26 octobre 1992
30e anniversaire de la défaite de l’Accord de Charlottetown
La signification de l’accord de Charlottetown et de sa défaite il y a 30 ans
Le dirigeant du PCC(M-L), Hardial Bains, s’adresse à un forum sur le renouveau démocratique à Toronto le 5 septembre 1992, peu après que les gouvernements provincial et fédéral aient conclu l’Accord de Charlottetown.
Le 26 octobre 2022 est le 23e anniversaire du référendum sur l’Accord de Charlottetown et de la défaite des forces de l’establishment aux mains du peuple canadien.
L’Accord de Charlottetown, intitulé Rapport du consensus sur la Constitution, est un accord qui a été signé derrière des portes closes par le premier ministre du Canada d’alors, Brian Mulroney, les premiers ministres provinciaux et des territoires et d’autres membres de l’élite le 28 août 1992 à Charlottetown, suite à l’échec de l’Accord du Lac Meech. L’objectif de l’entente était d’enchâsser le statu quo dans la constitution et de remettre aux premiers ministres du Canada, le premier ministre fédéral et ceux des provinces, le droit de prendre les décisions au nom du peuple canadien. L’accord de Charlottetown leur aurait donné carte blanche pour faire comme bon leur semble et le rôle du peuple canadien aurait été réduit à voter aux quatre ou cinq ans.
Comme c’est encore le cas aujourd’hui, il y avait à l’époque un très fort mécontentement face au processus politique et aux politiciens qui venait du sentiment que le peuple n’exerce aucun contrôle sur ses affaires. La question de qui est investi de la souveraineté, le peuple ou la monarchie, se posait dans toute sa profondeur. L’Accord de Charlottetown préservait la clause qui investit un monarque étranger de la souveraineté et on était censé l’accepter sous prétexte que le titre de chef de l’État conservé par le monarque est une simple formalité. Les Canadiens ne se sont pas laissé dérouter par cette manoeuvre et ont maintenu que c’est le peuple qui doit être investi de la souveraineté. Loin de vouloir abandonner leur volonté d’être investis du pouvoir décisionnel, ils ont démontré leur grand intérêt à s’occuper des affaires constitutionnelles du Canada et à décider eux-mêmes de la loi fondamentale du pays.
Cet intérêt s’est reflété dans les taux de participation au référendum. À l’échelle du pays, 73 % des électeurs admissibles ont pris part au vote. À l’élection de 1993, dans laquelle le gouvernement conservateur de Brian Mulroney a été réduit à deux sièges à la Chambre des communes, le taux de participation a été de 69,6 % et il n’a cessé de chuter depuis, sauf pour des fluctuations mineures, depuis le creux de 58,8 % à l’élection de 2008 au taux « élevé » de 68,1 % (non encore officiel) à l’élection d’octobre 2015, à 67 % à l’élection de 2019 et 62,6 % à celle de 2021.
Le 26 octobre 1992, 7 550 723 électeurs (soit 54,2 %) ont voté non à l’Accord de Charlottetown et 6 185 902 (44,8 %) ont voté oui. Seuls Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick et les Territoires du Nord-Ouest ont voté majoritairement oui. Toutes les autres provinces de même que le Yukon ont voté non. Ce fut presque l’égalité en Ontario, où 49,8 % des électeurs ont voté oui et 49, 6 % non.
Suite à leur défaite au référendum, les élites dirigeantes ont dit qu’on allait faire « comme si de rien n’était » (« business as usual » pour citer Brian Mulroney), c’est-à-dire qu’elles allaient continuer à gouverner au moyen du pouvoir exécutif, se permettant de faire les changements qu’elles voulaient sans amender la constitution puisque rien dans les arrangements en vigueur ne leur interdisait de le faire.
Depuis ce temps, les élites dirigeantes n’ont cessé de dire non à la réouverture de la constitution parce qu’elles ont très peur que l’effort du peuple pour s’investir du pouvoir ne prenne le dessus. On le voit clairement dans la plate-forme du Parti libéral à l’élection de 2015 dernier qui disait que « le gouvernement doit se concentrer sur les priorités de la population, et non pas se lancer dans de nouvelles rondes de négociations constitutionnelles ».
Le 19 octobre 2022, intervenant à la Chambre des communes sur l’obligation pour les députés de l’Assemblée nationale du Québec de prêter serment d’allégeance au roi d’Angleterre, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que les débats sur la monarchie sont « loin dans la liste des priorités de la population ».
« Les Québécois, comme les Canadiens, veulent qu’on se préoccupe du coût de la vie, des emplois de l’avenir, des changements climatiques et c’est sur ça qu’on va passer notre temps, a dit le premier ministre. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’y a aucun Québécois qui veut que l’on rouvre la Constitution. »
L’abomination universelle des élites dirigeantes à toute reprise des pourparlers constitutionnels lui vient du référendum de 1992. Avec le référendum sur l’Accord de Charlottetown, les Canadiens ont commencé à établir un lien entre la constitution et les droits politiques inhérents à la citoyenneté et leur absence de contrôle sur les décisions qui affectent leur vie de tous les jours.
