millions USD de 2023 – ndlr].
Nous ne demandons pas le rétablissement de ces prêts. Les États-Unis sont souverains dans l’octroi ou non d’une aide étrangère à n’importe quel pays. Nous souhaitons seulement souligner que la suppression drastique de ces prêts a entraîné des contractions significatives de notre balance des paiements.
Lorsque j’ai accédé à la présidence, mon pays disposait de lignes de crédit à court terme auprès de banques privées américaines, destinées à financer notre commerce extérieur, pour un montant de près de 220 millions de dollars [1,6 milliards USD de 2023 – ndlr]. En peu de temps, un montant d’environ 190 millions de dollars a été suspendu de ces crédits, somme que nous avons dû payer car les opérations respectives n’ont pas été renouvelées.
Comme la plupart des pays d’Amérique latine, le Chili, pour des raisons technologiques et autres, doit effectuer d’importants achats de biens d’équipement aux États-Unis. Actuellement, tant le financement des fournisseurs que le financement normalement accordé par l’Eximbank pour ce type d’opérations ont également été suspendus, ce qui nous place dans la situation anormale de devoir acquérir ce type de biens avec un paiement anticipé, ce qui exerce une pression extraordinaire sur notre balance des paiements.
Les décaissements des prêts contractés par le Chili, avant l’entrée en fonction de mon gouvernement, auprès d’organismes du secteur public des États-Unis, et qui étaient en cours d’exécution à l’époque, ont également été suspendus. Par conséquent, nous devons poursuivre la mise en oeuvre des projets correspondants en effectuant des achats ponctuels sur le marché nord-américain, car il est impossible de remplacer la source des importations respectives pendant que les travaux sont en cours.
À cette fin, il était prévu que le financement provienne d’agences gouvernementales américaines.
En raison des mesures prises contre le commerce du cuivre dans les pays d’Europe occidentale, nos opérations à court terme avec les banques privées d’Europe occidentale — basées principalement sur l’encaissement des ventes de cuivre — ont été sérieusement entravées. Cela s’est traduit par le non-renouvellement de lignes de crédit pour plus de 20 millions de dollars [146 millions USD de 2023 – ndlr], la suspension de négociations financières qui étaient sur le point d’être conclues pour plus de 200 millions de dollars [1,5 milliards USD de 2023 – ndlr], et la création d’un climat qui empêche le traitement normal de nos achats dans ces pays, et qui fausse gravement toutes nos activités dans le domaine des finances extérieures.
Cette asphyxie financière de projections brutales, compte tenu des caractéristiques de l’économie chilienne, s’est traduite par une limitation sévère de nos possibilités d’approvisionnement en équipements, pièces détachées, intrants, denrées alimentaires et médicaments. Tous les Chiliens subissent les conséquences de ces mesures, qui se reflètent dans la vie quotidienne de chaque citoyen et, bien sûr, dans la vie politique intérieure.
Ce que j’ai décrit signifie que l’on a dénaturé les organisations internationales, dont l’utilisation en tant qu’instruments de la politique bilatérale de n’importe quel pays membre, aussi puissant soit-il, est juridiquement et moralement inacceptable. Cela signifie exercer une pression économique sur un pays faible ! Cela signifie punir un peuple pour sa décision de récupérer ses ressources de base ! Cela signifie une forme préméditée d’intervention dans les affaires intérieures d’un pays ! C’est ce que nous appelons l’insolence impérialiste !
Délégués, vous le savez et vous ne pouvez pas ne pas le rappeler : tout cela a été soudainement condamné par des résolutions des Nations unies.
Le Chili attaqué par les entreprises transnationales
Nous ne souffrons pas seulement du blocus financier, nous sommes également victimes d’une agression manifeste. Deux entreprises qui constituent le noyau central des grandes entreprises transnationales qui ont pénétré dans mon pays, l’International Telegraph & Telephone Company et la Kennecott Copper Company, ont entrepris de gérer notre vie politique.
