Numéro 6
12 mai 2023
Abolissons la monarchie!
Interventions de Charles III pour promouvoir le rôle de fauteur de guerre de la Grande-Bretagne dans le monde
Le couronnement de Charles III s’inscrit dans la tradition d’un défilé militaire avec 6 000 soldats, marins et aviateurs escortant le roi et la reine et des centaines de militaires de 35 pays du Commonwealth, dont un contingent du Canada[1]. Les navires de guerre et les bases militaires de toute la Grande-Bretagne ont tiré des salves de canon pour saluer le roi, puis des avions militaires ont effectué un défilé aérien au-dessus du palais de Buckingham. Le ministre de la Défense, Ben Wallace, a annoncé dans un communiqué de presse que « nous pouvons être extrêmement fiers du professionnalisme et de la précision de nos forces armées qui rendent hommage à Sa Majesté, leur nouveau commandant en chef ». L’amiral Tony Radakin, chef d’état-major de la Défense, a déclaré que l’aspect militaire du couronnement « reflète des siècles de tradition, mais est révélateur du rôle essentiel que jouent les forces armées dans la Grande-Bretagne moderne ».
La propagande au sujet des forces armées britanniques qui « se battent pour le roi et la patrie » se fait en parallèle avec l’hystérie guerrière et la militarisation des États-Unis et de l’OTAN, deux sujets que Charles III tient très à coeur.
Le 30 mars, Charles III a effectué sa première visite d’État à l’étranger avant son couronnement, en Allemagne, après que sa tentative de visite en France ait été bloquée par les travailleurs français. En Allemagne, il a prononcé un discours belliciste devant le Bundestag, à Berlin[2]. Comme si la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine n’avait rien à voir avec l’expansion des États-Unis et de l’OTAN pour encercler la Russie et le coup d’État de Maïdan en Ukraine en 2014, il a affirmé que les États-Unis, l’OTAN et l’UE n’avaient pas provoqué la Russie et que c’était la Russie qui avait menacé la « sécurité de l’Europe » ainsi que ses « valeurs démocratiques ». Il a déclaré que « nous ne sommes pas restés les bras croisés » et que « l’Allemagne et le Royaume-Uni ont fait preuve d’un leadership vital ». Il a dit qu’en tant que « les deux principaux donateurs de l’Europe pour l’Ukraine, nous avons réagi en prenant des décisions qui auraient pu sembler inimaginables auparavant ».
L’intervention de Charles III pour soutenir les ambitions des États-Unis et de l’OTAN en unissant l’Allemagne derrière eux dans leur dangereuse guerre par procuration en Ukraine contre la Russie
Une des raisons de la visite de Charles III en Allemagne, et de celle qu’il devait faire en France, est qu’il y a d’énormes manifestations et une opposition à la guerre en Allemagne, en France et ailleurs en Europe. Charles III se place, lui et la monarchie britannique, en contradiction avec les peuples d’Europe lorsqu’il préconise que la Grande-Bretagne et l’Allemagne s’unissent dans leur escalade de la guerre en Ukraine.
Charles a salué « la décision de l’Allemagne d’envoyer un soutien militaire aussi important à l’Ukraine », une décision « remarquablement courageuse, importante et appréciée ». Il a poursuivi avec ces vantardises : « Aujourd’hui, nos pilotes volent côte à côte dans le cadre d’opérations conjointes au-dessus de nos alliés baltes. Ici, en Allemagne, nos armées ont créé un bataillon de génie amphibie commun, que je visiterai plus tard dans la journée. L’Allemagne est le seul pays au monde avec lequel le Royaume-Uni possède une telle unité conjointe, ce qui constitue un témoignage extraordinaire du partenariat que nous entretenons. »
En fait, l’hystérie guerrière est devenue la marque de commerce de Charles dans son rôle de promoteur de la production d’armes et de l’industrie de guerre de Grande-Bretagne. Quand il était prince de Galles, Charles a servi de lobbyiste pour l’industrie de l’armement pendant des décennies. Un exemple tristement célèbre est lorsque, en 2014, le premier ministre britannique n’ayant pas réussi à convaincre les Saoudiens d’accepter le financement d’un contrat d’armement de plusieurs milliards de livres sterling, Charles a été envoyé au Moyen-Orient pour participer à un festival soutenu par l’entreprise britannique BAE Systems où il a exécuté une danse de l’épée en portant des vêtements traditionnels saoudiens. Le lendemain, l’Arabie saoudite et BAE ont annoncé qu’un accord avait été finalisé pour la fourniture d’avions Typhoon de BAE Systems à l’Arabie saoudite, pour être utilisés pour bombarder de Yémen et dans la guerre saoudienne soutenue par la Grande-Bretagne et les États-Unis.