Hardial Bains, le dirigeant du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) et du Comité pour voter non le 26 octobre, dont le parti a été le fer de lance, écrivait :
« Cette question est devenue de plus en plus centrée sur savoir si la constitution devait garantir ou non les droits fondamentaux tel le droit à l’éducation ou si ce droit et les autres droits sociaux allaient rester des privilèges qui peuvent être retirés selon la volonté du gouvernement, comme cela était proposé dans la « charte sociale » de l’Accord de Charlottetown. »[1]
« Les Canadiens ont commencé à réaliser que la constitution canadienne ne reconnaissait pas les citoyens qui forment le corps politique canadien, ni les droits et les devoirs qui leur reviennent en vertu de leur appartenance au corps politique. En même temps, cette période a vu l’émergence des Canadiens en tant que peuple et leur opposition à la notion raciste de ‘deux peuples fondateurs’. Cela s’est accompagné de leur revendication de la reconnaissance de l’égalité de tous les citoyens sans distinction de langue, d’origine nationale, etc. »[2] Les droits nationaux du Québec et les droits ancestraux des peuples autochtones continuent d’être niés.
Lorsque John A. Macdonald a déclaré qu’au Canada il n’y avait « pas de droits, seulement des privilèges », écrivait Hardial Bains, il n’y avait aucune illusion que le gouvernement défendrait les droits et les libertés des citoyens. Il a fait remarquer que le rapatriement de la Constitution et l’inclusion de la Charte des droits et libertés en 1982 ont servi à créer l’illusion que les droits et libertés allaient maintenant être garantis jusqu’à un certain point. Or, lorsqu’on y regarde de plus près, écrit Hardial Bains, « c’est le même diktat : il n’y a pas de droit, que des privilèges. »[3]
Le peuple canadien ne peut plus opérer dans le cadre du régime constitutionnel existant, conclut Hardial Bains.
« Les limitations, que lui impose la constitution par la négation de sa souveraineté et de son droit de décider de sa constitution, et par un processus politique et électoral qui ne lui reconnaît aucun rôle dans le gouvernement du pays, l’empêchent d’agir pour résoudre les problèmes auxquels il fait face. Ceux qui, comme le premier ministre Jean Chrétien, disent qu’il faut ‘laisser de côté la constitution’ et s’occuper des ‘vrais problèmes des Canadiens’, comme le chômage ou l’économie, feignent d’ignorer cette loi de la limitation et le fait qu’elle enlève aux Canadiens la possibilité de s’attaquer aux multiples problèmes qui rongent la société. »[4]
Outragés par cet effort de l’establishment canadien pour écarter la question constitutionnelle, les membres du Comité pour voter non le 26 octobre ont canalisé leur colère dans un programme pratique pour investir le peuple du pouvoir afin qu’il puisse exercer un contrôle sur ses affaires.
Le Conseil national pour le renouveau fut fondé le 19 décembre 1992 à Toronto. Pendant une campagne de recueillement de signatures, 25 000 personnes ont donné leur appui officiel à la fondation du Parti canadien du renouveau en avril 1993, une association non partisane qui allait continuer le travail pour le renouveau du processus politique. Une Campagne pancanadienne pour une constitution moderne et le renouveau démocratique fut lancée à l’automne 1994.
Après sa fondation, le congrès constitutionnel du Parti canadien pour le Renouveau se tient à Ottawa les 11 et 12 septembre 1993.
Les deux positions diamétralement opposées qui se sont fait jour lors de la campagne référendaire sur l’Accord de Charlottetown montrent qu’une campagne pancanadienne n’a rien perdu de son importance et de sa pertinence aujourd’hui. Une position dit que la Loi sur le Canada de 1982 est quelque chose sans intérêt pour les Canadiens ; la démocratie canadienne « telle que nous la connaissons » est tout à fait suffisante à condition qu’on ne la mette pas à mal et les problèmes auxquels les Canadiens et la société sont confrontés relèvent de domaines non constitutionnels comme l’économie ou les affaires sociales et culturelles, ou peuvent être résolus par des changements aux politiques gouvernementales.
L’autre position, qui est au coeur du programme du PCC(M-L), affirme que la société canadienne a atteint un point où tout développement ultérieur est bloqué par son fondement constitutionnel basé sur l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et par le processus politique qui est encore basé sur ce qu’on appelle la démocratie du monarque, à savoir l’ordre constitutionnel et le système de gouvernement de Westminster qui maintiennent le peuple à l’écart du pouvoir politique.
L’incapacité des cercles dirigeants il y a 30 ans à résoudre la crise de la gouvernance et à moderniser les arrangements politiques a mené à la dégénérescence marquée de la vie politique, sociale et économique du pays. Aujourd’hui, les Canadiens et les Québécois ressentent plus que jamais l’absence de pouvoir politique, car leurs réclamations à la société sont ignorées, tandis que les stratagèmes pour payer les riches intègrent davantage les ressources humaines et naturelles du Canada à l’économie de guerre des États-Unis. La crise constitutionnelle est si profonde que les assemblées législatives à tous les niveaux ne fonctionnent plus pour servir le bien public, mais se contentent d’imposer des limites aux droits et libertés des peuples au nom de la stabilité économique et de la sécurité nationale. Les gouvernements de pouvoirs de police sont devenus une porte tournante entre les postes ministériels et les sociétés privées, la preuve que les intérêts privés étroits ont été politisés et qu’ils ont directement pris le contrôle des fonctions gouvernementales.
La situation à laquelle les Canadiens font face aujourd’hui montre bien à quel point il est urgent de se joindre au travail pour le renouveau politique et une constitution moderne pour que cette crise dans laquelle s’enfonce l’ordre constitutionnel de manière à favoriser le peuple.
Notes
1. « Thèmes de la campagne nationale pour une constitution moderne et le renouveau démocratique : Pourquoi une campagne pancanadienne ? », LMLQ, 6 octobre 1994, no. 42
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Ibid.
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