L’ITT, gigantesque entreprise dont le capital est supérieur au budget national de plusieurs pays d’Amérique latine réunis, et même à celui de certains pays industrialisés, a entamé, dès le moment où le triomphe de l’Unidad Popular aux élections de septembre 1970 a été connu, une sinistre action visant à m’empêcher d’occuper la présidence.
Entre septembre et novembre de cette année-là, des actions terroristes planifiées en dehors de nos frontières ont été menées au Chili, en collusion avec des groupes fascistes internes, qui ont culminé avec l’assassinat du commandant en chef de l’armée, le général René Schneider Chereau, un homme juste et un grand soldat, symbole du constitutionnalisme des forces armées chiliennes.
En mars de cette année, des documents ont été révélés qui dénoncent la relation entre ces sombres intentions et ITT. Cette dernière a admis qu’en 1970, elle avait même suggéré au gouvernement américain d’intervenir dans les événements politiques au Chili. Les documents sont authentiques. Personne n’a osé les nier.
Par la suite, le monde a appris avec stupéfaction, en juillet dernier, divers aspects d’un nouveau plan d’action que l’ITT elle-même a présenté au gouvernement américain, dans le but de renverser mon gouvernement dans les six mois. J’ai dans ma mallette le document, daté d’octobre 1971, qui contient les dix-huit points de ce plan. Il proposait l’étranglement économique, le sabotage diplomatique, le désordre social, la création d’une panique au sein de la population, de sorte que lorsque le gouvernement serait renversé, les forces armées seraient amenées à renverser le régime démocratique et à imposer une dictature.
Au moment où ITT proposait ce plan, ses représentants prétendaient négocier avec mon gouvernement une formule pour l’acquisition par l’État chilien de la participation d’ITT dans la Compagnie téléphonique chilienne. Dès les premiers jours de mon administration, nous avions entamé des pourparlers en vue d’acquérir la compagnie de téléphone contrôlée par ITT, pour des raisons de sécurité nationale.
J’ai personnellement rencontré les dirigeants de cette société à deux reprises. Lors de ces discussions, mon gouvernement a agi de bonne foi. ITT, en revanche, refusait d’accepter le paiement d’un prix fixé selon une évaluation faite par des experts internationaux. Elle rendait difficile la recherche d’une solution rapide et équitable, tout en essayant de déclencher une situation chaotique dans mon pays.
Le refus d’ITT d’accepter un accord direct et la connaissance de ses manoeuvres sournoises nous ont obligés à envoyer un projet de loi de nationalisation au Congrès.
La décision du peuple chilien de défendre le régime démocratique et le progrès de la révolution, la loyauté des forces armées envers leur pays et ses lois, ont fait échouer ces sinistres tentatives.
Honorables délégués, j’accuse ITT, devant la conscience du monde, d’essayer de provoquer une guerre civile dans mon pays. C’est ce que nous appelons une action impérialiste.
Le Chili est aujourd’hui confronté à un danger dont la solution ne dépend pas uniquement de la volonté nationale, mais d’un grand nombre d’éléments extérieurs. Je fais référence à l’action de Kennecott Copper. Une action qui, comme l’a exprimé le ministre péruvien des mines et des hydrocarbures la semaine dernière lors de la réunion ministérielle du Conseil international des pays exportateurs de cuivre (CIPEC), rappelle au peuple révolutionnaire du Pérou un passé d’opprobre dont l’International Petroleum Co. a été le protagoniste, définitivement expulsé du pays par la révolution.
Notre Constitution établit que les litiges découlant des nationalisations doivent être résolus par un tribunal qui, comme tous les tribunaux de mon pays, est indépendant et souverain dans ses décisions. Kennecott Copper a accepté cette juridiction et a plaidé pendant un an devant ce Tribunal. Son appel a été rejeté et il a alors décidé d’utiliser son grand pouvoir pour nous priver des bénéfices de nos exportations de cuivre et pour faire pression sur le gouvernement chilien. Il a poussé l’audace jusqu’à demander, en septembre dernier, la saisie du prix de ces exportations devant les tribunaux de France, de Hollande et de Suède. Il essaiera probablement de le faire dans d’autres pays également. Le fondement de ces actions ne pourrait être plus inacceptable, d’un point de vue juridique et moral.