![]() Bannière de la journée d’action en Grande-Bretagne en faveur du peuple yéménite et contre BAE et d’autres fabricants d’armes, 12 décembre 2022 |
Le gouvernement britannique détient une action préférentielle (ou « en or ») dans BAE Systems, la plus grande entreprise manufacturière de Grande-Bretagne et l’un des plus grands producteurs d’armes au monde. Les actions préférentielles sont un type de participation qui confère à ses détenteurs des pouvoirs spéciaux[3] : ils peuvent par exemple opposer leur veto à certaines décisions stratégiques, empêcher d’autres investisseurs d’acquérir une participation importante et empêcher une prise de contrôle par une autre société. Les actions « en or » confèrent les mêmes droits de profit et de vote que les actions ordinaires, sauf qu’une seule action correspond à 51 % des droits de vote. Elles ont été créées par les gouvernements pour conserver un certain niveau de contrôle sur les entreprises qui étaient auparavant gérées par l’État mais qui ont fini par être privatisées dans les années 1980 et 1990, principalement dans les secteurs de la défense et de l’énergie. Cette pratique est acceptée au Royaume-Uni, mais elle a été jugée illégale dans l’Union européenne.
BAE Systems est la plus grande société d’ingénierie de Grande-Bretagne et ses commandes pour 2021 s’élèvent à 37,1 milliards de livres sterling, ce qui porte son carnet de commandes à 58,9 milliards de livres sterling. Elle définit l’économie britannique comme un « atelier de guerre du monde ». Elle produit de nombreux matériels et navires militaires, dont les sous-marins nucléaires d’attaque et les chasseurs Typhoon britanniques. La demande d’armes, de munitions et d’équipements militaires de BAE a grimpé en flèche au cours des deux dernières années. BAE emploie 36 000 personnes au Royaume-Uni et 90 000 dans 40 pays. Les bénéfices d’exploitation pour 2022 se sont élevés à 2,5 milliards de livres sterling, soit une augmentation de 12,5 % par rapport à 2021, alors que les ventes ont augmenté de 4,4 % pour atteindre 23,3 milliards de livres sterling.
Le 14 avril, le ministère britannique de la Défense a accordé à BAE Systems une prolongation de contrat d’une valeur de 656 millions de livres sterling « pour faire progresser la conception et la technologie de l’avion de combat de nouvelle génération, connu sous le nom de Tempest au Royaume-Uni », rapporte le ministère de la Défense. « Le nouveau financement s’appuiera sur les travaux scientifiques, de recherche et d’ingénierie révolutionnaires déjà réalisés dans le cadre de la première phase du contrat par les partenaires britanniques de Tempest, à savoir BAE Systems, Leonardo UK, MBDA UK et Rolls-Royce.
« Les partenaires de UK Tempest, qui travaillent en étroite collaboration avec le ministère de la Défense, vont maintenant faire progresser la maturation de plus de 60 démonstrations de technologies de pointe, de concepts numériques et de nouvelles technologies. Ces éléments sont essentiels à la capacité de défense souveraine du Royaume-Uni et contribueront à définir les exigences finales – en collaboration avec les partenaires du Global Combat Air Programme (GCAP) au Japon et en Italie – pour la plate-forme aérienne de combat, qui doit entrer en service au sein de la Royal Air Force d’ici 2035.
