La naissance de W.E.B. Du Bois
23 février 1868
Le legs de W.E.B. Du Bois
William Edward Burghardt « W.E.B. » Du Bois est né le 23 février 1868 à Great Barrington, au Massachussetts. Ses prises de position comme activiste politique, être humain, auteur, sociologue, historien et panafricaniste lui ont mérité une place d’honneur en tant que leader américain égal aux plus grands. W.E.B. Du Bois a étudié à l’Université Humboldt à Berlin, à l’Université de Harvard, à l’Université de Fisk ainsi qu’à l’école de la vie. Il est décédé à Accra, au Ghana, le 27 août 1963 à l’âge de 95 ans. |
Quand je rassemble mes souvenirs, la première chose qui me vient à l’esprit au sujet du docteur Du Bois est la fierté que je ressentais devant son érudition et l’autorité dont il jouissait dans ses nombreux domaines de travail et d’écriture. Au secondaire et au collège, nos enseignants nous conseillaient les ouvrages de référence qui étaient la norme à cette époque touchant à la sociologie, les relations raciales, l’Afrique et les affaires mondiales. Je me souviens de la grande fierté que j’ai ressentie lorsque ces livres et ces articles se sont avérés être ceux du Dr Du Bois, et je les ai souvent prêtés à mes collègues étudiants qui eux aussi étaient très impressionnés par l’autorité universellement respectée et reconnue de l’homme.
En tant qu’étudiants noirs, nous sommes devenus membres de l’Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur (NAACP) que le Dr Du Bois avait contribué à organiser et à bâtir. Nous lisions religieusement The Crisis dont il a été le rédacteur en chef pendant si longtemps, et dans lequel il écrivait de façon limpide, constructive et militante au sujet des problèmes complexes de la scène américaine, de la question noire, de l’Afrique et des affaires mondiales. Il a appelé le peuple américain, et en particulier tout le mouvement syndical, à bien saisir la nécessité de l’unité dans la lutte des masses laborieuses, y compris les Noirs, pour un niveau de vie décent.
Pour nous, le Dr Du Bois était notre professeur, le docteur, le doyen, et nous en parlions avec le plus grand respect, prêtant une oreille attentive à toutes ses déclarations. Nous l’avons suivi en grand nombre avec fierté, marchant le long de la Cinquième Avenue à New York dans une manifestation du NAACP pour les droits civils. Le Dr Du Bois a parlé, écrit et marché pour les droits civils. Il exigeait une citoyenneté de première classe pour tous les Américains, une pleine égalité d’opportunité, de dignité et de droits juridiques pour nous tous. Il prêtait un intérêt et une attention universels à notre histoire noire et à notre riche patrimoine africain, pour que les bases de notre lutte soient des plus solides. Tout cela s’est passé il y a de très nombreuses années, bien avant que je ne termine mes études collégiales en 1919. Notre bon docteur, ce grand homme, comprenait notre situation, notre monde, et sa voix parfois isolée retentissait néanmoins comme un clairon pour annoncer l’urgente nécessité de changement.
Le docteur Du Bois était un distingué historien aussi bien qu’un scientifique social. Souvent nous discutions de la richesse et de la beauté de notre héritage folklorique, en particulier la musique noire qu’il aimait et trouvait très émouvante. Il soulignait souvent l’importance de cette contribution spéciale à la culture américaine. Nous avions des discussions intéressantes sur la ressemblance entre notre musique folklorique noire et les nombreuses autres musiques folkloriques du monde.
Non seulement notre professeur était-il un grand universitaire reconnu, il était aussi le plus distingué de nos hommes d’État. Sa connaissance des affaires mondiales, sa création du Congrès panafricain, son travail continu dans plusieurs capitales du monde pour l’indépendance africaine, ont fait de lui un homme grandement connu et respecté à l’étranger et aimé en Afrique. Son livre, The World and Africa, a été un des premiers livres importants sur l’Afrique moderne d’après-guerre, et a contribué à faire la lumière et à attirer l’attention sur l’exploitation continue de l’Afrique par le « monde libre ». En tant que membres du Conseil des Affaires africaines, nous nous sommes sentis fiers et fortunés lorsque le Dr Du Bois a décidé de se joindre à notre organisation en tant que président en 1949. Ses connaissances, son expérience et sa sagesse ainsi que le travail du très qualifié et dévoué secrétaire exécutif de l’organisation, le Dr Alphaeus Hunton, nous ont permis de faire certaines précieuses contributions à la lutte du peuple africain, en particulier en Afrique du Sud.