Kennecott veut que des tribunaux d’autres nations, qui n’ont rien à voir avec les problèmes ou les affaires qui existent entre l’État chilien et Kennecott Copper Company, décident qu’un acte souverain de notre État, réalisé en vertu d’un mandat de la plus haute hiérarchie, tel que celui donné par la Constitution politique et approuvé par l’unanimité du peuple chilien, est nul et non avenu.
Une telle affirmation est contraire aux principes essentiels du droit international, selon lesquels les ressources naturelles d’un pays, en particulier celles qui constituent sa vie, lui appartiennent et il peut en disposer librement. Non, il existe un droit international accepté par tous ou, dans ce cas, un traité spécifique qui l’approuve. La communauté internationale, organisée selon les principes des Nations unies, n’accepte pas une interprétation du droit international subordonnée aux intérêts du capitalisme, qui conduirait les tribunaux de n’importe quel pays étranger à soutenir une structure de relations économiques au service du capitalisme. Si tel était le cas, cela violerait un principe fondamental de la vie internationale : celui de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un État, comme le reconnaît expressément la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Nous sommes régis par le droit international, accepté à plusieurs reprises par les Nations unies, en particulier dans la résolution 1803 de l’Assemblée générale ; des règles qui viennent d’être renforcées par le Conseil du commerce et du développement, précisément dans le contexte de la plainte déposée par mon pays contre Kennecott.
Cette résolution, tout en réaffirmant le droit souverain de tous les pays à disposer librement de leurs ressources naturelles, déclare qu’« en application de ce principe, les mesures de nationalisation que les États prendraient pour recouvrer leurs ressources naturelles sont l’expression d’un pouvoir souverain, qu’en conséquence il appartient à chaque État de fixer le montant des indemnisations et les modalités de ces mesures, et que les différends qui peuvent surgir à leur sujet sont du ressort exclusif de ses tribunaux, sans préjudice des dispositions de la résolution 1803 de l’Assemblée générale ».
Cette résolution permet exceptionnellement l’arbitrage international « sur accord des États souverains et autres parties intéressées ».
C’est la seule thèse acceptable aux Nations unies. C’est la seule qui soit conforme à sa philosophie et à ses principes. C’est la seule qui puisse protéger le droit des faibles contre les abus des forts.
Naturellement, nous avons obtenu devant les tribunaux de Paris la levée de l’embargo sur la valeur d’une exportation de notre cuivre. Nous continuerons à défendre sans relâche la compétence exclusive des tribunaux chiliens pour régler tout litige relatif à la nationalisation de notre ressource de base.
Pour le Chili, il ne s’agit pas seulement d’une importante question d’interprétation juridique. C’est un problème de souveraineté. Plus encore, il s’agit d’un problème de survie.
L’agression de Kennecott cause de graves dommages à notre économie. Les difficultés directes imposées à la commercialisation du cuivre ont à elles seules causé au Chili, en deux mois, des pertes de plusieurs millions de dollars. Mais ce n’est pas tout. J’ai déjà évoqué les effets liés à l’entrave des opérations financières de mon pays avec les banques d’Europe occidentale. Il est également clair que l’objectif est de créer un climat d’insécurité pour les acheteurs de notre principal produit d’exportation, ce qui ne sera pas le cas.
C’est vers cela que se dirigent actuellement les desseins de cette entreprise impérialiste, car elle ne peut pas s’attendre à ce qu’en fin de compte, un quelconque pouvoir politique ou judiciaire prive le Chili de ce qui lui appartient de droit. Elle cherche à nous soumettre, elle n’y parviendra jamais !
L’agression des grandes entreprises capitalistes vise à empêcher l’émancipation des classes populaires. Elle représente une attaque directe contre les intérêts économiques des travailleurs.