« L’avion est conçu pour être un chasseur furtif innovant doté d’une capacité supersonique et équipé de technologies de pointe, notamment de capacités de détection et de protection de pointe. Cela fera de cet avion de combat l’un des plus avancés, interopérables, adaptables et connectés au monde en service, fournissant des armes de nouvelle génération gagnantes au combat pour protéger le Royaume-Uni et ses alliés. »
Les interventions de Charles III au nom de l’État britannique pour promouvoir la production de guerre et l’hystérie guerrière sont également en contradiction avec ses prétentions à soutenir des mesures visant à mettre fin à la crise climatique. On sait que les forces militaires ont l’une des plus grandes empreintes carbone et que leur contribution à la pollution est sans égale.
L’époque exige que les décisions relatives aux questions de guerre et de paix soient prises par les citoyens de chaque pays, et non par les intérêts privés qui tirent d’énormes profits de la production de guerre. La souveraineté doit être dévolue au peuple et non à un chef d’État censé le représenter et parler en son nom. Tant en termes de gouvernement que d’industrie et d’autres domaines de la vie, les intérêts que représente la monarchie au Royaume-Uni et au Canada ne sont pas ceux des peuples de ces pays.
Charles III se prépare à jouer un rôle de plus en plus important dans la promotion du bellicisme au nom de la production de guerre britannique. Il s’agit là d’un autre front qui expose le type de valeurs que la monarchie épouse et que les peuples rejettent.
Notes
1. Lors du couronnement de la reine Élisabeth II en 1953, 30 000 membres des forces armées ont pris part au cortège – 3 600 de la Royal Navy, 16 100 de l’Armée et 7 000 de la Royal Air Force, 2 000 du Commonwealth et 500 des colonies.
2. Discours de Charles III au Bundestag allemand.
3. Les sociétés de la Bourse de Londres dans lesquelles BAE Systems est cotée en tant qu’« actions en or » comprennent Rolls-Royce Holdings PLC, ainsi que certains actifs de Babcock International dans le domaine des chantiers navals.
Charles III et le « pouvoir de convaincre »
Abolissez la monarchie, Derry, Irlande du Nord
Depuis qu’il est devenu roi, le rôle même de Charles en tant que souverain et sa fonction symbolique en tant que représentant de l’État sont aussi remis en cause. L’Association du droit constitutionnel du Royaume-Uni a publié le 27 mars un article intitulé « La visite d’Ursula von der Leyen à Windsor : Qui définit le rôle constitutionnel du roi Charles ? » Selon l’article : « Le roi Charles s’est retrouvé au coeur d’une controverse après avoir reçu Ursula der Leyen, la présidente de la Commission européenne de l’Union européenne (UE), au château de Windsor, quelques heures seulement après que la nouvelle entente du Brexit concernant l’Irlande du Nord eut été dévoilée par Ursula von der Leyen et le premier ministre du Royaume-Uni Rishi Sunak. » La rencontre du roi Charles avec Ursula von der Leyen a été perçue comme un appui public au « cadre de Windsor », une proposition d’accord post-Brexit pour la circulation des marchandises entre l’UE et le Royaume-Uni, qui est lui-même une question politique très controversée.
La rencontre de Charles avec Ursula von der Leyen a été considérée comme un « écart notable » et une déviation de la « convention de neutralité politique » attendue du roi, et semblait traduire sa volonté d’intervenir activement dans la vie politique du pays par l’approche dite de « pouvoir de convaincre » (« soft power »). Le « pouvoir de convaincre » est défini comme étant « une approche persuasive des relations internationales, impliquant généralement l’utilisation d’une influence économique ou culturelle ». Cette approche est loin d’être anodine et comprend l’intervention de la police politique dans des opérations subversives afin de mener à bien des révolutions de couleurs et de provoquer des changements de régime lorsque les États-Unis, la Grande-Bretagne et leurs alliés décident que c’est nécessaire pour défendre leurs « valeurs civilisées ».
La notion de « pouvoir de convaincre » a été conçue et élaborée par le gouvernement de Tony Blair qui, en son nom, a commis de nombreux crimes contre l’humanité. Elle a à nouveau été brandie en mars de cette année lorsque Charles s’est rendu en Allemagne et a rencontré le président allemand Frank-Walter Steinmeier et la première dame Elke Büdenbender. Les journaux du monde entier ont dit de cette visite qu’elle avait été une grande réussite en termes de « cérémonial britannique et de pouvoir de convaincre ». L’expression « pouvoir de convaincre » avait pour but de prêter une allure anodine et inoffensive à la démarche pour dissimuler un motif politique beaucoup plus sinistre et dangereux.