Il y a quinze ans, lorsque nous avons fondé le quotidien noir Freedom dont le très compétent rédacteur en chef était notre ami et collègue, le regretté Louis Burnham, le Dr Du Bois était l’un de nos plus fidèles et brillants contributeurs. Ses articles clairs, directs et informatifs sur l’Afrique, sur le Noir en Amérique, sur la situation mondiale en changement, donnaient un plus grand prestige à notre publication.
Être associé, discuter et travailler avec ce grand homme était toujours très gratifiant.
Comme résultat sans doute de sa recherche et de son travail en sociologie, de son étroite observation de l’histoire et de la vie sociale américaine, de son vif intérêt continu pour l’Afrique et pour les affaires internationales, le Dr Du Bois est devenu un grand supporter du socialisme en tant que mode de vie. Il a suivi avec compréhension et appréciation l’émergence de l’Union soviétique et s’est fait des amis de par le monde socialiste. Il appréciait non seulement leur rejet du racisme, mais aussi, en tant que scientifique social, leur intérêt constructif et pratique et leur activité gouvernementale concrète pour le bien-être de la vaste majorité du peuple. Le Dr Du Bois a dit à maintes reprises qu’il croyait que la Révolution d’Octobre de 1917 représentait le moment décisif de l’histoire moderne et avait joué un rôle de la plus haute importance dans le façonnement d’un monde nouveau qui voyait l’émergence de nombreuses autres terres socialistes.
C’est donc conformément à cette logique et dans un geste profondément émouvant qu’en 1961, ayant bien saisi la situation mondiale, le Dr Du Bois est devenu membre du Parti communiste des États-Unis et, plus tard, un citoyen accueilli et honoré du Ghana, en son Afrique bien-aimée. Il a suivi avec beaucoup de soucis les luttes pour l’indépendance dans diverses parties de l’Afrique. Il savait que ces luttes devaient être remportées pour que l’Afrique et le peuple africain puissent développer leur immense potentiel. Sa vive intelligence, son éducation exhaustive et son passé académique n’empêchaient pas le Dr Du Bois d’être un être humain terre-à-terre, doté d’un esprit vif et charmant, d’un bon sens de l’humour teinté d’espièglerie, ni de profiter pleinement de la vie. Je me souviens en particulier de son éclat de rire enjoué et spontané.
Je me souviens aussi d’un merveilleux souper de l’Action de grâce chez lui à Grace Court à Brooklyn il y a de cela environ dix ans. Il avait invité des gens des Nations unies, sachant qu’ils avaient entendu parler de l’Action de grâce et avaient lu des choses à son sujet, mais n’avaient pas d’expérience directe pour bien comprendre ce congé américain spécial. Nous avons donc eu droit à un repas et à une soirée de l’Action de grâce aussi authentiques que lui et sa conjointe Shirley avaient pu organiser, le bon docteur faisant preuve comme hôte d’esprit et d’entrain dans ses patientes explications de l’événement – de la dinde à la sauce aux canneberges à la tarte à la citrouille, en passant par les débuts de l’histoire américaine. Suite à ce délicieux repas, au moment du café et du brandy devant le feu de foyer du spacieux salon, il nous a entretenus de Frederick Douglass, dont le portrait dominait la cheminée, et de sa place dans l’histoire américaine. C’est là un heureux et précieux souvenir.
Je me souviens très bien également de la campagne politique du Dr Du Bois lorsqu’il a été candidat du Parti du Travail américain de New York pour un siège au Sénat américain. Dans le tohu-bohu habituel des campagnes politiques américaines, le docteur Du Bois a toujours conservé son calme et sa dignité. Il ne participait pas aux basses manoeuvres d’attaques et d’injures, mais discutait des vraies questions à l’aide de discours où il brillait par sa vive intelligence et son humour tranchant. Nous étions tous inquiets qu’un homme de son âge – il avait alors 82 ans et semblait fragile – puisse résister au rythme éreintant d’une telle campagne. Mais le Dr Du Bois prenait soin de sa santé avec intelligence, comme pour tout ce qu’il entreprenait. Par exemple, si les organisateurs fixaient à 22 heures une réunion où il serait l’orateur, ils la limitaient à une demi-heure et, peu importe l’état imprévisible de la réunion, à 22 heures pile le Dr Du Bois montait sur le podium, livrait un discours brillant d’une demi-heure, se reposait un peu, et quittait les lieux.