Messieurs les délégués : le peuple chilien est un peuple qui a atteint la maturité politique qui lui permet de décider, à la majorité, de remplacer le système économique capitaliste par un système socialiste. Notre régime politique a eu des institutions suffisamment ouvertes pour canaliser cette volonté révolutionnaire sans ruptures violentes. Je me fais un devoir d’avertir cette Assemblée que les représailles et le blocus visant à produire des contradictions et des déformations économiques risquent d’avoir des répercussions sur la paix et la coexistence internes. Elles ne réussiront pas. La grande majorité des Chiliens saura leur résister avec une attitude patriotique et digne. Comme je l’ai dit au début : l’histoire, la terre et notre peuple se fondent dans un grand sens national.
Le phénomène des sociétés transnationales
Devant la troisième CNUCED, j’ai eu l’occasion d’évoquer le phénomène des sociétés transnationales et j’ai souligné la croissance vertigineuse de leur pouvoir économique, de leur influence politique et de leur action corruptrice. D’où l’inquiétude avec laquelle l’opinion mondiale doit réagir face à une telle réalité. Le pouvoir de ces entreprises est si grand qu’il dépasse toutes les frontières. Les investissements à l’étranger des seules entreprises américaines, qui s’élèvent aujourd’hui à 32 milliards de dollars [234 milliards UDS de 2023 – ndlr], ont augmenté entre 1950 et 1970 à un rythme de 10 % par an, alors que les exportations américaines n’augmentaient que de 5 %. Leurs profits sont fabuleux et représentent une ponction énorme sur les ressources des pays en développement.
En une seule année, ces entreprises ont retiré du tiers monde des bénéfices qui ont représenté pour eux des transferts nets de 1,72 milliard de dollars [12,7 milliards USD de 2023 – ndlr] : 1,013 milliard de dollars [7,4 milliards USD de 2023 – ndlr] d’Amérique latine, 280 millions de dollars [2 milliards USD de 2023 – ndlr] d’Afrique, 366 millions de dollars [2,7 milliards USD de 2023 – ndlr] d’Extrême-Orient et 64 millions de dollars [531 millions USD de 2023 – ndlr] du Moyen-Orient. Leur influence et leur champ d’action bouleversent les pratiques traditionnelles du commerce entre États, les transferts de technologie, les transferts de ressources entre nations et les relations de travail.
Nous sommes face à un véritable conflit frontal entre les grandes entreprises transnationales et les États. Ces derniers voient intervenir dans leurs décisions fondamentales — politiques, économiques et militaires — des organisations mondiales qui ne dépendent d’aucun État et qui, dans l’ensemble de leurs activités, ne sont responsables devant aucun parlement, ni aucune institution représentative de l’intérêt collectif. En un mot, c’est toute la structure politique du monde qui est mise à mal. « Les marchands n’ont pas de patrie. Peu importe où ils sont. Tout ce qui les intéresse, ce sont les bénéfices qu’ils obtiennent. » Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jefferson.
Or, les grandes entreprises transnationales ne menacent pas seulement les intérêts réels des pays en développement, mais leur action incontrôlée et incontrôlable s’exerce aussi dans les pays industrialisés où elles sont implantées. Cela a été récemment dénoncé en Europe et aux États-Unis, ce qui a donné lieu à une enquête au sein même du Sénat américain. Face à ce danger, les pays développés ne sont pas plus en sécurité que les pays en voie de développement. C’est un phénomène qui a déjà provoqué la mobilisation croissante des travailleurs organisés, y compris les grandes organisations syndicales qui existent dans le monde. Une fois de plus, l’action de solidarité internationale des travailleurs devra faire face à un adversaire commun : l’impérialisme.
Ce sont ces actes qui, principalement, ont décidé le Conseil économique et social des Nations unies, suite à la plainte présentée par le Chili, à approuver, en juillet dernier, à l’unanimité, une résolution prévoyant la convocation d’un groupe de personnalités mondiales « pour étudier le rôle et les effets des sociétés multinationales dans le processus de développement, en particulier des pays en voie de développement, et leurs incidences sur les relations internationales […] et pour présenter des recommandations en vue d’une action internationale appropriée ».
Le problème qui se pose à nous n’est pas isolé ou unique. Il s’agit de la manifestation locale d’une réalité qui nous dépasse. Elle englobe le continent latino-américain et le tiers monde. Avec une intensité variable et des particularités singulières, tous les pays périphériques sont exposés à quelque chose de similaire.