En 2014, sur le site web du parlement du Royaume-Uni, a été publié le rapport du comité spécial sur « le pouvoir de convaincre et l’influence du Royaume-Uni ». Dans le chapitre 4 de ce rapport, intitulé « Les atouts du pouvoir de convaincre du Royaume-Uni : leur rôle et fonction », on y affirme : « Comme l’ont clairement indiqué nos témoins, l’époque où la puissance de cette nation, ou de toute nation, pouvait être mesurée en fonction de la taille de ses forces militaires, ou des modes traditionnels d’application de la loi, est depuis longtemps révolue. Des méthodes nouvelles, plus douces et plus intelligentes doivent être utilisées en conjonction avec les approches plus anciennes afin de défendre et de promouvoir les intérêts et les objectifs du Royaume-Uni. »
En ayant des rencontres avec des chefs mondiaux comme celle que Charles III a eue avec Ursula von der Leyen et le président Frank-Walter Steinmeier, Charles est perçu comme sortant de son rôle soi-disant symbolique. On dit de ce rôle qu’il est symbolique pour laisser entendre que le roi n’a aucun pouvoir mais serait en quelque sorte un « acteur » indépendant et inoffensif dont le rôle est de maintenir l’équilibre du pouvoir dans les arrangements politiques pour contrôler les luttes de factions, dont la plus grande est, en fait, le peuple qui, au XVIIe siècle, était sans propriété, et portait d’ailleurs le nom de faction des sans-propriété. Lorsqu’il est présenté comme ayant activement recours aux « méthodes plus douces et intelligentes » telles que mentionnées dans le rapport du parlement du Royaume-Uni, toutes notions que le monarque est au-dessus de la mêlée disparaissent.
Loin d’être « au-dessus de la politique », Charles se lance directement dans la mêlée, agissant davantage comme les chefs d’État des États-Unis, de la France et d’autres pays, qui sont les principaux porte-parole de l’industrie de guerre dans leur propre pays et au nom de l’alliance États-Unis/OTAN dont ils sont membres. Il agit comme s’il faisait partie d’une faction fondée sur ses propres intérêts, qui sont considérables, tout en rivalisant pour le pouvoir et l’influence. Et c’est là le coeur du problème. Charles III ne peut pas être à la fois un acteur symbolique incarnant une personne fictive de l’État dont la fonction est de représenter l’unité de la nation et en même temps poursuivre des intérêts privés étroits. Cela ne signifie pas que les rois et les reines d’une certaine époque n’ont jamais représenté les intérêts de la classe possédante, mais montre ce que sont ces intérêts aujourd’hui et que les arrangements créés au XVIIe siècle pour unifier le tout se désagrègent. Le rôle du chef d’État n’a rien de symbolique et, avec le règne de Charles III, toutes les illusions sur le caractère symbolique du rôle du monarque constitutionnel s’effondreront.
« L’essence de la convention entre le souverain et le gouvernement du Royaume-Uni », toujours selon l’article de l’Association du droit constitutionnel du Royaume-Uni, est que « dans la monarchie constitutionnelle britannique, il existe une convention voulant que le souverain maintienne une neutralité politique stricte, qui est atteinte selon le principe que le monarque agit sur les conseils de ministres du gouvernement lorsqu’il exerce des fonctions publiques ». En outre, le monarque possède certains « pouvoirs discrétionnaires » en fonction de ce qu’on appelle la prérogative royale. Les auteurs de l’article ajoutent que « tout en restant politiquement neutre, le monarque a le droit de ‘conseiller, encourager et aviser les ministres’ — ce qui porte le nom de « convention tripartite ». Il s’agit de la fiction de la personne fictive de l’État, elle-même contredite par la réalité de la fonction factionnelle du « pouvoir de convaincre » qui, de toute évidence, va de pair avec le « pouvoir pur et dur » de la force et de l’agression militaires.
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