À mesure que le docteur Du Bois observait et comprenait les événements mondiaux, il reconnaissait la question de la paix comme l’une des plus importantes questions de l’ère nucléaire. Ainsi, d’une façon typique chez lui, il devint associé à tous les mouvements pour la paix dans le monde et oeuvra activement à la paix. En 1949, il fut nommé président du Centre d’information pour la paix ici au pays, et plus tard a été accusé, jugé et acquitté pour son rôle dirigeant dans le travail pour la paix.
Lorsque le docteur Du Bois et Shirley sont venus à Londres en 1958, nous vivions dans un appartement à Maida Vale. Peu après leur arrivée, Eslanda et moi sommes allés à Moscou pour une longue visite de ce pays et nous avons prêté notre logis aux Du Bois. Nous étions heureux d’apprendre qu’ils avaient trouvé leur séjour très plaisant et que nous avions ainsi contribué à mettre un peu de confort dans leur visite à Londres. Après leur départ, nous avons pensé mettre une inscription sur la porte : « Le Dr Du Bois a dormi ici. »
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Mon dernier souvenir du docteur Du Bois est à Londres, en 1962, dans des circonstances moins heureuses. Le docteur, qui avait alors 94 ans, était gravement malade et s’est retrouvé à Londres pour une grave opération. Il était faible et fatigué, et nous nous demandions avec inquiétude s’il allait survivre à l’épreuve. À ce moment-là, j’étais moi-même patient dans une maison de repos à Londres et je me sentais à la fois attristé et impuissant devant l’état de santé du docteur. Ainsi, lorsque mon épouse, qui lui rendait souvent visite à l’hôpital, m’a appris qu’il voulait absolument me voir et avait demandé spécifiquement à me voir, je me suis levé et je me suis rendu à l’hôpital de l’Université de Londres où nous avons passé du temps ensemble. Malgré son état de santé précaire, il m’a parlé du travail qu’il consacrait à l’Encyclopedia Africana. Nous avons aussi discuté des développements de la révolte des Noirs chez nous en Amérique, de la puissance et de l’influence du monde socialiste, et du merveilleux éveil du peuple africain.
Je lui ai rendu à nouveau visite à l’hôpital et j’ai été enchanté et soulagé d’apprendre qu’il semblait, de façon presque miraculeuse, avoir retrouvé la santé. C’était en août 1962.
Alors que je séjournais, en proie à la maladie, à la maison de repos de Londres, le Dr Du Bois s’est rétabli de son intervention. Il a eu la force de se lever et de voyager avec Shirley en Suisse où il s’est reposé au soleil. Il est allé à Pékin pour assister à la Célébration d’octobre, à Moscou pour la Célébration de novembre, et, de retour à Londres à la fin du mois de novembre, le docteur Du Bois m’a rendu visite à la maison de repos. Il m’a fait un compte rendu fascinant de son voyage et de ses expériences, qu’il avait grandement appréciés.
« C’est la dernière fois que je l’ai vu. Lui et Shirley se sont rendus au Ghana où on lui a réservé un accueil des plus chaleureux.
« Mes souvenirs les plus précieux du Dr Du Bois sont liés à la force et au côté pratique de son intelligence, à son courage et à son intégrité intellectuelle, à sa lucidité face au monde et à notre place dans ce monde – ce qui a aussi élevé notre propre conscience. Sa grande influence sur la pensée américaine et sur la pensée noire restera à jamais inestimable. Nous l’admirions, le respections, l’appréciions et le suivions parce qu’il était transparent et direct, parce que son militantisme était fondé sur une force et un courage des plus combatifs qui lui venaient d’une grande connaissance, d’une immense sagesse et de l’expérience. Je me souviens aussi de sa grande bonté.
Le docteur Du Bois était et est, dans le sens le plus profond, un leader américain, un leader noir, un leader mondial.
(Paru dans freedoms Ways, 1965. Traduit de l’anglais par LML)
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