Dans les pays industrialisés, le sentiment de la solidarité humaine doit être révolté de voir qu’un groupe d’entreprises arrive à s’immiscer impunément dans l’engrenage le plus essentiel de la vie d’une nation, allant jusqu’à l’ébranler dans ses fondements.
Le porte-parole du Groupe Africain, en annonçant il y a quelques semaines au Conseil du commerce et du développement la position de ces pays sur la plainte déposée par le Chili au sujet de l’agression de Kennecott Copper, a déclaré que son Groupe était entièrement solidaire du Chili parce qu’il ne s’agissait pas d’un problème qui ne concernait qu’une seule nation, mais potentiellement l’ensemble du monde en voie de développement. Ces paroles sont d’une grande valeur, car elles signifient que tout un continent reconnaît qu’à travers le cas chilien se joue une nouvelle étape dans la bataille entre l’impérialisme et les pays faibles du tiers monde.
Les pays du tiers monde
La bataille pour la défense des ressources naturelles fait partie de la bataille que mènent les pays du tiers monde pour sortir du sous-développement. L’agression que nous subissons rend illusoire la réalisation des promesses faites ces dernières années concernant une action d’envergure pour surmonter l’état de retard et de besoin des nations d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Il y a deux ans, cette Assemblée générale, à l’occasion du 25e anniversaire de la création des Nations unies, a solennellement proclamé la Stratégie internationale du développement pour la deuxième Décennie des Nations unies. Par cette stratégie, tous les États membres de l’organisation se sont engagés à faire tout leur possible pour transformer, par des mesures concrètes, l’injuste division internationale du travail actuelle et pour combler l’énorme fossé économique et technologique qui sépare les pays riches des pays en voie de développement.
Nous constatons qu’aucun de ces objectifs n’est en passe de devenir réalité. Au contraire, nous avons fait marche arrière.
Ainsi, les marchés des pays industrialisés sont toujours aussi fermés aux produits de base des pays en développement, en particulier aux produits agricoles, et les manifestations de protectionnisme se multiplient ; les termes de l’échange continuent de se détériorer ; le système de préférences généralisées pour les exportations de nos produits manufacturés et semi-finis n’a pas été mis en oeuvre par la nation dont le marché offrait les meilleures perspectives, compte tenu de son volume, et rien n’indique qu’il le sera dans un proche avenir.
Le transfert de ressources financières publiques, loin d’atteindre 0,7 % du produit national brut des pays développés, est passé de 0,34 % à 0,24 %. L’endettement des pays en développement, qui était déjà énorme au début de cette année, est passé en quelques mois de 70 à 75 milliards de dollars [511 à 548 milliards USD de 2023 – ndlr]. L’importance du service de la dette, qui représente une charge insupportable pour ces pays, est due en grande partie aux conditions des prêts. Ils ont augmenté de 18 % en 1970 et de 20 % en 1971, soit plus du double du taux moyen des années 1960.
C’est le drame du sous-développement et des pays qui n’ont pas encore pu faire valoir leurs droits et défendre, par une action collective vigoureuse, le prix des matières premières et des produits de base, et faire face aux menaces et aux agressions du néo-impérialisme.
Nous sommes des pays potentiellement riches, nous vivons dans la pauvreté. Nous errons d’un endroit à l’autre en demandant des crédits, de l’aide, et pourtant nous sommes — paradoxe du système économique capitaliste — de grands exportateurs de capitaux.
L’Amérique latine et le sous-développement
L’Amérique latine, en tant que composante du monde en développement, s’inscrit dans le tableau que je viens de décrire. Avec l’Asie, l’Afrique et les pays socialistes, elle a mené ces dernières années de nombreuses batailles pour changer la structure des relations économiques et commerciales avec le monde capitaliste, pour remplacer l’ordre économique et monétaire discriminatoire et injuste créé à Bretton Woods à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Il est vrai qu’il existe des différences de revenu national entre de nombreux pays de notre région et ceux des autres continents en développement, et même à l’intérieur de ces derniers, où plusieurs pays peuvent être considérés comme relativement moins développés parmi les sous-développés.
Mais ces différences — qui sont atténuées dans une large mesure par la comparaison avec le revenu national du monde industrialisé — ne marginalisent pas l’Amérique latine par rapport au vaste secteur sous-développé et exploité de l’humanité.
Le Consensus de Vina del Mar de 1969 a déjà souligné ces caractéristiques communes et défini, précisé et quantifié le retard économique et social de la région et les facteurs extérieurs responsables, tout en soulignant les énormes injustices commises à son égard, sous couvert de coopération et d’aide, car en Amérique latine, les grandes villes que beaucoup admirent cachent le drame de centaines de milliers de personnes vivant dans des bidonvilles, produit d’un chômage et d’un sous-emploi effrayants : elles cachent les profondes inégalités entre les petits groupes privilégiés et les grandes masses, dont les indices de nutrition et de santé ne dépassent pas ceux de l’Asie et de l’Afrique, et qui n’ont pratiquement pas accès à la culture.
Il est facile de comprendre pourquoi notre continent latino-américain a un taux de mortalité infantile élevé et une faible espérance de vie moyenne, si nous gardons à l’esprit qu’il manque 88 millions de logements, que 56 % de sa population est sous-alimentée, qu’il y a plus de 100 millions d’analphabètes et de semi-analphabètes, 13 millions de chômeurs et plus de 50 millions d’emplois occasionnels. Plus de 20 millions de Latino-Américains ne connaissent pas la monnaie en tant que moyen d’échange.
Aucun régime, aucun gouvernement n’a été capable de résoudre les énormes déficits en matière de logement, de travail, d’alimentation et de santé. Au contraire, ces déficits augmentent d’année en année avec l’accroissement végétatif de la population. Si cette situation perdure, que se passera-t-il lorsque nous serons plus de 600 millions d’habitants à la fin du siècle ? Cette réalité est encore plus cruelle en Asie et en Afrique, où le revenu par habitant est plus bas et où le processus de développement est encore moins rapide.
On ne se rend pas toujours compte que le sous-continent latino-américain, dont les richesses potentielles sont énormes, est devenu le principal champ d’action de l’impérialisme économique au cours des trente dernières années. Des données récentes du Fonds monétaire international nous apprennent que les investissements privés en Amérique latine en provenance des pays industrialisés accusent un déficit de 10 milliards de dollars [65,2 milliards USD de 2023 – ndlr] entre 1960 et 1970. En un mot, cette somme représente un apport net de capitaux de notre région au monde opulent durant cette décennie.
Le Chili se sent profondément solidaire de toute l’Amérique latine, sans aucune exception. C’est pourquoi il favorise et respecte strictement la politique de non-intervention et d’autodétermination que nous appliquons au niveau mondial. Nous encourageons vivement le renforcement de nos relations économiques et culturelles. Nous sommes en faveur de la complémentarité et de l’intégration de nos économies. C’est pourquoi nous travaillons avec enthousiasme dans le cadre de l’Association latino-américaine de libre-échange et, dans un premier temps, à la formation du marché commun des pays andins, qui nous unit à la Bolivie, à la Colombie, au Pérou et à l’Équateur.
L’Amérique latine a dépassé l’époque des protestations. Ses besoins et les statistiques ont contribué à renforcer sa prise de conscience. Les frontières idéologiques ont été détruites par la réalité ; les intentions de division et d’agression ont été brisées et le désir de coordonner l’offensive pour défendre les intérêts des peuples du continent et des autres pays en développement est apparu.
« Ceux qui veulent entraver la révolution pacifique rendent inévitable la révolution violente. » Cette déclaration n’est pas de moi, elle a été prononcée par John F. Kennedy.
Le Chili n’est pas seul
Le Chili n’est pas seul, il n’a pu être isolé de l’Amérique latine, ni du reste du monde. Au contraire, il a reçu d’innombrables témoignages de solidarité et de soutien. La répudiation croissante de l’impérialisme, le respect que méritent les efforts du peuple chilien et la réponse à notre politique d’amitié avec toutes les nations du monde se sont conjugués pour faire échouer les tentatives de créer un encerclement hostile autour de nous.
En Amérique latine, tous les plans de coopération ou d’intégration économique et culturelle dont nous faisons partie, au niveau régional et sous-régional, ont continué à se développer à un rythme accéléré et, en leur sein, nos échanges se sont considérablement accrus, en particulier avec l’Argentine, le Mexique et les pays du Pacte andin.
Les pays latino-américains ont toujours été unis dans les organismes mondiaux et régionaux pour soutenir les principes de libre détermination en ce qui concerne les ressources naturelles. À la suite des récentes atteintes à notre souveraineté, nous avons reçu des démonstrations fraternelles de solidarité totale. À tous, nous exprimons nos sentiments émus de reconnaissance.
Il n’est que juste de mentionner les réitérations de solidarité du président du Pérou, lors de la conversation que j’ai eue avec lui il y a quelques heures, et l’accueil fraternel que m’ont réservé le président et le peuple mexicains lors de l’agréable visite que je viens d’effectuer dans leur pays.
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Cuba socialiste, qui subit les rigueurs du blocus, nous a apporté son soutien révolutionnaire sans réserve et de manière permanente.
Au niveau mondial, je dois souligner en particulier que, dès le premier instant, les pays socialistes d’Europe et d’Asie ont été à nos côtés, dans une large solidarité. La grande majorité de la communauté mondiale nous a fait l’honneur de choisir Santiago comme siège de la CNUCED III et a accueilli avec intérêt notre invitation à accueillir la première conférence mondiale sur le droit de la mer, que je réitère à cette occasion.
La réunion ministérielle des pays non alignés, qui s’est tenue à Georgetown, en Guyane, en septembre dernier, a exprimé publiquement son soutien ferme face à l’agression dont nous sommes victimes de la part de Kennecott Copper.
Le Conseil intergouvernemental des pays exportateurs de cuivre (CIPEC), organe de coordination créé par les principaux pays exportateurs de cuivre — Pérou, Zaïre, Zambie et Chili — qui s’est réuni à la demande de mon gouvernement, au niveau ministériel, récemment à Santiago, pour analyser la situation d’agression contre mon pays créée par Kennecott, a adopté plusieurs résolutions et recommandations aux États, qui constituent un soutien clair à notre position et un pas important fait par les pays du tiers monde pour défendre le commerce de leurs produits de base.
Ces résolutions feront certainement l’objet d’un débat important au sein de la deuxième commission.
Je veux seulement faire mention ici de la ferme déclaration soulignant notamment que tout acte qui empêche l’exercice du droit souverain des pays de disposer librement de leurs ressources naturelles constitue une agression économique.
Et bien sûr, les actes de la société Kenneccot à l’encontre du Chili constituent une agression économique ; par conséquent, ces États ont décidé de suspendre tous rapports économiques et commerciaux avec cette société et que les litiges relatifs aux compensations en cas de nationalisation relèvent de la compétence exclusive des États qui les décrètent.
Mais ce qui a été de la plus haute importance, c’est la décision de créer un « mécanisme permanent de protection et de solidarité » en ce qui concerne le cuivre. Ce mécanisme, avec l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, est le germe de ce que devrait être une organisation de tous les pays du tiers monde pour protéger et défendre tous leurs produits de base, tant miniers que les hydrocarbures, ainsi que les produits agricoles.
La grande majorité des pays d’Europe occidentale, des pays scandinaves, au nord, à l’Espagne, au sud, ont accru leur coopération avec le Chili et nous ont montré leur compréhension.
Enfin, nous avons vu avec émotion la solidarité de la classe ouvrière du monde entier, exprimée par ses grandes centrales syndicales, et manifestée par des actes d’une profonde signification, comme le refus des travailleurs des ports du Havre et de Rotterdam de décharger le cuivre du Chili, dont le paiement a fait l’objet d’un embargo arbitraire et injuste.
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(Traduit de l’original espagnol par LML)
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